Florence Monpeyssen est ingénieur ergonome au CHU de Nantes : au contact des professionnels sur le terrain, elle apporte son expertise pour améliorer les conditions de vie au travail de l'ensemble des 12 500 personnels médicaux et non médicaux de l'établissement.
C'est au cours de ses stages de professionnalisation de Master 1 et 2 d'ergonomie que Florence Monpeyssen découvre le milieu hospitalier : « ce secteur est un terrain d'exercice qui présente de nombreux défis à relever », résume celle qui s'est formée à l'ergonomie après une carrière d'officier dans les relations internationales de l'armée de l'air.
« Tout d'abord, en milieu hospitalier, c'est une discipline à différencier de l'ergothérapie qui est une profession de santé permettant d'évaluer et d'accompagner la rééducation de patients en situation de handicap. L'ergonomie, elle, est une discipline des sciences humaines qui accompagne les professionnels – et non les patients – dans l'adaptation du travail à l'homme pour préserver sa santé physique et mentale dans le cadre professionnel », explique-t-elle.
L'ergonomie est, par une définition adoptée par le IVème congrès international d'ergonomie en 1969, « l'étude scientifique de la relation entre l'Homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail ». Décrite pour la première fois il y a environ 150 ans, elle s'appuie sur différentes sciences (médecine, physiologie, psychologie, management, économie, etc.) qui concourent à une bonne santé de l'homme au travail et à son efficacité. En France, la discipline est exercée par des ergonomes, titulaires d'un Master 2 (bac+5), qui se sont formés en formation initiale ou continue sur des thématiques variées telles que l'anatomie humaine, la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS), la prévention des risques psycho-sociaux (RPS) et les organisations de travail, mais aussi les neurosciences et la qualité de vie au travail. Un panorama assez transversal qui balaye large tant la discipline comporte de dimensions.
« L'ergonomie étudie les situations de travail avec une approche systémique dans laquelle entrent en compte trois dimensions :
• la dimension physique avec l'analyse des gestes et des postures dans la réalisation de l'activité,
• la dimension organisationnelle qui comprend l'analyse des organisations de travail en étudiant les roulements, les plannings, la répartition des tâches, les écarts entre travail réel et travail prescrit,
• la dimension cognitive qui étudie davantage les processus mentaux des opérateurs, les ressentis et le vécu de chacun dans une situation de travail donnée.
Ces trois dimensions sont intimement liées et interdépendantes. Analysées ensemble, elles permettent de mieux comprendre une situation de travail dans sa globalité avant de la transformer pour l'améliorer, détaille Florence Monpeyssen.
Son travail, elle l'exerce sur le terrain avec deux outils : observations de l'activité réelle et entretiens avec les professionnels. A partir des données recueillies, elle analyse la situation de travail et propose des recommandations visant à améliorer les conditions de travail pour préserver la santé physique et mentale des opérateurs. Au-delà du terrain, elle travaille également sur la politique institutionnelle de prévention des risques professionnels comme les risques psychosociaux. Pour ce faire, en collaboration avec une psychologue du travail, elle a conçu, en s'appuyant sur le rapport Gollac (cf. encadré), un plan de quatre vingt actions de prévention à l'attention de l'encadrement afin d'agir en prévention primaire et secondaire sur le sujet. Ce plan de prévention, construit sur la base des 6 familles de risques répertoriées dans le rapport Gollac, a été validé par un groupe de travail médico-soignant afin de s'assurer de la faisabilité des actions proposées sur le terrain hospitalier.
Si on lui demande si les risques psychosociaux sont plus fréquents à l'hôpital, l'ergonome tempère : « si on en parle davantage dans le milieu hospitalier, c'est parce que la parole se libère, mais je n'ai pas l'impression qu'il y en ait davantage que dans d'autres secteurs d'activité. En revanche, ce que l'on peut constater en s'appuyant sur le rapport Gollac, c'est que les soignants sont plus exposés aux exigences émotionnelles, car dans leur activité au quotidien, ils doivent gérer à la fois leurs émotions et celles des patients.
L'ergonome travaille aussi sur la seconde dimension de sa discipline, la prévention de la santé physique : « il s'agit d'observer les gestes des opérateurs pour identifier et évaluer le risque de développement des troubles musculosquelettiques, les TMS. Le niveau du risque est en lien avec la durée d'exposition au risque et les facteurs d'ambiance : température, bruit, lumière.
