Objectif Soins n° 275 du 01/06/2020

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Le Monde, l'Europe, la France, vivent une crise sanitaire sans précédent ; au-delà des effets désastreux sur la santé de la population cette pandémie liée au covid-19 bouscule les systèmes de santé dans leur mode de fonctionnement, qui se trouvent confrontés à des vagues de malades qu'il convient de prendre en charge pour les sauver, mais également à la nécessité permanente d'essayer d'éviter cette vague, ou plus exactement de la contenir pour faire en sorte que le système de soins ne soit pas submergé.

D'où des mesures inédites qui ont été mises en place comme le « tracing » des malades et la détection des malades le plus précocement possible pour les protéger et protéger leur entourage, la mise en place des gestes barrières et des mesures de protection, allant jusqu'à l'extrême par le confinement des populations sur un temps long pour éviter la propagation du virus. Avec tous les effets collatéraux à prendre en compte, au niveau économique bien sûr, social, mais également sanitaire car le confinement est facteur de renoncement aux soins pour la population.

Une adaptation dans l'urgence

Cela fait maintenant plus de cinq mois que cette crise a commencé ; cinq mois depuis lesquels l'ARS Ile de France et ses équipes sont engagées fortement dans cette crise, depuis l'apparition du premier cas de malade hospitalisé en raison du covid en janvier 2020, le rapatriement des ressortissants français de Chine, la délivrance des kits de protection aux aéroports, puis la préparation du système de soins, et enfin hélas l'épidémie elle-même et le pic de malades atteints dans les établissements de santé début avril (plus de 30 000 malades franciliens porteurs du covid-19 auront été hospitalisés en Ile de France) nécessitant l'évacuation sanitaire de plus de 250 malades de réanimation en province pour que le système tienne et qu'il n'y ait aucune perte de chance pour chaque citoyen malade quelle que soit sa situation et son âge. 5 mois que les équipes de l'ARS se relaient, 7 jours sur 7, 24 h/24 h, pour accompagner les acteurs, les aider, trouver avec eux des solutions inédites, les accompagner, les renforcer, mais également les soutenir moralement. Tous les jours l'ARS est en contact avec les professionnels de santé libéraux, les établissements de santé, les laboratoires, les établissements médico-sociaux, les acteurs de la prévention, du social, de la précarité. Non pas pour leur donner des instructions venant d'en haut mais pour les aider, veiller à leur complémentarité sur le terrain, être à leur service et les guider. En 5 mois l'ARS Ile de France s'est véritablement transformée, pour en devenir méconnaissable ; nous avons mis en place :

• des cellules d'enquête épidémiologiques,

• une cellule masques qui gère des stocks sur place avec des équipes qui les distribuent,

• des équipes pour prendre en charge les publics les plus précaires,

• une cellule ressources pour gérer les équipements de protection, les respirateurs, les médicaments,

• une cellule ressources humaines pour trouver des personnels en renfort France entière ;

mais également la gestion de l'intendance avec la délivrance de plus de 50 autorisations dérogatoires, de moyens financiers immédiats.

Bref tout a changé, avec un seul objectif nous animant tous : faire en sorte que tout citoyen ait accès au système de santé et bénéficie des meilleurs soins. Et les acteurs ont répondu présents, comme toujours, avec un formidable élan de solidarité, dépassant les clivages public-privé, nous rendant fiers collectivement de notre action.

La révélation des lacunes

Alors oui cette crise a révélé des lacunes de notre système de santé, mais que nous connaissions tous déjà finalement, sans les avoir traitées au cours des dix dernières années. Beaucoup se sont exprimés, s'expriment encore aujourd'hui pour demander des changements, au premier rang desquels le changement de la gouvernance du système de santé et la suppression des ARS. Je les invite à venir voir sur place à l'ARS Ile de France ce qui a été fait et continue d'être fait dans le cadre du déconfinement. Car est-ce un problème de gouvernance ? Je ne crois pas. Est-ce un problème d'approche de la santé et de moyens ? Oui j'en suis persuadé et il faut militer pour changer notre paradigme, ne plus raisonner en maîtrise des dépenses de santé, mais en investissement pour le système de santé, que ce soit prévention, immobilier, ressources humaines... Nous devons dépenser plus pour la santé pour in fine rétablir les comptes de l'assurance maladie, et arrêter de vouloir à tout prix comptablement diminuer les dépenses de santé, alors que la santé, bien public par excellence, est un facteur de richesses. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ces sujets ; ils sont oh ! combien aujourd'hui d'actualité, et nous devons une bonne fois pour toutes passer à l'acte, plutôt que de chercher des responsables et des coupables. Nous sommes tous collectivement responsables de la situation actuelle, alors profitons de cette crise pour unir nos forces afin de changer profondément le système.

