Pratique professionnelle des infirmiers et des cadres de santé - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Droit

Gilles Devers  

Analyse de décisions de jurisprudence relatives à la pratique professionnelle des infirmiers et des cadres de santé du deuxième et troisième trimestre 2020 : exercice de la profession rendu dangereux en raison de l'état de santé, chute du lit d'un patient dont le risque est connu, surveillance d'un patient perturbé, ponction veineuse fautive, réaffectation d'une infirmière dans l'intérêt du service, faute disciplinaire d'une infirmière anesthésiste, exclusion de la formation d'un aide-soignant.

1/ État de santé rendant dangereux l'exercice de la profession

Lorsque l'état de santé d'un professionnel rend son exercice dangereux pour les patients, le directeur de l'ARS prend des mesures provisoires de suspension, dans l'attente d'une décision de l'ordre. L'ordre statue au vu d'un rapport d'expertise, et en tenant compte de tous les éléments de preuve lui permettant d'apprécier la dangerosité de ce professionnel. Analyse d'une situation concernant un problème de mœurs (Conseil d'État, 2 juillet 2020, no 431101). 

• Faits. Le 6 juin 2018, un directeur général de l'ARS agissant sur le fondement de l'article L. 4113-14 du CSP, a prononcé la suspension d'activité d'un masseur-kinésithérapeute pour une durée de 5 mois, au motif du danger à la patientèle féminine eu égard aux condamnations judiciaires prononcées contre lui pour des faits d'agression sexuelle.

Par une décision du 8 janvier 2019, la formation restreinte du conseil régional de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes d'Ile-de-France, saisie par l'ARS, a suspendu ce praticien du droit d'exercer sa profession pour une durée de 9 mois.

Par une décision du 20 mars 2019, le conseil national de l'ordre a porté le délai à 10 mois et subordonné la reprise de son activité à la tenue d'une nouvelle expertise psychiatrique.

• Droit applicable. Aux termes de l'article R. 4124-3 CSP, dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Le conseil est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'ARS soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national de l'ordre. La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil de l'ordre par trois médecins désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts.

• Analyse. Le rapport a conclu que l'expertise psychiatrique ne mettait pas en évidence une pathologie psychiatrique manifeste, tout en préconisant que la mesure de suspension se poursuive si les faits d'agressions sexuelles reprochés au praticien étaient avérés.

Le conseil de l'ordre a pris en compte divers éléments. L'intéressé avait été reconnu coupable d'agression sexuelle sur une condisciple au cours de ses études par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2018 et condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis et mise à l'épreuve. De même, plusieurs témoignages, y compris du directeur de l'établissement, confirmaient un comportement déplacé et malsain à l'égard de ses condisciples féminines durant sa scolarité. Enfin, dans une autre affaire, il avait été reconnu coupable de faits d'atteintes sexuelles sur trois de ses patientes par un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 novembre 2018. Dans cette affaire, il n'avait pas été prononcé d'interdiction professionnelle.

Le rapport d'expertise a pour seul objet d'éclairer l'instance ordinale et ne la lie pas. Il lui revient d'apporter son appréciation quant à l'existence éventuelle d'un état pathologique rendant dangereux l'exercice de la médecine.

De même, le juge pénal a rendu un jugement qui laisse intacte l'appréciation de l'Ordre sur la dangerosité : en estimant, au vu de l'ensemble des éléments d'information dont il disposait sur le comportement de ce professionnel, notamment des faits ayant donné lieu à plusieurs témoignages et condamnations, que son état de santé rendait dangereux l'exercice de celle-ci et justifiait une mesure de suspension d'une durée de dix mois, et la reprise liée à une expertise favorable. Le conseil de l'ordre, qui, eu égard aux dangers présentés par l'état pathologique du professionnel, ne pouvait limiter la suspension de l'exercice aux seules patientes féminines en raison de la difficulté d'exercer un contrôle sur ce point.

2/ Chute d'un patient depuis son lit, alors que le risque est connu

La chute d'un patient, cherchant à quitter son lit d'hospitalisation, peut être considérée comme une faute engageant la responsabilité : c'est le cas lorsqu'il existait un risque connu et des précédents, ce qui aurait justifié une adaptation de la surveillance (CAA de Lyon, 1 juillet 2020, no 18LY02861) 

• Faits. Le 23 janvier 2012, un jeune homme âgé de dix-huit ans, a été victime d'un grave accident de la route à l'origine d'un traumatisme crânien sévère avec coma d'emblée, d'un traumatisme thoracique avec hémopneumothorax bilatéral et contusion pulmonaire, ainsi que d'une fracture de l'épaule droite et d'une fracture médio-rénale droite.

