Le compagnonnage comme nouveau modèle d'encadrement des étudiants en soins infirmiers - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Écrits professionnels

Chantal Laurens*   Alain Barnier**  

Dans un contexte fortement contraint économiquement, les établissements de santé sont amenés à repenser leurs organisations soignantes et leur gestion des ressources humaines. Le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse s'est doté en 2007 d'un service de suppléance infirmier placé sous la responsabilité de la direction des soins. Les restrictions budgétaires confrontées à l'augmentation des dépenses en intérim extérieur et en heures supplémentaires ces dernières années sont à l'origine d'un projet de réorganisation de la suppléance interne du CHU dès 2016, impulsé par la direction des ressources humaines et la direction des soins. Les infirmiers et aides-soignants du service de suppléance interne expriment leur souhait et motivation de transmettre leur savoir aux futurs professionnels de santé ; en concertation Direction des soins, institut de formation en soins infirmiers et aide-soignant, nous faisons le pari osé d'intégrer la suppléance interne du CHU comme terrain de stage dès 2018. Nous en faisons ici le retour d'expérience à un an sous le prisme managérial.

Les auteurs remercient les cadres de santé, les infirmiers (es) et aides-soignants (es) du service de suppléance pour leur contribution à ce projet et à sa réussite.

La suppléance interne du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse constitue un stage atypique, un pari que nous considérons osé. Il bouleverse les représentations de l'encadrement des étudiants en soins infirmiers que peuvent avoir les cadres de santé qu'ils soient formateurs ou maîtres de stage. Selon ces derniers, l'étudiant doit être capable de prendre en charge en autonomie un groupe de patients ; or l'atteinte de cet objectif varie en fonction du nombre de patients constituant le groupe et du niveau de formation (semestre). La suppléance, et l'encadrement qui est proposé aux étudiants en soins infirmiers et élèves aides-soignants, nous invitent à appréhender celui-ci sous un prisme différent et extrêmement proche des « compagnons du tour de France ». Adopter ce nouveau regard nous permet de dégager ces grandes similitudes entre les attendus des compagnons dans l'apprentissage du métier vis-à-vis de l'apprenti et la formation en soins infirmiers, que ce soit pour les infirmiers comme les aides-soignants. L'évaluation qu'en font à ce jour les étudiants et élèves comme les encadrants, nous amène à une réflexion collaborative afin de reconsidérer la philosophie de l'encadrement que nous pouvions avoir jusqu'alors dans le cadre d'une alternance intégrative.

Les enjeux de la suppléance au CHU de Toulouse

Les politiques de santé, les contraintes financières obligent les établissements de santé dont le CHU de Toulouse à revisiter les organisations soignantes et à ajuster la masse salariale, quelle que soit la catégorie de personnel.

Pour les paramédicaux exerçant dans les services de soins, la réorganisation des postes de travail s'est opérée sur les indicateurs que sont :

– Le nombre de lits et le taux d'occupation ;

– L'effectif requis en IDE et AS (1) par poste de travail ;

– La typologie du service en termes d'activités (soins critiques, Hospitalisation complète, Hospitalisation de semaine, ambulatoire, Soins de suite et réadaptation...etc.) ;

– Les cycles de travail et modes adaptés.

Cette réflexion de l'ensemble des pôles cliniques et médicotechniques oblige à un ajustement des effectifs et de la taille de l'équipe soignante souvent revu à la baisse.

Ce travail de fond sollicité par la direction des ressources humaines (DRH) en collaboration avec la direction des soins se trouve alors impacté par un fort absentéisme des personnels, un recours croissant aux heures supplémentaires, à l'intérim que ce soit pour remplacer des IDE comme des AS. Un déséquilibre financier s'affiche, l'objectif économique attendu des nouvelles organisations soignantes se trouvant dépassé par la consommation des moyens de remplacement de l'absentéisme. En l'état, la suppléance interne ne suffit pas à combler l'absentéisme au sein de l'institution.

Du fait de la composition du CHU (voir encadré 1) la restructuration de l'équipe de suppléance s'impose, tant dans son dimensionnement, ses compétences que dans son périmètre d'intervention. Les directions (DRH- soins) se placent dans une optique de gestion et de pilotage des effectifs, de mutualisation des ressources humaines et une flexibilité permettant la réactivité, le développement des compétences des personnels de ce service de compensation avec le soutien de la formation.

Depuis 2018, l'équipe de suppléance IDE et AS est scindée en deux : une partie sur le site de Rangueil-Larrey, l'autre sur le grand Purpan ; sont exclus du dispositif à ce jour, la pédiatrie, la réanimation, l'oncologie hématologie-IUCT et les blocs opératoires qui ont leur propre suppléance au regard de la spécificité des compétences à mobiliser.

La suppléance interne du CHU détient des connaissances et compétences qualifiées de « généralistes » qui permettent aux professionnels de ce secteur de remplacer l'absentéisme de courte durée dans les pôles cliniques quel que soit le poste de travail, la typologie du service, le domaine (chirurgie ou médecine), la spécialité médicale, en toute fiabilité et sécurité pour les personnes soignées. « Ces compétences reposent toutefois sur un ensemble organisé de savoirs cognitifs (savoir, savoir-faire, savoir-être), d'expériences et d'attitudes professionnelles s'exerçant dans un contexte précis, celui de l'action soignante » (3). Dans la lignée de notre réflexion et du projet de professionnalisation des étudiants en soins infirmiers, au regard des compétences de cette équipe de suppléance, de la motivation des professionnels y exerçant pour la formation des étudiants et élèves, il nous parait alors intéressant de proposer ce secteur d'activité comme stage professionnalisant aux étudiants en soins infirmiers de l'IFSI (4) du PREFMS (5) de semestres 3-4 et 5-6, ainsi qu'aux élèves aides-soignants de l'IFAS (6) du PREFMS (hors stage où doit se dérouler une Mise en Situation Professionnelle (MSP) du fait d'une mobilité de secteur de soin quasiment quotidienne).

La suppléance... des points de vue

Les écrits concernant la suppléance la définissent essentiellement selon le prisme de la psychanalyse dans la lignée des travaux de LACAN ; selon les auteurs reliant le symptôme et la suppléance, ils sont à la fois différenciés, complémentaires ou ne font qu'un. Le dictionnaire Larousse a défini la suppléance comme « le fait de suppléer quelqu'un dans ses fonctions, son emploi », laquelle vient du latin supplerer qui se traduit par compléter, ajouter, remplacer, combler...

En médecine, elle est « un phénomène qui permet aux capacités résiduelles d'un organisme de venir compenser une déficience ou une incapacité » (7). Quelle que soit la définition et qui l'énonce, la suppléance a pour vocation de « compenser ». Nous retenons dès lors la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) qui définit ainsi la suppléance : « Remplacement dans les conditions prévues d'une personne empêchée, absente ou décédée par une autre personne prévue ou désignée à l'avance ».

Selon LEPLAT (8) analysant l'activité en ergonomie, la suppléance est une méthode de régulation dans une dimension collective du travail mais également interindividuelle. Elle est une forme d'activité collective à l'instar de la coopération, coordination et collaboration.

Du point de vue du pôle clinique et de la suppléance

Si nous transposons cette analyse de LEPLAT à la suppléance interne du CHU de Toulouse, nous pouvons mesurer la régulation qu'elle opère dans l'activité collective des équipes soignantes ; elle est un des éléments clés des organisations et de la dimension collective du travail dans les pôles.

La suppléance est avant tout une équipe à part entière, pilotée et managée par des cadres de santé. Pour DEVILLARD (2005) « l'équipe est une entité constituée de sous-ensembles autonomes, c'est ce qui fait sa complexité et sa force » (9). Les professionnels volontaires qui constituent la suppléance sont sélectionnés sur un profil établi de mobilité. Ils sont confrontés à des logiques qu'ils doivent dépasser, comme la logique de territoire ; cette dernière est prévalente pour les équipes soignantes affectées dans le secteur où le remplacement a lieu. Cette logique est renforcée par le fait que les IDE et AS de la suppléance n'ont pas d'entité de lieu de regroupement à l'instar de ces professionnels affectés. Ils n'appartiennent pas à un secteur, une spécialité, ils appartiennent à une institution ce qui leur permet aussi de se « détacher » des problématiques internes à chaque unité de soins, à chaque équipe ; ils sont « de passage » même si ce dernier peut être répétitif sur une période assez courte. La logique de coopération et de co-action s'impose, avec un centrage sur les activités de soins, les tâches communes dans une situation d'absentéisme impromptu et de courte durée à laquelle il faut faire face pour la continuité des soins. La répétition des remplacements dans les unités de soins, par des professionnels désormais connus amène à une logique de synergie, de « faire ensemble », une connaissance voire reconnaissance d'être là, de partager de nouvelles acquisitions ou pratiques. Pour DEVILLARD, la réunion des trois logiques crée l'intelligence collective ; « ses membres sont des sous-systèmes doués d'intelligence. Elle est à la fois un ensemble de cerveaux, d'expériences, un ensemble de moteurs et d'acteurs. Cela lui confère un potentiel considérable qui peut libérer des forces puissantes » (9).

Répondre à la demande des IDE et AS de la suppléance de pouvoir encadrer les futurs professionnels est un réel levier managérial pour les cadres de santé de ce service. Un besoin qui est exacerbé par l'absence d'étudiants à leurs côtés et certains propos dans les unités de soins tels que : « tu n'es pas du service, tu ne connais pas la spécialité » ; ces propos portent atteinte à leurs compétences affirmées alors même que ces IDE et AS de la suppléance changent de poste de travail, de spécialité quotidiennement, témoignant de capacités à la mobilité, une polyvalence et ce, avec efficacité et professionnalisme. Ouvrir un terrain de stage atypique aux étudiants en soins infirmiers et élèves aides-soignants tel que la suppléance constitue en soi un pari osé. C'est un signal fort de reconnaissance dans leur besoin de contribuer à la formation, de transférer leurs savoirs théoriques, pratiques, une posture professionnelle avec des valeurs soignantes. Le retour d'expérience que nous faisons et l'évaluation que les étudiants font de leur stage au sein de la suppléance, nous amènent à penser autrement l'encadrement des futurs professionnels de santé, selon le modèle du compagnonnage dont la suppléance est une illustration comme nous le démontrons en suivant.

Du point de vue de l'IFSI

La manière dont DEVILLARD appréhende l'équipe modifie la vision que nous pouvons avoir de l'équipe de suppléance, « c'est un mode d'organisation conçu pour ``l'aventure'', une façon de répondre à ce qu'il advient avec la meilleure réactivité » (9). La suppléance nous laisse entrevoir quelques similitudes avec l'accompagnement et l'encadrement des « compagnons du tour de France ». C'est ce qui nous amène à une réflexion qui peut paraitre singulière.

Le compagnonnage perdure depuis des siècles, héritage des bâtisseurs des cathédrales reposant sur des valeurs héritées de ces ouvriers du moyen âge tels que devoir, fraternité, travail. Il s'agit pour ces compagnons de « devenir puis à leur tour former des ouvriers d'élite, des ``hommes de métier'' dont la dignité est garantie par la qualité du savoir et l'amour du travail bien fait. L'adhésion à cet idéal justifie un modèle d'apprentissage fondé sur la transmission et l'exemple, et dominé par un double projet pédagogique et moral » (10).

Le tour de France effectué par les compagnons leur permet de se perfectionner dans leur métier, d'obtenir une qualification reconnue sur le marché du travail, d'acquérir d'autres techniques, de se confronter à d'autres pratiques et organisations, de faire des rencontres professionnelles et simultanément, de faire siennes les valeurs, symboles... propres au métier et à l'homme en devenir. Pour GUEDEZ « les idées circulent en même temps que des savoir-faire (...). Car le travail est au centre de toutes les préoccupations (...) L'homme au regard des compagnons, est tout entier modelé par son activité pratique. Son travail oriente sa façon d'être, sa conduite, ses comportements. Il détermine sa manière de voir et de penser le monde. Il spécialise son langage comme sa mentalité » (10). Le temps passé sans compter dans le transfert du savoir à l'apprenti ou au compagnon est « un devoir tout naturel » alors même qu'en entreprise ce temps impacte la productivité qui est le nœud de la guerre pour son économie. Dans un établissement hospitalier, ce temps de transfert existe aussi, mais il se fond dans l'activité du service, dans les équipes qui se relaient, dans la continuité des activités sur 24 heures.