Un modèle, souvent cité en exemple, le système de santé allemand

Nombreux sont les articles qui mettent en avant le système de santé allemand, et sa solidité face à la crise du covid-19, et en particulier sur l'absence de contraintes sur des ressources rares comme les respirateurs, les lits de réanimation.

La structuration des deux systèmes de santé allemand et français est pourtant similaire ; on retrouve de part et d'autre du Rhin chez les offreurs de soins des hôpitaux publics, des cliniques privées, des établissements de santé à but non lucratif, des médecins libéraux (généralistes et spécialistes). Elle repose sur le principe de la liberté de choix du malade. Les deux pays ont un niveau élevé de dépenses de santé : 11,6 % du PIB français contre 11,3 % du PIB allemand, ce qui représente un niveau très élevé par rapport aux autres pays européens. Dans les deux pays existe un système d'assurance maladie obligatoire.

Les dépenses de santé représentent 3 611 euros par habitant en Allemagne contre 3 465 euros en France, avec des taux d'évolution comparables sur les dernières années (plus de 2 % par an).

Toutefois, on constate un poids plus important des dépenses hospitalières en France (37 % des dépenses de santé contre 29 % en Allemagne) alors même que le nombre de séjours hospitaliers est plus élevé en Allemagne, de même que le nombre de lits et la durée de moyenne de séjour. Ce paradoxe s'explique en fait par un coût de fonctionnement de l'hôpital français plus élevé, dû en grande partie aux charges de personnels largement supérieures (17,33 ETP hospitalier pour 1 000 habitants en France contre 11,2 en Allemagne) et par une externalisation plus intense en Allemagne des fonctions supports et techniques.

A l'inverse il y a 50 % de plus de consultations en médecine de ville en Allemagne qu'en France (30 % des dépenses de santé en ville en Allemagne contre 22 % en France), avec des revenus des médecins libéraux plus élevés et une densité de professionnels libéraux plus forte.

A noter par ailleurs une séparation stricte entre l'hospitalisation et la médecine de ville en Allemagne. Contrairement à la France où l'on développe l'ambulatoire dans les établissements de santé (objectif majeur du plan triennal) les établissements de santé en Allemagne se consacrent exclusivement aux malades qui ont besoin d'être hospitalisés dans un lit, les autres étant pris en charge exclusivement par les professionnels de santé libéraux.

Une régulation financière différente

Mais la grande différence réside dans les modes de régulation financière, basés sur les recettes en Allemagne et la recherche constante de l'équilibre des comptes, sur les dépenses en France et la maîtrise sans cesse de leur évolution

Le régime d'assurance maladie allemand ne saurait être en déséquilibre : c'est un principe constitutionnel. Dès lors la recherche de l'équilibre par des actions centrées avant tout sur les recettes s'impose aux différentes caisses. Si un fonds santé a été instauré pour mutualiser les ressources et le redistribuer, les mécanismes d'équilibre reposent avant tout sur une augmentation des cotisations, sur des mécanismes de subvention de l'Etat fédéral en dernier ressort, l'utilisation des réserves. Il existe des mécanismes de maîtrise des dépenses mais ils sont à la marge, dans la mesure où l'assurance maladie négocie les moyens des offreurs de soins en fonction des ressources dont ils disposent.

Mécanisme de régulation complètement à l'opposé en France, reposant sur la maitrise des dépenses et surtout de leur évolution depuis 1996, avec l'instauration de l'Objectif National des Dépenses de l'Assurance Maladie (ONDAM), qui fixe un volume de dépenses à ne pas dépasser a priori. Les résultats étant sans appel pour la France : excédents en Allemagne, déficits en France, cherchez l'erreur.

