La secrétaire d'Etat aux personnes handicapées s'est prononcée mi-février en faveur de la possibilité pour les personnes handicapées d'avoir recours à des « assistants » afin d'accompagner leur vie « intime, affective et sexuelle » relançant ainsi le débat sur la question des aidants sexuels. Le point avec Nadia Flicourt, infirmière sexologue et présidente de l'Association française des infirmier(e)s sexologues et Ernestine Ronai, co-présidente de la commission violences de genre au Haut conseil à l'égalité (HCE).
Il était temps de reposer la question et de revenir sur ce débat. Sur le terrain, on le sait, on le voit, ce sont les soignants, éducateurs, aides médico-psychologiques, aides-soignants et plus spécifiquement les infirmières qui sont en première ligne face à certaines demandes. Les choses n'ont pas forcément évolué et ce qui se passait avant continue d'exister : bien sûr qu'il est arrivé que des infirmières et des aides-soignantes aient aidé des patients à se masturber compte-tenu de la détresse de certains et, bien sûr que cela existe encore. Et même si dans les compétences de l'infirmière figure « l'éducation à la sexualité », cela ne veut pas dire que c'est dans ce rôle précis qu'on les attend. Et c'est d'autant plus vrai pour les jeunes professionnelles. C'est pour cette raison que la définition d'assistant sexuel doit être correctement fixée : pour cela, il faut qu'un débat s'opère sur le long cours et en lien avec les institutions.
Ensuite, il doit y avoir un relai entre les infirmières et les aidants sexuels, dans une démarche clairement inscrite qui définit un encadrement des pratiques. Il ne faut pas que cela soit quelque chose dont on se décharge, comme ça, sans que personne ne se saisisse de la question. Enfin, il faut garder à l'esprit que c'est quelque chose d'important pour mesurer toute la détresse, le désarroi de ces personnes qui ne se sentent pas comme les autres, que personne n'écoute. Prenons l'exemple des handicapés mentaux, c'est une double peine pour eux : en plus de leur pathologie et de leur handicap, ils sont élevés par des parents qui ne savent pas toujours comment gérer les choses, face à des demandes en lien avec la sexualité active. Un accompagnement s'impose.
Il est tout de même incroyable que le CCNE n'ait pas consulté, à l'époque, les aidants sexuels, directement concernés par la question. Le CCNE a probablement contacté les abolitionnistes (NDLR - un courant qui conçoit la prostitution comme une oppression et une violence envers les femmes), ce qui a fortement influencé l'avis final. Pourtant, cette question est importante à traiter, dans tous ses aspects. Il faudrait un vrai travail avec les professionnels de santé pour s'entendre sur ce que l'on définit comme accompagnement dans l'érotisation des soins et poser les limites. On pourrait très bien imaginer une passation de pouvoir entre les soignants et les aidants : les premiers peuvent faire une partie du chemin et relayer la demande auprès des seconds. Encore faut-il que les premiers soient formés : on sait que les infirmières ne sont pas forcément formées dans ce domaine et il est inacceptable qu'une jeune professionnelle découvre sur le terrain certaines réalités... Les infirmières devraient avoir accès à des transmissions pertinentes des dossiers patients pour éviter de découvrir à la dernière minute ce qu'il se passe et d'être confrontées à des demandes particulières à gérer, une réalité pour les infirmières.
C'est une « tarte à la crème » : il y a sans doute dans le monde de la prostitution des personnes qui subissent des pressions, qui sont concernées par la violence, la marchandisation, mais beaucoup sont aussi très à l'aise avec cela et estiment qu'elles font ce qu'elles veulent de leur corps. On a réussi à se battre pour le harcèlement sexuel et le harcèlement moral en démontrant qu'il existait une pression sur le salarié. Les choses doivent être rendues possibles pour la prostitution. Reste qu'utiliser l'organicité du corps féminin – majoritairement - pour autre chose que la procréation reste compliqué à accepter, on ressent de forts relents de patriarcat dans ce débat !
Le sexe est délinquant par définition et s'entendre sur le principe de liberté sexuelle est difficile. C'est en train de changer, fort heureusement. Mais pendant très longtemps, les institutions ont été des broyeuses, très formatées par la morale, castratrices et adeptes d'une sexualité convenue voire pas d'expression sexuelle possible. Pas de sexe, pas de problème, enfin, à première vue ...
Je pense qu'il y a une confusion entre les deux. C'est une réaction noble de premier degré, mais il faut creuser le sujet en profondeur et faire preuve d'humanité et de réalisme. Que propose cette instance ? Que dire de la lecture de cette fameuse dimension éthique lorsqu'une mère se voit contrainte d'aider son fils handicapé à se masturber faute d'autre réponse à sa disposition ? Le sujet est éminemment politique, puisqu'une personne handicapée qui a besoin d'un aidant se place en tant que client d'un service sexuel, ce qui, à l'heure actuelle, est répréhensible. Il est nécessaire de relancer ce débat et d'échanger avec tous les partenaires concernés.
