Objectif Soins n° 277 du 01/10/2020

 

Actualités

Anne Lise Favier  

Ségur de la Santé

Né pendant l'été, le collectif Santé en danger, mené par le Dr Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur en ESPIC (1), exige l'ouverture d'un Ségur 2. Il fédère tous les professionnels du domaine de la santé déçus du Ségur.

Le Collectif Santé en Danger (SED) part d'une initiative personnelle qui a pris de l'ampleur par l'effet des réseaux sociaux. « Pendant la crise sanitaire, j'étais un peu interpelé par le discours très paternaliste des politiques : moi qui suis apolitique et non syndiqué, je ne comprenais pas très bien où ils veulent en venir. Et puis j'ai mis le doigt sur ce qui me mettait mal à l'aise, c'était l'infantilisation de la population. Cela sonnait faux en moi et je n'ai pas supporté », explique le Dr Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) à l'origine du collectif. Il se désole du rapport de force qui s'est établi entre les Français et les autorités, rappelant l'épisode sur le manque de masques. Puis arrive le Ségur, qu'il voit comme une formidable opportunité de remettre à plat les choses : « il ne pouvait pas arriver à un meilleur moment, d'autant qu'au début, ce qui était annoncé me plaisait, mais la fin de l'histoire a montré que les gros syndicats ont quitté les négociations et que les autres ont signé ce que j'appelle une mascarade », s'emporte l'anesthésiste-réanimateur.

Coup de gueule viral

La colère monte alors et il décide d'écrire un message personnel et très vindicatif sur Facebook pour notifier son immense déception, message qui devient viral tant il fait sens auprès d'autres soignants déçus du Ségur : « je me suis vite retrouvé destinataire du malheur des soignants, surtout des paramédicaux », explique-t-il. Son épouse lui souffle l'idée de créer un collectif, à l'image de ceux qui existent déjà pour les hôpitaux ou les urgences et il crée le « Collectif Santé en danger » (2), qui fédère tous les soignants, ville hôpital, salarié ou libéral : « je me disais que j'allais signer moi-même le Ségur 2 », se persuade Arnaud Chiche qui s'entoure de 7 collègues et commence à tendre la main à toutes les professions et aux syndicats, surtout ceux qui ont quitté la table des négociations, « pour les autres, j'ai encore un peu de mal », reconnaît le médecin. Très vite, il réussit à avoir des contacts politiques, députés, sénateurs, mais ne parvient pas à atteindre sa cible, le ministre de la Santé, Olivier Véran, malgré des courriers auprès du Président de la République, du Premier Ministre et du ministre de la Santé : « le seul contact que j'ai eu, indirect, c'est la sénatrice Sabine Van Hegue qui a contacté Jean Castex qui lui aurait dit qu'il allait rentrer en contact avec moi  », déplore Arnaud Chiche, qui au moment de notre bouclage n'avait toujours pas réussi à décrocher un rendez-vous.

Dix fois plus de moyens

Puis, avec les remontées du terrain, il se rend compte que les pénuries de matériel continuent d'exister : manque de masques, de blouses, surtout pour les libéraux, sans compter les pénuries de médicaments, notamment les anticancéreux. Et les tests Covid, avec des délais ubuesques, sonnent le glas, pour lui d'un système de santé obsolète : « c'est devenu n'importe quoi ! ». Et même si le Ségur a débloqué des sommes importantes, « il aurait fallu mettre dix fois plus d'argent sur la table », estime-t-il. « Il faut un choc d'attractivité pour les établissements de santé, il faut un choc capacitaire, il faut booster le nombre de lits en réanimation et en hospitalisation, il faut faciliter le travail de ville, il faut un choc de fluidité, un choc de facilité, un choc d'attractivité pour les médecins, revoir les recrutements pour les paramédicaux, il faut un choc pour les Ehpad, pour nos aînés » déroule Arnaud Chiche. Pour lui, « ne pas investir dans la santé, c'est entretenir un climat de crise économique en créant une société de confinement et d'isolement », ce qu'il juge « lamentable ».

Pas la bonne méthode

Si on lui parle de la déprogrammation, Arnaud Chiche s'emporte : « la déprogrammation est entrée dans le langage courant, comme un moyen de pouvoir faire face à une crise sanitaire. Mais la déprogrammation, c'est pour récupérer des lits, du personnel pour venir en aide aux services de réanimation parce qu'on n'en a pas assez. Et donc, on ne va plus s'occuper des autres patients. La déprogrammation est en réalité un scandale. Je demande à la classe politique de se lever et j'attends des candidats à la future présidentielle qu'ils portent enfin la santé comme véritable priorité. Le Covid, ce n'est pas la faute du gouvernement, mais ça le deviendra s'ils ne font rien », s'agace l'anesthésiste-réanimateur qui pointe du doigt l'immense fatigue des soignants qui ont jusqu'alors fait face à la crise du mieux qu'ils pouvaient. Il juge sévèrement les mesures mises en place par le gouvernement, qui n'écoute pas suffisamment le Conseil scientifique, revient sur l'infantilisation et les mensonges et appelle de ses vœux un Ségur 2.

Revendications

Concrètement, il énumère : « Ouverture de milliers de lits, embauche de milliers de paramédicaux avec revenus à la hauteur de la moyenne de l'OCDE, valorisation du travail de nuit des médecins avec accélération de leur carrière, reconnaissance médicale des sages-femmes, fluidification, simplification de la médecine de ville - notamment simplification des charges administratives, le tout dans une logique de développement durable et d'éducation des usagers de la santé pour pérenniser sur le long terme un système de santé qui tient la route : on ne peut plus se permettre de demander l'avis de cinq médecins ou d'encombrer les urgences pour rien ». Désormais organisé avec un bureau national, des antennes régionales et départementales, le Collectif est devenu « une machine de guerre » de l'avis de son fondateur : « avec un référent par hôpital, nous sommes partout et je n'attends plus qu'un signal du gouvernement ». Et même si Arnaud Chiche s'avoue désabusé, il jure qu'il ne lâchera pas l'affaire et avancera, tel un brise-glace, jusqu'à ce qu'il atteigne son but, la reprise des négociations. Du côté du ministère de la Santé, le silence est la seule chose qui se fait entendre depuis que le ministre de la Santé ait annoncé à nos confrères du Quotidien du médecin que « la partie est terminée, il n'y aura pas de Ségur 2 » comme une fin de non-recevoir au Collectif.

(1) Depuis la loi HPST de 2009, les établissements privés à but non lucratifs sont devenus des établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC)

(2) Le site du Collectif : https://collectif-sed.org/