La toilette, un soin pas tout à fait comme les autres - Objectif Soins & Management n° 275 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 275 du 01/06/2020

 

Sur le terrain

Dossier

Christel Belfaiza*   Sylvie Cuinet**   Valérie Tavares***  

Dans un contexte d'efficience pour le patient, avec une durée moyenne de séjour qui diminue, l'interprofessionnalité est une priorité dans le parcours patient. Dans cet objectif, l'interfiliarité est initiée à l'IFSI/IFAS Jura Nord de Dole, dès l'entrée en formation, afin de développer la collaboration entre les infirmiers et les aides-soignants. Dans cette optique, depuis trois années, les étudiants infirmiers et les élèves aides-soignants de l'IFSI/IFAS Jura Nord de Dole se rencontrent afin d'échanger sur les représentations de leur profession, leurs activités respectives.

Jusqu'à ce jour ces échanges reposaient essentiellement sur des questions autour des transmissions. Ils étaient basés sur l'oralité, aucune trace écrite n'étant exigée. D'années en années, cette séquence a mis en exergue une interrogation autour de la toilette comme acte de soin. Du point de vue des étudiants et élèves, cette activité était de moins en moins pratiquée par les infirmiers. Elle était du point de vue de l'infirmier, le soin emblématique de l'aide-soignant. Cette notion semblait déranger l'aide-soignant, dont l'activité semblait, aux yeux des autres professionnels, se réduire à la toilette.

C'est pourquoi nous avons décidé de réunir les apprenants autour d'un travail de recherche sur les représentations de la toilette avec deux objectifs principaux : développer une ambiance de travail collaboratif et initier les élèves/étudiants à un travail de recherche. Nous leur avons proposé un accompagnement à la méthodologie. Ce travail s'est inscrit dans le cadre de l'unité d'enseignement 1.1.S2 (psychologie, sociologie, anthropologie) pour les étudiants infirmiers et du module 3 (les soins) pour les élèves aides-soignants.

Méthodologie d'enquete

Les apprenants ont été répartis en 9 groupes aléatoires de 3 ou 4 élèves aides-soignants et 7 étudiants infirmiers.

Chaque étape de cette expérimentation a été préparée en amont lors d'une séquence auprès de la promotion :

• La présentation du travail de recherche

• La présentation de la méthodologie de l'entretien

• La présentation de la méthodologie de l'analyse

• La séance d'analyse

Les enquêteurs ont réalisé une étude auprès d'un échantillon représentatif de 187 personnes, réparties en deux catégories : 91 professionnels de la santé et 96 non professionnels de la santé.

L'enquête s'est déroulée au cours des mois de février et mars 2019 :

• Stage 1 de semestre 2 pour les étudiants infirmiers

• Stage 3 pour les élèves aides-soignants

Chaque élève/étudiant avait pour consigne de réaliser deux entretiens, pendant sa période de stage, auprès d'un professionnel du service d'accueil, quelle que soit sa fonction. Le non professionnel pouvait être une personne de son entourage proche. La retranscription des entretiens devait être faite avant le retour à l'institut.

L'analyse des entretiens a été organisée séparément pour chacune des filières, en présentiel au sein de l'institut de formation au mois de mars 2019 dans chaque promotion, accompagnée par les formateurs référents. Puis, une séquence de travail de deux heures de mise en commun des résultats a été organisée le 22 mars 2019. Une synthèse des résultats devait être rédigée et transmise oralement à l'ensemble des apprenants par un rapporteur. Cette restitution des 9 groupes a eu lieu le jour même en présence des formateurs IFAS/IFSI référents du projet.

Les résultats de cette expérience sur l'interfiliarité

Ce projet a permis aux futurs professionnels de travailler en collaboration, en dehors de tout rapport hiérarchique, tel qu'il est vécu dans les unités de soin. Toutefois, il est à noter que le rapport nombre d'AS et nombre d'IDE est inversé en formation. En effet, dans ce projet, les étudiants infirmiers de première année étaient 63 alors que les élèves aides-soignantes n'étaient que 33. En service traditionnel, nous retrouvons souvent un ratio inversement proportionnel d'1 infirmière pour 2 aides-soignantes.

Il est à noter également la complexité organisationnelle dans l'élaboration du travail en interfiliarité. En effet, la répartition cours/stage entre les étudiants infirmiers de première année et les élèves aides-soignants est souvent alternée car ces derniers occupent les mêmes places en stage. Les instituts essaient donc de ne pas les affecter aux mêmes périodes.

Concernant la méthodologie du travail de recherche

Le niveau d'apprentissage relatif à un travail de recherche était similaire. Pour chacun c'était une première expérience à l'institut. Nous avons pu observer une écoute de qualité entre les membres des différents groupes. La retranscription de la synthèse a été réalisée pour 8 groupes/9 par les étudiants infirmiers, certainement parce qu'ils possèdent tous un ordinateur et l'utilisent systématiquement en cours.

