Ils exercent en Suisse, en Belgique, au Luxembourg ou ont une longue expérience aux États-Unis. Les quatre confrères que nous avons interrogés témoignent de la représentativité des cadres de santé au sein de leur système de santé respectif. Selon l'organisation des établissements de soins, les différents types de cadres qui coexistent, le rôle accordé aux personnels paramédicaux dans les décisions organisationnelles voire médicales, ils nous décrivent des situations propres à chaque pays. Des témoignages personnels et inspirants, qui peuvent nous aider à prendre du recul sur la place des cadres de santé dans le système français et la représentativité vers laquelle nous aimerions tendre.
« En Belgique, la structuration des soins est formellement inscrite dans la loi sur les hôpitaux, par arrêté royal. Celle-ci comprend le chef de département infirmier (équivalent du directeur de soins infirmiers en France) et le cadre intermédiaire (qui correspond au cadre supérieur de santé en France), deux statuts qui requièrent un niveau Master 2. L'infirmier en chef est quant à lui responsable de l'organisation, de la continuité et de la qualité de l'activité infirmière au sein de son équipe, qui lui est confiée par le chef du département infirmier. Il est diplômé d'un niveau Bac+3 et/ou d'un Master 2 pour disposer d'une formation complémentaire de cadre de santé.
Le chef de département infirmier et le médecin chef (équivalent au directeur médical en France) exercent dans des directions propres et autonomes chacun dans leur activité, mais ont une responsabilité conjointe, c'est-à-dire qu'ils ont obligation de se concerter pour les missions hospitalières que sont la qualité et la continuité des soins. Le chef de département infirmier a ainsi l'obligation de mettre à disposition le personnel de soins, en nombre et en compétences (compétences, titres, fonctions, normes). Au regard de la loi, les directions sont indépendantes l'une de l'autre mais dans les faits cela peut varier en fonction de l'organisation des hôpitaux.
Dans mon établissement par exemple, la Direction du département infirmier fait partie intégrante du conseil de direction et pèse pour une voix dans chaque décision de la direction générale. La manière de constituer les structures de gouvernance au sein de certains hôpitaux peut donner plus ou moins de poids aux chefs de département infirmier. Le pouvoir décisionnaire des représentants des infirmiers est donc variable.
Les responsabilités du chef de département infirmier sont multiples : il est responsable de la qualité des soins et de leur continuité, en concertation avec le médecin chef. Pour atteindre cet objectif, le responsable infirmier est libre d'un point de vue organisationnel, en matière de distribution des ressources, de normes quantitatives et qualitatives. Il a notamment l'obligation d'allouer un effectif minimal de personnels spécialisés dans certaines unités de soins (psychiatrie, soins intensifs, gériatrie, oncologie) pour respecter les normes. Le duo chef de département infirmier et médecin chef est vraiment essentiel au niveau du management car il définit les lignes stratégiques et impulse la bonne collaboration des acteurs sur le terrain permettant d'unifier les forces autour et à côté du patient.
En revanche, en Belgique aussi, le management infirmier souffre d'un manque de reconnaissance de son activité. Le fait que l'infirmier en chef fasse partie d'un point de vue normatif du « staff de base » y contribue, cela pénalise sa légitimité. Une autre difficulté tient au fait que l'arrêté royal définit la fonction d'infirmier en chef, alors que le respect de cette norme est aux mains des entités fédérées que sont les régions. De plus, ces cadres de santé sont peu représentés en tant que tels et peu structurés : ils sont membres d'associations professionnelles d'infirmiers, mais sans représentation spécifique de leur corps de métier. Bien entendu, les associations professionnelles participent à des commissions et des groupes d'avis qui peuvent influencer les prises de position de notre ministère fédéral, mais elles interviennent peu dans les décisions. Par exemple, concernant les négociations salariales, elles sont menées en commissions paritaires pour l'ensemble du secteur des soins entre syndicats, patrons et gouvernement, mais sans les associations professionnelles. La représentativité des cadres de santé est finalement noyée dans le secteur des soins en général.
