Soins palliatifs et prise en charge de patients atteints de COVID - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Éthique

Christelle Burnouf  

La crise sanitaire engendrée par la pandémie de COVID 19 a demandé aux établissements de santé une adaptation certaine. D'un établissement de santé ayant pour vocation première de prendre en soins des patients en soins palliatifs, le GHC (Groupe Hospitalier « Les Cheminots ») est devenu pendant l'état d'urgence sanitaire un établissement accueillant des patients atteints de COVID19. Esprit d'équipe et entraide malgré la peur de l'inconnu, adaptabilité, stratégie de coping, souci de l'autre, usage des TIC et reconnaissance ont permis de vivre le mieux possible cette expérience inédite.

Le GHC, ESPIC situé en Essonne, comporte deux sites dans deux villes : Draveil et Ris-Orangis. C'est une structure ayant pour vocation les soins de suite et de réadaptation, locomoteurs, gériatriques, cancérologiques et palliatifs. A l'aube de la crise sanitaire induite par la pandémie de COVID19, les équipes de Ris-Orangis pensaient et écrivaient leur projet : ouvrir une unité de soins palliatifs dans l'année à venir. Face à l'urgence sanitaire, cet hôpital a dû adapter sa prise en charge et repenser son offre de soins afin de répondre aux besoins des patients. Les équipes médicales, paramédicales, administratives et logistiques ont ainsi dû s'unir et s'entraider pour réaliser ce défi.

S'unir face à l'inconnu

COVID 19 : une maladie encore mal connue en France en mars 2020, qui suscite une peur certaine. « La peur de l'inconnu », a été décrite pour la première fois en 1944 par le philosophe allemand Kurt Riezler (1), comme une peur spécifique s'emparant des individus en temps de crise. Il est alors nécessaire de faire verbaliser les membres de l'équipe, afin qu'ils puissent mettre des mots sur les maux que sont la peur et l'angoisse. Tel est le rôle des cadres de santé, qui plus que jamais sont à l'écoute de ces craintes légitimes. Dans une posture d'écoute, accueillir les propos permet alors de se sentir soutenu et compris. Avoir l'humilité d'avouer qu'on ne sait pas ce qui va se passer, mais affronter avec force et détermination cet inconnu ensemble, telle devient alors la force de l'équipe unie face à ce virus méconnu.

Sous l'impulsion positive et le dynamisme du chef de service cancérologie/soins palliatifs, les soignants n'ont pas hésité à se porter volontaires auprès de l'ARS pour accueillir et prendre en charge des patients atteints de COVID19 au sein du groupe hospitalier.

Participer ensemble à la création d'une unité COVID

Accompagner en fin de vie

Le service accueille tout d'abord des patients en soins palliatifs atteints de COVID19. La prise en soins palliative est depuis de nombreuses années le quotidien de l'équipe. Mais, très vite, il faut s'adapter au confinement imposé par la pandémie et aux protocoles d'isolement spécifiques du patient atteint de COVID19 en fin de vie. Les visites des familles sont autorisées mais restreintes, les intervenants extérieurs tels musicothérapeute, arthérapeute ou bénévole ne peuvent plus intervenir auprès du patient en fin de vie. La sédation profonde et continue est proposée, prescrite et administrée au patient en fin de vie et en détresse respiratoire aigüe, selon les principes de la Loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016.

Le risque de tension d'approvisionnement en Midazolam® est l'angoisse permanente des équipes, comme le moment de refermer la housse en post-mortem et de partager la peine des familles qui ne pourront assister aux obsèques de leur proche qu'en comité très restreint. Masques, tabliers et matériel de protection sont en pénurie nationale.

Faire preuve d'adaptabilité

Certains membres de l'équipe sont contaminés, et doivent s'arrêter temporairement de travailler. Très vite, un esprit d'entraide et de solidarité se met en place. Des étudiants en soins infirmiers proposent leur aide en tant que vacataires aides-soignants. Des infirmiers retraités viennent renforcer l'équipe. Les rééducateurs se transforment ponctuellement en hôte d'accueil ou agent de service hospitalier, cadres de santé et médecins aident aux soins de nursing. Des patients atteints de COVID19 non éligibles à la réanimation sont transférés des hôpitaux parisiens dans la structure.

Et, belle surprise, beaucoup d'entre eux franchissent le cap délicat du virus, revenant alors à une possibilité d'aller mieux, sans bien sûr guérir de leur pathologie initiale ayant motivé leur transfert au sein du service. Puis, petit à petit, afin d'aider et de désengorger les hôpitaux voisins, le service ouvre des lits de médecine afin de prendre en soins des patients atteints du virus, sans pour autant être en soins palliatifs. Les membres de l'équipe font alors preuve d'une adaptabilité à toute épreuve, repensant leur mode de fonctionnement, s'adaptant au turn-over intense loin de l'ambiance d'un service de soins palliatifs. Les émotions sont présentes, chacun y fait face pour s'ajuster à cette situation exceptionnelle et difficile, mettant en place une stratégie de coping décrite par Richard Lazarus et Susan Folkman (2). Les émotions sont accueillies et ont toute leur place lors de moments informels.

