Objectif Soins n° 277 du 01/10/2020

 

Actualités

Anne Lise Favier  

Economie de la santé

De nombreux médicaments connaissent des tensions d'approvisionnement voire des pénuries ces dernières années. Celles-ci touchent aussi bien les vaccins, que les antibiotiques et les anticancéreux. Avec à la clé, une perte de chance pour le patient.

On pourrait incriminer la crise sanitaire provoquée par le SARS-CoV-2 mais elle n'est juste qu'un accélérateur d'un phénomène qui s'amplifie d'année en année : la pénurie de médicaments a quasiment atteint l'an dernier le chiffre de 1 500 médicaments (d'après l'ANSM). Entre 2008 et 2018, le nombre de signalements de tensions d'approvisionnement de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur a été multiplié par 20 avec une accélération notable ces deux dernières années, hors crise sanitaire. Cette dernière n'a été que le catalyseur de tensions lorsque les officines se sont mises à rationner le paracétamol et les pharmacies hospitalières à faire les fonds de tiroir pour collecter les traitements indispensables à la prise en charge des patients admis en réanimation. Aujourd'hui, c'est la Ligue contre le cancer qui s'alarme des pénuries qui touchent les anticancéreux et pointe du doigt les pertes de chance pour chaque patient qui en subit les conséquences : « parmi 500 professionnels interrogés, 45 % d'entre eux font le constat d'une détérioration de la survie à 5 ans de leurs patients qui sont victimes de pénuries ; ce chiffre s'élève à 68 % parmi les oncologues ».

Offre et demande

Des manques qui sont identifiés depuis plus de 10 ans et que le rapport de Jacques Biot, remis fin juin 2020 au Premier Ministre Edouard Philippe a clairement identifiés en tentant d'apporter des pistes d'amélioration. En premier lieu, ces pénuries proviennent de la délocalisation de la production : près de 40 % des médicaments commercialisés en Union Européenne proviennent de pays hors Union. Si l'un de ces pays connaît des problèmes de production (comme l'a par exemple connu la Chine avec l'arrivée de la crise sanitaire), par effet domino, le manque gagne l'Europe quelque temps plus tard. La pénurie médicamenteuse vient également de la demande mondiale, dont celle des pays émergents, provoquant un déséquilibre de l'offre et de la demande. Enfin, les pénuries sont occasionnées par les laboratoires : une fois qu'une molécule est tombée dans le domaine public, l'innovation casse le marché et ils peuvent choisir de ne plus produire un médicament qu'ils jugent peu rentable.

Propositions

Parmi les solutions proposées par le rapport Biot, la relocalisation d'usines en Europe dans le cadre d'un actionnariat semi-public et la mise en place d'une cartographie automatique et en temps réel des étapes de production de la totalité des spécialités commercialisées pour anticiper d'éventuelles tensions.

Des propositions qui n'ont pas satisfait France Assos Santé, l'union des usagers du système de santé, qui fustige l'accumulation de textes et l'absence toujours criante des médicaments : « le 27 mai, une proposition de loi visant à créer un pôle public du médicament a été vidée de sa substance lors des discussions en Commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale. Cette proposition prévoyait notamment d'assurer une production publique de médicaments et l'alimentation d'une réserve stratégique de médicaments essentiels », s'émeut le collectif associatif. Pourtant l'urgence est de mise, plus de la moitié des médicaments en rupture concernent les anti-infectieux (vaccins et antibiotiques), les médicaments du système nerveux (anti-parkinsoniens et anti-épileptiques) et les anti-cancéreux, selon Les entreprises du médicaments (Leem), qui fédèrent les industriels du secteur.

Relocalisation ?

Pour rétablir une souveraineté en la matière, un premier pas a été franchi avec le paracétamol, fabriqué en Asie et dont la relocalisation permettrait de s'affranchir de manques éventuels, avec un surcoût d'environ 20 %. La fabrication de cette molécule, contenue dans de nombreux médicaments, pourrait revenir sur le sol français d'ici 2023 : un marché qui concerne près d'un milliard d'euros car le paracétamol figure en bonne place parmi les médicaments les plus vendus.

Mesure symbolique ou premier pas vers un retour de l'industrie pharmaceutique sur le territoire français ? La question en amène d'autres, avec notamment le pourquoi de la délocalisation : c'est notamment le coût et la pollution associée à ces industries qui a conduit les usines françaises à ne plus produire. Un casse-tête qui risque de donner mal à la tête à ceux qui veulent le résoudre.