Une restructuration, des méthodes différentes

Les deux pays sont engagés dans une restructuration du tissu hospitalier qui vise à réduire le parc hospitalier et donc à le rendre efficient, mais avec des méthodes divergentes :

– une régionalisation des dépenses hospitalières en Allemagne et un pilotage au niveau des Länder par les caisses d'assurance maladie qui négocient les budgets des hôpitaux ; versus une déclinaison de l'ONDAM en France au niveau régional appliqué par le bras armé de l'Etat, l'agence régionale de santé

– un mécanisme de financement basé sur l'activité dans les deux pays, étendu à la psychiatrie en Allemagne, mais avec des tarifs identiques quel que soit le secteur en Allemagne, ne prenant pas en compte l'amortissement, les investissements étant financés directement par les Länder. Et une négociation et donc une fixation des tarifs entièrement régionalisée, dégressifs en fonction des volumes.

Des rémunérations différentes

Les médecins sont plus encadrés mais mieux payés en Allemagne.

A l'instar des établissements de santé, les négociations entre les professionnels de santé et l'assurance maladie sont décentralisées au niveau des Länder, qui fixent des volumes d'activités encadrés par des enveloppes définies en fonction de la population et de la morbidité. Il en découle une rémunération des professionnels libéraux bien supérieure en Allemagne, dans un système de tiers payant entièrement généralisé et avec l'absence de dépassements d'honoraires. Autrement dit l'inverse de la France.

Le passage d'une logique Etatisée centralisée à une logique assurancielle régionalisée, fausse bonne idée ?

Sans forcément remettre en cause le monopole de l'assurance maladie française, une première étape pourrait consister à revoir le mode de gouvernance du système de santé français, en confiant un rôle beaucoup plus important à l'assurance maladie, et donc aux partenaires sociaux, dans la gestion du système et de l'offre de soins, l'Etat ne conservant que son rôle régalien minimum. Aujourd'hui coexistent finalement deux autorités : l'Etat d'un côté avec le Ministère de la santé, l'Assurance maladie de l'autre, les deux étant reliés par une convention d'objectifs et de gestion. Malgré des améliorations ces dernières années, il n'en reste pas moins que subsistent deux pouvoirs de régulation, poursuivant parfois des objectifs n'étant pas convergents. Il semblerait utile une bonne fois pour toute de confier la gestion du système de santé à l'assurance maladie, dans le respect de grands objectifs fixés par l'Etat, mais donc avec un seul décideur pour l'ensemble des offreurs de soins.

Par ailleurs, la gestion du système de santé reste très centralisée, même si la création des agences régionales de l'hospitalisation, puis des agences régionales de santé, ont été des avancées significatives. Dans les faits ces agences sont des organes déconcentrés de l'Etat et ne disposent pas réellement de pouvoirs décentralisés. L'ensemble des règles de fonctionnement et de financement sont décidées au niveau central sans réelles marges de négociation avec les acteurs locaux. De même subsistent au niveau régional les ARS et les organismes d'assurance maladie (caisses primaires, coordination de la gestion du risque).

Ainsi, en s'inspirant du modèle allemand, une transformation de la gouvernance du système de santé français pourrait consister à confier à l'assurance maladie l'unique rôle de régulation du système de santé, avec une déclinaison régionale forte, dotée de pouvoirs de négociation avec les offreurs de soins au niveau local, dans le cadre de moyens financiers décentralisés.

Mais le premier enseignement de la crise c'est que le niveau régional doit être agile, adaptable en permanence, et sachant mettre de côté son côté normatif pour pouvoir s'adapter en permanence aux évolutions de la crise. Or le risque réside dans la création d'une instance régionale très bureaucratique, liée à sa taille, avec tous les effets pervers et les coûts de transaction inhérents à son mode de fonctionnement. La confusion des métiers de gestion, de production et de stratégie dans une même instance peut être source de grande inefficacité en cas de crise. La force de l'ARS Ile de France, si je reprends cet exemple, a été de pouvoir se transformer radicalement pour se consacrer uniquement à la gestion de la crise. Par ailleurs l'ARS a su démontrer la nécessité d'avoir une vision globale de la santé : prévention – sanitaire – médico-sociale – inégalité – environnement. Car la crise est à multiples facettes, imbriquées les unes aux autres, ce qui nécessite d'avoir cette vision globale.

Ne tirons pas sur l'ambulance. Un seul exemple : les autorisations sanitaires. Qui produit les normes que les ARS sont chargées d'appliquer et ensuite conduisent à la fermeture de services ? Ce ne sont pas les ARS contrairement à ce que disent certains, mais le plus souvent ce sont les élus qui votent ces normes sur la base des propositions des sociétés savantes. Alors oui simplifions le système, engageons une vraie réforme des autorisations, mais pas dans le sens d'une concentration pour tout fermer, dans celui de pouvoir autoriser partout en responsabilisant tout le monde.