Au CHU de Nantes, plus de 124 métiers sont répertoriés : du médecin au kinésithérapeute en passant par les métiers de la logistique, de la restauration, de la blanchisserie, etc. : « il s'agit, pour le métier concerné, d'identifier les contraintes pour les supprimer – on parle de prévention primaire – ou les atténuer – dans ce cas, il s'agit de prévention secondaire. Nous identifions également les ressources pour les capitaliser. Dans certains cas, il est nécessaire de repenser l'organisation du travail pour alterner les tâches entre les membres de l'équipe.
Dans les métiers de la blanchisserie, par exemple, où l'activité manuelle est très répétitive et donc favorable au développement de TMS, l'organisation du travail a été repensée avec un changement de poste de travail toutes les 2 heures. Cela permet aux opérateurs d'une part de solliciter différents muscles à chaque changement de poste de travail et, d'autre part, de rompre la monotonie de l'activité.
Cette organisation du travail par alternance a également été mise en place dans certains secteurs de soin dans lesquels les infirmières remplissent manuellement des seringues des heures d'affilées ; ce geste, par exemple, hyper sollicite le pouce, les doigts, le canal carpien et peut générer des TMS sur le membre supérieur tout entier. L'organisation du travail par alternance est un des leviers de prévention des TMS. Un autre levier est celui de l'achat de matériels que nous testons avec les opérateurs pour prendre en compte leurs remarques dans le choix définitif avant achat ».
Enfin, accompagner l'encadrement et repenser collectivement les organisations de travail fait aussi partie de l'activité de l'ergonome. « Avec l'encadrement, nous étudions les fiches de poste pour mesurer les éventuels écarts entre travail prescrit et travail réel ». Les fiches de poste sont en effet souvent rédigées sans prendre en compte les aléas – par définition un aléa ne peut pas s'anticiper ; or, à l'hôpital, les aléas sont fréquents. Par exemple, un patient peut se montrer moins coopératif, ce qui va demander au soignant de prendre plus de temps pour s'en occuper et de fait, décaler son planning. Les écarts entre le travail prescrit et le travail réel génèrent des difficultés sur les objectifs à atteindre : le travail de l'ergonome est alors de reformuler, avec l'ensemble des acteurs, et après avoir pris en compte tous les déterminants de la situation, la fiche d'activité pour réduire l'écart entre prescrit et réel. Adapter le travail à l'homme, tel est l'objectif. « L'ergonome travaille avec une approche systémique ; il doit ouvrir les yeux et les oreilles pour considérer l'ensemble des déterminants de la situation, comprendre puis transformer », conclut Florence Monpeyssen.
Alors que l'ergonomie est née il y a plus de 150 ans, la profession d'ergonome reste encore peu connue du grand public. Au CHU de Nantes, le poste d'ergonome a été ouvert en 2013. Les postes se créent progressivement dans les centres hospitaliers qui souhaitent investir dans la prévention de la santé au travail de leurs professionnels.
Le métier d'ergonome se pratique dans le respect strict de la déontologie de la discipline : anonymat des personnes et des données recueillies en entretiens, impartialité dans l'analyse des situations, écoute active et non jugement de l'ensemble des acteurs et des parties prenantes. Florence Monpeyssen précise : « lors des restitutions et dans mes rapports d'expertise, je ne cite pas les agents par leurs noms ou prénoms et lorsque des photos viennent illustrer les mots pour une meilleure compréhension de la situation décrite elles sont floutées ».
Réduire les risques psycho-sociaux (RPS) est un défi de plus en plus prégnant dans tous les secteurs d'activité d'autant qu'il a été démontré que des effets délétères s'opèrent sur l'organisme des personnes impactées par ces RPS - augmentation des maladies cardio-vasculaires, risques sur la santé mentale et troubles musculo-squelettiques – pathologies représentant elles-mêmes des enjeux majeurs en terme de santé publique. A cet égard, le rapport du Collège d'expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail (dit rapport Gollac), faisant suite à la demande du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé en 2008, a publié en 2011 la liste des 6 familles de facteurs de RPS : l'intensité du travail et le temps de travail, les exigences émotionnelles (auxquelles le salarié hospitalier peut être plus fortement exposé lorsqu'il est soignant), l'autonomie, les rapports sociaux au travail (reconnaissance, justice, hiérarchie, etc.), les conflits de valeur ainsi que l'insécurité de la situation de travail (qui inclut notamment la soutenabilité du travail mais aussi l'aspect « sécurité de l'emploi, du salaire et de la carrière »). Ce rapport répertorie également des recommandations concernant les dispositifs de prévention des RPS.