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Réélu en avril pour un nouveau mandat à la tête de l'Ordre national des infirmiers (Oni), Patrick Chamboredon dresse un bilan de l'action de l'Ordre ces trois dernières années et envisage l'avenir avec l'ambition de garder la profession infirmière au cœur des débats.
Patrick Chamboredon : Tout d'abord, nous sommes passés, en trois ans, de 200 000 adhérents à l'Ordre à 400 000. Une réalité à souligner, d'autant plus que lorsque Marisol Touraine était ministre de la Santé (sous la présidence de François Hollande, NDLR) l'Ordre était voué à disparaître ! Le second point porte sur les différents textes qui sont parus suite aux nombreuses actions menées pour porter des messages et des demandes auprès des acteurs publics. Citons par exemple le texte paru en 2018 concernant les IPA (infirmières de pratiques avancées, NDLR) qui a permis l'ouverture de formations universitaires de grade master pour la profession. En 2019, la pratique avancée s'est ouverte à la santé mentale. La loi Buzyn sur la transformation du système de santé a également instauré la certification des professionnels de santé – les décrets d'application ne devraient plus tarder – et a également établi une évolution du pouvoir de prescription et d'adaptation de la posologie pour les infirmières. Puis est arrivée l'année 2020 et la crise sanitaire : le télésoin est apparu pour la profession infirmière qui a également été autorisée à pratiquer des tests de dépistage. Avec le Ségur de la santé, nous avons émis des propositions pour construire la pratique infirmière de demain, celle qui profite à toutes et tous. En trois ans dont une année complète de crise sanitaire, ce bilan est honorable.
Aujourd'hui, l'objectif premier de l'Ordre est d'avancer sur la nécessaire évolution du décret infirmier : ce texte existe depuis 2004 et n'est plus à la hauteur de la contribution réelle de la profession à l'offre de soins. Il y a bien eu quelques évolutions depuis mais concrètement, certains actes restent invisibles alors que l'infirmière joue un rôle fondamental dans le système de santé. Prenons l'exemple de la vaccination : le taux de couverture demeure parfois insuffisant et on a assisté à une résurgence de la rougeole dans certains territoires. L'infirmière a toute sa place dans le processus de prise en charge de cette vaccination. De manière générale, il faut aller au delà de l'approche sanitaire centrée sur le soin et entreprendre plus de prévention, en utilisant tous les leviers de la profession : les infirmières scolaires, les services de santé au travail, les infirmiers libéraux qui se déplacent au domicile des patients, les infirmiers hospitaliers...
Le second chantier porte sur le Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), un guichet numérique pour la profession. Dès septembre, toute infirmière inscrite à l'Ordre basculera directement d'un enregistrement Adeli à ce RPPS, qui lui donnera accès à des services numériques. Troisième axe du travail de l'Ordre pour les mois à venir : les présidentielles. Il faut continuer à faire en sorte que le sujet des infirmiers dans le pacte social soit au cœur des discussions. Comme on l'a vu avec la crise sanitaire, les infirmières ont été sur le devant de la scène et si l'on souhaite que le système de santé change, il faut que ça passe par les acteurs de terrain. Et qui mieux qu'une infirmière connaît les patients ? Ce sont bien souvent les seuls professionnels de santé qui se rendent encore au domicile du patient, qui voient dans quel milieu il évolue, qui connaissent leurs difficultés.
Dernier chantier de ce mandat : la réflexion que nous devons porter sur la création d'une profession intermédiaire. On ne sait pas encore quelle forme cela pourra prendre, mais c'est une question qui mérite d'être posée, tout comme celle des spécialisations.
Nous travaillons à faire évoluer le rôle de tous les infirmiers au sein du système de santé. En toute logique, celui des cadres infirmiers bénéficiera aussi de ce mouvement global. Cela aura potentiellement des conséquences sur la formation. Sur ces questions, nous sommes en relation avec le Cefiec, avec qui nous avions travaillé étroitement à la création des formations pour les IPA. Mais il est évident que si le métier-socle d'infirmier évolue, toutes les spécialités, spécialisations, etc. doivent également évoluer.
C'est une vraie question : la formation infirmière est relativement courte avec l'assurance de trouver rapidement un emploi une fois le diplôme en poche. Mais il existe un fossé entre l'apprentissage et l'exercice réel : il y a un choc avec la réalité et je crois que la crise sanitaire que nous avons traversée l'a mise en lumière. Pour autant je me félicite de l'attractivité de la profession, qui cadre bien avec les effectifs requis : d'ici 2040, la DREES estime à un million le besoin en infirmières. Maintenant, comment conforter cette attractivité pour ne pas assister à une crise des vocations ? En travaillant sur le volet financier – et le Ségur y a contribué – et sur les perspectives d'évolution. Dans la consultation que nous avons menée auprès de la profession, 51 % des personnes interrogées considéraient que la profession d'infirmier ne permet pas de connaître de véritables évolutions et perspectives de carrière. Il faut proposer un nouvel horizon à la profession : peut-être notamment avec cette passerelle de la profession intermédiaire ? Des discussions sur le sujet devraient ouvrir le débat.