Recherche et Formation
Dossier
Encore plus impliqués, voire engagés dans un réel virage numérique au vu du contexte sanitaire, les formateurs vivent un glissement paradigmatique où les méthodes traditionnelles côtoient les outils numériques et la formation en présentiel flirte avec la formation en distanciel. Cet environnement pédagogique en mouvance offre l'opportunité aux formateurs de développer des compétences numériques et de proposer des innovations pédagogiques.
L'e-learning s'est largement répandu comme modalité pédagogique ces dernières décennies dans différents champs disciplinaires et impacte les formations infirmières initiales ou de second cycle liées à des cursus universitaires comme les Masters de pratiques avancées. Notre article s'intéresse à une nouvelle interface pédagogique : la vidéo pédagogique ou vidéo-learning, dans le cadre de la formation d'Infirmiers en Pratique Avancée (IPA). Le choix de la population étudiants IPA est motivé par le côté novateur du public, la formation IPA étant inscrite dans le paysage français depuis seulement 2018. De ce fait, un faible volume d'études sont disponibles en lien avec ce public. Après avoir porté la focale au niveau international concernant un état des lieux du e-learning, nous abordons la genèse du formateur concepteur de vidéo pédagogique en mettant en lumière les critères d'une vidéo réussie. Puis nous partageons notre expérimentation de formateur concepteur de vidéos utilisées lors d'interventions auprès des étudiants IPA. Nous terminerons en abordant la plus-value pour le formateur de développer des compétences de vidéo concepteur, notamment dans le cadre d'une formation hybride, formation en devenir...
L'e-learning apparaît dès 1959 dans une université américaine de l'Illinois [1]. Les Etats Unis se positionnent comme pionniers dans l'avènement du e-learning et The Distance Education and training Council (DECT) conforte les Etats-Unis dans leur place de leader mondial dans ce domaine [2]. A ce jour, on dénombre plusieurs dizaines d'universités virtuelles offrant des enseignements dans l'ensemble des disciplines. Dans cette dynamique, l'Australie qui s'affiche comme l'un des pays les plus connectés, vise ce positionnement de leader mondial. Le Canada, quant à lui, priorise également l'e-learning depuis plus de trois décennies au regard de la dispersion de la population sur un territoire très étendu. Du côté de l'Asie, son expansion technique et économique propulse l'évolution exponentielle du e-learning. En portant la focale sur l'Europe, on note que la Grande Bretagne s'installe en tête du classement. Il importe de souligner le développement d'universités virtuelles dans plusieurs pays tels le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande. Bien que les universités européennes aient longtemps exprimé un réel retard comparativement aux universités américaines [3], il appert qu'elles ont saisi l'opportunité de développer l'e-learning comme un enjeu majeur dans le modèle économique. Les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ont fait leur entrée dans le paysage de l'enseignement supérieur dans une optique d'évolution des processus d'apprentissage et des pratiques d'enseignement [4]. L'aire du learning revolution s'installe ! Il s'agit d'une rupture paradigmatique : l'idée de la formation via l'ordinateur, longtemps perçue comme incompatible voire antinomique avec la pédagogie [5] semble s'évanouir. L'intégration du e-learning est d'actualité, il reste du chemin à parcourir avant de le considérer comme une réelle valeur ajoutée à la pédagogie. A ce jour, il occupe une place grandissante soutenu par des choix d'ordre pédagogique, financier et de flexibilisation [6]. Il n'en demeure pas moins que l'e-learning reste un sujet sensible divisant praticiens et experts, tant sur les pratiques que sur les perspectives.
La pandémie de la Covid-19 est venue accélérer le développement du e-learning comme LA solution pour pérenniser un apprentissage dans un contexte de crise sanitaire. Formateurs et apprenants se trouvent propulsés dans ce nouveau paradigme d'apprentissage. C'est au cœur de cette problématique complexe vectrice de débats que s'inscrit notre propos.