Il existe encore un décalage entre la vision fédérale et l'idée que se fait le grand public de ces métiers, qui restent associés à l'idée de don de soi, de bénévolat, ce qui induit une notion de non-professionnalisation. La profession reste méconnue, elle est parfois identifiée comme un « petit chef » mais pas dans ses missions d'accompagnement, de coaching des équipes, de leadership. Toutefois, la crise sanitaire de la Covid, qui a fait la lumière sur le rôle essentiel du management infirmier, devrait contribuer à changer le regard porté sur cette profession. Au niveau politique, on assite à une véritable prise de conscience du rôle du mangement dans des crises comme celle-ci : sans structure managériale, le maintien de la stabilité dans le flux hospitalier ne serait pas possible. »
« Au sein du Grand-Duché de Luxembourg, l'évolution des missions et rôles des professions de santé, ainsi que la démographie de ces professions sont au cœur d'une large réflexion de santé publique. Fin 2018, le ministère de la Santé a commandé une vaste étude qui a abouti à la publication fin 2019 d'un « État des lieux des professions médicales et des professions de santé au Luxembourg » qui fait le point sur les besoins d'évolution de ces professions. Ce rapport « Marie-Lise Lair », du nom de son auteur, pointe notamment la nécessité de faire évoluer la formation au métier d'infirmier pour pallier le manque chronique de professionnels. Il y a encore 3 ans, un bac technique suffisait. Désormais, il faut un BTS pour pouvoir obtenir le diplôme et une réflexion est en cours pour former des infirmières en pratique avancée. De plus, un projet de création d'un bachelor en soins infirmiers au sein d'une école binationale franco-luxembourgeoise est en projet. L'enjeu est de permettre aux infirmiers de formation luxembourgeoise d'accéder à des formations complémentaires telles que des écoles de cadre ou des masters à l'étranger. C'est également une reconnaissance sociale de leur niveau de compétences à bac+3.
L'évolution de la formation des infirmiers est un élément très important de leur positionnement dans la société et de leur reconnaissance. Au Luxembourg, les professions de santé sont très autonomes les unes par rapport aux autres : les médecins sont reconnus en tant que tels, mais ils ne sont pas toujours conscients du rôle propre des autres professions de santé. De leur côté, les infirmiers ne sont pas toujours à l'aise dans la gestion de leur rôle propre, notamment parce qu'il ne correspond pas forcément à leur pratique sur le terrain, et parce qu'ils ne disposent pas suffisamment d'outils d'évaluation de leurs pratiques.
Les personnels soignants sont actifs dans deux grands secteurs : le secteur hospitalier, qui relève du ministère de la Santé et le secteur extrahospitalier, qui regroupe les services de soins ambulatoires, les établissements d'hébergement et les structures pour personnes handicapées, est placé sous tutelle du ministère de la Famille. Or la situation est paradoxale : alors que ce dernier secteur emploie le plus de personnes, l'offre de services de santé est bien moins représentée que les hôpitaux dans les décisions de l'État. Le monde de la santé non-hospitalier devrait être mieux considéré dans ses spécificités, mieux promu d'autant qu'il représente une demande de plus en plus importante dans notre société.
Un autre point marquant au Luxembourg tient à la forte proportion de professionnels de santé frontaliers. Du fait de cette situation, le Conseil supérieur des professions de santé est relativement peu connu par les professionnels, et on peut s'interroger sur le fait qu'ils s'intéressent suffisamment aux structures existantes pour faire valoir leurs droits et leurs devoirs. L'association nationale des infirmiers luxembourgeois (ANIL) par exemple est très orientée sur le personnel résidant.
Toutefois, il existe une réelle prise de conscience du besoin d'évolution de ces professions au plus haut niveau de l'État. Et la crise de la Covid a accéléré ce phénomène. Ainsi, en mai dernier, à l'occasion de la Journée internationale de la sage-femme (5 mai) et de la Journée internationale des infirmières (12 mai), le ministère luxembourgeois de la Santé et l'ANIL ont annoncé la nomination d'un infirmier en chef au sein du ministère. Ce haut fonctionnaire a pour mission de porter la voix des infirmiers et de mettre en œuvre une révision des attributions, des compétences et des formations initiales et complémentaires des professions de santé. C'est vraiment un acte fort.
