Retour d'expérience - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Qualité & Gestion des risques

Dossier

Anne Robert  

Le débriefing est perçu comme un outil incontournable de prévention des risques psychosociaux pour les professionnels confrontés à des évènements graves et exceptionnels dans leur pratique. Si cette pratique comporte des écueils, elle présente aussi de réels bénéfices tant dans la prévention des risques psychosociaux que sur le plan managérial. Cadre de Santé intervenant sur des groupes de débriefing professionnel, j'ai eu l'occasion de rencontrer des équipes vivant un évènement grave indésirable, ou un contexte anxiogène et exigeant dans le cadre de pandémie par Covid-19. Cette nouvelle pratique a été l'opportunité de réfléchir sur la pratique du débriefing, la façon dont les groupes étaient menés, et notamment les difficultés rencontrées.

En effet, cet exercice demande une certaine préparation en amont, une information claire des équipes et des attentes relatives au groupe, afin de garantir aussi bien la participation des professionnels que la sécurité du déroulement de l'activité pour l'ensemble des intervenants. En tant que professionnels de santé mentale, il nous parait aussi important de clarifier les objectifs de ce groupe, et surtout de ne pas « psychiatriser » des réactions humaines adaptées face à un climat professionnel plus complexe qu'habituellement, ou un évènement grave et imprévu.

Une fois ces risques écartés, offrir la possibilité de débriefer lors de situations difficiles comporte de nombreux bénéfices. Si la prévention des risques psychosociaux est bien sûr au premier plan, cette pratique présente aussi un intérêt pour les cadres de proximité. La dynamique du groupe, sur laquelle s'appuient les animateurs du débriefing, va en effet mettre en valeur les capacités d'adaptation des professionnels, leur solidarité et leur créativité face à des situations de travail exigeantes. Demander aux participants du groupe de raconter collectivement une situation ou un contexte inédit voire dramatique leur permet de cheminer sur leur vécu, tant individuel que collectif. Le bénéfice attendu est alors non seulement de prévenir chez les professionnels la survenue d'une détresse psychique liée à la situation, mais aussi d'enrichir individuellement et collectivement leur pratique.

Un contexte particulier

Le contexte de covid-19 a mis en avant une préoccupation importante des établissements de santé sur la répercussion de situations intenses, exceptionnelles et graves sur le bien être psychique des professionnels de santé. Ces préoccupations ne sont toutefois pas inédites, puisque les encadrements sollicitent régulièrement des intervenants pour mener des débriefings dans des contextes plus singuliers d'évènements indésirables graves (décès imprévu ou violent d'un patient, ou même d'un membre d'une équipe).

La notion de débriefing a depuis longtemps été intégrée dans le vocabulaire courant, et est très souvent le terme employé pour nommer un dispositif d'écoute des professionnels de santé confrontés à une situation potentiellement stressante ou génératrice de détresse. Toutefois, sa forte connotation actuelle en lien avec le psychotrauma interroge, et il parait intéressant de s'attarder tout d'abord sur les enjeux autour de cette appellation. Ensuite, nous reviendrons sur les écueils potentiels, mais aussi les apports et bienfaits de ce type de pratique.

Qu'est-ce que le débriefing ?

Initialement réservé aux militaires (1), le débriefing décrivait les échanges qu'avaient les gradés avec les soldats au plus près des champs de bataille, dans l'objectif de permettre aux soldats exposés à des situations particulièrement dramatiques et violentes de retourner très rapidement au combat. Cette technique est d'ailleurs toujours utilisée par les pompiers et les militaires, dans une démarche d'analyse et d'amélioration des pratiques professionnelles.

La notion de débriefing s'est diffusée à partir du moment où l'on a commencé à identifier que le psychotraumatisme pouvait exister en dehors du contexte de guerre, chez les civils, que cela soit lié à des évènements répétés (maltraitances physiques et psychiques dans l'enfance notamment) ou isolés (accident, attentat...) (2).

A fortiori dans ce dernier contexte, s'est imposée la nécessité de proposer aux victimes un débriefing très rapidement après l'évènement afin de limiter l'émergence de syndromes de stress post traumatique, bien que le débriefing systématique fasse l'objet d'une controverse scientifique (3).