Les personnes handicapées sont, pour la plupart d'entre elles, en mesure de faire les choses par elles-mêmes. Elles ont des besoins « mécaniques » mais cela ne se résume pas à cela : on parle aussi de besoin affectif, de caresses, de rapports de tendresse, en un mot de relations humaines. Et puis il ne faut pas oublier, quand on parle de handicap, tous ceux liés aux problèmes psychiques, auditifs, visuels, qui touchent des personnes qui peuvent agir sans aide extérieure : dans ce cas, l'achat d'un service sexuel n'est pas forcément en rapport avec une relation amoureuse. Pour toutes ces personnes handicapées, nous devons faciliter l'accessibilité à des espaces sociaux qui leur permettent de mener une vie de relation sociale, amoureuse ou pas, c'est en ce sens, je pense, que le gouvernement doit agir ; la France est très en retard sur l'accessibilité pour les personnes handicapées.
Ce qui nous inquiète, c'est qu'il existe une vraie volonté de la part des proxénètes de faire reculer l'application de la loi telle qu'elle existe aujourd'hui. Rappelons que la dignité qu'appelle de ses vœux la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées évoque le fait d'avoir une relation affective dans de bonnes conditions, elle ne sous-tend pas l'achat de services sexuels. La vie, c'est une relation à l'autre, pour tous, handicapés, polyhandicapés, tout le monde a droit à une vie affective. Le risque en revenant sur la loi de 2016 est de renforcer les inégalités, déjà présentes, pour les femmes qui sont prostituées. Comment s'assurer qu'un proxénète n'est pas derrière ces pratiques ? D'autant que dans la majorité des cas, les demandes d'aidants sexuels se conjuguent au féminin : la demande émane en grande partie des hommes, qui réclament donc des aidantes sexuelles. Le HCE exhorte le gouvernement à ne pas dissocier la légitime aspiration de toute personne, quel que soit son état de santé ou de handicap, à une vie affective et sexuelle dans le respect de l'autre combat contre l'exploitation des êtres humains et la marchandisation des corps.
Les infirmières sont en capacité d'entretenir une relation affective de bientraitance. Cela induit la nécessité de former les infirmières et plus largement le personnel soignant à accueillir certaines demandes des personnes handicapées. Cela implique aussi de favoriser les relations des personnes handicapées entre elles et avec des personnes valides.
Il faut se rappeler que les personnes handicapées sont bien plus victimes de violences sexuelles que d'autres, que ce soit de la part des soignants ou de leur famille : il convient donc – dans un premier temps - de les protéger. Ensuite, la question de l'accompagnement sexuel et intime des personnes handicapées repose sur la nécessité d'une éducation à la vie sexuelle et affective : c'est cela qui manque dans les établissements qui les accueillent. On pourrait donc imaginer des lieux de vie où les personnes handicapées en demande d'un tel accompagnement soient aidées d'un conseiller, qu'elles puissent disposer d'une écoute et qu'on puisse aussi répondre à leurs questionnements ; cet accompagnement pourrait se faire selon les capacités affectives, physiques et psychiques de chaque individu. Mais cela suppose une politique concertée dans ce domaine... Je voudrais finir en citant le combat de Maudy Piot, qui fut membre du HCE (elle est décédée fin 2017, NDLR) et qui avait fondé « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir », une association qui lutte notamment contre la double discrimination d'être femme et handicapée. Elle disait que « la notion d'aidants sexuels est une mauvaise réponse à un vrai problème : celui des personnes lourdement handicapées qui veulent vivre leur sexualité d'hommes et de femmes dans l'authenticité et la dignité et pouvoir créer une relation amoureuse. Poser comme principe qu'il y a une sexualité spécifique des personnes handicapées qui réclame une réponse spécifique est une erreur et conduit, une fois de plus, à la ghettoïsation du handicap ».
Les pays qui entourent la France ont des positions assez tranchées sur la question, « une question de culture religieuse », estime Nadia Flicourt. Parmi les premiers pays à avoir autorisé ce genre de pratiques figurent les Pays-Bas, l'Allemagne et le Danemark. En Suisse, pays où la prostitution est légale, il existe même une formation pour devenir assistante sexuelle, une professionnelle ni infirmière ni prostituée, qui prodigue des soins érotiques aux patients handicapés. Même chose en Belgique où la prostitution est autorisée, les aidants sexuels peuvent travailler en toute légalité. Aux Etats-Unis, cela dépend des états, et même si la prostitution est interdite dans une majorité d'entre eux, certains états autorisent l'existence d'assistants sexuels, à l'instar de la Californie, en tant que « partenaires de substitution ».
Dans un avis publié en 2012, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'exprime sur la thématique « vie affective et sexuelle des personnes handicapées ». Dans cet avis publié suite à une saisie de la ministre de la Santé d'alors, Roselyne Bachelot, le CCNE s'interroge sur « les prestations que la société est susceptible d'offrir pour atténuer les manques ressentis dans leur vie affective et leur vie sexuelle par les personnes handicapées » et « sur la mise en place éventuelle de ces services par les professionnels du secteur sanitaire et médico-social ». Arguant que délivrer un service sexuel à une personne handicapée entraine des risques importants de dérives, le CCNE conclut qu'il « ne peut discerner quelque devoir et obligation de la part de la collectivité ou des individus en dehors de la facilitation des rencontres et de la vie sociale ». Selon le Comité, « il semble difficile d'admettre que l'aide sexuelle relève d'un droit-créance assuré comme une obligation de la part de la société et qu'elle dépende d'autres initiatives qu'individuelles ». A la suite de la Conférence nationale sur le handicap du 11 février 2020, le CCNE a de nouveau été saisi en lien avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées pour ouvrir un nouveau un débat sur l'accompagnement à la vie intime et sexuelle.