Par ailleurs il ne s'agit pas tant de définir quel doit être l'échelon de gouvernance et qui gouverne (l'Etat, l'Assurance maladie, la Région) que de donner les moyens au système de santé de fonctionner.

De la maîtrise des dépenses à la maximisation des recettes

Depuis 1996 le financement du système de santé français, et notamment la loi de financement de la sécurité sociale, repose sur la base d'une maîtrise des dépenses d'assurance maladie. C'est le vote chaque année de l'ONDAM qui fixe a priori pour l'année le taux d'évolution des dépenses d'assurance maladie à ne pas dépasser. C'est donc avant tout une logique de coût de la santé qui est avancée. Or si la santé a certes un coût, elle est aussi un puissant facteur de richesses et de redistribution, de manière directe et indirecte. D'une part améliorer la santé des citoyens, c'est investir dans le capital humain et donc améliorer la productivité du système ; d'autre part l'ensemble des dépenses, et en premier lieu celle des personnels, est un facteur de redistribution majeur dans l'économie d'un pays. La santé n'est donc pas un coût uniquement, c'est aussi un facteur de recettes. Or le financement du système fondé ces dernières années sur une réduction des dépenses a des effets très négatifs in fine sur les recettes de l'assurance maladie. Prenons par exemple l'encadrement des équipements matériels lourds (scanner, IRM) : empêcher l'installation de ces appareils qui place la France très loin derrière les autres pays européens, c'est d'une part réduire l'accès aux soins et donc à la prévention et donc engager des dépenses de soins pour les années futures qui auraient pu être évitées ; par ailleurs c'est se priver d'investir dans des appareils pouvant être construits en France, et donc source de recettes pour l'assurance maladie par le bais des cotisations sociales que vont verser ces entreprises à l'assurance maladie. L'Allemagne a très bien compris ce système vertueux des dépenses d'assurance maladie : en libérant les équipements matériels lourds, non seulement elle a amélioré la prévention, mais surtout elle a engrangé des recettes d'assurance maladie en confiant à ses propres sociétés la construction des machines.

Autrement dit le système doit être fondé sur une logique de recettes qui doivent être constamment augmentées, non pas par des cotisations sociales ou des impôts supplémentaires forcés, mais par une logique de redistribution positive de la santé dans le système économique.

La santé ne doit plus être vue comme une dépense mais comme un investissement à court, moyen et long terme, facteur de richesses et de redistribution économique. Investir dans la santé c'est dépenser aujourd'hui pour moins dépenser demain et augmenter les recettes de l'assurance maladie. Il faut sortir du cercle vicieux de la maîtrise des dépenses pour rentrer dans le cercle vertueux des recettes. « Aller vers » les acteurs cela doit être aussi « payer pour voir » et ne pas hésiter à investir dans l'innovation, la recherche, l'enseignement.

Sous prétexte de maitrise des dépenses la France finalement appauvrit son système de santé au lieu de le développer.

Du développement de l'ambulatoire à la valorisation et l'attractivite des offreurs d'ambulatoire

Les pouvoirs publics français prônent le développement de l'ambulatoire à l'hôpital, alors même que l'offre ambulatoire est en grande difficulté en ville (déserts médicaux). Pourtant la France a la chance d'avoir organisé deux secteurs, l'un hospitalier, l'autre ambulatoire. Plutôt que de les mettre en concurrence sur le développement de l'ambulatoire, ne serait-il pas plus opportun de concentrer l'hôpital sur son rôle d'hospitalisation et de valoriser la médecine de ville. Ce qui suppose un changement du mode de financement de l'hôpital, et notamment la prise en compte de l'investissement qui ne l'est pas aujourd'hui dans les tarifs, mais également la revalorisation des rémunérations des offreurs de soins en ville, afin de rendre attractive leur profession. Dans le cadre d'un système régionalisé, comme en Allemagne, ces tarifs pourraient être différenciés en région, afin de tenir compte des particularités régionales : en effet aujourd'hui la valeur d'une consultation est la même qu'on soit dans en milieu très rural ou en milieu très urbain ; or le coût de l'exercice pour une profession de santé n'est absolument pas le même. De la même manière le coût de fonctionnement à l'hôpital peut encore être réduit en poursuivant une politique active d'externalisation des fonctions support et techniques.

Augmenter les dépenses de prévention à court terme

Augmenter les dépenses de prévention à court terme permet d'améliorer l'état de santé de la population et donc de dépenser moins à moyen terme. La crise du covid-19 révèle oh ! combien la nécessité d'investir dans la prévention pour tout simplement prévenir la maladie ; que ce soit dans les mesures de protection (faire en sorte que chaque citoyen et chaque professionnel de santé aient des masques de protection en permanence par exemple, plutôt que d'essayer d'en trouver quand la crise survient), dans les équipements sanitaires (respirateurs en surnombre, bouteilles d'oxygène). Un système de santé doit être équipé pour parer à toute éventualité.

De nombreuses études dans de nombreux pays montrent que dépenser en prévention revient à dépenser moins à moyen terme en santé, ne serait qu'en modifiant les habitudes de vie des citoyens : comportements alimentaires, addictions, activités physiques. Par exemple certains estiment que les dépenses en médicaments pourraient être réduites de 25 % par an si la population adoptait de meilleures habitudes de vie. Car ces « mauvais » comportements sont à l'origine de la plupart des maladies chroniques dont les porteurs sont les plus gros consommateurs de dépenses de santé. Là encore certaines études montrent qu'un dollar investi en prévention permet d'économiser à terme 10 dollars, voire 100 dollars.

Les mêmes constats s'appliquent à la santé au travail : investir dans la prévention de la santé de leurs salariés est rentable pour les entreprises. Inciter à prévenir les risques professionnels constitue un enjeu majeur, tant sur le plan humain que financier : baisse de l'absentéisme, baisse des troubles musculo squelettiques, et donc meilleure qualité de travail. Préserver la santé des salariés est un levier d'amélioration de la performance globale pour l'entreprise : sociale (climat social, image), économique (absentéisme) ou opérationnelle (efficacité, qualité).

Autrement dit : certes la prévention ce sont des dépenses en plus, mais ce sont également des retours sur investissements et donc des recettes en plus.

Et pourtant aujourd'hui, au regard du poids des dépenses de prévention dans les dépenses de santé, notre approche reste exclusivement curative, et sous prétexte de la réduction du déficit des dépenses d'assurance maladie et de la difficulté à maitriser les dépenses de soins, les dépenses de prévention sont sacrifiées. Mais c'est le cercle vicieux de la mauvaise dépense qui chasse la bonne : moins on investit dans la prévention, plus on augmente la nécessité de recourir au système de soins et donc plus on dépense.

Autrement dit : la réduction des dépenses d'assurance maladie aujourd'hui se traduit année après année et pour les années futures par des dépenses d'assurance maladie en hausse.

La santé : source de retombées économiques

Ce qui suppose donc de revoir notre approche de la santé qui aujourd'hui est perçue la plupart du temps comme un coût (et donc des dépenses) et non comme un investissement facteur de croissance. Car la santé est au cœur des progrès : nouveaux diagnostics, nouvelles technologies, accroissement de la durée de vie en bonne santé. La santé est un des premiers secteurs d'activité porteur, direct et indirect. Les retombées économiques sont considérables. Sans compter qu'une population en bon état de santé, c'est une population gage d'un meilleur développement économique.

Investir dans les établissements de santé pour optimiser à moyen terme les coûts de fonctionnement

Aujourd'hui l'ensemble des investissements hospitaliers publics sont soumis à une instance : le COPERMO. Depuis son installation en 2012 celui-ci a examiné la situation d'environ 70 établissements de santé et a validé 40 projets d'investissements et 20 plans d'action de retour à l'équilibre financier.

S'il s'avérait nécessaire de mettre en place une telle instance pour garantir que les projets d'investissement soient véritablement porteurs de retours sur investissements à moyen et long terme en matière de moindres dépenses de fonctionnement, force est toutefois de constater que cette instance est devenue très sélective et peut s'avérer un facteur bloquant d'investissements pourtant nécessaires.

