Le transfert de patients de réanimation atteints par la covid19 a nécessité une organisation minutée dans les services concernés et une concertation rapide avec les sociétés de transports chargées de mener les patients à bon port. Une initiative saluée par la presse étrangère.
Si en temps normal, le transfert de patients d'un hôpital à l'autre est une pratique rodée, elle ne concerne bien souvent qu'un patient à la fois, le plus souvent dans un périmètre réduit, via un transport héliporté. Mais face à l'afflux très élevé des patients aux urgences et la saturation des lits de réanimation dans les régions en tension – Grand Est et Ile-de-France notamment – des transports sanitaires de grande ampleur ont été mis en place au plus fort de la crise, entre le début du confinement mi-mars et la première semaine d'avril.
Prouesse technique, ces transferts concernaient des patients de réanimation, intubés, sédatés et nécessitant un suivi rapproché. Une initiative saluée par la presse internationale, notamment italienne et américaine, qui soulignent l'organisation des soins du système français, permettant une solidarité entre régions, chose impossible outre-Atlantique ou de l'autre côté des Alpes.
En France, la première salve de ces transferts de patients en grand nombre commence le 18 mars, lorsque le président Emmanuel Macron officialise l'entrée en confinement : six patients des établissements hospitaliers de Mulhouse et Colmar en surtension quittent la région Grand Est dans un Airbus A330 de l'Armée de l'Air pour rallier les hôpitaux du sud de la France, Toulon et Marseille. A son bord, outre le personnel naviguant, des soignants, également militaires, accompagnent les patients de réanimation grâce à un équipement spécifique, le dispositif Morphée (Module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation), qui permet de maintenir le patient dans des conditions optimales pour son transfert : une véritable salle de réanimation volante. L'avion atterrit à Istres où les patients sont ensuite acheminés par ambulance vers les hôpitaux marseillais ou toulonnais. Une fois cette mission réussie, l'avion repart vers l'Est pour réitérer son périple à plusieurs reprises, allant même déposer des patients à Hambourg en Allemagne, où la tension hospitalière est moins forte.
Au total, avec l'opération « Résilience » menée par les armées, les convois aériens, héliportés voire marins (pour la liaison avec la Corse) ont permis le transport de 150 patients des zones en tension hospitalière vers des zones plus calmes ; à lui seul, le dispositif aérien Morphée a été mobilisé 6 fois pour un total de 36 malades transportés du Grand Est, vers Istres, Bordeaux, Brest, Hambourg et Toulouse.
Sur terre, d'autres opérations ont également été entreprises pour véhiculer des patients de réanimation des zones en tension vers des établissements hospitaliers où des places en réanimation étaient disponibles. C'est notamment la SNCF qui a convoyé les patients, rappelant, comme le souligne Claude Jego, ancien cadre de santé dans un établissement breton, les transports de soldats blessés du front de l'Est, lors de la bataille de Verdun pendant la Première Guerre Mondiale : « le parallèle est surprenant mais dans la période 1914-18, de nombreux patients ont été transportés de l'Est de la France vers la Bretagne, dans des centres de convalescence », la mise à disposition de trains sanitaires placés sous la direction du service de santé militaire remontant quant à elle à 1889.
A partir de la fin du mois de mars 2020, c'est dans un tout autre contexte que la SNCF a repris son rôle de transporteur sanitaire, pour permettre de désengorger les services hospitaliers submergés par l'afflux de patients infectés par le SARS-cov2.
Mais l'idée n'est pas nouvelle et avait été anticipée en exercice de médecine de catastrophe : « nous avions travaillé il y a plusieurs mois sur un exercice d'évacuation vers Paris de victimes d'un attentat fictif qui aurait eu lieu à Metz », explique le Dr Lionel Lamhaut, médecin anesthésiste-réanimateur au SAMU de Paris et coordinateur du transport médicalisé avec la SNCF. Pour évacuer le plus grand nombre de patients, le rail est l'option la plus intéressante : rapide, sécurisée, avec des décélérations maîtrisées, peu de vibrations, pour éviter des effets délétères chez les malades et le matériel transportés. Mais l'improvisation n'est pas possible et une organisation minutée est de rigueur, à la fois dans les établissements qui se séparent de leurs patients que du côté de ceux qui les réceptionnent et aussi à la SNCF où quelque deux cents cheminots sont mobilisés pour préparer en 48 heures le train qui servira à transporter les patients et sécuriser le trajet. A bord des rames TGV, rien n'est laissé au hasard : certains sièges sont démontés, les porte-bagages, habituellement présents dans les sas, sont retirés, des groupes électrogènes sont embarqués pour pallier toute défaillance électrique, des bouteilles d'oxygène sont amenées en grand nombre à bord. Côté personnel, le renfort est de mise : conducteur doublé, mécaniciens en nombre pour parer toute panne, référent électrique et suivi en temps réel du parcours. Une rame-bouclier, entièrement vide, devance le précieux convoi, pour protéger le train en cas de collision avec un animal afin d'éviter de compromettre tout retard pendant le transport. Et sur le parcours, dans les PC sécurité, le trajet est scruté en temps réel : aiguillage, passages à niveaux (pour certaines portions de parcours), tout doit être pensé et anticipé.