Le métier, le voyage, la transmission sont les trois principes essentiels inscrits au sein de la fédération des « compagnons du tour de France ». Passer de ville en ville, transmettre son savoir et sa façon de vivre son métier fait partie intégrante du compagnon. Pour le président des compagnons « encadrés et accompagnés par des professionnels expérimentés les stagiaires apprentis portent eux-mêmes leur projet et sont responsables de leur devenir par leur ténacité et leur persévérance » (11). A l'instar des compagnons, les IDE et AS de la suppléance interne au CHU de Toulouse « voyagent de chantier en chantier » (unité de soins), sont sous la responsabilité d'un « patron » (le cadre de santé) et ils sont « de passage » pour réaliser une tâche et par là même apprendre et se perfectionner (activités de soins, prise en charge des personnes soignées). Les professionnels de la suppléance deviennent de plus en plus performants au fur et à mesure de « ces voyages ».

L'étudiant infirmier et l'élève aide-soignant participent au voyage, fonctionnent en binôme avec le professionnel qui est leur tuteur et le professionnel de proximité, amenant les deux identités à fusionner. Les « apprentis » prennent en charge un secteur sur un poste de travail donné sous l'œil bienveillant du « compagnon » infirmier ou aide-soignant. Dans cet encadrement du futur professionnel se dégagent les notions d'entraide et de délégation d'activités, de supervision à l'instant T par le professionnel diplômé et expert avec une extrême bienveillance. Les valeurs qui font l'essence même de notre profession sont véhiculées dans cet accompagnement de l'apprenti et/ou apprenant par le professionnel qui a la maîtrise de son cœur de métier.

La plus- value de ce stage

Pour SERRES (1991), « aucun apprentissage, n'évite le voyage » (12), le voyage intègre la formation des compagnons, à l'instar de toutes les formations en alternance. Ces dernières font à leur manière, leur propre tour de France. Cet esprit du compagnonnage est mobilisé par les médecins et mentionné dans l'article R4127-68-1 du code de la santé publique : « Le médecin partage ses connaissances et son expérience avec les étudiants et internes en médecine durant leur formation dans un esprit de compagnonnage, de considération et de respect mutuel » (13). L'étudiant en soins infirmiers comme l'élève aide-soignant est mis à l'épreuve dès lors qu'il change de service de soins, de spécialité, d'équipe ; il remet son ouvrage sur le métier à chaque fois. « Il s'agit d'apprendre toujours plus, de se perfectionner, de se confronter sans cesse à des réalités nouvelles » (10).

L'étudiant en soins infirmiers comme l'élève aide-soignant est de passage dans les services qui « rythment les souvenirs du cheminement » à l'instar des villes et des « patrons » constituant le tour de France des compagnons. Ils sont un lieu de formation professionnelle mais aussi sociale. « Le déplacement seul peut permettre l'accès à la connaissance. Moyen d'apprentissage, le tour est aussi un lieu d'échange » (10). Faire un stage dans une équipe de suppléance est un « temps de voyage, de découverte, de professionnalisation ». Evoquant l'ouvrage le tiers-instruit de SERRES, FABRE nous dit : « Apprendre, s'instruire, c'est s'exposer au milieu du fleuve dans cette tierce place, qui interdit le retour et oblige à poursuivre : alea jacta est ! le tiers est neutre en ce sens qu'il n'est ni cette berge ni l'autre, mais plutôt la ligne invisible qui est à la fois le point de chute et le point de passage, l'abîme et le pont : « le vrai passage a lieu au milieu ». Apprendre, se former c'est devenir » (14).