En tant que Directeur des Soins du Centre de Réhabilitation du Château de Colpach, je suis membre du Comité de direction aux côtés d'un Directeur médical et d'un directeur Administratif et financier qui assure également la fonction de directeur général. Mon poids décisionnel est le même que celui de mes confrères : nous essayons de prendre les décisions de manière collégiale. Cela se fait naturellement : le Directeur des soins a le leadership au niveau de l'organisation des flux, car le personnel soignant est le seul à être présent 7 j/7 et 24 h/24. Si un médecin souhaite prendre le leadership sur une décision, je l'informe de l'impact que cela peut avoir sur l'organisation. Nous travaillons en concertation : par exemple je demande leur avis pour la nomination d'un cadre, et inversement on me consulte pour l'embauche d'un médecin. De même, en ce qui concerne les budgets relatifs aux matériels, aux soignants, aux médecins, ou les questions de ressources humaines, le directeur administratif nous sollicite pour procéder à un arbitrage en commun. Notre objectif partagé est de maintenir l'harmonie dans laquelle nous travaillons.
Sur le terrain, nous essayons de favoriser les relations interdisciplinaires pour tenir compte de l'avis du soignant, de l'organisation des soins. Tout est fait pour éviter la hiérarchisation, et il nous arrive parfois de rappeler que les médecins sont des collaborateurs comme les autres, avec la particularité et la responsabilité de prescrire. Le fait que les médecins soient salariés favorise cette organisation. »
« En Suisse, le terme de direction des soins infirmiers a laissé la place au XXIe siècle à la direction des soins. Le directeur des soins a en effet la particularité de couvrir des fonctions bien plus larges que les soins infirmiers, englobant les métiers paramédicaux tels que kinésithérapeute, ergothérapeute, diététicien. Cette organisation, qui prévaut dans les établissements suisses, peut toutefois varier d'un canton à l'autre. Au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) par exemple, le seul hôpital public du canton de Genève, près de 4 500 collaborateurs relèvent de la direction des soins, pour un établissement de 2 000 lits et 12 000 collaborateurs dont 1 900 médecins.
Les équipes de soins hospitaliers ou ambulatoires sont composées d'infirmières, d'infirmiers spécialisés qui ont une formation complémentaire les dotant d'une expertise dans un domaine bien défini (oncologie, soins des plaies...), d'aides-soignants, d'aides en soins et accompagnement et d'assistants en soins et santé communautaire. Elles sont encadrées par un cadre de proximité, responsable d'équipe. Ce sont des postes généralement pourvus par promotion interne. À l'issue d'un an à l'essai, le candidat est confirmé dans la fonction et suit une formation de niveau CAS (Certificate of Advanced Studies) ou DAS (Diploma of Advanced Studies) à la gestion d'équipe, de la qualité et des risques. Ces formations sont réalisées en cours d'emploi, les soignants sont donc libérés de leur activité professionnelle le temps de les mener à bien, ce qui favorise également la mobilité interne. Le rôle de ces cadres est de gérer les ressources au sein de l'unité de soins ou du secteur ambulatoire : planification, évaluation des compétences, formation continue, respect des critères de qualité et de sécurité...
Un autre niveau d'encadrement est constitué des cadres intermédiaires, également nommés par promotion interne. Ils peuvent être soit orientés management, et sont donc responsables d'un service qui peut être composé d'une ou plusieurs unités, soit positionnés sur des fonctions transversales liées à une expertise clinique. Dans ce cas, le cadre doit avoir une formation Master en sciences infirmières. Il intervient en soutien des équipes pour les conseiller et les aider à progresser dans leurs connaissances lors de prises en charge de soins très complexes (gestion des plaies, diabétologie, soins en oncologie, enseignement thérapeutique...)
Enfin, les cadres supérieurs, nommés en général par promotion interne et dotés d'un Master, sont les partenaires privilégiés du chef de département, un médecin, au sein de chaque comité de gestion des 10 départements médicaux qui composent les HUG. Le cadre supérieur gère les ressources humaines et matérielles et rapporte à la direction des soins. Il a un rôle très important en termes de maintien des prestations, de promotion de la formation continue, de la mise en œuvre des nouveaux programmes de soins.
Au niveau de la direction des HUG, le comité de direction est restreint à 8 membres. Avec le directeur médical, nous représentons les directions métiers, et ce binôme est un atout de notre institution. Nous partageons la même vision de la collaboration et du travail en interprofessionnalité.
