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Alors que vient de s'engager la mise en place du Ségur de la santé, il parait intéressant de connaitre les positions et réactions des représentants de différentes organisations infirmières et de cadres face aux des propositions faites par le Professeur Vallancien. Nous pouvons constater une harmonie autour des objectifs à poursuivre : être plus proche des besoins de terrain, faire évoluer les rôles et les fonctions, prendre le temps sans toutefois laisser passer les opportunités qu'offre la crise sanitaire de la Covid-19, comme par exemple la mise en valeur du travail d'équipe, la question du sens, les liens entre le public et le privé.
« La prévention doit en effet être placée au cœur de notre système de santé. Or, actuellement, notre système repose sur une logique qui investit avant tout dans le traitement de la maladie, au détriment des actions de santé publique. Il faut changer ce paradigme. Les infirmiers sont les premiers acteurs de la prévention. Cependant, notre rôle est limité car contraint par un décret d'actes qui n'a pas évolué depuis 15 ans et ne prend pas suffisamment en compte nos compétences réelles. Par exemple : pourquoi en France, alors que la couverture vaccinale n'est globalement pas bonne, les infirmiers ne peuvent-ils pas vacciner sans prescription médicale, comme cela se pratique en Espagne ou au Canada par exemple ? Un vaccin ne relève pas d'un acte médical dans le sens où il ne fait pas suite à un diagnostic. Avec l'épidémie de Covid-19, ce sujet est particulièrement prégnant : en l'état, il va falloir passer par le médical pour vacciner des dizaines de millions de Français. Même chose pour les tests de dépistage. Autre exemple : l'hygiène, acte de prévention majeur pour éviter la transmission des virus. Il ne s'agit pas d'un acte médical mais plutôt d'éducation à la santé, un domaine dans lequel les infirmiers peuvent jouer un rôle central au domicile, à l'école, dans les entreprises...
Renforcer le lien ville-hôpital est un autre axe essentiel. Dans de nombreux cas de figure, nous pourrions limiter le recours à l'hôpital et nous appuyer davantage sur les soins de ville. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes révélait que 20 % des passages aux urgences pourraient être évités. Quand on sait que les urgences sont le principal pourvoyeur d'activité de l'hôpital... Il est vraiment important de mettre le bon professionnel au bon endroit au bon moment. Nous plaidons donc pour une meilleure coordination ville-hôpital, une meilleure coopération médecin-infirmier, et donc nécessairement une meilleure reconnaissance du rôle des infirmiers.
Reconnaître les compétences, c'est aussi travailler en confiance. La confiance dans les professionnels de santé est un levier central pour améliorer le fonctionnement de notre système de santé. Par exemple, il faut que les différents professionnels de santé reconnaissent pleinement les compétences des infirmières de pratique avancée (IPA). Les études montrent qu'elles apportent une réelle plus-value dans la prise en charge des patients, sans aucune perte de chance pour ces derniers. Elles peuvent jouer un rôle majeur à l'hôpital mais aussi à domicile, où elles pourraient par exemple s'impliquer davantage dans le suivi des patients chroniques, et éviter ainsi, quand la situation s'y prête, le recours à l'hôpital. Il ne s'agit pas de réaliser une « consultation médicale », l'approche est différente. Et quand l'infirmier ne sait pas, il demande au médecin, en bonne intelligence.
De manière générale, et au-delà de l'exemple des IPA, l'enjeu est d'aller plus dans le « care » que dans le « cure », en développant une prise en charge qui ne soit plus médico-centrée. »
« Nous avons soumis les propositions du Pr Vallancien à une quinzaine de membres de l'ANFIIDE, qui les ont classées par ordre de priorité. Les cinq premières sont : investir massivement sur la prévention, offrir à nos aînés des conditions de vie décentes, réviser l'organisation du fonctionnement quotidien des hôpitaux, décentraliser le système au plus près du terrain et faire collaborer sans a priori la médecine publique et la médecine privée. Cela donne une tendance.
On ne peut qu'être d'accord avec ces 10 recommandations que nous appelons de nos vœux depuis très longtemps. La pandémie a mis en exergue ce qu'un grand nombre de soignants de terrain, avec des années de pratique, clamaient déjà. La crise sanitaire donnera-t-elle l'opportunité de le faire dans la solidarité d'actions privées publiques et associatives avec les patients ?
Pour que ces recommandations deviennent des chantiers, il faudra cependant mettre en avant « ce que nous avons appris ». Ce bilan autorisera l'identification des grandes questions au vu de cette crise afin de décider d'une méthode et d'appréhender un cadre.
La profession infirmière est axée sur les trois dimensions de la santé : la prévention, le « care » et le « cure ». Elle a su mobiliser l'ensemble de ces savoirs pendant la crise. Toutefois, les soignants ont vécu des expériences différentes selon leur type d'activité, leur région, l'organisation de leur établissement ou de leur réseau ville-hôpital. Paradoxalement, on a réussi à prendre du temps interdisciplinaire pour réfléchir à l'organisation opérationnelle, parfois plus qu'auparavant. Il serait intéressant d'en tirer une modélisation professionnelle.
Nos demandes ne doivent pas être parcellisées : mendier un acte, une cotation, une nomenclature... reviendrait à agir dans l'immédiateté. Au contraire, il faut prendre ce temps pour faire un recensement de ce qui s'est passé afin d'engager une réflexion pragmatique pour construire la décision.
La crise met aussi en exergue tout l'intérêt du travail de l'équipe de première ligne médecin/infirmier, en amont de l'urgence : un binôme où chacun a sa place, qui repose sur la reconnaissance des compétences de l'autre.