Compte tenu de la gravité de son état, il est initialement pris en charge par le service des urgences du centre hospitalier de Montélimar, puis a été transféré dès le 24 janvier 2012 au service de réanimation polyvalente du CHU de Saint-Etienne. Il y a subi le même jour une craniectomie fronto-pariétale droite puis, le 16 février 2012, une trachéotomie.

A compter du 14 mars 2012, il a été admis au service de réanimation et de soins continus du centre hospitalier de Montélimar, dans l'attente d'une place disponible dans un service de rééducation post-réanimation.

Le 20 mars 2012, entre 20h30 et 21h30, il a chuté au sol. Un hématome extradural s'est formé à cette occasion et a nécessité une opération en urgence au centre hospitalier de Valence.

Subissant des séquelles de cette chute, il a engagé un recours en responsabilité.

• La faute de surveillance. Les victimes de graves traumatismes crâniens en phase de réveil, qui présentent des phénomènes d'agitation, peuvent faire preuve d'actes incohérents et se mettre en danger, en particulier en tombant de leur lit. A la date de sa chute le 20 mars 2012, le patient était toujours en phase de réveil du traumatisme crânien subi à la suite de son accident de la route.

Au cours des jours qui ont précédé cette chute, le patient avait présenté plusieurs crises d'angoisse avec agitation, ayant nécessité l'administration de benzodiazépines et, dans la nuit du 13 au 14 mars 2012, une contention par sangles, compte tenu de son état particulièrement agité à la suite de l'annonce de son transfert au centre hospitalier de Montélimar.

A son admission dans le service de réanimation et de soins continus de cet établissement le 14 mars 2012, le patient dont la chambre était équipée d'un système de vidéosurveillance, a été placé dans un lit dont les barrières de sécurité sont demeurées relevées durant son hospitalisation. Par ailleurs, le traitement à base de benzodiazépines dont il bénéficiait a été poursuivi.

Cependant, le compte rendu quotidien d'hospitalisation relève, à la date du 20 mars 2012, la persistance des crises d'angoisse, traitées par l'administration d'antidépresseurs, avec parcimonie, et par la réassurance des soignants.

Vers 20h30, soit tout au plus une heure avant sa chute, le patient, qui n'était plus visible sur l'écran de vidéosurveillance, a été retrouvé assis dans son lit, dans un état confus et ne parvenant pas à expliquer son geste. En dépit de cette situation de confusion, il n'a alors bénéficié d'aucune surveillance renforcée ni d'aucune mesure particulière de contention supplémentaire de nature à prévenir une nouvelle tentative de quitter son lit.

Peu avant 21h30, le personnel soignant a constaté que le patient n'était de nouveau plus visible sur l'écran de contrôle de la vidéosurveillance de son lit et il a été retrouvé assis au sol. Alors pourtant qu'il demeurait atteint de lourds déficits, son geste, consistant à se relever en enjambant les barrières de sécurité du lit, a nécessairement pris un certain temps, durant lequel l'écran de surveillance de la chambre n'a fait l'objet d'aucun contrôle.

L'état de santé du jeune homme nécessitait une prévention du risque de chute de son lit compte tenu des troubles de l'équilibre et du syndrome cérébelleux dont il était affecté. Or, même si les barrières de sécurité du lit étaient relevées, elles étaient susceptibles d'être escaladées par le patient, eu égard à son jeune âge et à la circonstance qu'il avait recouvré partiellement la marche depuis quelques jours.

Eu égard à l'état d'agitation du patient et à la circonstance qu'il a été trouvé assis dans son lit peu de temps avant sa chute sans en donner d'explication dans un état de grande confusion, l'absence de surveillance adéquate après cet épisode, consistant à tout le moins en un contrôle plus fréquent des images de vidéosurveillance à défaut de mise en place d'une contention supplémentaire, a constitué, dans ces circonstances, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

• Les séquelles. S'agissant des suites de l'accident, le patient était susceptible de conserver des troubles cognitifs et comportementaux invalidants, mais il avait néanmoins commencé à récupérer l'usage de ses membres inférieurs, de sorte qu'il ne devait conserver que peu de troubles moteurs et de l'équilibre du fait de ce traumatisme.