Nous avons fait le choix de nous engager dans cette évolution voire révolution numérique et non de la subir. Il s'agit d'une réelle opportunité pour les formateurs et apprenants de leur donner l'initiative et la responsabilité de ce changement. Nous avons souhaité relever le défi de concevoir nos propres vidéos pédagogiques afin qu'elles apportent une plus-value à une séquence en visioconférence auprès d'étudiants Infirmiers en Pratiques Avancées (IPA). Nous nous sommes donc inscrites dans cet engouement d'utiliser une vidéo dont des études soulignent la favorisation d'un apprentissage actif, la motivation de l'apprenant [7,8] et également le caractère métacognitif. Nous voici donc projetées dans un nouveau rôle, celui de formateur concepteur, en n'ayant aucune expertise dans le domaine des sciences de communication numérique, tout en étant expertes concernant la thématique du cours. Notre nouvelle posture de formateur concepteur nous met hors de notre zone de confort en nous ouvrant les portes de la préoccupation pragmatique de la réalisation d'une vidéo [9]. Nous avons dû nous interroger sur trois étapes incontournables à la conception d'une vidéo, à savoir : l'étape de préconception, l'étape dite d'analyse fonctionnelle (soit la fonction que doit remplir la vidéo) et enfin l'étape de la conception. Nous nous sommes également rapprochées d'un expert titulaire d'une certification de concepteur vidéolearning afin de connaître les incontournables rudimentaires concernant le cadrage, les plans, l'éclairage... C'est dans ce contexte que nous nous sommes familiarisées avec de nouvelles données tels l'écriture de scénarii, la réalisation d'un storyboard, la recension du matériel nécessaire, l'enregistrement, le montage des séquences vidéo et enfin l'encodage. Ayant fait le choix d'être concepteurs ET actrices dans la vidéo, il s'est agi également de relever le défi de se trouver face à la caméra.
De nos recherches documentaires, rencontres et échanges, voici ce qui nous a semblé primordial de retenir concernant les critères de la conception d'une vidéo pédagogique réussie ! Notre réflexion s'est portée tant sur la forme que sur le fond de la création d'une vidéo. Nous avons mis en lumière six critères de forme (Cf. Fig. 1) et huit critères de fond (Cf. Fig. 2).
Concernant la forme :
• Le premier critère porte la focale sur l'importance de transmettre des informations claires, ciblées, appropriées à la visée de la vidéo, ainsi qu'aux besoins des apprenants ;
• Ces informations seront mises en lumière grâce à la rhétorique, second critère. En effet, la rhétorique se définit comme « la technique du discours ; ensemble de règles, de procédés constituant l'art de bien parler, de l'éloquence » [10]. Elle invite le formateur, acteur dans la vidéo, à choisir les bons termes, à mémoriser son discours, à développer des habiletés gestuelles et à faire preuve de clarté dans son élocution ;
• Le troisième critère souligne la plus-value du caractère dynamique de la vidéo afin de capter l'auditoire. Les formateurs concepteurs sont amenés à s'interroger sur le séquençage et le contenu de celle-ci afin de la rendre attractive ;
• Cette attractivité nous amène à considérer le quatrième critère : la qualité visuelle et auditive du support à combiner. En effet, il est essentiel de se préoccuper de l'éclairage, du cadrage, de l'harmonisation des couleurs, de la définition de l'image, du « rythme » du montage et du son ;
• De plus, le formateur concepteur animé par le caractère réalisable de sa vidéo, identifie dès lors le cinquième critère : la scénarisation facile [11]. Cette scénarisation est en interdépendance avec les ressources humaines et matérielles à disposition (ou pas !) ;
• Enfin, sixième critère, dans une optique de maintenir l'attention des apprenants, il est préférable de proposer une vidéo de courte durée (environ cinq minutes).