Donc, parler de débriefing n'est pas neutre, et positionne de suite l'intervention auprès de l'équipe dans le champ de la santé mentale et de la prévention des troubles psychiques.

Cette attention plus importante sur le retentissement psychique de situations potentiellement traumatogènes concerne également les responsables d'établissements hospitaliers qui souhaitent proposer aux équipes confrontées à un évènement difficile un espace de parole. L'objectif est alors de limiter les effets négatifs de cet évènement sur la santé psychique des professionnels qui y ont été confrontés, tant à l'échelle individuelle que collective.

C'est lors de ce type de contexte que nous avons pratiqué le débriefing de professionnels, le plus souvent soignants, en développant progressivement une méthodologie basée sur notre expérience.

Comment se déroule un débriefing ?

Des professionnels du service, expérimentés pour ce type de pratique, interviennent en binôme (idéalement un(e) médecin et un(e) professionnel(le) paramédical(e)), sur demande de l'encadrement du service, le plus souvent suite à un évènement indésirable grave unique.

L'émergence de la Covid-19 a amené une nouvelle pratique pour laquelle les demandes sont liées au contexte anxiogène de la pandémie ou aux nouvelles organisations de travail qui en ont découlé, et non pas à propos d'évènements isolés.

Idéalement, les débriefings ont lieu de façon collective, car les évènements à l'origine de la demande concernent majoritairement des équipes entières. Lorsqu'une seule personne a été exposée, sa prise en charge se déroule individuellement, dans un autre type d'organisation.

L'équipe est informée de la mise en place du groupe, mais personne n'est obligé de venir. Un cadre est brièvement posé en début de groupe, les animateurs insistent sur la confidentialité de son contenu et la nécessaire bienveillance de tous lors des prises de paroles. Les participants sont ensuite invités à évoquer la situation à tour de rôle, en faisant un tour de table, afin que chacun ait l'opportunité de prendre la parole. Les intervenants ne prennent la parole que pour relancer la discussion, rebondir sur certains propos ou modérer le débat si nécessaire. Ils peuvent aussi être amenés à donner des informations sur les perturbations psychologiques « normales » après une situation choquante (troubles du sommeil, anxiété, pensées fréquentes en lien avec la situation...). L'objectif est ainsi de rassurer les professionnels qui s'inquièteraient d'un retentissement sur la santé mentale, et aussi d'insister sur les capacités de résilience de chacun. En effet, s'il est important de recevoir les difficultés vécues par les professionnels dans le contexte d'exercice, mettre en évidence les ressources dont ils disposent pour surmonter cette situation, la « digérer », nous parait plutôt protecteur. Les intervenants invitent par ailleurs les professionnels à recontacter le service si ces manifestations perdurent trop longtemps ou sont trop envahissantes. Toutefois, l'expérience nous a montré qu'il y a rarement besoin de rencontrer à nouveau les personnes ayant participé à un groupe.

Néanmoins, au-delà de cet aspect satisfaisant de la pratique de débriefing, l'équipe a pu rencontrer des difficultés, tant dans l'animation de groupe que du nombre ou de l'absence de participants.

Écueils rencontrés lors de l'animation de débriefings

Tout d'abord, il est arrivé que les professionnels de psychiatrie se déplacent pour ne finalement avoir aucun participant. En fonction des situations, plusieurs hypothèses explicatives nous sont apparues :

• Il arrive parfois que les professionnels ne viennent pas tout simplement parce qu'ils estiment ne pas avoir besoin de cet espace. Il existe parfois un décalage entre le niveau d'anxiété et de détresse des professionnels et le ressenti des encadrants, qui sont très préoccupés pour leur équipe, alors que celle-ci fonctionne au final plutôt bien ;

• Il arrive aussi que les professionnels soient rebutés par l'aspect soutien psychologique, et se sentent remis en question dans leur « solidité » et leur professionnalisme. Cela peut être particulièrement vrai pour les professionnels contractuels ou nouvellement diplômés, qui peuvent avoir l'impression qu'ils doivent faire leurs preuves et que leur participation pourrait être perçue comme un signe de fragilité ;

• Enfin, il est arrivé que les professionnels refusent de venir au groupe afin de marquer leur désaccord vis-à-vis de l'institution.