En tant que directrice des soins, j'ai l'autorité en matière de soins dispensés par les différentes filières qui me sont rattachées, avec un droit de regard sur toutes les activités qui s'y déroulent, et la responsabilité de garantir la qualité et la sécurité des soins. Je veille à l'application des standards qualité définis conjointement, à l'utilisation optimale des ressources humaines, matérielles, financières, participe à la sélection des cadres intermédiaires et supérieurs. Mon rôle est aussi de développer des liens avec le réseau de soins extrahospitalier, les soins à domicile, la direction de la santé, les établissements pour personnes âgées afin de favoriser le maintien à domicile, éviter des hospitalisations et limiter les durées de séjour. Mon rôle est aussi de promouvoir la recherche, les formations professionnelles spécialisées (soins intensifs, réanimation, anesthésie), la formation continue pour augmenter le niveau d'expertise des équipes.
En Suisse, nous sommes plutôt gâtés : les cadres de santé sont bien rémunérés et reconnus dans leurs fonctions. La crise sanitaire de la Covid a mis encore plus en évidence le rôle de facilitateur du cadre de soins. Sur le canton de Genève, les HUG ayant été défini comme l'hôpital Covid, des activités ont été transférées sur les établissements privés afin de maintenir les opérations chirurgicales. Nous avons été très sollicités et nous avons eu l'occasion de montrer que nous sommes un chaînon incontournable entre la définition de la politique et de la stratégie sanitaire du canton, et la mise à disposition de ressources et d'expertises de manière proactive. Pour preuve de notre reconnaissance : dépassant complètement les clivages médecins/soignants, certains chefs de département ont décidé qu'en cas d'absence, ils seraient suppléés par le responsable des soins. Nous sommes donc considérés comme des partenaires, avec des rapports de confiance pour mener à bien des projets communs.
Enfin, pour être plus visible sur le plan politique, une initiative récente est à signaler. La Swiss Nurse Leaders, organisation faîtière représentative des directeurs des soins, a rencontré, avec d'autres associations professionnelles, le ministre de la Santé pour demander la création d'un poste d'infirmier administrateur au sein de l'Office fédéral de la santé publique afin de porter la voix des soignants au même niveau que celle des médecins. »
Odessa Dariel, formée aux États-Unis, a exercé pendant cinq ans à Kaiser Permanente à Honolulu dans un service mère-enfant avant de poursuivre ses études. Elle a obtenu un Masters en sciences infirmières à l'Université d'Hawaii et un doctorat à l'Université de Nottingham avant de rejoindre l'EHESP en 2011.
« Aux États-Unis, il existe différents types de cadres de santé, avec des échelons supplémentaires à ceux que l'on connaît en France et les termes utilisés pour définir l'encadrement sont plus valorisants. Dans le service, le Nurse manager a un rôle administratif, organisationnel. Il est en lien avec la hiérarchie pour mettre en place de nouvelles réglementations par exemple, se charge des entretiens avec les personnels soignants, des promotions, etc. Il travaille aux côtés d'un Charge nurse qui, lui, est responsable du management de l'aspect clinique du travail du service pendant un moment donné. Cette fonction est en effet tournante parmi l'équipe infirmière : une personne en a la responsabilité la semaine et, le week-end, ce sont d'autres infirmiers qui assurent cette mission, en étant déchargés d'une partie de leur temps de soins. En France, ces deux rôles sont assumés par une même personne, le cadre de santé. On entend souvent des reproches sur l'absence du cadre dans les services en France... ce n'est pas le cas outre-Atlantique puisqu'un cadre est spécifiquement dédié à cette tâche.
La relation avec les médecins est également bien différente : il n'y a pas de chef de service, comme cela est le cas en France. Les médecins passent d'un service à l'autre et c'est vraiment le Nurse manager qui gère le service. Parallèlement, le Charge nurse est le référent du médecin pour le soin et les médecins se tournent donc vers lui pour avoir des informations. Et tout infirmier peut porter un jugement sur une décision médicale ou contribuer à sa remise en question : son rôle ne relève pas uniquement de l'exécution, il apporte une réelle contribution médicale.
Le Chief nursing officer est l'équivalent d'un directeur médical pour les infirmiers, aides-soignants et autres personnels paramédicaux. Il a des responsabilités transversales sur des projets en particulier. Par exemple, dans les hôpitaux labelisés Magnet (1), il peut être missionné sur la qualité de vie au travail, un enjeu très important aux États-Unis pour attirer du personnel et des patients, les établissements de santé se livrant une véritable compétition.