En revanche, à la suite du second traumatisme crânien lié à la chute de son lit, le patient, atteint d'une hémiparésie gauche, n'a pas retrouvé la motricité des membres inférieurs et ses capacités motrices demeurent limitées. De telle sorte, les dommages en lien exclusif avec les troubles moteurs dont souffre le jeune homme sont totalement imputables à la chute du 20 mars 2012 et l'hématome extradural qui en est résulté alors que les dommages liés à ses troubles cognitifs et comportementaux sont pour moitié dus à l'accident de la route et pour une autre moitié dus à la chute du 20 mars 2012.

3/ Surveillance d'un patient perturbé

Le fait qu'un patient âgé, gravement perturbé et sous surveillance infirmière pour ce motif parvienne à relever le volet roulant de sa chambre, à ouvrir une fenêtre et l'enjamber, ne permet pas de caractériser une faute de l'équipe infirmière lorsque l'attitude de celle-ci était attentive et diligente, ne pouvant parer à tout imprévu (CAA de Bordeaux, 9 juin 2020 no 18BX02224). 

• Faits. Un patient, alors âgé de 85 ans, a été hospitalisé le 7 avril 2011 au sein du service d'ortho-traumatologie d'un centre hospitalier pour la réalisation d'une intervention hirurgicale de mise en place d'une prothèse totale d'épaule gauche.

A la suite de cette intervention, pratiquée le 8 avril 2011, il a présenté un état de confusion post-opératoire marqué par une grande agitation. Dans la nuit du 8 au 9, souhaitant se rendre aux toilettes, il a arraché ses perfusions ainsi que le gilet spécial destiné à maintenir son épaule.

• Dans la nuit du 10 au 11, souhaitant de nouveau se rendre aux toilettes, il a tenté de franchir les barrières dont son lit était doté et a chuté. Cette chute ayant entrainé une luxation de la prothèse, il a subi le 11 une reprise chirurgicale de réduction de cette luxation. Le 12, il a été reçu en consultation par un médecin gériatre de l'établissement, qui n'a pas constaté d'élément confusionnel, n'a pas prescrit de mesure de contention ou de pose de barrières et a préconisé des mesures préventives d'hydratation et de réorientations pluriquotidiennes. Dans la nuit du 14 au 15, le patient a présenté, aux alentours de 2 heures, des signes de confusion. L'infirmière et l'aide-soignante présentes dans le service ont alors mis en place une surveillance plus étroite du patient, en particulier des passages plus fréquents dans sa chambre. Toutefois, entre 4h45 et 5h15, heures auxquelles ont eu lieu ces passages de contrôle, le patient a chuté de l'une des fenêtres de sa chambre, située au premier étage du bâtiment, chute qui lui a occasionné un épanchement pleural bilatéral et des fractures étagées de T12 à L5 avec hémiparésie.

• La faute. Le patient a effectivement présenté un état confusionnel post-opératoire à la suite de l'intervention pratiquée le 8 avril 2011. Mais, le médecin de garde qui l'a examiné le 11 avril 2011 et le gériatre qui l'a reçu en consultation le 12 avril 2011 ont constaté l'absence de persistance de signes confusionnels, signes qui n'ont pas davantage été relevés les 13 et 14. Le patient a de nouveau présenté des troubles confusionnels dans la nuit du 14 au 15, vers 2 heures du matin. L'infirmière alors présente dans le service a décrit un patient légèrement confus, qui parlait seul et émettait le souhait d'un retour à domicile, mais qui ne criait pas et n'était pas particulièrement agité. Le personnel soignant a alors pris l'initiative de renforcer la surveillance du patient en augmentant la fréquence des passages de contrôle, espacés de seulement une demi-heure, et en laissant ouverte la porte de sa chambre. A noter que le patient n'avait, au cours de son hospitalisation, commis aucun acte dangereux pouvant être regardé comme lié à un état de désorientation.

La chute survenue le 11 est essentiellement imputable à la détermination du patient, qui ne souhaitait pas uriner dans un urinal, à se rendre aux toilettes alors même que son lit était alors doté de barrières.

Dans ces conditions, l'état et le comportement du patient ne pouvaient légitimement faire craindre l'acte qu'il a commis, consistant à relever le volet roulant, qui n'avait été que partiellement baissé sur sa demande en début de soirée, monter sur une chaise, ouvrir une fenêtre et l'enjamber. Dès lors, l'absence de verrouillage des fenêtres de la chambre et le fait d'avoir laissé des volets semi-ouverts ainsi qu'une chaise, ne peuvent être regardés comme constitutifs d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité.

