Objectif Soins n° 275 du 01/06/2020

 

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Interview

Le 20 avril dernier, au plus fort de la crise du Covid-19, le Pr Guy Vallancien signait une Tribune publiée dans Le Point intitulée : « Santé : les 10 chantiers à lancer d'urgence ». Nous l'avons interrogé pour comprendre plus en détail certaines de ses propositions, notamment celles impactant l'organisation de l'hôpital, les rôles et missions des infirmiers et cadres de santé.

Plutôt qu'un système centré sur l'hôpital, vous préconisez la décentralisation, au plus près du terrain. Pourquoi ? Comment ?

En effet, nous sommes très en retard par rapport à d'autres pays identiques sur le plan économique, avec une médecine centrée sur l'hôpital et le médecin, alors qu'ils ne devraient être que des lieux de recours. La majorité des soins pourrait être effectuée en ambulatoire, par exemple dans les maisons de santé. Quand on appelle les pompiers, on ne déplace pas la grande échelle immédiatement, un petit véhicule et un extincteur peuvent suffire. C'est exactement la même chose avec notre système de santé ! Si l'on arrive à développer ce schéma, les infirmiers pourront jouer un rôle majeur demain : agir pour la prévention, assurer les soins de première ligne, de diagnostic et de traitement. Au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, au Danemark, on a su valoriser leurs compétences. En France, les infirmiers de pratique avancée ne sont quasiment pas plus payés que les autres, alors qu'ils sont obligés de faire 2 années d'études complémentaires. Parfois quelques formations sur le terrain suffiraient. La raison ? Les médecins ont peur de se voir piquer leur boulot, et certains syndicats infirmiers leur livrent des batailles internes... Notre système n'a pas évolué depuis des années parce qu'il existe des corporatismes monstrueux, tout le monde reste sur ses acquis. Pourtant, les infirmiers de première ligne pourraient être des infirmiers libéraux organisés en tours de garde salariés, selon un forfait journalier, avec voiture à disposition, matériel de base d'urgence pour être appelés partout où des soins sont nécessaires : dans les maisons, les écoles, les entreprises... 30 à 50 % des problèmes pourraient être ainsi traités, et l'on se référerait au médecin généraliste si nécessaire, avec envoi de photos à l'appui via un smartphone professionnel et Facetime si besoin. Aujourd'hui on dispose de tous les outils. Avec un champ d'action élargi dans tous les domaines de la vie sanitaire, les infirmiers, sont l'avenir !

Comment financer cette organisation ?

Le financement pourrait être supporté par les communautés de communes : à raison de deux infirmiers pour 10 000 habitants, cela coûterait 700 à 800 000 euros par an, soit 8 euros par mois par personne. C'est simple et cela permettrait de transformer les déserts médicaux en oasis en seulement 2 ans ! Vouloir augmenter le nombre de médecins en 2030 comme le souhaitent nombre de députés et sénateurs est un contresens : dans 10 ans, où en sera l'intelligence artificielle ? Nous allons fabriquer des chômeurs ; c'est une impasse économique et médicale. Au contraire, il faut réduire le nombre de médecins, et mieux rémunérer ceux qui sont en exercice. Si l'on réduisait de 25 % le nombre de médecins, en ne remplaçant pas les départs à la retraite, les 22 Md€ d'honoraires distribués en France chaque année seraient réduits de 5,5 Md€. Une part pourrait revenir aux 100 000 infirmiers de première ligne qui seraient ainsi mieux honorés, avec une responsabilité supplémentaire.

Vous travaillez avec des infirmiers de pratique avancée dans votre service. Quelle expérience en tirez-vous ?

Sous Xavier Bertrand, nous avons lancé l'emploi d'IPA il y a 10 ans dans mon service, en pathologie de la prostate. Les IPA font les interrogatoires, les touchers, les échographies, les prises de sang... et on alterne les consultations : le patient rencontre une fois l'urologue, puis une fois l'IPA, qui peut prescrire des médicaments. C'est une réussite. Nous avons été évalués par l'IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) et il en ressort qu'il n'y pas de sinistralité aggravée avec l'IPA, une adhésion totale des malades à l'action du couple médecin-infirmier, et 25 à 30 % de temps rendu aux médecins.

Vous préconisez également de réviser l'organisation du fonctionnement quotidien des hôpitaux. Par quel moyen ?

Qui doit-être le patron à l'hôpital ? Peu importe, à condition qu'il s'agisse d'un vrai manager.

Or souvent, il s'agit d'un administrateur. Il faudrait une personne qui soit la moitié du temps sur le terrain, auprès du personnel. L'organisation de l'hôpital doit être revue car il s'agit d'une entreprise, et même la plus belle d'entre elles : une communauté de personnes dévolues à la production d'un bien, la santé. Il ne s'agit pas d'aller se coter en Bourse mais d'être payé à la valeur de ce qui est produit, en prévention, en diagnostics, et de pouvoir réinvestir dans son personnel et ses équipements.

Aujourd'hui, le directeur d'hôpital reçoit une circulaire par jour... nous devons arrêter la diarrhée législative. L'État doit donner la stratégie, la vision et contrôler a posteriori, mais laisser jouer les acteurs sur le terrain. Ma Santé 2022 ne voit pas assez loin.