Car une condition nécessaire à l'éligibilité du dossier, outre la nécessité de maintenir tel ou tel établissement par rapport aux besoins, est la capacité de l'établissement à porter son investissement (le fameux taux de marge brute qui doit permettre de faire face à l'endettement passé et l'endettement futur). Mais un tel raisonnement n'a de sens que si les tarifs alloués pour l'activité hospitalière incluent l'investissement ou si l'actionnaire public est en capacité de financer l'investissement immobilier (comme cela est le cas dans le secteur privé avec les actionnaires qui investissent indépendamment de l'exploitation). Il est évident que le système actuel des tarifs ne comprend pas le coût des investissements (et encore moins quand il s'agit de restructurer intégralement un établissement), ne serait-ce que par l'effet de maîtrise des dépenses d'assurance maladie se traduisant chaque année par une baisse tarifaire au détriment, entre autres, de l'investissement. Par ailleurs les aides allouées par le COPERMO, représentant de ce fait l'actionnaire public, sont loin d'assurer le financement des opérations financées. D'autant que dans de nombreux cas le COPERMO ne valide qu'une partie des investissements, reportant à plus tard le reste des opérations.

Et pourtant là aussi investir dans les murs des établissements de santé c'est dépenser moins demain :

• amélioration des conditions d'accueil donc meilleure qualité et baisse des risques iatrogènes ;

• amélioration des conditions de travail et donc baisse du coût du travail ;

• performance des organisations, etc.

De toute façon un hôpital qui n'investit pas, comme toute entreprise, est un hôpital qui meurt.

Pourquoi dès lors ne pas lancer un véritable plan d'investissement immobilier des établissements de santé ? Autrement dit, pourquoi l'actionnaire public qu'est l'Etat, via l'assurance maladie, ne dégage-t-il pas des moyens conséquents pour investir dans ses offreurs de soins ? Car le retour sur investissements, direct et indirect (relance de l'économie), est sans commune mesure avec les crédits qui seront dépensés ; certes il sera à moyen terme le temps de la construction, mais en même temps si les décisions ne sont pas prises aujourd'hui les établissements dont la structure n'est pas efficiente aujourd'hui le seront encore moins demain, et les dépenses continueront à augmenter et les recettes à diminuer, faute d'attractivité.

La crise du covid-19 va de toute façon nécessiter des investissements massifs car nous devons repenser l'intégralité de nos circuits, de nos modes de fonctionnement, pour intégrer la nécessaire distanciation sociale, la suppression des chambres à 2 lits. Nous allons devoir investir pour pouvoir faire face à de telles épidémies qui reviendront. De ce fait l'intégralité des ratios doivent être revus.

Conclusion : penser recettes en premier lieu et pas dépenses

Espérons que cette crise inédite nous fera enfin changer de modèle et d'approche sur notre système de santé. Investir en santé aujourd'hui, donc dépenser plus, c'est dépenser moins demain, et donc in fine garantir la pérennité de l'équilibre des comptes de l'assurance maladie (et pas seulement à court terme), et surtout garantir la solidité d'un système de soins en cas de survenue de crises majeures.

C'est ce que révèle cette crise : il n'est pas possible d'avoir un système de santé qui fonctionne à flux tendus, sans marges sur les équipements, les médicaments, les personnels de santé. Le système d'une tarification au jour le jour n'est pas adaptée, car en cas de crise, la pénurie est toute proche et le système ne peut plus faire face.

Alors comment relancer la machine ? En investissement massivement dans le système de santé.

Comment financer cet investissement ? Par l'économie locale, en confiant aux entreprises françaises la construction de nos établissements de santé, la fabrication des équipements en surnombre, des médicaments ; et l'affectation du surcroît de cotisations sociales au financement de cet investissement massif dans le système de santé.

Mettons en place un plan Marshall de la santé. Et ce d'autant que nous raisonnons toujours « dépenses » : ne faut-il pas raisonner « recettes », c'est-à-dire augmenter les recettes d'assurances maladie ? Or nous l'avons vu l'augmentation des dépenses d'assurance maladie est finalement synonyme de recettes d'assurance maladie. Changeons enfin le cercle vicieux de la maitrise des dépenses par le cercle vertueux des recettes.

Et le sujet n'est pas de savoir si les ARS doivent être maintenues ou supprimées ; adaptées sûrement mais comme toute institution en permanence. En revanche réduire les normes et redonner des moyens à la santé oui. Mais ne perdons pas de temps sur ces sujets de gouvernance de la santé : c'est le meilleur moyen pour ne rien faire. Les ARS existent, et bien profitons-en pour leur demander de mettre en œuvre rapidement ce plan Marshall de la santé, et donnons-leur les moyens de le faire. Il y a urgence.