Objectif Soins n° 274 du 01/04/2020

 

Actualités

Claire Pourprix  

Santé publique

La crise sanitaire liée au Covid-19 révèle de manière criante le manque d'éducation de la population en matière de sensibilisation aux gestes barrières, de leur bonne compréhension et de leur application. Phénomène culturel ? Freins cognitifs ? Déficit d'information ? Quoi qu'il en soit, à l'hôpital comme partout ailleurs, la prévention/protection contre la menace invisible que constituent les virus, et particulièrement ce SARS-CoV-2, est une nécessité vitale. Gageons que cette crise sanitaire aidera à revoir nos pratiques.

L'afflux de voyageurs dans les gares et sur les routes pour quitter les grandes villes à l'annonce du confinement restera dans les mémoires. De même que les ruées dans les magasins pour constituer des stocks. Ou encore ces jeunes qui se regroupent le soir venu pour passer un moment ensemble. Sans volonté de stigmatiser l'attitude de ces personnes qui, individuellement, avaient sans doute bien des raisons de faire ce choix – installer leur famille dans un lieu de confinement plus confortable qu'un petit appartement en ville par exemple, faire le plein de vivres de peur de manquer, lutter contre l'isolement pesant – ces faits mettent en exergue la non-compréhension ou la non-acceptation d'une partie d'entre nous de la nécessité de respecter la distanciation sociale et d'appliquer les gestes barrières. Le fait de devoir se protéger contre une menace invisible – le coronavirus SARS-CoV-2 – et de pouvoir être porteur sans le savoir, ne facilitent pas la donne.

Une interprétation personnelle de la situation

Déni, panique, indifférence... comment expliquer ces réactions et lever les freins existants pour impulser des changements de comportement ?

« L'interprétation de ces comportements passe par une double lecture, systémique et cognitive. La réception des messages est liée à notre prise d'information : quand on reçoit un message, on filtre l'information pour la faire concilier avec notre vision du monde », explique Cécile Debray, Consultante RH, présidente du cabinet conseil Amae.

Par exemple, une personne jeune ayant une vision optimiste des choses ne se sentira pas concernée si on lui dit, comme cela a été communiqué au début de l'épidémie, que le coronavirus est essentiellement dangereux pour des personnes âgées. A l'inverse, une personne anxieuse aura tendance à surinvestir les messages anxiogènes : accepter le lavage des mains veut dire reconnaître qu'elle est couverte de virus et qu'elle court en permanence un immense danger. « Chacun d'entre nous procède à une priorisation des données, c'est ce qui explique que l'on réagisse différemment les uns des autres, de manière très personnelle. De plus, il est difficile de renoncer à quelque chose – nos liens sociaux par exemple en période de confinement – lorsque le danger nous semble loin ou qu'il est invisible, car cela participe à développer un sentiment d'impunité qui nous laisse penser que cela n'arrive qu'aux autres. »

Avec le temps, le décalage entre les propos des soignants et ceux du « grand public » a tendance à se rétrécir, « notre vision du monde se réajuste », souligne Cécile Debray. Ce constat est étayé par une étude menée par l'IFOP au mois de mars, qui apporte un éclairage sur les changements de comportements de la population (voir encadré 1).

De la communication à la simulation

Le gouvernement et Santé publique France n'ont pas lésiné sur la communication des gestes barrières : messages radio, télévision, affiches... difficile de passer à travers. De son côté, l'OMS a multiplié les messages de prévention, allant même jusqu'à signer un partenariat avec des entreprises du jeu vidéo pour toucher largement la cible des joueurs. Pourtant, l'impact de ces messages institutionnels pose question car ils ne peuvent suffire à l'adoption de pratiques efficaces. Par exemple, à quoi bon se laver les mains si on ne le fait pas correctement ? Porter un masque si on continue de se toucher le visage ?