L'apprenant va acquérir et/ou développer des compétences relationnelles, de réactivité, d'adaptation, de transmission entre lui et ses pairs mais également entre lui et « ses compagnons » quel que soit le niveau de formation. Il ne s'agit pas ici que des seules transmissions ou relèves inter équipes centrées sur les personnes soignées ; l'étudiant assure la transmission de son savoir, qu'il soit théorique ou pratique car même s'il est apprenti il a des choses à partager. « Les anciens lèguent un système de valeurs. Ils apprennent à "être" autant qu'à "faire". La transmission est ainsi un véritable processus de reproduction à la fois technique, culturel, social, moral » (14). A l'instar de la construction de l'intelligence collective, « la transmission ainsi n'est pas pure répétition, mais enrichissement, dépassement d'un système antérieur de connaissance » (14).

Ce projet d'ouvrir la suppléance interne aux étudiants IDE et élèves AS est le fruit d'une collaboration étroite entre la direction des soins du CHU de Toulouse et la direction de l'IFSI du PREFMS, tous deux centrés sur le futur professionnel tout en valorisant les soignants dans leurs compétences et expertise. Nous vous proposons un retour d'expérience de cette première année au regard des évaluations auprès des stagiaires et tuteurs.

Un retour réflexif...

Il ne suffit pas de décider l'ouverture d'un terrain de stage pour que celui-ci soit bénéfique dans l'apprentissage des futurs professionnels. Ce projet d'accueillir les étudiants en soins infirmiers (IFSI et IFAS) est le fruit d'une réflexion conjointe et selon les deux visions : formation- terrain. Pour ce qui concerne l'IFSI, nous faisons le choix raisonné de réserver ce terrain de stage aux seuls étudiants de semestres 3-4-5-6, au regard des acquisitions qu'elles soient théoriques ou techniques.

L'évaluation réalisée par le cadre de santé responsable de l'encadrement des étudiants et de l'accueil des nouveaux arrivants sur le service de suppléance montre à quel point ce stage est une plus-value pour les futurs professionnels IDE et AS mais également pour les professionnels en poste.

Selon les étudiants IDE : la suppléance favorise le développement de la confiance en soi, l'autonomie, l'anticipation, l'organisation d'un secteur de soins, la dextérité. Elle amène à un questionnement professionnel, une remise en question dans une démarche de professionnalisation. Le changement d'unités quasi quotidien est à l'origine d'une stimulation intellectuelle nécessaire pour s'adapter aux différentes organisations, équipes, spécialités. Le stage dans le service de suppléance permet aux futurs professionnels d'accroitre leurs capacités relationnelles, d'adaptation, de priorisation des soins, de réalisation des liens selon les pathologies, de prise d'initiative, de proposer des transmissions fiables et ciblées. Ce stage atypique leur permet aussi d'acquérir de nombreux soins techniques, des connaissances étendues en pharmacologie, une pratique des soins d'urgence ce qui accroit leurs compétences. Durant les semaines de stage, la posture professionnelle se trouve renforcée et affirmée pour ces étudiants.

Ce que relèvent ces derniers, c'est la qualité de l'encadrement dont ils bénéficient, un suivi qu'ils disent supérieur aux autres stages. Ce propos ne discrédite en rien les professionnels encadrant des autres services que la suppléance ; il met seulement en avant l'intérêt reconnu par les étudiants du réel binôme IDE-étudiant avec une supervision à l'instant T, la présence du professionnel à ses côtés l'accompagnant, lui expliquant sur l'instant, l'évaluant, lui permettant de réajuster. Nous retrouvons dans ce retour fait par les étudiants, les modalités d'apprentissage des « compagnons du tour de France » que nous avons décrites plus haut.

Pour les élèves AS : le retour est semblable en termes de remise en question, de stage formateur et de découverte de diverses pathologies, favorisant la curiosité intellectuelle, la remise en question, une efficacité dans les diverses spécialités et domaines. C'est un secteur « où il n'y a pas de routine » si tenté soit de dire qu'une spécialité puisse être routinière et qu'est-ce que la routine à leurs yeux ? Cela reste à définir. La notion de « vrai binôme AS-élève » est là aussi soulignée, ainsi que la qualité du suivi par l'AS toujours présent aux côtés de l'élève.