Concernant le fond :
• Le premier critère réfère au sens. La vidéo se veut porteuse de sens en invitant l'apprenant à comprendre. La compréhension va permettre à l'apprenant d'enclencher le processus d'apprentissage. La vidéo s'apparente à un atout venant renforcer la mémorisation [12] via l'association d'images à des éléments clés mis en lumière dans la vidéo, via des indices contextuels ainsi que des phrases clés [13] : la vidéo amène l'étudiant à se créer une image mentale vectrice de mémorisation. De plus, la possibilité de revisionner la vidéo œuvre à la mémorisation ;
• Compréhension et mémorisation participent ainsi au processus d'apprentissage, second critère de fond, qui atteindra son paroxysme si le visionnage est réalisé en collectif, vecteur de débats, d'interactions et ce avant pendant et après le visionnage ;
• Construire une vidéo c'est également œuvrer afin que l'apprenant puisse réaliser une analyse, troisième critère, en se référant à ses apprentissages antérieurs et aux consignes données par le formateur ;
• La vidéo participe également à l'engagement cognitif de l'étudiant, critère quatre, notamment en s'appuyant sur une vidéo proche de la réalité et en adéquation avec les attentes de l'apprenant ;
• Il importe que la vidéo participe à la motivation des étudiants, qu'elle leur apparaisse comme utile et aidante dans leur apprentissage et dans leur future fonction. Une vidéo vectrice de débats amène les étudiants à être acteurs, à s'engager et donc influence possiblement la motivation. C'est en invitant les apprenants à réagir, à partager leur jugement, à confronter leurs idées voire ébranler leurs certitudes que la vidéo se propose comme étant un moyen de travailler un autre critère : la posture ;
• « La posture définit la manière de s'acquitter de sa fonction (ou de tenir son poste). C'est nécessairement un choix personnel relevant de l'éthique. Posture et fonction définissent une manière d'être et de faire dialectiquement liée. Par la fonction se transmettent les visées institutionnelles. Par la posture s'incarnent les valeurs d'un professionnel en relation à autrui » [14] ;
• Enfin, il est important que les apprentissages en lien avec la vidéo soient transférables dans des situations similaires d'où le critère de transférabilité ;
• Quant au dernier critère de fond, possiblement le plus complexe à atteindre est de s'interroger sur la réalisation d'une vidéo dite « métacognitive » : une vidéo amenant les apprenants à réfléchir sur leurs propres processus mentaux, à évaluer leurs activités cognitives et à les réguler.
Cette partie dévoile les résultats dégagés de la présente enquête et comporte quatre rubriques à savoir : deux éléments en lien avec les données quantitatives : la satisfaction des étudiants en lien avec l'utilisation de la vidéo-learning et l'utilisation du vidéo-learning dans d'autres enseignements ; deux éléments en lien avec les données qualitatives : le ressenti des étudiants en termes de plus-values du vidéo-learning et enfin le ressenti des étudiants en termes de limites. Nous précisons que tous les étudiants présents ont renseigné le questionnaire soit 15 étudiants (n = 15). Ce taux de participation souligne possiblement l'intérêt porté par les étudiants à cette enquête.
La figure 3 illustre la distribution des participants selon leur degré de satisfaction : 0 signifiant pas du tout satisfait, et 10 signifiant très satisfait. Il appert que 12 étudiants participant positionnent une note entre 8 et 10 et deux entre 6 et 7.
La figure 4 met en lumière l'utilisation récurrente du vidéo-learning dans les divers enseignements du master IPA. Nous notons une place prégnante de l'utilisation de cet outil vu que 13 étudiants mentionnent son utilisation lors des interventions dans d'autres unités d'enseignements.
Les résultats nous ont permis de regrouper les plus-values en huit thématiques classées dans la figure 5 par ordre de primauté, à savoir : le dynamisme, l'approche pragmatique, la compréhension, l'interactivité, la clarté, la créativité, la mémorisation et la temporalité. Nous avons fait le choix d'illustrer les résultats par les verbatims des participants.
Pointée par 8 participants, la vidéo rend les cours plus vivants. Elle est en quelque sorte « une illustration dynamique du propos ». Ce dynamisme est d'autant plus révélé par un message « divertissant et souvent humoristique », voire « ludique ». La vidéo coupe une certaine monotonie instaurée par le contenu d'une intervention. Au-delà de la pertinence du choix de la vidéo, concernant le côté pragmatique de celle-ci, sept étudiants évoquent l'aspect pratique de cette vidéo étant « un bon guide de préparation », « des conseils concrets, pratico-pratiques et tout à fait transposables ». Sept participants mettent en exergue la vidéo en tant qu'élément facilitateur, notamment de la compréhension et ce favorisée par les exemples. A ce propos, nous citons : « ça amène un plus avec des exemples », « permet d'ancrer les concepts dans la réalité », « donne un élément de repère à l'intervention ». Il importe de noter que six participants énoncent que le vidéo-learning encourage l'interactivité, le partage d'expériences : « l'interaction voire la réflexion », « ouverture d'esprit ». Nous constatons que cinq étudiants mentionnent la notion de clarté, de structuration. Ils soulignent le fait que « les explications sont claires sur des choses à faire et à ne pas faire ». L'aspect créatif est évoqué par quatre étudiants. Cette créativité amène, via la variété des supports, le « maintien de l'attention de l'auditoire ». L'importance de l'image est citée par quatre participants et réfère d'une part, à l'image en tant que catalyseur de mémorisation : « on retient plus », et d'autre part souligne la puissance de l'image : « une image vaut mieux que mille mots », « cela montre l'importance du paraverbal dans la communication ». Un participant évoque la notion de temporalité. En effet, la vidéo étant courte et accessible, elle permet un gain de temps non négligeable dans l'organisation d'une vie d'étudiant.