4/ Ponction veineuse fautive

L'apparition d'un œdème du bras et d'un hématome entrainant des séquelles sont considérés, alors même que la preuve exacte n'est pas apportée par expertise, comme la conséquence de tentatives de ponctions veineuses, et s'agissant d'un acte de soin courant, l'existence de séquelles permet de présumer la faute (CAA de Nantes, 2 avril 2020, no 19NT00516). 

• Faits. Une patiente a été hospitalisée le 23 octobre 2006 dans le service de cardiologie d'un centre hospitalier pour des douleurs thoraciques. Le 26 octobre, pour permettre la réalisation d'un scanner, il a été décidé de lui poser au niveau du bras droit une voie veineuse qui, après plusieurs tentatives infructueuses, a finalement été posée sur le bras gauche.

Le bras droit de la patiente a présenté peu après une augmentation de volume et un hématome qui, bien qu'il ait été drainé le 2 novembre 2006, a endommagé le nerf radial.

La patiente en a conservé un déficit moteur et sensitif et des douleurs au bras droit responsables d'une gêne fonctionnelle.

• Analyse. Seules les tentatives de ponction veineuse réalisées le 26 octobre 2006 sur le bras droit de la patiente peuvent expliquer l'apparition, dans les jours suivants et au même endroit, d'un hématome qui, par compression, a endommagé le nerf radial. Par suite, et alors même que les experts ont également indiqué que le mécanisme à l'origine de cet hématome « n'est cependant pas clair mais résulte probablement d'une lésion vasculaire », le lien de causalité direct entre les tentatives de pose de la voie veineuse et le préjudice subi par la patiente doit être regardé comme établi.

Les dommages qui résultent d'actes de soin courants doivent être regardés comme révélant une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service. C'est un cas de faute présumée. Par suite, la gêne fonctionnelle définitive que la patiente conserve des séquelles des tentatives de pose d'une voie veineuse au niveau de son bras droit, évaluée à 6% par les experts, révèle une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement.

En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la patiente n'aurait pas été correctement surveillée et prise en charge après l'apparition de l'hématome et la faute, sur ce plan, est écartée.

5/ Réaffectation d'une IDE sur un autre poste, dans l'intérêt du service

Alors même que certains actes infirmiers peuvent être considérés comme des fautes, le directeur peut ne pas sanctionner ces fautes, et préférer une mesure de réaffectation dans l'intérêt du service, en l'occurrence en affectant une infirmière du service de nuit au service de jour. Dans ce cadre, il doit justifier du bien-fondé de sa démarche, mais il n'est pas tenu de respecter les droits prévus par la procédure disciplinaire (CAA de Lyon, 9 avril 2020, no 18LY01211)

• Droit applicable. Un changement d'affectation ordonné d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

• Une mesure qui n'est pas une sanction. Un rapport d'inspection réalisé en mars 2016 par l'agence régionale de santé, a conclu à l'impossibilité d'affecter une infirmière en service de nuit. Les conclusions de ce rapport relèvent des manquements qui peuvent, d'après les inspecteurs de l'agence régionale de santé, être imputés à cette infirmière et qui justifient selon eux une procédure disciplinaire, mais elles n'en demeurent pas moins motivées par la nécessité de préserver le bon fonctionnement du service de nuit et la sécurité des patients. Dans ces conditions, le changement d'affectation prononcé par le directeur d'établissement était exclusivement justifié par l'intérêt du service et ne présentait pas le caractère d'une sanction déguisée, malgré la réduction du régime indemnitaire qui a pu en résulter pour l'intéressée.

Par suite, cette décision, qui ne revêt pas le caractère d'une sanction, n'entre dans aucune des catégories de mesures dont la motivation est rendue obligatoire par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

De même, le directeur n'avait pas à suivre la procédure disciplinaire prévue par l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

• Une mesure justifiée. La nouvelle affectation au service de jour a été décidée au vu des conclusions du rapport d'inspection de l'ARS. Celles-ci se fondaient, après analyse des dossiers des patients, des fiches de liaison et de l'ensemble des pièces disponibles, sur des manquements graves et répétés imputables à l'intéressée, tenant notamment au non-respect de prescriptions médicales, à une insuffisante surveillance des patients, à un défaut de transcription rigoureuse de ses interventions ou à une prise en charge inadaptée, ayant entraîné soit une perte de chance, soit un défaut d'accompagnement en fin de vie dans la dignité, pour quatre patients et une résidente en EHPAD, décédés au cours de son service ou peu de temps après, entre juin 2015 et janvier 2016.