Il est donc important de bien poser initialement les objectifs de ce type de groupe, notamment en insistant sur la confidentialité au sein du groupe, son ambition d'évoquer les pratiques professionnelles, et de permettre à chacun de parler en toute liberté de son vécu de la situation, de ce qui a bien fonctionné, ou non. Ce temps ne peut donc pas être utilisé pour rédiger un rapport circonstancié ou pour évaluer les pratiques professionnelles des agents.

Un écueil possible du débriefing professionnel est aussi de donner l'impression que les manifestations émotionnelles physiologiques et adaptées (sensation de fatigue, charge mentale en lien avec le travail...) en cas de situation stressante sont pathologiques. Autrement dit, de transformer en potentiels malades des professionnels confrontés dans leur activité à un évènement certes exceptionnel, complexe, voire tragique, mais possible au regard de leur activité. La première démarche des intervenants est d'ailleurs de resituer leur démarche dans le domaine du retour d'expérience et non pas de la psychiatrie. Les animateurs doivent aussi régulièrement valider le ressenti des professionnels, insister sur le caractère adapté et naturel de certaines manifestations (troubles du sommeil, pensées nombreuses en lien avec la situation...), dans la mesure où elles ne sont ni trop installées dans le temps, ni trop intrusives. Le débriefing est en effet un moyen d'informer les professionnels sur les répercussions psychologiques habituelles et normales, sans induire chez eux l'idée qu'ils sont traumatisés, au sens médical du terme, ce qui est très rarement le cas.

Ainsi, on ne peut pas improviser un groupe de débriefing professionnel sans avoir un minimum posé les objectifs et le cadre de son déroulement. Le cadre va aussi bien garantir la présence des participants que le bon déroulement et la sécurité des échanges. Une présentation succincte des règles de fonctionnement et une vigilance des animateurs sur la distribution de la parole et de la bienveillance de leurs propos suffisent la plupart du temps. Le groupe peut alors avoir de nombreux intérêts tant pour chaque professionnel que pour l'équipe collectivement.

Les bénéfices attendus suite à un groupe de débriefing

En effet, lorsque le groupe fonctionne dans un climat favorable, les participants en font souvent un retour très positif.

D'un point de vue individuel, le débriefing offre un espace de parole nécessaire pour évoquer des situations que le respect du secret professionnel empêche le professionnel de mentionner en dehors du contexte de l'hôpital. Les prises de parole peuvent par ailleurs être particulièrement valorisantes pour les professionnels, qui peuvent ainsi mettre en mots la complexité de leur activité, leur niveau d'expertise, et être reconnus pour cela par les autres participants du groupe, c'est-à-dire leurs pairs et parfois leurs responsables hiérarchiques, selon les contextes.

Du point de vue de l'analyse des pratiques : le fait de convier les encadrants peut être très intéressant dans la dynamique d'analyse des pratiques professionnelles, et cela peut leur donner l'opportunité de valoriser leurs équipes, de leur témoigner de la reconnaissance, mais aussi d'apporter un éclairage complémentaire sur la situation. Un intérêt direct pour l'encadrant : la position d'encadrant ne protégeant pas de ce type d'évènement, cela peut permettre aux responsables d'exposer leurs propres difficultés et contraintes. Toutefois, cela peut se discuter en fonction des situations, ou s'il y a des difficultés majeures entre l'encadrement et l'équipe, afin d'éviter que le groupe ne devienne un espace de règlements de comptes. Selon la situation, il peut aussi être pertinent de proposer aux différents cadres, si plusieurs services sont concernés, un temps d'échanges qui leur sera spécifiquement dédié, soit pour débriefer de leur vécu, soit pour réfléchir collectivement sur leur pratique de management dans un contexte spécifique.

Un soutien collectif : si la situation a généré une forte charge émotionnelle, comme cela peut être le cas par exemple lors d'un décès accidentel ou violent d'un patient, le groupe, s'il est assez sécurisant, représente un espace où le professionnel va pouvoir « lâcher » son vécu. Il pourra ainsi bénéficier du soutien de ses collègues. Ils vont pouvoir le rassurer s'il existe un sentiment de culpabilité, partager des expériences vécues précédemment, voire, des pratiques, des « trucs » qui peuvent être utiles dans des situations similaires.