Lors de la restitution, les postures étaient identiques. Chaque membre du groupe se levait, s'installait devant les autres apprenants. La prise de parole était également répartie, alors que la consigne de départ était de désigner un rapporteur unique pour chaque groupe.

La réalisation de l'entretien a permis à chacun de mettre en pratique des techniques de communication comme la reformulation, de développer l'observation de la communication non verbale. La retranscription, le tri des informations recueillies et leur synthèse sont, selon nous des compétences transférables dans la future pratique professionnelle des apprenants. Ils ont eux-mêmes souligné l'importance de ce travail du point de vue collaboratif. Les échanges portaient souvent sur des constats similaires concernant leur vécu de stage et parfois certaines différences de positionnement ou d'accompagnement en stage apparaissaient. Les élèves aides-soignants ont remarqué qu'il est plus difficile pour une étudiante infirmière de première année de trouver sa place.

Concernant les pratiques professionnelles lors d'un soin comme la toilette

Les données obtenues sur la toilette ont permis aux étudiants/élèves de confronter leur point de vue quant à l'accompagnement des patients et leur collaboration dans les soins : comprendre le travail de l'autre.

Le vocabulaire utilisé par certains soignants dans l'enquête a amené une réflexion autour de la perception de son propre métier et du risque d'épuisement professionnel. L'infirmière parle de la toilette en utilisant « un langage spécifique en lien avec ce moment d'observation clinique alors que l'aide-soignante utilise un langage plus porté sur l'aspect pratique : être propre, se sentir bien ».

Sur le plan pédagogique, il s'agissait de travailler davantage les représentations sociales de la toilette, après avoir travaillé le rapport au corps, à la pudeur et à l'intimité en début d'année. Les apprenants ont pris conscience de l'importance de l'autonomie pour le patient.

L'intérêt du travail en collaboration pour la continuité des soins et la relation de confiance nécessaire entre professionnels ont été abordés au cours des échanges ainsi que le positionnement vis-à-vis du médecin (un seul a été interrogé).

Conclusion

La collaboration commence avant tout par la connaissance du travail de l'autre. Cet exercice a permis de clarifier le positionnement de chaque futur professionnel dans ce soin particulier qu'est la toilette et d'identifier quelle pouvait être la perception du patient ou du futur patient.

Chacune des filières a su apporter des éléments essentiels à cette étude, prendre en considération les éléments des collègues et ainsi échanger autour de cette problématique.

Ce travail en interfiliarité a fait émerger chez les futurs professionnels aides-soignants et infirmiers un sens, une finalité identique de leurs rôles respectifs. Le positionnement de chacun dans les échanges, reste certes celui d'un étudiant/élève mais cette réflexion commune aux deux professions a nécessité de se parler, de s'écouter, de respecter le travail de chacun pour une collaboration efficace. Ce sont pour nous des valeurs essentielles à acquérir en formation si l'on souhaite une collaboration efficiente auprès de l'usager de soins.

L'IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) et l'IFAS (Institut de Formation Aide-soignante) Jura Nord de Dole, en région Bourgogne Franche-Comté, accueillent un public de 215 apprenants. 65 étudiants infirmiers de première année, 42 élèves aides-soignants. Pour ce projet de recherche sur les représentations de la toilette, 99 apprenants se sont rencontrés.

Le questionnaire (élaboré par les formateurs)

• Age

• Sexe

• Profession et ancienneté

• Qu'est-ce que la toilette pour vous ?

• Quelle est votre expérience vécue en rapport avec la toilette ?

• Si quelqu'un devait faire votre toilette, qu'en penseriez-vous ?

• Si votre enfant vous dit : « je veux faire un métier où je fais la toilette d'autres personnes », que lui répondez-vous ?

Les résultats de l'enquête

• Auprès des non professionnels, la toilette est vécue comme une obligation, un acte quotidien qui apporte du bien-être. Elle permet de se sentir propre dans le respect de soi et des autres. Elle touche l'intimité et est transmise de génération en génération de la mère à l'enfant. La gêne et la honte sont les sentiments ressentis lorsque cet acte est synonyme de dépendance. Pratiquer la toilette de quelqu'un demande de la compétence, du courage et de la générosité. Leur enfant devrait avoir bien réfléchi avant de choisir ce métier.

• Auprès des professionnels, la toilette est avant tout un soin d'hygiène, de bien-être, basé sur la relation de confiance établie avec le patient. La compétence se développerait avec l'expérience faisant disparaitre le sentiment de gêne du départ. La conservation de l'autonomie et l'absence de gestes douloureux seraient 2 points importants à respecter. Pour les aides-soignants la toilette est « un soin au cœur du soin », support de relation. Les infirmières utilisent ce temps pour une observation clinique. La gêne de se faire laver, surtout par ses enfants, est présente chez les professionnels et certains ne souhaitent pas devoir s'occuper de leur père. La transmission du métier reste une valeur importante même si l'évolution des conditions de travail les conduit à demander à leurs enfants de bien réfléchir.