Pour les professionnels de la suppléance, tuteurs de stage : qu'ils soient IDE ou AS, accueillir des étudiants IDE et élèves AS, les encadrer, les accompagner est valorisant pour eux. Ils mettent en avant leur expertise, se sentent reconnus dans leur exercice et leurs compétences. C'est aussi pour eux une remise en question de leurs pratiques et de ces mêmes compétences, un échange enrichissant sur ce qui se fait ailleurs dans d'autres spécialités, une mise à jour des connaissances. Ils apprécient grandement de pouvoir contribuer à la formation en guidant les futurs professionnels dans leur apprentissage.

Conclusion

Il semble que ce pari osé d'ouvrir le service de suppléance interne du CHU de Toulouse aux étudiants en soins infirmiers (IFSI et IFAS) est une réussite à plusieurs niveaux.

D'un point de vue pragmatique, permettre l'accès de ce service aux futurs professionnels en formation s'inscrit dans la politique d'attractivité et de fidélisation de l'établissement, leur ouvrant le champ des possibles. « Réaliser les voyages » de secteur en secteur, de spécialité en spécialité contribue au développement de leur posture professionnelle et réflexive, de leurs capacités et compétences. Pour les soignants de l'équipe de suppléance qui sont professionnels de proximité et tuteurs à la fois, contribuer à l'apprentissage de leurs futurs pairs est sans nul doute un déterminant de la reconnaissance et valorisation de leur travail, de leurs compétences et de leur engagement professionnel et institutionnel. L'étudiant et/ou l'élève est désormais un réel collaborateur de l'IDE et de l'AS, et non plus perçu comme une charge de travail supplémentaire. Cette nouvelle expérience de la suppléance questionne la pertinence d'une différentiation tuteur-professionnel de proximité aussi marquée d'autant que les compétences « tuteur » sont intégrées dans les Unités d'Enseignements (UE) de la formation initiale.

Selon le prisme pédagogique, ce stage atypique de la suppléance interne, où l'étudiant et/ou élève est itinérant avec son binôme, nous oblige à changer de paradigme. D'une part nous passons d'une logique de prise en charge globale d'un ou plusieurs patients en fonction du semestre de formation, à une prise en charge globale d'un secteur de soins, incluant les patients et les activités afférentes aux soins (ce qui est attendu du nouveau diplômé lors de sa première prise de poste). Nous appréhendons un modèle d'encadrement assimilable à celui des compagnons « métier, voyage, transmission », où l'étudiant est confronté à l'organisation et la gestion d'un secteur de soins (avec une pratique en lien avec son niveau de formation), en créant un lien fort entre un professionnel de proximité (expert ou novice), un réel binôme dans lequel s'opère un transfert des savoirs. L'étudiant est tantôt observateur, opérateur ou aide opérateur, toujours supervisé par le professionnel.

Au regard des difficultés qu'ont les nouveaux professionnels à prendre en charge un secteur de soins, de l'évolution des modalités de prises en charge médicale orientées vers l'ambulatoire et Programme de Récupération Améliorée Après Chirurgie (RAAC), une Durée Moyenne de Séjour (DMS) de plus en plus courte, une évolution des techniques de soins...mais également l'encadrement des étudiants fondé sur la prise en charge globale d'un ou plusieurs patients n'est-il pas à questionner ?

Le modèle du compagnonnage éprouvé par les étudiants en soins infirmiers IDE et AS dans le service de suppléance est plébiscité par ces futurs professionnels, conscients de l'enjeu que la maîtrise des soins représente pour eux-mêmes et surtout pour la sécurité des patients. N'y a-t-il pas là matière à réflexion sur un modèle de compagnonnage compatible avec le cadre de l'alternance intégrative et de l'universitarisation des formations paramédicales, à l'instar des médecins ? L'élève peut parfois dépasser le maître comme chez les compagnons...