Des ressources individuelles et collectives : cette notion du partage d'expériences permet aussi d'identifier les ressources, tant individuelles que collectives, ce qui peut amener le groupe non seulement à verbaliser les difficultés et les émotions pénibles liées à une situation (stress, tristesse, choc...) mais aussi à identifier ce qui a fonctionné et a été aidant. Mettre en valeur ce qui a été constructif et positif dans une situation professionnelle exceptionnelle et grave permet à l'équipe de prendre du recul par rapport à celle-ci, sans nier les difficultés rencontrées. Elle permet aussi aux professionnels d'avoir des regards complémentaires sur la situation vécue, de partager des informations qui leur permettent d'interpréter certains éléments différemment, voire même de redonner du sens individuellement et collectivement à la situation. Cela est particulièrement vrai pour les situations qui ont duré « longtemps » (dès plusieurs heures) et qui ont impliqué un grand nombre d'acteurs qui n'ont pas été présents du début à la fin de l'évènement.

Cette notion de fil chronologique va permettre l'élaboration d'une histoire collective de l'évènement, où chaque intervenant peut mieux comprendre le déroulement de la situation, voire revenir sur une perception erronée ou incomplète de la prise en charge. Cette continuité du récit est importante à l'échelle individuelle car elle évite de laisser le soignant avec des bribes parfois marquantes voire horribles de l'évènement. Cela contribue aussi à la dynamique de l'équipe, permettant aux soignants d'intégrer cet évènement dans l'histoire collective du service.

Dans l'idée de favoriser ce processus de métabolisation de l'évènement, il est très intéressant de demander aux participants d'évoquer ce qu'ils retirent de cet évènement. Toutefois, cette réflexion ne peut être proposée qu'en cas de débriefing à distance, car il est nécessaire que les soignants aient déjà pu prendre un peu de recul sur la situation. Interroger les apprentissages liés à l'évènement indésirable peut resituer celui-ci comme un fait marquant d'une carrière, certes choquant ou dramatique, mais qui fera partie du parcours professionnel du soignant. L'objectif est d'éviter que le soignant ou l'équipe ne se focalisent sur cet évènement difficile, et de leur proposer de repérer les apports professionnels de cette situation afin de leur permettre d'aller de l'avant dans leur pratique.

Un moyen de donner du sens au travail

Pour conclure, la pratique du débriefing a un réel intérêt dans la prévention des risques psychosociaux et l'accompagnement des équipes. Toutefois, elle doit être proposée avec discernement, et en posant clairement les objectifs du groupe. La rigueur du cadre posé garantit la participation et l'implication des professionnels, ainsi que la sécurité de son déroulement pour tous. Tel que nous le pratiquons, le débriefing concilie une démarche de prévention primaire des risques psycho-sociaux et d'analyse des pratiques. Il permet au collectif de travail de raconter à plusieurs un évènement significatif dans la vie professionnelle des individus et de l'équipe, et donc de pouvoir l'intégrer dans l'histoire du service. Parler ensemble de la situation, pouvoir confronter les points de vue et les façons de faire de chacun, c'est aussi l'occasion de remettre du sens dans le travail, dans la façon dont les choses se sont passées.

Ces questions de sens au travail, de valorisation du développement professionnel individuel et collectif des membres d'une équipe sont indispensables à la qualité de vie au travail. Il parait donc dommage de limiter l'abord de ces thématiques au cadre d'un groupe de parole ponctuel, et souvent exceptionnel dans la vie d'un service.

Comment davantage installer ces thèmes dans la vie quotidienne des unités ? Comment, en tant que managers, pourrons-nous intégrer cette pratique du débriefing dans une démarche d'amélioration des pratiques et de la dynamique d'équipe ? Ils représentent en effet des leviers managériaux précieux dans la pratique de l'encadrement de proximité, et le défi pour les cadres de santé est de les intégrer dans leur pratique habituelle.

(1) Mitchell, J.T., History, status and future of CISD, journal of emergency medical services, 1988, no 13, p. 49-52.

(2) Crocq Louis, Histoire du débriefing, Société française de psychologie, 2004.

(3) Deahl Martin, Psychological debriefing: controversy and challenge, Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 2000, no 34, p. 929-939.