Les organisations qui ont été efficientes pendant la crise du Covid-19 ont su sortir d'une logique de fonctionnement en silo et dépasser un corporatisme désuet. La collaboration pluriprofessionnelle a favorisé les activités partagées, quels que soient son diplôme et son rôle dans l'organisation. Cette démarche a ainsi permis de mieux s'écouter, mieux se comprendre pour la sécurité du patient et du collectif.
Afin de construire ces chantiers et mettre en œuvre un éventail de politiques adaptées, des ateliers de réflexion interprofessionnelle devront être organisés dans l'objectif de préparer des états généraux de la profession. De plus, la profession gagnerait à associer des regards extérieurs tels que des philosophes et des sociologues dont l'approche, dans cette période, serait enrichissante.
Il est utile de se réapproprier le temps pour donner du sens et de l'espoir au monde d'après... »
« La collaboration sans a priori public et privé me semble importante. Il faut désenclaver, nous avons besoin de plus de souplesse. La crise du Covid-19 l'a bien mis en évidence : les secteurs sont complémentaires et il est essentiel de laisser place à la créativité, de nous rencontrer pour mieux comprendre comment fonctionne l'autre, enrichir notre réflexion sur les soins et ainsi gagner en adaptabilité, en agilité.
D'une façon générale, nos organisations sont trop verticales, pyramidales. La révision de l'organisation du fonctionnement des hôpitaux doit partir du terrain. En favorisant les échanges transversaux, on fera remonter plus facilement des initiatives qui émergent dans les services mais souvent s'arrêtent là. En impliquant différemment les infirmiers, les aides-soignants dans la vie de l'hôpital, on pourrait impulser un nouveau souffle, s'autoriser des réflexions qui redonneraient du sens à nos missions auprès des patients alors qu'aujourd'hui c'est ce sens qui manque le plus.
Les propositions du Pr Vallancien sont favorables aux infirmiers en pratique avancée. L'IPA est un nouvel acteur qui arrive dans une organisation qui n'a pas bougé, mais dont les besoins ont évolué. Son arrivée permet de se réinterroger sur l'organisation d'un service car elle nécessite de repenser le rôle des uns et des autres, de partir des compétences pour voir comment les utiliser. Pour autant, sa place doit être clarifiée, au même titre que celle du manager et de l'infirmier : c'est le seul moyen pour que chacun accepte la complémentarité des uns des autres, que l'on puisse avoir des interactions grâce à nos formations différentes, sans se faire concurrence.
L'IPA est aussi mis en avant dans la décentralisation du système de santé, car il constitue un maillon permettant d'être au plus près du terrain. On parle toujours du médecin-coordinateur, dans une vision hiérarchique. Or la coordination, ce n'est pas cela, elle doit relever du transversal, pour faciliter la porosité entre ville et hôpital au lieu de les cliver.
L'accélération numérique, et notamment le développement des téléconsultations, peut y contribuer. Avant le Covid-19, elle était circonscrite au médecin. Le contexte a accéléré la mise en place du suivi chronique par les IPA, qui ont fait la preuve de leur capacité à faire des comptes rendus au médecin et aux infirmiers de ville, et permis aux médecins d'identifier les bénéfices de travailler avec un IPA. On pourrait tout à fait imaginer élargir cette pratique pour le suivi des maladies chroniques, la prévention... C'est un chantier à développer ! »
« Le dévouement du personnel soignant a été fortement salué depuis le début de la crise du Covid-19. Mais nous ne sommes plus au temps des cornettes : nous sommes des professionnels responsables, nous avons des compétences, et l'hôpital ne doit plus fonctionner qu'avec la bonne volonté des soignants. Les cadres de santé jouent souvent un rôle de pompier, et ils ont fait preuve d'une agilité et d'une capacité d'adaptation impressionnante. Il est donc temps de leur laisser la responsabilité de manager de façon autonome leurs équipes.
La revalorisation est une grosse avancée pour tous les soignants et en même temps il est important de leur faire confiance. Les cadres sont formés à la gestion, à la stratégie : que l'on nous laisse prendre des initiatives, de l'autonomie, montrer notre créativité et notre audace ! Pour cela, il est nécessaire d'instaurer plus d'horizontalité dans les hiérarchies : les cadres devraient participer aux réunions de gouvernance car être associé à la stratégie permet de donner du sens aux équipes. Au contraire, si le cadre ne sait pas où il va, c'est compliqué...
Les cadres de santé devraient aussi être associés aux réflexions sur la réforme de l'hôpital car ils représentent le maillon de terrain capable de recontextualiser les choses qui manquent actuellement. Aujourd'hui, les soignants et paramédicaux peuvent être représentés par le directeur des soins, lorsqu'il est présent, mais sinon c'est toujours le tandem médecin/gestionnaire qui est aux commandes.
La collaboration médecine publique et privée a montré son efficacité pendant la crise, permettant de mutualiser des ressources humaines et matérielles. Il faut en effet capitaliser dessus, développer des projets territoriaux de santé, faire en sorte que les soignants continuent de travailler ensemble dans une logique sanitaire et pas uniquement budgétaire. Cela pourrait permettre de développer davantage la prévention, de former plus d'infirmières de pratique avancée et de leur accorder une place qu'elles ont du mal à trouver aujourd'hui, en offrant une alternative à l'hospitalisation, et ainsi aider à désengorger les services d'urgences.
Un point non évoqué par le Pr Vallancien et qui me semble essentiel tient à l'architecture des hôpitaux : les espaces sont devenus inadaptés, il est difficile de contrôler les entrées dans les établissements vieillissants qui comptent de nombreuses ouvertures, on manque de chambres seules, de douches, de possibilité d'isoler les patients dans les services d'urgences et les systèmes de traitement d'air dans certaines réanimations ont montré leurs limites pour accueillir un nombre important de patients infectés. Il faudrait s'interroger dès leur conception sur les hôpitaux de demain. »