Composition du CHU de Toulouse

Le CHU de Toulouse est multi sites sur un grand périmètre qui s'étend sur la ville et à l'extérieur (jusqu'à Salies du Salat aux limites de l'Ariège). Les sites concernés par les remplacements de la suppléance interne sont : CH (2) de Rangueil- CH Larrey- Le grand Purpan composé de : Hôpital Garonne, Hôpital des enfants, Hôpital Paule de Viguier, Bâtiment Pierre Paul Riquet, bâtiment Urgences- Réanimation- médecines, Hôpital de Psychiatrie. L'Oncopole situé dans l'IUCT (ouvert en 2014) a sa propre suppléance du fait de la spécialité oncohématologie et de son éloignement des autres sites. L'ouverture des nouveaux bâtiments sur le site de Purpan en 2014-2015 en a modifié le paysage, participant de la suppression des services « miroirs » entre Rangueil et Purpan.

Paroles d'étudiants IDE et élèves AS recueillies librement à l'issue du stage

« C'est un stage très enrichissant tant sur l'aspect technique que sur la multitude des services rencontrés (...) ils m'ont permis de me faire une opinion sur mes futurs choix professionnels » (A...IFSI 3è A) ;

« Je trouve que ce stage est très valorisant pour les étudiants car il apporte des compétences à la fois techniques et théoriques très diversifiées. Contrairement aux stages dans un service précis, le fait de tourner dans plusieurs services nous force à développer notre propre organisation dans les soins (priorité et anticipation des soins). Nous devons sans cesse nous adapter et nous remettre en question (...) » (L... IFSI 3e Année) ;

« Un bon suivi, les référents sont disponibles, intéressés, connaissent bien les services et savent expliquer. J'ai apprécié les visites et le recueil des besoins et ressentis de l'élève de votre part, on voit vraiment qu'il y a une prise en charge et un souci du bien-être du stagiaire et de ses référents. Ce stage est instructif, riche et passionnant. Je me suis régalée à pouvoir tourner dans la plupart des services que l'hôpital Rangueil accueille. C'est un stage qui se trouve révélateur et je réalise cette chance d'avoir pu découvrir ce service très convoité  » (C... IFAS) ;

« Vous avez une équipe formidable qui a l'amour du métier AS et qui prend à cœur les missions qui lui sont confiées. Elles ont à cœur de transmettre leurs savoirs aux élèves, elles sont bienveillantes et pédagogues (...) j'ai grandement apprécié le fait de découvrir des disciplines inconnues, je me suis à chaque fois adaptée sans difficultés, j'ai trouvé cela même très formateur et enrichissant sur un plan professionnel comme personnel » (V...IFAS).

(1) IDE et AS lire partout infirmier (e) et aide-soignant (e).

(2) CH lire partout centre hospitalier.

(3) Destang J., Lagasse-Teilhol V., Ramondenc A.-M., Sterckeman C., Ceaux C. (2012). Les équipes infirmières de compensation et suppléance, Dossier de l'absentéisme au présentéisme le rôle du cadre, Revue Soins cadres no 82, Paris, Elsevier Masson, mai 2012, pp. 23-24.

(4) IFSI lire partout Institut de Formation en Soins Infirmiers.

(5) PREFMS, lire partout pôle Régional d'Enseignement et de Formation aux Métiers de la Santé, adossé au CHU de Toulouse.

(6) IFAS, lire partout Institut de Formation Aide-Soignant.

(7) Définition suppléance dictionnaire toupie, consulté en ligne le 02/12/2019.

(8) Leplat J. (2008). Repères pour l'analyse de l'activité en ergonomie, Collection travail humain, Paris, Presses Universitaires de France.

(9) Devillard O. (2005). Dynamiques d'équipes, troisième édition, Paris, éditions d'organisations.

(10) Guedez A., Compagnonnage et apprentissage, Sociologie d'aujourd'hui, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.

(11) Page d'accueil site de la fédération compagnonnique des compagnons du tour de France, mots du président, consulté en ligne le 03/12/2019).

(12) Serres M. Le tiers instruit, collection Essai, Paris, François Bourin, 1991.

(13) Site du conseil national de l'ordre des médecins, consulté en ligne le 19/12/2019.

(14) Fabre M. (2011). Introduction in Constantin Xypas et al. Le tiers éducatif. Une nouvelle relation pédagogique, Perspectives en éducation et formation, De Boeck supérieur, 2011, pp. 13-18.