Aux États-Unis, il n'y a pas de Direction des soins à proprement parler, mais plutôt l'équivalent d'un département exclusivement dédié aux soins. Les préoccupations infirmières sont prises en considération plus facilement du fait qu'il existe depuis longtemps une recherche infirmière aux États-Unis : de par sa présence en milieu académique, sa contribution scientifique au système hospitalier est reconnue. S'il est inhabituel en France pour un Codir de direction des soins de s'appuyer sur des données probantes publiées par des infirmiers, c'est au contraire tout à fait entré dans les mœurs outre-Atlantique.
Le terme de leadership y est très utilisé : il contribue à valoriser, à respecter, à reconnaître le rôle de l'encadrement. Et le terme Nursing leadership évoque clairement la corporation de l'encadrement infirmier. Dans les établissements Magnet, une attention particulière est d'ailleurs portée à la formation des leaders infirmiers, qui ont un poids réel dans les décisions institutionnelles liées aux pratiques professionnelles et à la qualité des soins dans l'établissement.
En France, les cadres de santé sont assis entre deux chaises – ils sont considérés à la fois comme des soignants mais pas assez, intégrés à la direction mais pas totalement car absents du Codir, les cadres supérieurs faisant le lien avec le directeur des soins. Le niveau de formation requis est également très différent puisqu'aux États-Unis il faut avoir un Master 2 en Nursing Management ou un MBA pour devenir Nurse manager. De même que le niveau de rémunération : l'ensemble de la profession infirmière est bien mieux rémunéré outre-Atlantique, ce qui participe à leur reconnaissance.
Il est également intéressant de noter que les personnels paramédicaux dans les établissements de type « Magnet » peuvent avoir autant de poids que les cadres de santé dans la prise de décision. Le système fonctionne souvent avec des gouvernances partagées, où l'on donne le pouvoir d'agir aussi bien aux soignants qu'à l'encadrement. Dans les hôpitaux labelisés Magnet par exemple, les représentants des différents services peuvent tout aussi bien être des cadres que des non-cadres, même si le cadre joue un rôle essentiel pour légitimer le changement à mettre en place dans un service. Les groupes de travail émanent de problématiques du service, et l'enjeu est de trouver des solutions, quel que soit son intitulé de poste, en utilisant des canaux de communication montants et redescendants pour que les problèmes soulevés soient bien suivis d'effets.
Au quotidien, en France, les cadres de santé jouent un rôle de pompier, résolvent des problèmes sans nécessairement les faire remonter à la direction : or cela cache des problèmes systémiques sans permettre de les résoudre ! Avec la crise de la Covid, ils ont montré leur capacité à prendre les choses en main. Mais est-ce que cela suffira à changer leur condition à l'hôpital ? L'article « Pourquoi les hôpitaux n'apprennent pas de leurs erreurs » (2) montre que même dans les hôpitaux labelisés Magnet, les soignants et les cadres ont tendance à résoudre les problèmes à leur niveau, sans les faire remonter. Cela peut conduire à l'épuisement... Les cadres font face à un dilemme : pour améliorer le processus, l'organisation, il faut aller à la racine du problème. Mais pour être considéré comme un bon cadre, il ne faut pas faire de vague et montrer que l'on sait gérer la situation par soi-même... En fait, pour améliorer encore la représentativité des cadres, il faudrait repenser ce que l'on attend d'eux au sein de nos établissements de santé. Et ne pas hésiter à mettre en avant des initiatives et des innovations qui marchent. Aux États-Unis, on valorise les choses qui marchent pour que les autres puissent s'en inspirer. Alors qu'en France, on est plus dans la plainte, on n'a pas envie de sortir du lot, de se mettre en avant. Finalement, notre discrétion dessert la profession. Bien souvent, lorsque j'évoque des projets innovants aux élèves directeurs de soins, ils me répondent « nous aussi on le fait ! ». Mais ils ne le publient pas, ne font pas de conférence... c'est dommage. »
(1) Magnet Recognition Programme est un programme de reconnaissance de l'attractivité des établissements de santé géré par l'American Nurses Credentialing Center (ANCC, Centre des infirmières américaines diplômées) pour distinguer les organisations de santé qui offrent un travail infirmier d'excellence. Il est considéré comme la plus haute reconnaissance pour l'excellence des soins infirmiers.
(2) Tucker A. L., & Edmondson A. C. (2003). Why hospitals don't learn from failures: Organizational and psychological dynamics that inhibit system change. California management review, 45(2), 55-72.