Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Actualités

Anne-Lise Favier  

Infections nosocomiales

Depuis un an, on ne parle plus que d'elle. La Covid-19 semble avoir éclipsé toutes les autres maladies au grand désarroi des spécialistes qui plaident depuis le début pour leurs patients, l'un en attente d'une greffe, l'autre d'une tumorectomie. Elle est souvent citée comme étant devenue la première infection nosocomiale. Mythe ou réalité ?

D'après la dernière enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales datée de 2017 et donc réalisée avant la crise sanitaire liée au coronavirus, un patient sur vingt contracte une infection nosocomiale au cours de son hospitalisation. Soit environ 630 000 patients concernés pour la seule année 2017. Parmi eux, environ 4 000 trouvent la mort, notamment du fait de germes résistants aux antibiothérapies. Avec l'arrivée du Sars-CoV-2, les gestes barrières ont été remis sur le devant de la scène, accentuant l'importance du lavage des mains et du port de protections individuelles (masque, blouse, casaque, charlotte, gant) pour à la fois protéger les soignants et éviter de transmettre le virus. Pourtant, l'hôpital déplore des cas nosocomiaux de transmission de la Covid-19. En effet, d'après le dernier point épidémiologique hebdomadaire publié par Santé Publique France (SPF) au moment de notre bouclage, il a été fait état de près de 5 000 signalements de cas de Covid-19 nosocomiaux dans près de 1 100 établissements depuis le 1er janvier 2020. Ces cas nosocomiaux concernent 62 678 personnes, dont 38 618 patients et 24 048 professionnels de santé ; même les visiteurs ont été touchés avec 12 cas recensés. Parmi tous ces cas, 312 décès, soit 0,8 % des cas chez les patients.

Une Covid plus visible...

Ces chiffres recensent la réalité du terrain, mais reflètent-ils réellement l'acquisition de la Covid-19 comme maladie nosocomiale ? Concernant les soignants, il n'est pas habituel de les inclure dans les chiffres, il serait plus juste de parler de maladie professionnelle, compte-tenu de leur exposition au virus dans le cadre de leur travail. Concernant l'acquisition de la maladie en milieu hospitalier pour les patients, elle fait parfois encore débat. Rappelons en effet que la période d'incubation peut durer jusqu'à deux semaines, mais avec une moyenne qui oscille entre 3 à 5 jours : difficile dès lors de déterminer avec certitude si l'infection a été contractée à l'hôpital ou avant l'admission.

La Covid-19 est-elle la maladie nosocomiale la plus répandue aujourd'hui ? Difficile à dire puisque la dernière enquête de prévalence concernant les infections nosocomiales date d'avant la crise sanitaire et qu'aucune publication aujourd'hui ne relate la part des infections nosocomiales recensées ces derniers 18 mois. Si l'on se base sur l'enquête de 2017, il ressort que les infections urinaires étaient les infections nosocomiales les plus fréquentes avec 28,5 % des cas recensés, soit, en extrapolant sur l'ensemble des hospitalisations (chiffres ATIH) près de 180 000 infections urinaires nosocomiales par an. Juste derrière elles, les infections du site opératoire, avec 15,9 %, soit environ 100 000 cas par an. Et même si la tension hospitalière a probablement réduit l'incidence des infections du site opératoire du fait de la déprogrammation des opérations, il est peu probable que le chiffre soit descendu plus bas que les 38 618 cas-patients atteints de Covid nosocomiale, et ce en 18 mois. Interrogée sur ces résultats, Santé Publique France rappelle néanmoins que les chiffres qu'elle publie proviennent d'une démarche volontaire et non obligatoire des établissements depuis mars 2020, ce qui rend les résultats non exhaustifs : « Les chiffres que nous publions sont issus de signalements réalisés par environ 1 000 établissements publics et privés » rappelle SPF. Seule une étude comparable aux études d'incidence des IN et menée pendant la période de crise sanitaire permettrait de conclure et d'avoir une vision objective.

... mais plus mortelle

Au delà de ces chiffres qui montrent des réalités de terrain, il apparaît que la Covid-19 est une maladie nosocomiale plus létale que la moyenne des infections nosocomiales habituellement répertoriées : elle a en effet entraîné le décès de 312 patients sur 38 618 cas recensés, soit 0,8 % de décès là où l'ensemble des infections nosocomiales entraîne 0,5 % de décès en un an. Rappelons que la maladie induit des formes plus graves chez les patients âgés ou souffrant de certaines maladies chroniques, les chiffres détaillés montrent d'ailleurs que les services de gériatrie représentent un tiers des cas signalés, suivis des services de soins de suite et de réadaptation puis des soins de longue durée, qui concentrent ces populations. Les différents signalements à la plateforme e-Sin (signalement des infections associées aux soins) comptabilisent près de 75 % de cas groupés, ce qui a fait naître l'idée de l'existence de clusters hospitaliers. Une réalité prise au sérieux par l'Académie de médecine qui parle de « point aveugle de l'épidémie », avec la transmission nosocomiale du personnel soignant. « La diffusion du Sars-Cov-2 dans les services hospitaliers est un point aveugle de cette épidémie en l'absence de dépistage systématique parmi le personnel soignant dans les zones les plus affectées », estime l'Académie, qui considère que « la transmission nosocomiale du Sars-Cov-2 contribue à entretenir l'épidémie en France malgré les efforts de confinement consentis par la population ». D'où un rappel des gestes barrières et de la réalisation de tests même en l'absence de symptômes, certains soignants vaccinés portant le virus sans en avoir conscience. Selon Santé Publique France, la transmission entre soignants représenterait 20 % des cas de Covid recensés.