Être formateur en IFSI, dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID - Objectif Soins & Management n° 281 du 01/06/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Écrits professionnels

Concetta Bonomo  

La question de la préparation à l'exercice de la profession infirmière prend une dimension encore plus forte aujourd'hui. La formation adapte déjà ses contenus et ses méthodes aux mesures sanitaires, aux difficultés rencontrées par les professionnels sur le terrain. Nous nous sommes intéressés à l'accompagnement mis en place auprès de ces étudiants en soins infirmiers qui parcourent leurs années de formation en même temps qu'ils traversent la pandémie de la Covid 19, et sur le travail spécifique des formateurs, qui les accompagnent dans ce rite de passage.

La formation pour devenir Infirmière : un rite de passage

Trois étapes clefs

Les sciences humaines et sociales offrent des éclairages intéressants notamment sur la construction de l'identité professionnelle qui se fait par étapes. F. Davis (1) qui s'est particulièrement intéressé à l'identité professionnelle des infirmiers, en définit six (voir encadré 1) . Nous avons remobilisé les recherches anthropologiques d'Arnold Van Gennep, en considérant la formation comme un rite de passage : « le passage d'un statut à un autre en imposant une coupure (sociale) sur un processus (biologique) continu »(2)

Il distingue trois phases qui caractérisent ces rites de passage :

• Une séparation par rapport à un état antérieur,

• Une période de latence,

• Une agrégation par rapport à un nouveau collectif.

En observant le déroulé de la formation qui se déroule sur six semestres, nous pouvons clairement identifier et caractériser ces trois phases :

Première phase, dite phase de séparation

Le premier semestre est celui des découvertes et de la séparation. La découverte des autres membres de la promotion, des formateurs, de l'organisation de l'institut, etc. C'est aussi la découverte de la profession et le premier stage. Arnold Van Gennep précise « qu'au cours de cette période de marge les candidats ont échappé à un monde sans être encore intégrés dans un autre ». Il y a changement de statut.

Deuxième phase, dite phase de latence ou de mise en marge

Il s'agit d'une période entre deux temps, « dans laquelle celui ou ceux qui font l'objet du rite sont comme en suspens entre l'avant et l'après du rite (3) ». Ils ont du mal à trouver leur place. Ils ne sont plus des citoyens lambda... mais ne sont pas encore des professionnels de santé certifiés.

Troisième phase, dite phase d'agrégation

Cette phase est la dernière et clôture le rite de passage. C'est la réintégration de l'individu dans le groupe et dans une nouvelle situation sociale. Il s'agit du dernier semestre, qui se termine par l'obtention du Diplôme d'Etat d'Infirmier. « L'initiation a créé un nouvel être, qu'il faut réintégrer dans la société, mais cette fois avec son statut définitif (4) ».

Qui sont ces étudiants de la crise ?

• Ce sont les étudiants de troisième année, professionnels de demain qui s'interrogent...

Des personnes qui se posent de multiples questions en confrontant la théorie enseignée et ce qu'ils voient aujourd'hui dans une pratique en mode dégradé, au milieu d'équipes réorganisées, avec des repères bousculés.

Ce sont des adultes en souffrance que l'on accompagne à distance. Plus d'un tiers de la promotion actuelle a déjà évoqué l'idée d'abandonner la formation au regard de ce qu'ils ont vécu en stage pendant la première vague.

• Ce sont les étudiants de deuxième année qui découvrent comme ils peuvent les différents aspects de la profession.

Les méthodes d'apprentissage sont modifiées et les priorités revues. Il faut apprendre un métier de la relation humaine... à travers un écran.

Les parcours de stage sont modifiés du fait des redéploiements, mais aussi des réorganisations des unités de soins.

• Ce sont les étudiants de première année, qui se voient, comme l'ensemble des étudiants de France dans cette période : perdus, sans repère.

C'est découvrir une université sans y mettre les pieds, découvrir ses collègues de promotion par les réseaux sociaux, faire de nouvelles connaissances dans des groupes restreints, se confronter à sa représentation du monde soignant – avec des professionnels, épuisés, parfois démotivés, désabusés...

Ce sont des étudiants en alternance...

Sur les temps théoriques : ce sont des apprenants qui restent des journées entières chez eux, enfermés dans la solitude des restrictions sanitaires. Parfois loin de leur famille qu'ils ont choisi de quitter pour suivre leur ambition professionnelle. En effet, avec les recrutements via Parcourssup, les affectations ne se font plus uniquement sur des critères géographiques.

Ce sont des apprenants qui ont aussi à ajuster leurs modalités d'apprentissage. Comme l'indique l'étude parue en décembre 2020 « les étudiants estiment, pour 54,9 % d'entre eux, que le temps de travail personnel a augmenté pendant cette période » (5). « Les difficultés rencontrées [...] concernent majoritairement l'organisation de leur travail personnel, la compréhension des contenus des cours et le manque d'interactions avec les autres étudiants (50,2 %) (5). C'est un travail titanesque, éprouvant et fatiguant, et constamment soumis aux enjeux des validations de semestre.

Sur les temps cliniques, ce sont des « attendus encombrants » :

• « attendus » car les équipes ont besoin de renfort, de bras supplémentaires..., mais

• « encombrants » car les étudiants arrivent avec des exigences d'apprentissage, et là aussi des enjeux de validation de compétences... qui demandent un engagement des professionnels de terrain. Malheureusement, cet engagement devient trop souvent un devoir de trop dans le contexte actuel où la charge de travail est difficilement absorbable.

