Objectif Soins n° 274 du 01/04/2020

 

Actualités

Propos recueillis par Véronique Hunsinger  

Témoignages

C'est le 6 mars que le « Plan Blanc » a été déclenché dans l'ensemble des hôpitaux publics, quelques jours avant même le passage au stade 3 de l'épidémie de COVID-19 et le début du confinement de la population.

A ce moment-là, les hôpitaux du Grand Est, en particulier le Centre hospitalier de Mulhouse et les Hôpitaux civils de Colmar faisaient déjà face à un afflux massif de patients COVID 19 de la même façon que l'hôpital de Creil dans l'Oise pour lequel le Plan Blanc avait été enclenché dès le 25 février alors que décédait le premier patient français atteint de COVID à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière après avoir été pris en charge à Creil. Ainsi, tout au long du mois de mars, dans les régions françaises où l'épidémie circulait encore de basse ou moyenne intensité les établissements hospitaliers ont pu s'organiser. Témoignages dans trois établissements.

Héléna Cuny, cadre de santé, chargé de mission « Parcours de patients » au CHU de Bordeaux

« Habituellement, la mission sur les parcours de patients consiste à travailler sur les capacités de lits disponibles dans le CHU, à faire de la veille sur la tension hospitalière et analyser les parcours de patients afin d'améliorer la coordination entre les acteurs. Dans le contexte de l'épidémie, nous avons réorienté notre travail sur le suivi des parcours des patients COVID. Au CHU de Bordeaux, plusieurs unités COVID ont été mises en place : unités de soins critiques, unités de surveillance continue, unité d'hospitalisation conventionnelle ainsi que des unités dans certaines filières notamment en gériatrie et en SSR. Les fermetures temporaires de services ont permis de renforcer ces unités en termes de RH. Au sein de notre cellule qui est passée de 3 à 10 personnes, nous réalisons un suivi quotidien, 7 jours sur 7, des patients admis au CHU à partir du moment où ils ont un test PCR (Polymerase Chain Reaction) positif ou un scanner thoracique évocateur de COVID. Nous regardons à quel moment ils passent d'une unité à l'autre en fonction de l'évolution de leur état. Nous faisons aussi un travail de remontées d'informations quantitatives et qualitatives auprès de la cellule de crise du CHU ainsi que du ministère de la santé. L'objectif est évidemment que le parcours des patients COVID soit hermétique pour éviter la propagation du virus. Ce suivi nous permet aussi d'analyser si ces parcours sont cohérents, si les unités ne se remplissent pas trop vite ou s'il y a éventuellement besoin de faire appel à d'autres filières en fonction de la typologie des patients. Le dispositif est complètement adaptable et évolutif en fonction de la situation. Nous travaillons également avec l'aval de l'hospitalisation pour trouver des solutions de sortie pour ces patients. Nous sommes notamment en lien avec la plateforme gironde de la HAD, qui regroupe les 3 HAD du département, pour qu'elles puissent prendre en charge des patients COVID. Nous avons également accueilli plusieurs patients du Grand Est et d'Ile-de-France dont les premiers commencent à être rapatriés chez eux par transport sanitaire. Il est trop tôt pour tirer toutes les leçons de cette expérience, mais je crois qu'on peut déjà dire que l'hôpital a su faire preuve de capacité d'adaptation et de solidarité vraiment énormes ».