Il nous semble intéressant de mettre en exergue les éléments limites repérés par les participants concernant l'utilisation du vidéo-learning en général, au-delà de la vidéo proposée dans le cadre de notre expérimentation. Nous les avons regroupées par ordre de préséance dans la figure 6 en quatre thématiques à savoir : les problèmes techniques, une vidéo inappropriée, une vidéo trop dense (contenu, longueur) et une absence de temps d'échanges. Nous remarquons que deux étudiants ont déclaré qu'ils n'identifient pas de limite.
Huit participants soulignent les problèmes d'ordre technique. En effet, que faire dans le cadre de la survenue d'un incident numérique comme une coupure de son, problème survenu lors de notre expérience. Les participants évoquent : « le bug empêchant la lecture de la vidéo », « les aléas techniques », « la technologie que nous n'avons pas l'habitude d'utiliser ». Trois étudiants soulignent comme limite rencontrée antérieurement la visualisation de vidéos inappropriées mettant en évidence : « un rythme du cours cassé si la vidéo n'a pas d'intérêt ». De plus, pour trois participants, il est à noter que les vidéos trop longues et denses ne sont pas appréciées, ils évoquent : « des vidéos trop longues », « des vidéos trop chargées ». Nous notons que deux étudiants attendent un retour de l'intervenant sur le fond. En effet, ils écrivent : « inutile si un intervenant ne vient pas commenter le contenu et apporter des précisions », « inutile s'il n'y a pas d'analyse après visionnage ». Un de ces étudiants évoque l'importance de l'intervenant pour : « répondre aux questions pointues ou spécifiques sinon on reste sur notre faim ». Un participant partage son ressenti concernant une possible dérive : « risque de décharger l'enseignant de sa transmission de connaissances : bon ben voilà, regardez la vidéo et vous saurez ce qu'il faut ou pas savoir! ».
Vu les résultats quantitatifs de notre expérimentation, le public des étudiants IPA semble avoir intégré et apprécié l'usage des vidéos pédagogiques. Pour ce qui est des données qualitatives, nous avons confronté l'ensemble des plus-values et des limites avec la littérature.
Dans un premier temps, nous aborderons les plus-values du vidéo-learning. Relevée par une majorité de participants, la première plus-value réfère au « dynamisme ». Ce résultat corrobore les écrits de Ammar [8] soulignant que les vidéos pédagogiques « apportent un côté dynamique à l'apprentissage », ainsi l'usage de la vidéo s'apparente à un catalyseur de l'apprentissage actif, venant agir sur la motivation qui à son tour favorise la réussite. Ce caractère dynamique est possiblement un facteur pouvant limiter l'absentéisme d'étudiants à l'université, phénomène qui s'est accentué au cours des deux dernières décennies [15]. En seconde plus-value, les participants évoquent « l'approche pragmatique ». Ce résultat en lien avec le caractère pratico-pratique de la vidéo concorde avec les écrits de Desparois et Lambert [16] qui positionnent l'usage de la vidéo comme une aide d'une part à la visualisation des phénomènes complexes et d'autre part, à l'apprentissage. Les étudiants ont identifié la vidéo comme étant un outil facilitant la « compréhension ». Nous retrouvons ainsi Laduron et Rappe [7] lorsqu'ils écrivent que la vidéo est considérée comme un « objet de compréhension ». Effectivement, le concepteur possède une certaine expertise en ingénierie pédagogique. Il énoncera des notions essentielles, utilisant des phrases courtes, des termes importants voire des mots-clés ou des exemples, d'ailleurs soulignés par les étudiants. De plus, la vidéo permet aussi d'associer des images qui explicitent davantage le message. Aussi, pour