Il est exact que certaines de ses interventions étaient dues à la méconnaissance, par des aides-soignantes, d'un protocole d'urgence, et que les effectifs de nuit étaient insuffisants, mais le directeur du centre hospitalier n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'affecter l'infirmière en service de jour.

6/ Faute disciplinaire d'une infirmière anesthésiste

Il n'existe pas légalement de définition des fautes disciplinaires et le directeur peut sanctionner tout comportement dès lors qu'il prouve la réalité de la faute, sous le contrôle du juge. Le juge vérifie également la proportion entre la faute reprochée et la sanction (CAA de Nantes, 2 avril 2020, no 19NT00097)

• Faits. Une infirmière-anesthésiste affectée au SMUR d'un CHU s'est vue infliger le 21 avril 2016 la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois dont trois mois avec sursis.

Par jugement du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision.

Le CHU a interjeté appel.

• Analyse

– L'opération de secours par hélicoptère

Il est reproché à l'infirmière de ne pas avoir participé à l'armement de l'hélicoptère, d'avoir remis en cause la stratégie d'intervention et les moyens y ayant été affectés, d'avoir débranché l'oxygénation du patient transporté sans en référer préalablement au médecin accompagnateur et d'avoir fait courir ainsi un risque à ce patient.

Toutefois, le rapport du responsable de la structure interne est peu circonstancié sur ce point. L'infirmière s'est limitée à poser des questions sur la capacité de l'hélicoptère, l'importance de l'accident faisant l'objet de l'intervention et la quantité des poches de sang à embarquer. Il n'est pas prouvé qu'elle se serait de la sorte opposée à l'intervention à venir ou en ait contesté les modalités, ni qu'elle ait réellement refusé de participer à l'armement de l'hélicoptère.

L'infirmière a effectivement débranché l'oxygénateur de l'hélicoptère sans en avoir expressément et préalablement référé à un médecin, mais ce geste n'a été accompli qu'une fois l'hélicoptère posé à proximité d'une ambulance où l'oxygénation du patient allait se poursuivre sans délai et sans risque particulier pour celui-ci. Ce geste était nécessaire pour pouvoir opérer le transfert hélicoptère-ambulance, et il est très habituellement pratiqué, dans des conditions identiques, par des infirmiers-anesthésistes. Aucune faute ne peut ainsi être reprochée à l'occasion de l'intervention héliportée du 24 janvier 2016.

– Le grave accident de la route

A l'occasion de la prise en charge de patients victimes d'un grave accident de la route le 11 août 2015, l'infirmière s'est montrée particulièrement critique quant aux choix thérapeutiques concernant la prise en charge d'une des victimes de cet accident, n'a pas mis en place une perfusion sanguine qui lui était demandée et a procédé au déplacement du brancard de cette patiente alors que son état justifiait son immobilisation, pour le rapprocher de celui où reposait son époux, dans une pièce voisine, et qui devait lui-même être dirigé rapidement vers le bloc opératoire.

En agissant de la sorte, elle a délibérément pris une initiative non conforme aux consignes médicales reçues et s'est soustraite à celles-ci, tout en mettant en danger la santé des patients. Ces faits présentent un caractère fautif, d'autant plus qu'ils ont été commis dans un contexte d'urgences médicales qui nécessite un respect scrupuleux des consignes pour éviter toute désorganisation du service préjudiciable aux patients en situation d'urgence vitale.

• La sévérité de la sanction. Ce manquement fautif de l'intéressée était de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire, mais la sanction de l'exclusion temporaire de fonction d'une durée de six mois, dont trois mois de sursis, infligée pour ce seul motif et alors que l'infirmière n'avait auparavant jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire, est disproportionnée.

7/ Exclusion de la formation d'un aide-soignant

Les carences illogiques dans les connaissances au regard de l'avancement de la formation, et des questions de comportement en stage, incluant une mise en danger des patients, sont de nature à justifier l'exclusion de la formation d'un aide-soignant (CAA de Nancy, 9 juillet 2020, no 19NC00068) 

• Faits. Un homme a été admis à suivre la formation conduisant au diplôme d'Etat d'aide-soignant. Après une première année de formation, l'intéressé a été contraint, au vu de ses résultats, de redoubler son année.