Laurent Mathieu, IADE au centre hospitalier de Verdun

« En temps normal, j'exercice 20 % de mon temps en anesthésie, 20 % en consultation douleur et 40 % en délégation syndicale pour l'Unsa. Depuis le début de l'épidémie, mon travail est à 100 % en réanimation. Nous avions eu une première réunion peu avant le déclenchement du Plan Blanc dont l'imminence nous avait déjà été annoncée lors d'une réunion de CHSCT. Notre chef de pôle et l'encadrement nous ont expliqué que nous allions devoir nous réorganiser mais spontanément j'avais déjà opté pour l'idée de reprendre à temps plein mon activité en réanimation et de partir au front. Nous avons commencé à nous organiser avec un secteur COVID d'une dizaine de lits dans le service de pneumologie, puis deux services de chirurgie ont été complètement réaffectés pour aboutir à 70 lits environ à la fin mars. De plus notre service de réanimation qui comptait 8 lits est passé à 14 et on a rajouté 6 lits en salle de réveil. On a débarqué avec tout le matériel d'anesthésie et les respirateurs disponibles ont été réaffectés en réanimation. Il y a une grande vague spontanée de tous les services et les encadrements pour faire le tour du matériel utilisable. J'avais également pu récupérer une grande partie des pompes à morphine pour les convertir en pompes à débit continu. Notre chef de pole avait été informé par l'ARS de la situation notamment à Mulhouse, ce qui nous a permis de nous préparer avant de voir la vague arriver d'autant que nous n'avons pas de gros moyens tant en matériel qu'en personnels à la différence d'un gros CHU. Nous avons réaffecté dans les secteurs COVID des personnels mobilisables de médecine, de chirurgie et de psychiatrie. Le plus extraordinaire est que les infirmiers mobilisent toutes leurs compétences et apportent ce qui ressemble le plus à leur travail habituel et n'hésitent pas également à se mettre en retrait et à faire un travail d'aide-soignant au besoin. Personne ne pouvait être préparé à devoir changer de service du jour au lendemain. Nous les IADE, nous sommes peut-être plus adaptables grâce notre formation et parce que nous avons l'habitude d'une grande autonomie d'action. En réanimation, on a de temps en temps des patients qui ont besoin d'une ventilation mais ce n'est pas le quotidien. On n'a jamais la moitié des patients sur le ventre. Par rapport à la routine, c'est forcément déstabilisant. Il faut cinq personnes pour retourner un patient, c'est aussi pour cela que cette prise en charge nécessite des moyens humains importants. On travaille 48 heures à 60 heures par semaine. Mais on fait en sorte de préserver les congés annuels et les RTT pour ne pas épuiser les personnels ».

Dominique, infirmière ressource douleur dans un centre anti-douleur d'un CH

« Je travaille d'ordinaire dans un Centre d'Etude et de Traitement de la Douleur (CETD) où je reçois des patients pour les accompagner dans leur parcours et je suis donc depuis longtemps assez éloignée du soin conventionnel. Lorsque le Plan Blanc maximal a été déclenché le vendredi 13 mars, j'étais encore dans mon service et nous avons été prévenus de la nécessité de déprogrammer en 48 heures toutes les consultations douleur. J'ai commencé à travailler dès le mardi suivant dans une unité COVID du centre hospitalier de ma ville. J'ai été très agréablement surprise que ma direction me demande de m'occuper dans cette unité du soin relationnel pour aider les patients à passer le cap et gérer les états anxieux notamment des personnes très fortement dyspnéiques. Les personnels n'ont pas été considérés juste comme des pions qu'on déplace pour faire face à l'urgence mais les compétences des uns et des autres ont été utilisées autant que possible. Je ne peux pas recourir avec ce type de patients à toutes les techniques de respiration que j'utilise habituellement pour l'induction hypnotique. Mais je leur fais retrouver des endroits de tranquillité, des endroits agréables. Je me sers aussi beaucoup de l'éducation thérapeutique car les patients sont généralement anxieux car ils n'ont pas eu toutes les informations ou ils ont eu des informations qui ne sont pas arrivées au bon moment ou pas avec les bons mots. Je leur explique qu'avec l'oxygène, on leur apporte ce dont ils ont besoin. La réassurance permet souvent d'éviter de leur donner un anxiolytique car la dyspnée est très angoissante pour ceux qui n'y avaient jamais été confrontés auparavant. Certains patients sont également douloureux à cause de spasmes musculaires et souvent d'une céphalée importante qui ne cède pas bien. Je m'occupe également du lien avec les familles puisque celles-ci ne peuvent pas venir visiter leur proche. C'est moi qui réponds aux appels de familles et je leur passe éventuellement une infirmière s'il y a besoin de davantage d'explications. La séparation est très angoissante pour les familles d'autant qu'elles vivent elles-mêmes en confinement et dans un contexte d'anxiété généralisée. Tout ceci est complètement inédit pour tout le monde. Mais je suis très impressionnée par la force du travail en équipe même si tout le monde est épuisé par la charge physique et émotionnelle. Je me suis sentie accueillie à bras ouverts dans une équipe que je ne connaissais pas du tout. On a un peu l'impression de faire de la médecine de catastrophe qui nous a obligés à inventer de nouvelles prises en charge. Mais l'hôpital a montré toute sa capacité d'adaptation et de mobilisation ».