Des méthodes plus pragmatiques, faisant la preuve de l'efficacité des mesures, sont bien plus parlantes. Comme ces vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrant des lavages de mains avec des encres pour pointer les zones qui restent sales ou encore sur le parcours des postillons lorsque l'on éternue. « Au lieu de faire des discours, il faut montrer les choses, souligne Cécile Debray. L'expérimentation par la personne est un moyen efficace car elle permet une représentation mentale qui fait le lien entre les actes et les conséquences de ces actes. Sans quoi, c'est la pensée magique qui revient, c'est-à-dire que l'on fait des liens de causalité entre des événements qui n'en ont pas, et cela renvoie à des problématiques de superstition. »

D'ailleurs, le gap entre la connaissance des consignes et leur mise en œuvre efficace n'existe pas que dans la population en général : il concerne aussi les professionnels hospitaliers qui ont besoin, comme tout un chacun, de piqûres de rappel sur les notions d'hygiène et d'exercices d'application pour vérifier leur bonne interprétation. « Bien que formés pendant leur cursus aux règles d'hygiène, il arrive que des soignants, dans l'exercice de leur activité professionnelle, adoptent des pratiques qui dévient, dysfonctionnent voire sont délétères, notamment lorsque l'on est en présence de l'infiniment invisible comme dans le cas d'un virus. C'est pourquoi il faut toujours garder le cap avec la formation continue en faisant des sessions de remise à niveau, tel que le stipule l'article 59 de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires relatif au Développement professionnel continu avec l'évaluation des pratiques professionnelles, le perfectionnement des connaissances, l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins », témoigne Nadia Péoc'h, PhD, Directrice des soins du PREFMS.

Ce Pôle régional d'Enseignement et de Formation aux métiers de la Santé de Toulouse réunit 11 instituts de formation, soit près de 2 000 étudiants et 140 cadres de santé formateurs. La structure ultra-moderne est équipée d'un bloc opératoire de simulation reconstitué avec une salle de débriefing, des caméras et des salles pour réaliser de la simulation. « Notre philosophie est d'apprendre à apprendre ensemble pour travailler demain ensemble. Nous axons notre pédagogie sur la professionnalisation, la transversalité et l'interprofession. Les enseignements sont maillés sur tous les apprentissages fondamentaux. Par exemple, l'hygiène est appréhendée sous l'angle de la sécurité et de la qualité des soins, du confort de la personne soignée et de l'ergonomie du soignant, de l'économie par l'utilisation d'un matériel adapté... », précise-t-elle.

Derrière cette présentation, c'est toute une pratique de la transmission des savoirs qui est en jeu et qui résonne particulièrement dans le contexte actuel : « Par exemple, dans le bloc opératoire, les élèves IBO apprennent aux étudiants infirmiers le lavage des mains, l'habillage, le gantage, la protection avec la coiffe, la surblouse, la visière, les lunettes... Les étudiants forment leurs pairs. Dernièrement, 10 étudiants IBODE ont partagé leurs compétences de 1ère année pour rappeler les règles d'usage de l'hygiène à des infirmiers travaillant en psychiatrie amenées à prendre en charge des patients porteurs du Covid-19. Cette remobilisation des connaissances et des bonnes pratiques a été très appréciée, les infirmiers de psychiatrie, dont le cœur de métier est plus axé sur la relation d'aide, étant par définition moins en lien avec le somatique. »

De son côté, l'Institut Toulousain de simulation en santé (ITSIM), dirigé par le Pr Thomas Geeraerts et partenaire du PREFMS, a formé en urgence courant mars, en une semaine, plus de 1 500 professionnels de santé du CHU de Toulouse aux gestes spécifiques (habillage, intubation) à la prise en charge des patients atteints de la maladie pour réduire les risques de contamination.

« Je pense qu'il y aura un avant et un après à la crise sanitaire que nous connaissons, estime Nadia Péoc'h. Nous réfléchissons déjà à la manière de moderniser nos contenus pédagogiques, d'améliorer l'enseignement pour laisser une place plus grande à la simulation et l'accompagnement des étudiants. Par exemple la pédagogie en classe inversée, l'utilisation de séquences de formation par vidéoscopie pour revoir nos gestes après-coup sont des outils à développer pour améliorer les apprentissages. Les échanges avec les professionnels de santé sur le terrain doivent aussi être renforcés, quelle que soit leur fonction. »

Un avant et un après

Passé le stade de la stupeur, les Français ont pris la mesure de la gravité de la situation courant mars. Les reportages dans les hôpitaux, les témoignages des soignants, les récits de patients guéris ont fini par nous faire prendre conscience de l'état sanitaire de notre pays et de notre responsabilité individuelle. Non ça n'arrive pas qu'aux autres. Je peux être atteint par ce corovanirus, le transmettre, être malade ou pas, en mourir ou être responsable de la mort d'un proche. Mais une fois passé le pic épidémique, combien de temps allons-nous rester vigilants ? Quel en sera l'impact sur notre responsabilité collective ?

