Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Actualités

Claire Pourprix  

Covid

Des chercheurs de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) ont étudié la situation spécifique de ces populations, pour lesquelles l'isolement a eu un retentissement particulier en raison de leur état de santé.

Des études menées sur la population générale ont montré que la crise sanitaire et le premier confinement ont généré un sur-risque de survenue de détresse psychologique chez les personnes atteintes d'une maladie chronique ou d'un handicap. « Ces deux populations ont pour point commun d'avoir des besoins d'accompagnement importants, qui ont été perturbés lors du premier confinement », souligne Coralie Gandré, co-auteur de l'étude *. C'est ce qui a motivé la conduite d'une étude dédiée à ces deux populations, dans le but de mieux identifier les facteurs de vulnérabilité à la survenue de détresse psychologique afin d'appréhender ce risque et d'adapter les politiques de confinement, en cas de réitération, pour mieux les prévenir.

La détresse psychologique a été mesurée à partir du « General Health Questionnaire », qui évalue le ressenti du répondant par rapport à son état habituel sur 12 items : évolution en termes de concentration, sommeil, sentiment d'utilité, prise de décision, tension nerveuse ou stress, capacité à surmonter les difficultés, satisfaction vis-à-vis des activités quotidiennes, capacité à faire face à ses problèmes, sentiment d'être malheureux ou déprimé, confiance en soi, perception de sa propre valeur, sentiment d'être heureux tout bien considéré. Cette méthode s'appuie sur ces marqueurs pour évaluer l'évolution de la santé mentale avant et après le confinement, indépendamment de l'état de santé mentale de la personne.

Facteurs de vulnérabilité

Résultats : la survenue d'une détresse psychologique a été observée chez 57 % des répondants, et même d'intensité sévère pour 24 % d'entre eux.

Il apparaît que la survenue de cette détresse au cours du premier confinement repose sur des facteurs de vulnérabilité qui peuvent être identiques à ceux observés au sein de la population générale, à savoir : la faiblesse des liens sociaux au cours de cette période, la dégradation des ressources financières du foyer (bien que moins marquée que pour la population générale), la diminution de la satisfaction vis-à-vis des activités de loisirs.

En revanche, une contamination avérée n'a pas d'impact significatif sur la survenue de détresse psychologique (peut-être parce que ces populations ont été peu contaminées ?), de même que le nombre de mètres carrés par habitant du foyer, contrairement à la population générale.

Des facteurs spécifiques aux personnes atteintes de maladie chronique ou de handicap sont sources de détresse psychologique : les difficultés à appliquer les mesures sanitaires telles que la distanciation, les temps de sortie, le lavage des mains, et le sentiment de ne pas être pris en charge à égalité avec la population générale en cas de symptômes de la Covid-19. Enfin, la réduction du suivi médical ou médico-social pendant ce premier confinement a généré un sur-risque de détresse psychologique important.

Les auteurs soulignent aussi que « le fait de vivre avec des limitations ou une maladie chronique d'ordre psychique, intellectuel ou cognitif est systématiquement associé à un risque accru de survenue de détresse psychologique au cours du confinement. » L'une des explications est que ces personnes sont plus vulnérables aux « événements de grande ampleur générant une forte incertitude, demandant une forte résilience et des mécanismes d'adaptation » comme c'est le cas avec la pandémie actuelle. Les femmes seraient aussi plus sujettes, car « particulièrement affectées par les troubles anxieux et dépressifs en dehors de contextes de crise sanitaire ».

Reconnaissance du risque de détresse psychique

L'étude conclut sur « la nécessité d'encourager et de faciliter la prise en charge précoce de toute détresse psychologique chez ces personnes, de leur permettre d'adapter les mesures sanitaires à leurs spécificités, de maintenir leur suivi médical et médico-social habituel et de renforcer la communication sur la garantie et la nécessité d'une prise en charge équitable en cas d'infection par la Covid-19. » D'ailleurs, précise Coralie Gandré, « lors du deuxième confinement, beaucoup d'efforts ont été faits, les structures médico-sociales sont restées ouvertes et un relâchement des gestes barrières a été toléré pour les personnes qui en ont besoin. Par exemple, celles qui souffrent de troubles du spectre de l'autisme ont eu le droit de sortir plus que les autres. Nous observons une réelle prise de conscience du fait que nous avons tous une santé mentale à préserver, et que certains publics connaissent une vulnérabilité spécifique. En témoigne l'organisation des Assises de la santé mentale et psychique à l'été 2021. »

Des progrès bienvenus, d'autant plus que le maintien dans le temps long de mesures de restriction de nos libertés risque d'accroître les risques de détresse psychique.

Poursuite de l'étude

Cette étude, construite à chaud pour apporter des données sur la situation et influer sur la prise de conscience des risques de détresse psychique, s'inscrit plus largement dans un projet visant à documenter l'impact de la crise sanitaire sur des personnes en situation de handicap lié à une pathologie invalidante (psychiatrique, sclérose en plaques, etc.). « L'enjeu est de déterminer l'impact des restrictions d'accès aux soins et à l'accompagnement sur la dégradation de leur état de santé et leur perte d'autonomie, précise Coralie Gandré. Pour cela, nous partons de l'hypothèse que le fait de ne pas avoir eu accès à de l'aide, au suivi sanitaire régulier pendant un moment peut avoir un impact indirect peut-être plus important que l'impact direct de la crise sanitaire. » Cette étude sera menée au cours des prochaines années sur la base de données de consommation de soins issues des données de l'Assurance maladie et d'une enquête biographique auprès de personnes concernées afin d'identifier les ruptures dans les parcours de santé.

* Détresse psychologique pendant le premier confinement lié à la Covid-19 : des facteurs de vulnérabilité spécifiques aux personnes vivant avec une maladie chronique ou un handicap, Coralie Gandré, Maude Espagnacq et Magali Coldefy (Irdes), en collaboration avec Lise Radoszycki et Damien Testa (Carenity).