faciliter la compréhension du contenu, le concepteur peut jouer de stratégie concernant le moment opportun du visionnage lors d'une séance éducative où différentes modalités pédagogiques se suivent [8]. L'« interactivité » est également identifiée par les apprenants. La vidéo est un outil de communication. Elle favorise ainsi les échanges entre ces derniers et le formateur. Les débats émergent autour de la thématique proposée. Poellhuber souligne « que la vidéo est particulièrement importante pour véhiculer un sentiment de présence du formateur » [9]. Nous rejoignons cette idée car nous pensons que la présence du formateur est indispensable. Elle témoigne de son engagement dans cette interactivité. Cependant, il nous semble que l'interaction s'effectue à un autre niveau. En effet, en nous appuyant sur les écrits de Charlier et Henri [11], nous pouvons supposer qu'en interagissant avec la vidéo, l'apprenant est acteur de son apprentissage. Ce qui reste un atout, notamment pour la motivation. La notion de « clarté » est une autre plus-value mise en évidence par les étudiants. Ce qui implique pour le concepteur d'introduire des idées simples. Pour ce faire, nous émettons l'hypothèse qu'un seul message doit être diffusé pour simplifier le contenu. Dans l'étude menée par Poellhuber [9], il est démontré également que la clarté et la simplicité des exemples sont importantes. Ceci fait écho à la compréhension citée précédemment. Le concepteur doit aussi faire preuve de clarté dans la formulation des objectifs de la vidéo. D'ailleurs, ceux-ci sont présentés à l'auditoire. La « créativité » est, selon les étudiants interviewés, un des éléments capital. Pour capter l'auditoire, il est effectivement préférable de proposer des scénarii qui « donnent envie ». D'où l'intérêt de captiver cet auditoire dès les premiers instants. S'ils sont séduits, les apprenants choisiront de continuer et de ne pas passer à une autre activité. Cette créativité peut s'exprimer à travers l'écriture du texte ou à travers le montage. Aussi, pour mener sereinement le projet, les concepteurs doivent trouver une inspiration illimitée. La créativité contribue à une certaine ouverture d'esprit et curiosité de la part du concepteur. La mémorisation est aussi une plus-value évoquée par les étudiants IPA. Certains d'entre eux réagissent sans doute plus facilement aux stimuli visuels et auditifs. L'image, citée précédemment, est un facteur non négligeable pour la « mémorisation ». Elle permet de fixer une idée [13]. Le son (intensité, timbre, rythme) est à considérer car il peut provoquer des émotions. Associer un bruit à une image augmente le stock d'informations d'où la mémorisation. Également, l'outil en lui-même facilite cette mémorisation de par son utilisation. En effet, il est possible de faire des arrêts sur image, de visionner autant de fois que nécessaire. La vidéo devient alors ``un objet de mémorisation''. La « temporalité » n'est soulignée que par un apprenant. Et pourtant, la vidéo utilisée à bon escient est un gain de temps donc une plus-value. Dans certains cas, en fonction de ses contraintes personnelles, l'étudiant peut choisir le moment qui lui convient le mieux pour visionner la vidéo. Les apprenants ont leurs représentations et des dispositions vis-à-vis de l'interface vidéo. Ces constantes « induisent des positionnements spécifiques chez le ou les participants prenant la forme de « contrats » médiatiques liés au genre communicationnel spécifique (le spectateur s'attend à un certain type de stimulations, de qualité de réception, etc.), au type de séquence (on ne regarde pas de la même manière un film de fiction, une séquence publicitaire, etc.) » [11].