Cécile Debray n'est pas très confiante dans notre capacité à tirer une leçon de la crise actuelle. « Je crains que l'on oublie rapidement les gestes de prévention récemment acquis, parce qu'il n'est pas facile de faire le lien entre les gestes barrières et la protection, du fait notamment que le virus est invisible et parfois asymptomatique. De plus, des propos contradictoires, parfois de la part même de soignants, troublent le message. » De fait, les débats sur l'utilité du port du masque ou l'efficacité thérapeutique de la chloroquine peuvent avoir des répercussions négatives, et sont le lit de théories du complot ou autres remises en question.

Pourtant, l'appropriation des gestes de prévention sur le long terme est une nécessité. « L'hygiène individuelle, la distanciation sociale doivent être introduites dans notre vie quotidienne, notamment en période hivernale. N'oublions pas que chaque année la grippe tue 10 000 personnes en France, notamment des personnes âgées, mais pas si âgées, parce que le vaccin est mal utilisé voire pas du tout. On se moque des personnes en Asie qui portent un masque dès qu'elles ont le nez qui coule, or il s'agit d'une attitude sage, d'hygiène et de prévention », remarque le Pr Philippe Sansonetti, titulaire de la chaire Microbiologie et maladies infectieuses du Collège de France, chercheur à l'Institut Pasteur. L'Asie a été traumatisée par de grandes pandémies grippales. Après la crise actuelle, serons-nous nous aussi suffisamment sensibilisés pour faire évoluer notre culture ? « Il faut un vrai changement de mentalité, poursuit le Pr Sansonetti. Il faut inscrire en majuscule le risque épidémique car ce ne sera pas le dernier. » D'où l'importance de faire le lien entre les gestes barrières et le risque sanitaire, sans quoi à la prochaine menace, les gens n'auront peut-être pas le réflexe d'adopter la bonne attitude.

Et d'autres virus, il y en aura. Il faut nous y préparer. « Le problème de fond est l'émergence de coronavirus elle-même, rappelle le spécialiste, or elle nous échappe : le monde moderne tel qu'il a été développé ces dernières décennies la favorise. Le chamboulement écologique, les écosystèmes altérés par l'agriculture, l'élevage intensif, la mainmise de l'homme sur la nature favorise des rencontres avec des espèces animales et la transmission de virus animaux à l'homme. Dans la période récente, les trois quarts des infections émergentes sont issues du monde animal sauvage. » Un phénomène rendu d'autant plus dangereux par la « frénésie des transports, qui crée un danger de développement de pandémie ».

Pour mettre un terme à l'épidémie de Covid-19, nous ne disposons que de deux seules armes actuellement : la prévention et le traitement symptomatique des formes graves. La sortie de crise sera sans doute longue et périlleuse, le diagnostic de la population étant essentiel pour limiter les risques d'infection tant qu'un traitement ne sera pas disponible. Pour autant, souligne le Pr Sansonetti, il est aussi urgent de repenser nos modes de vie. « Ce que l'on vit aujourd'hui est surréaliste. Il faut prendre conscience de la gravité de la situation et comprendre que ce qui faisait encore notre quotidien hier doit être reconsidéré aujourd'hui. Il faut changer de logiciel. »

Evolution du respect des règles d'hygiène et de distanciation sociale en période de confinement

L'Ifop a réalisé une étude sur le thème « La vie quotidienne des Français à l'heure du confinement » visant à répondre à la question : « Les Français respectent-ils les règles de confinement, d'hygiène et de distanciation sociale ? ». Cette étude a été réalisée pour Depanneo par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 23 mars 2020 auprès d'un échantillon de 3 011 personnes, représentatif de la population résidant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus.

Parmi ses enseignements, l'évolution du respect des règles d'hygiène montre une nette progression entre fin janvier et le 23 mars.

Les résultats sont beaucoup moins probants en ce qui concerne les mesures de prévention qui ont fait l'objet d'une communication moins systématique, voire contradictoire et confuse comme dans le cas du port des masques.