Dans les hôpitaux en tension, c'est l'heure du choix : ce sont les patients les plus stables qui rejoindront le convoi sanitaire. « Il faut à la fois être rapide car nous ne disposons pas de beaucoup de temps, tout en étant efficace, notamment en choisissant les patients qui seront transférés. N'oublions pas que ce sont des patients de réanimation, intubés, ventilés, qui nécessitent un suivi très pointu et dont l'état peut très vite évoluer, parfois en pire », détaille le Dr Lamhaut. Le triage des patients vers le TGV sanitaire s'opère donc sur certains critères, notamment le poids car les brancards sont acheminés à l'intérieur du wagon à dos d'homme ou des critères de gravité en fonction des défaillances d'organes – par exemple, pas de patient dialysé, car cela ajoute une difficulté supplémentaire. En amont l'organisation se met en place : une fois les patients choisis et le train préparé, il faut pouvoir disposer d'ambulances en grand nombre au départ mais aussi à l'arrivée et organiser l'installation des patients à bord du TGV, en prévoyant leur rang de sortie (un patient devant sortir à Poitiers rentre dans le train après un patient qui sera assigné à un hôpital à Bordeaux). Les porte-bagages servent de porte-perfusion, certains wagons reçoivent le stock de médicaments nécessaires pour la durée du transport et se transforment en pharmacie, d'autres deviennent un laboratoire d'analyses médicales pour continuer à suivre les constantes des patients (notamment les gaz du sang) pendant le trajet, tandis que les wagons se remplissent peu à peu : « dans chaque wagon, nous avons installé quatre malades, avec quatre paramédicaux, un médecin senior, un interne plus le médecin coordinateur, sans compter tout le matériel nécessaire au suivi habituel de réanimation. L'avantage du TGV est aussi d'avoir de l'espace pour travailler, on est à hauteur du patient et on a de la place, contrairement à l'hélicoptère », explique l'urgentiste. A l'arrivée, les patients sont sortis de chaque wagon de manière organisée : chaque rame a été remplie de façon à ne laisser sortir qu'un ou deux patients, en fonction des différents arrêts (par exemple Poitiers puis Bordeaux) toujours dans un souci d'équilibrer le temps de sortie et faire au plus vite.
Concernant les personnels de santé qui accompagnent les patients pendant ce périple, les deux tiers viennent de l'établissement d'arrivée et le tiers restant de l'hôpital d'origine, pour favoriser les transmissions. Sur le quai, le ballet des ambulances peut reprendre, pour acheminer chaque malade, toujours intubé et ventilé vers un hôpital qui connait moins de tensions. Du côté des transferts héliportés, dans un rayon de plus faible distance, et donc intra-régionaux, l'organisation est relativement rodée, mais nécessite de la rigueur : « ce sont les équipes du SAMU qui réalisent les transferts, mais il faut pouvoir disposer d'une équipe pour l'hélicoptère au moment où se décide le transfert et en fonction de l'état du patient, très fluctuant, explique Laurent Mathieu, infirmier anesthésiste au CH de Verdun qui a récupéré des patients venant de Mulhouse. La difficulté pour nous est d'accueillir des patients pour lesquels nous n'avons pas toujours une transmission détaillée, sur leur histoire de vie et comme ce sont des patients qui ne parlent pas, qui sont intubés, il nous est impossible de communiquer avec eux. Je pense à cette patiente qui nous a été adressée et dont le mari avait été envoyé en Allemagne... parfois, le fait de ne pas trop connaître l'histoire du patient nous protège aussi un peu... », reconnait l'infirmier.
Parfois l'urgence de la situation amène des patients sans bracelet d'identification, perdu peut-être lors du départ, une difficulté parmi d'autres à gérer pour les équipes hospitalières qui réceptionnent le patient. Lorsque celui-ci va mieux et qu'il se réveille, il faut gérer ce qui s'apparente pour lui à un stress post-traumatique : « le patient qui a été en réanimation se réveille confus, anxieux et lui expliquer qu'il est à Bordeaux alors qu'il se souvient peut-être avoir été hospitalisé à Mulhouse ajoute à sa confusion. Certains patients sont totalement désorientés : une patiente à qui on venait d'annoncer le décès de son mari a dit au médecin ``prenez soin de vous docteur'', la sidération est totale ». Et une fois que le patient sort de réanimation, à des centaines de kilomètres de son établissement d'origine, son parcours de patient voyageur continue pour un retour vers des soins de suite et de réadaptation plus proches de son domicile. Le dispositif sanitaire ferroviaire aura permis de déplacer plus de deux cents patients des zones en tension vers des hôpitaux disposant de places en réanimation.
Un dispositif inédit imaginé par les équipes du SAMU de Dijon et réalisé par une entreprise locale de la Côte-d'Or avec l'aide d'Airbus Helicopters a été mis en place pour le transport héliporté de patients contagieux mais non intubés. Baptisés BRAVE pour « bulle de réanimation aéroportable pour virus émergent », ce dispositif permet le transport d'un patient contagieux dans l'espace restreint de l'hélicoptère, où le médecin et l'infirmier sont à côté du patient, à moins d'un mètre. La présence de cette bulle autour du patient limite les projections et permet également un nettoyage plus rapide que celui de l'hélicoptère entier.