Décrite par la majorité des participants, la première limite à l'utilisation du vidéo-learning qui s'avère d'une importance cruciale concerne les « problèmes techniques ». En effet, ce résultat met en relief la nécessité d'avoir une maîtrise parfaite de l'outil numérique et corrobore la littérature [5, 8] qui prône l'intérêt de s'approprier les outils technologiques, numériques qui s'apparentent à des éléments clés de réussite. Il est possible d'énoncer que la non maîtrise aggrave la fracture numérique et pourrait impacter le processus d'apprentissage. Ces mêmes auteurs soulignent que les difficultés à intégrer les nouvelles technologies dans l'apprentissage est le facteur humain. Ils mettent en exergue la réelle nécessité de mettre en œuvre des programmes de formation au numérique. A ce jour, bien que le formateur possède une réelle expertise en lien avec le contenu de son intervention, qu'en est-il de la maîtrise des outils numériques [17] ? Lors de notre expérience auprès du public IPA, un problème de son est intervenu mettant en relief la réelle nécessité de développer de nouvelles compétences relatives aux nouvelles technologies afin de ne pas mettre en péril l'intervention ! La formation des formateurs s'apparente comme incontournable dans ce nouveau paysage d'ingénierie pédagogique sans occulter un dispositif d'accompagnement tant pour les formateurs que les apprenants ! Une seconde limite évoquée pointe l'utilisation d'une « vidéo inappropriée » à l'intervention. Or, l'utilisation d'une vidéo doit répondre à des attentes, elle vient parachever une intervention. La troisième limite réfère à la « vidéo trop dense », ou trop longue. Ce résultat fait écho avec les écrits de Baturay [18] qui mettent en lumière l'importance de vidéos courtes (deux à sept minutes) pour susciter l'apprentissage des étudiants, telle est notre visée ! La quatrième limite « absence de temps d'échange » vient conforter les écrits de Laduron [7] où la vidéo se veut porteuse de débats, d'ouverture d'esprit, de confrontations des idées dans une optique d'ébranler les certitudes et d'envisager une pluralité des possibles.
La limite majeure réside en la taille de l'échantillon. En effet, un échantillon plus important et diversifié nous aurait permis d'affiner les résultats et de renforcer le critère de crédibilité. La force réside au caractère novateur de cette expérience qui, d'une part, porte la focale sur le public étudiants IPA et d'autre part, s'interroge sur les compétences du formateur concepteur de vidéos pédagogiques, qui semblent être des compétences en devenir...
Cette expérimentation apparaît globalement positive chez le public des étudiants IPA, qui semble avoir enclenché une acculturation réussie vers les apprentissages utilisant des outils numériques. Il semble légitime de penser que le vidéo-learning est aussi un outil transférable dans le rôle éducatif des IPA dans leur pratique et suivi de patientèle. Les technologies numériques font dorénavant partie du paysage pédagogique et offrent un paradoxe qui articule le caractère dynamique du changement et également le caractère perturbateur au sein d'une institution. L'avènement d'une formation hybride (blended learning) [19] s'affiche et il importe de saisir les opportunités d'évolution de la formation afin que les formateurs restent les acteurs incontournables dans le dispositif d'apprentissage. Il faut rappeler que ces technologies ne font pas l'apprentissage, elles constituent des outils au service du formateur. Néanmoins, elles viennent interroger les rapports entre formateurs et apprenants. Il ne s'agit pas, comme l'avait pointé un participant, de décharger l'enseignant, « regardez la vidéo et voilà ! ». Le soutien de l'activité cognitive et métacognitive des apprenants par le formateur reste présent, mais l'approche et l'accompagnement sont différents. Le glissement paradigmatique actuel lié au virage numérique vient en effet questionner, voire remettre en question la posture du formateur. Au sein de notre expérimentation, nous avons pu mesurer le caractère hautement chronophage de la conception d'une vidéo et la nécessité d'être formé, accompagné car les obstacles sont réels et nombreux ! Malgré cela, nous avons eu un réel plaisir à réaliser des vidéos pédagogiques et le sentiment de pouvoir laisser libre cours à notre créativité. Cette immersion numérique mérite un accompagnement vers une montée en compétences, afin de ne pas créer de résistances au changement et de mettre en lumière la place du formateur qui n'est plus celle d'hier, et pas encore celle de demain.
« L'avenir n'est pas une amélioration du présent,
c'est autre chose »
Elsa TRIOLET
Nous avons fait le choix de mener notre expérimentation autour d'un public d'étudiants IPA en 2ème année de formation. Nous avons souhaité recueillir leurs perceptions en regard de l'utilisation de vidéos lors d'un cours animé en distanciel (lié au contexte sanitaire) afin de visualiser la pertinence du dispositif. L'instrument de mesure était un questionnaire auto-administré. Le questionnaire nous a permis de recueillir des données empiriques quantitatives (perceptions des étudiants au moyen d'échelle) et majoritairement des données qualitatives à partir des questions ouvertes. En effet, dans une approche phénoménologique, nous nous sommes intéressées à l'expérience singulière vécue par les étudiants lors du visionnement de vidéos. Un temps leur était alloué en fin du cours afin de répondre au questionnaire. La participation était volontaire, anonyme, confidentielle, nous avons en amont recueilli le consentement des étudiants.