Des images choc pour comprendre l'ampleur de la menace

Dans une étude publiée sur le site The Conversation* le 18 mars dernier, Angela Sutan, professeur en économie comportementale à Burgundy School of Business et Romain Espinosa, Chargé de recherche en économie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ont montré que, alors que les communications fondées principalement sur des discussions statistiques pouvaient contribuer à rendre le problème « très abstrait, voire lointain », des images médicales peuvent, au contraire « les sensibiliser et les mobiliser davantage ».

Pour cela, ils se sont livrés à une expérimentation le mardi 17 mars. Celle-ci a révélé que « les images augmentent les chances que les participants considèrent la crise comme une des plus graves crises sanitaires auxquelles notre pays a fait face ce dernier siècle, et diminuent la propension à considérer que les médias et responsables politiques exagèrent la crise ».

Leur conclusion : « La communication autour du coronavirus peut être donc plus effective en montrant des images d'hôpitaux ou de personnes en réanimation. Ceci augmente significativement les préoccupations des citoyens pour le coronavirus, possiblement en augmentant leur perception des risques. »

* https://theconversation.com

Quelles instances pour mieux se prémunir du risque sanitaire ?

Le Pr Philippe Sansonetti aime à citer Albert Camus, dans la Peste : « On croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête... » Maintenant, on a toutes les raisons d'y croire... et il est grand temps de s'équiper d'instances capables de coordonner les actions.

En France, l'Eprus, l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, avait été institué par la loi no 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur. Sa mission était d'assurer la gestion des moyens de lutte contre les menaces sanitaires graves, tant du point de vue humain (réserve sanitaire) que du point de vue matériel (produits et services). C'est donc lui qui, en 2009, a géré les stocks de masques pour la grippe A (H1N1).

Par la suite, cet établissement a été fusionné en 2016 avec l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) et l'InVs (Institut de veille sanitaire) pour donner naissance à Santé publique France. Sa mission ? « Améliorer et protéger la santé des populations », articulée « autour de trois axes majeurs : anticiper, comprendre et agir.

Pour l'heure, il n'existe pas d'instance internationale ni européenne spécifique chargée de gérer les risques de pandémie. Le risque épidémique a pourtant été déjà évoqué, comme dans le rapport de Michel Barnier, « Pour une force européenne de protection civile : europe aid » en 2006. Parmi ses 12 propositions, il préconisait une « approche européenne intégrée » pour anticiper les crises, dont la crise de santé publique due à des phénomènes de pandémie et d'épidémie.

Depuis l'épidémie de Sras en 2002-2003, le risque de pandémie a fait l'objet de plusieurs alertes à l'échelle internationale, comme le souligne Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Directeur de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées, dans une interview accordée au magazine Le Point*. « Les rapports successifs du National Intelligence Council américain anticipent assez précisément ce risque depuis 2004. Celui de 2008, par exemple, élabore le scénario d'une pandémie causée par ``l'émergence d'une maladie respiratoire virulente, nouvelle et très contagieuse contre laquelle il n'y aurait pas de traitement'' et qui serait née dans une zone ``à forte densité et où il y a une proximité entre humains et animaux, comme dans certains endroits de Chine'' », explique-t-il.

En France, il indique que le risque pandémique figure dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, jugeant « plausible » l'apparition d'une « pandémie massive à forte létalité » dans « les quinze années à venir ». Ainsi que dans le Livre blanc de 2013. La Revue stratégique et de Sécurité nationale de 2017 « n'emploie pas le mot de ``pandémie'', mais prend bien en compte ``le risque d'émergence d'un nouveau virus'' », précise-t-il avant de noter : « Nous ne nous trouvons donc pas face à une surprise stratégique. »

* Publiée le 21 mars 2020 : https://www.lepoint.fr/monde/covid-19-nous-ne-nous-trouvons-pas-face-a-une-surprise-strategique-21-03-2020-2368141_24.php

http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=r853929_3&idtable=r853930_19%7Cr859029_9%7Cr853929_3%7Cr869366_9%7Cr888608_4%7Cr854609%7Cr815749_34%7Cr815769_55&_c=%E9pid%E9mie&rch=gs&de=20000409&au=20200409&dp=20+ans&radio=dp&aff=sep&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn&isFirst=true