J'exerce depuis cinq ans en tant qu'infirmière, et jamais je n'aurai imaginé un tel évènement, une telle prise en soins des patients. Ce qui m'a le plus marquée, et dont je me souviendrai toujours, c'est surtout l'élan de générosité et de solidarité durant cette période.

Hanane LABED, infirmière

Aide-soignante à l'aube de la retraite... Commencer avec le SIDA... Finir avec le corona. Le COVID 19 est arrivé tellement vite que je n'ai pas eu le temps de réfléchir. Ce que je retiens, c'est la cohésion d'équipe. Manque de blouse ? Et bien, une solution est trouvée pour y pallier. Tout à chacun, nous avons été de l'avant, même lorsque certains collègues étaient atteints, passant outre la peur, nous avancions. Cette peur, présente sur le trajet avant d'arriver au travail, effacée une fois en poste car chacun sait ce qu'il y a à faire, courageusement. Après 42 ans de service, je n'avais jamais connu cette cohésion. Merci à toutes et à tous.

Catherine SEUTIN, aide-soignante

Le courage, le dévouement de l'équipe soignante auprès de laquelle j'ai traversé cette période de crise furent bouleversants et riches en émotions.

Aline ARNAUD, Infirmière, ESI pendant la crise sanitaire

Avoir le souci de l'autre

Le Souci de l'autre (3) est présent à chaque instant. Chaque collaborateur du GHC, quel que soit son métier, est là dans un seul et même but : prendre soin des patients, quel que soit le contexte. Prendre soin plus que jamais pendant cette crise sanitaire.

Prendre soin, « cette attention particulière que l'on va porter à une personne vivant une situation particulière en vue de lui venir en aide, de contribuer à son bien-être, de promouvoir sa santé (4) ».

Prendre aussi soin les uns des autres, en prenant des nouvelles des collègues malades, en accordant des temps de répit. Les rééducateurs proposent aux paramédicaux en première ligne des instants de détente, où toucher-massage® (5) et séances de relaxation sont réalisées, leur permettant de retrouver de l'énergie pour retourner auprès des patients dans ce contexte de crise si compliqué. La relaxation par casque de réalité virtuelle est elle aussi proposée aux soignants pour quelques minutes d'évasion et leur permettre de repartir du bon pied, batteries rechargées.

Utiliser les TIC pour ne pas perdre le contact

Prendre soin les uns des autres passe aussi par la création de groupes What's App, permettant d'envoyer à tous les membres de l'équipe des messages de soutien, d'immortaliser par des post les jugements de beauté et d'utilité portés sur le travail de l'équipe en tant de crise. Les technologies de l'information et de la communication (TIC) deviennent un atout en temps de crise, et permettent aux deux sites du GHC de se réunir quotidiennement en visioconférence lors de la cellule de crise. Les familles confinées peuvent elles aussi bénéficier de la « visio » pour contacter leur proche hospitalisé, via l'écran du patient en chambre, ce qui réchauffe leur cœur le temps d'une conversation.

Savoir accueillir les dons précieux

Au front, de nombreux dons remontent le moral des troupes. Les voisins de la rue offrent quotidiennement confiseries et desserts aux équipes, des restaurateurs offrent des repas aux soignants, des enfants font parvenir des dessins de soutien aux patients et aux soignants. Tant de petits bonheurs précieux dans un temps difficile et perturbé. Le président de l'association du GHC sollicite de nombreuses enseignes, qui offrent alors aux soignants du matériel de protection (poncho imperméables, masques, tabliers...). Les familles et connaissances de soignants eux aussi sont solidaires, par le don de visières ou de blouses de protection.

Bénéficier d'une reconnaissance hiérarchique, moteur de l'entraide au cœur de la crise

La direction du GHC est solidaire du personnel soignant dès le début de la crise. Des SMS exprimant reconnaissance et gratitude sont envoyés. Viennoiseries et repas sont offerts chaque jour à chaque collaborateur pendant la période de confinement. Directeur, directrice des ressources humaines, directrice de soins et président d'association sont accessibles, présents auprès des équipes qui sont félicitées pour leur travail auprès des patients. Autant de reconnaissance qui est vecteur de motivation malgré le contexte inédit et difficile, et qui renforce entraide et cohésion au sein de l'équipe fédérée autour de valeurs communes : prendre soin et humanisme.

Conclusion

Esprit d'équipe, entraide, adaptabilité, stratégie de coping, souci de l'autre, usage des TIC et enjeux de la reconnaissance ont permis aux équipes de mieux appréhender et vivre un changement important et imprévu dans un contexte inédit. D'une peur initiale de l'inconnu, l'union des personnels soignants, puisant dans leurs ressources les plus profondes et dans le sens de leur mission, ont su sortir grandis de cette expérience par le chemin de la résilience.

(1) Riezler K., « The social psychology of fear », The American Journal of Sociology, 1944, no 49, 6, p. 489-498.

(2) Lazarus R., Folkman S. Stress, appraisal and coping. New York: Springer Publishing Compagny, 1984.

(3) De Hennezel M., Le Souci de l'autre. Paris : Pocket, 2005.

(4) Hesbeen W. Prendre soin à l'hôpital : inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante. Paris : Inter Éditions, Masson, 1997, p. 9

(5) Savatokski J., Le toucher-massage®. Paris : Lamarre, 2016.