Ce sont des hommes et des femmes qui partagent le quotidien épuisant des soignants dans les services de soins, et à tout cela se rajoutent les difficultés des apprenants.

La mission des formateurs en IFSI : des passeurs

Qui dit rite de passage, dit personne identifiée pour ces passages... En effet, dans la description qu'en fait A. Van Gennep, celui-ci précise que le passeur porte avec lui des missions de « transmetteur de valeur et de sens (4) ». En effet, il est l'ancien qui sait, qui est déjà passé lui même par ce rite de passage, et il le fait pour plusieurs individus (voir encadré 2) .

L'étudiant en soins infirmiers a besoin d'être accompagné. Il doit pouvoir disposer d'un espace où peuvent se réfléchir des solutions, prendre du recul pour envisager des alternatives, exprimer des incompréhensions... Il faut un interstice pour évoquer ses questions, envisager ses réponses, et continuer à donner du sens à l'exercice de la profession. Même si des aides psychologiques ont été apportées et des solutions ont été proposées pour les étudiants, les inquiétudes en lien avec l'acquisition de compétences, et les enjeux de validation des stages font partie de préoccupations très spécifiques des apprenants, qui n'évoquent ces questions, et ne trouvent des réponses qu'auprès des formateurs de l'Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI).

Alors, oui, les formateurs d'IFSI ont un rôle crucial à jouer. C'est un défi conséquent qu'il nous faut relever au quotidien.

C'est redonner de l'espoir à ces « troisièmes années » qui sont sur le point d'abandonner car ils sont épuisés, et inquiets.
C'est continuer à donner du sens à ces « deuxièmes années » qui s'inquiètent d'avoir le contenu de leur formation vu au rabais du fait des réaménagements pédagogiques perpétuels qu'ils rencontrent.

C'est accompagner encore plus ces « premières années » qui sont dans la découverte et la confrontation, entourés d'incertitudes.

C'est tout cela, et poursuivre les accompagnements en stage, c'est innover en méthodes pédagogiques, créer des nouvelles méthodes d'enseignements, suivre l'actualité sanitaire, parfois retourner sur le terrain...

C'est garantir que la relève de demain sera opérationnelle et motivée.

C'est un défi pour la professionnalisation des soignants de demain.

Encadré 1 : les étapes de la construction de l'identité professionnelle de l'infirmière selon Davis

La construction de l'identité professionnelle pour devenir IDE a été étudiée par le sociologue F. Davis en 1966. Il la décline en six étapes :

• « L'innocence initiale » période au cours de laquelle l'étudiant évolue dans les stéréotypes et les représentations qu'il se fait de l'infirmière ;

• « La reconnaissance de l'incongruité » (choc avec la réalité), prise de conscience que la profession n'est pas exactement « ce qu'il attendait » ;

• « Le déclic », c'est l'intuition généralement présentée comme brutale de « ce que l'on doit faire pour se conformer aux attentes des institutrices » ;

• « La simulation du rôle » : la mise en œuvre du rôle attendu, l'étudiant répond aux attentes du groupe ;

• « L'intériorisation provisoire » : c'est l'acceptation d'une dualité entre le moi profane et le moi professionnel ;

• « L'intériorisation stable » avec l'acquisition des réflexes professionnels et l'incorporation du rôle infirmier.

Encadré 2 : La mission de suivi pédagogique du formateur : un passeur qui veille...

Si la formation est vue comme un rite de passage, le formateur occupe donc le rôle de passeur... surtout par ses missions de suivi pédagogique. Dans sa description, A. Van Gennep précise que : « les adultes et les vieux qui dirigent les cérémonies doivent veiller sur leurs nouveaux enfants en train de renaître » (6), « ils les protègent et les aident (6) ».

Et en effet, le rôle de formateur va bien au-delà de la transmission de connaissances.

Aujourd'hui, ses missions ne se limitent pas à de la réingénierie pédagogique, ni au développement de nouvelles modalités pédagogiques.

Pendant une crise sanitaire de cette ampleur, le « formateur–passeur » propose des temps de parole aux étudiants qui sont sur le terrain. Il impulse des temps d'échanges pour les apprenants isolés. Il veille aux zones de fragilité qu'il a pu identifier : apprenant dans une famille nombreuse sans espace au calme pour travailler, étudiant-parent qui n'a plus de mode de garde pour ses enfants, étudiant non boursier qui n'a plus de revenus car plus de job d'étudiant, étudiant éloigné de sa famille et qui vit seul.... Il se montre disponible. Il est à l'initiative de mails ou d'appels téléphoniques pour avoir des nouvelles.... Il remotive ceux qui se perdent, encourage ceux qui désespèrent, rassure ceux qui doutent.... Il veille...

Il veille au bien être des apprenants d'aujourd'hui,... au bien être des professionnels de demain...

(1) Davis, F. (1966). The Nursing Profession. Chicago : John Wiley.

(2) Van Gennep, A. Les Rites de passage. 1909, réédition 1981 – „Picard.

(3) Centlivres P. Rites, seuils, passages. Communications, 2000, 70, pp. 33-44.

(4) Bastide R. Le schéma tripartite des rites de passage. Encyclopaedia Universalis France, 1999.

(5) Perrine Martin, P. ; Gebeil, S. Cours à distance : qu'en pensent vraiment les étudiants ? – The conversation – décembre 2020

(6) Van Gennep, A. (1909, rééd. 1981). Les Rites de passage. Picard.