A l'issue d'un stage qui s'est déroulé du 3 octobre au 9 novembre 2017 en milieu hospitalier, le requérant a été convoqué par la directrice de l'institut de formation d'aides-soignants, qui l'a informé de la réunion prochaine du conseil technique en vue du prononcé éventuel d'une exclusion pour inaptitude. Le conseil technique s'est prononcé, le 21 novembre 2017, en faveur d'une telle mesure, la directrice de l'institut, par une décision du 24 novembre 2017, a prononcé l'exclusion de l'intéressé pour inaptitudes théoriques et pratiques au cours de la scolarité.

• Nature de la mesure. La décision par laquelle le directeur d'un institut de formation paramédical met fin à la scolarité d'un étudiant en raison de ses insuffisances théoriques ou pratiques ne constitue pas une sanction. Cette décision n'est pas au nombre des décisions dont le code des relations entre le public et l'administration ou un texte particulier imposeraient la motivation. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige dresse, dans ses motifs, la liste précise et détaillée des différents faits reprochés. Elle se réfère à l'article 37 de l'arrêté du 22 octobre 2005, relatif à la formation conduisant au diplôme d'Etat d'aide-soignant, et précise les conditions dans lesquelles s'est déroulée la réunion du conseil technique du 21 novembre 2017 et le sens de l'avis qui en est résulté. Ainsi, l'autorité administrative ne s'est pas contentée d'une motivation par référence, mais a pris soin d'énoncer les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Dans ces conditions, elle n'était pas tenue d'incorporer ou d'annexer à sa décision l'avis du conseil technique du 21 novembre 2017. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

• Bienfondé de la mesure. Aux termes de l'article 37 de l'arrêté du 22 octobre 2005 relatif à la formation conduisant au diplôme d'Etat d'aide-soignant : « Le directeur de l'institut de formation peut prononcer, après avis du conseil technique, l'exclusion d'un élève pour inaptitudes théoriques ou pratiques au cours de la scolarité. Le directeur doit saisir les membres du conseil technique au moins quinze jours avant la réunion de celui-ci en communiquant à chaque membre un rapport motivé et le dossier scolaire de l'élève. Les cas d'élèves en difficulté sont soumis au conseil technique par le directeur. Le conseil peut proposer un soutien particulier susceptible de lever les difficultés sans allongement de la formation ».

L'étudiant, eu égard à ses résultats, a été ajourné en juillet 2017 à l'issue de sa première année de formation et il a été contraint de redoubler son année. La direction de l'institut lui reproche des inaptitudes théoriques et pratiques dans l'exercice de la profession d'aide-soignant. Elle relève en particulier, lors des stages effectués au cours de l'année 2016-2017, un manque de connaissances, de raisonnement et de discernement, ainsi que des difficultés de compréhension et d'analyse des situations de soins, qui sont préjudiciables à la sécurité des patients. Il résulte enfin du rapport du 30 octobre 2017, établi par la cadre de santé à propos du stage effectué par l'étudiant lors de son année de redoublement et après dix mois de formation, que l'intéressé a, dès les premiers jours, multiplié des comportements non professionnels et inappropriés, caractérisés par une mise en danger des patients, une insuffisance dans la connaissance des techniques de soins, une communication inadaptée avec une patiente, une précipitation constante entraînant une absence d'implication et d'aboutissement des soins, des difficultés de compréhension et d'assimilation des pathologies et du vocabulaire médical commun et un manque de concentration.

Ces difficultés ont persisté malgré la fixation de nouveaux objectifs et l'instauration d'un suivi spécifique, conduisant la cadre de santé à interdire, au milieu du stage, à l'étudiant tout contact avec les patients et leurs familles. Les faits sont donc établis.

L'étudiant fait valoir qu'il a obtenu aux épreuves d'admission une note générale de 19,5/20, qu'il s'est endetté pour payer ses frais de scolarité et qu'il aurait certainement validé l'ensemble des modules et des compétences s'il avait pu suivre sa formation jusqu'au bout. Toutefois, la directrice de l'institut de formation n'a pas commis, eu égard à la  gravité des faits qui lui sont reprochés, d'erreur manifeste d'appréciation en prononçant à son encontre une mesure d'exclusion pour inaptitude.

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