Il faudrait également sortir de la logique de statut pour passer à un contrat général, englobant les libéraux et les personnels publics. Les grilles de salaire ne sont pas un facteur dynamisant et le paiement à l'acte en médecine libérale est mort : il est temps de payer correctement ceux et celles qui se défoncent. La concurrence que peuvent se livrer le secteur privé et le secteur public n'a pas de sens.

À l'hôpital, la direction des soins est une des corporations les plus utiles, elle joue un rôle très important dans la coordination de la chaîne des soins. Il faut donc lui donner plus de pouvoir, avec les chefs de pôle. D'ailleurs, des pôles ne sont pas nécessaires partout, et l'on devrait revenir à la notion de service, au sein d'unités plus petites, avec à leur tête un médecin, un gestionnaire et un directeur de soins.

L'un de vos chantiers promeut la réduction « drastique » du nombre d'agences et d'observatoires dans le domaine de la santé. Vers quel modèle faut-il tendre ?

On compte en France 50 agences, autorités et observatoires sanitaires, c'est monstrueux ! Pour caricaturer, la Haute autorité de santé s'occupe du bénéfice risque et l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) s'occupe du risque bénéfice... sans se passer les dossiers. Le système est cloisonné. Il faudrait un CDC (Center for Disease Control) à la française et une FDA (Food and Drug Administration), et arrêter de multiplier les agences. Les ARS devraient être conservées, en leur donnant l'argent de leur politique, et en les mettant en relation plus étroite avec leur Région. Faut-il une Direction Générale de la Santé, de l'Organisation des soins, de la Sécurité sociale au sein du ministère ? Pourquoi pas une seule direction avec des spécialistes dedans ?

La France est l'un des pays d'Europe qui dépense le plus pour sa santé, à laquelle elle consacre 11,3 % de son PIB (1). Comment expliquer cela ?

Oui, les dépenses de santé sont considérables en France, mais il y a un véritable gâchis : on voit des patients consulter pour un 2e ou 3e avis, à qui l'on prescrit énormément d'examens. L'OCDE a montré que l'on réalise en moyenne 20 à 25 % d'actes diagnostiques et thérapeutiques inutiles... Mais en France, on n'a jamais voulu évaluer la qualité des actes et leur pertinence. En 40 ans de pratique, jamais personne n'est venu au bloc voir ce que je faisais par exemple ! Pourtant, l'évaluation par des personnes compétentes est nécessaire. Cela passe par l'interrogation des malades, et par l'évaluation par des pairs. On pourrait imaginer que des spécialistes jeunes retraités évaluent leurs confrères – dans des régions autres que leur lieu d'exercice pour éviter le copinage – et ainsi aider à identifier des actes déviants ou sources de gaspillage.

La crise du Covid-19 va-t-elle selon vous être bénéfique à la refonte du système de santé ?

Je n'en suis pas sûr ! Nous n'avons pas vu l'épidémie massive arriver, et je suis le premier à le reconnaître. Nous avons essayé d'avoir une réponse médicale, et non comportementale. Les équipes de réa ont vécu l'horreur au début, et nous pouvons dire bravo à la « covidialité ». Mais je crains que les revendications soient encore plus corporatistes. Les élections présidentielles étant dans deux ans, la crise ne sera pas terminée. Nous allons nous engager dans une « course à faire plaisir », pas un candidat ne va pas être soumis à « créer plus de lits », « augmenter le nombre de personnels », « augmenter le budget de l'hôpital ». On risque de passer à côté d'une transformation du système. Les hospitaliers hurlent partout « à nous ! », je suis donc inquiet. Mais j'espère me tromper !

(1) State of Health in the EU, France, Profils de santé par pays 2019, OCDE, European Observatory on Health Systems and Policies, https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/state/docs/2019_chp_fr_french.pdf

Les 10 chantiers pour refondre le système de santé

« Pour passer d'un système de soins à un véritable système de santé », le Pr Guy Vallancien propose dix chantiers « à lancer sans attendre » :

 

– Faire collaborer sans a priori la médecine publique et la médecine privée

– Réviser l'organisation du fonctionnement quotidien des hôpitaux

– Décentraliser le système au plus près du terrain

– Accélérer la mutation numérique

– Évaluer en temps réel la pertinence et la qualité des prestations

– Réduire drastiquement le nombre d'agences, d'instituts, de conseils

– Investir massivement sur la prévention

– Restructurer notre assurance-maladie boiteuse

– Offrir à nos aînés des conditions de vie décentes

– Penser la santé comme le tout premier secteur économique d'avenir

 

Pour lire la tribune dans son intégralité : https://www.lepoint.fr/invites-du-point/guy-vallancien-sante-les-10-chantiers-a-lancer-d-urgence-20-04-2020-2372160_420.php

Le Pr Guy Vallancien en quelques mots

Chirurgien en urologie à l'Institut Mutualiste Montsouris (Paris), professeur honoraire des universités, Guy Vallancien est membre de l'Académie de médecine. Il est fondateur et président de CHAM, la Convention on Health Analysis and Management, et membre de l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST).