Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Pendant 18 mois de gestion de crise sanitaire, les ARS ont été mises sur le devant de la scène. Tantôt décriées, tantôt plébiscitées, beaucoup de choses ont été dites, écrites quant au sujet de ces établissements publics créés en 2010 ; drôle de cadeau d'anniversaire que d'avoir à gérer une pandémie jamais connue auparavant.

Alors bien sûr d'emblée leurs détracteurs ont voulu leur faire porter le chapeau de tous les dysfonctionnements, en oubliant simplement ce pourquoi, comment et par qui elles avaient été créées. Et en allant jusqu'à demander à ce que les ARS soient supprimées et que le champ de compétence de la santé soit à nouveau confié aux préfets de département.

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 4D », intègre plusieurs dispositions concernant la santé, et notamment la gouvernance des ARS ainsi que le financement de l'investissement des établissements de santé par les collectivités territoriales. L'ensemble de ces mesures vise à redonner aux élus, que ce soient les communes, leurs groupements, les départements et les régions, un rôle plus important dans le champ de la santé. Beaucoup se sont émus de ne pas être assez concertés pendant cette crise, mais également avant lors d'évolutions de l'offre de soins sur certains territoires (fermeture de services), conduisant certains à qualifier les ARS de monstres froids bureaucratiques, coupés des réalités de terrain.

Mais finalement ces ARS, qui ont fêté leurs dix ans en 2020, c'est quoi et c'est qui ? Pourquoi les a-t-on créées ? comment fonctionnent-elles ? Retour sur le passé, le 21 juillet 2009, avec une autre loi, HPST, hôpital, patients, santé et territoires, qui consacre la création des ARS. Dorénavant, dans chaque région, une ARS a pour mission de définir et de mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d'actions concourant à la réalisation, à l'échelon régional et infrarégional : des objectifs de la politique nationale de santé, des principes de l'action sociale et médico-sociale, des principes fondamentaux du code de la sécurité sociale. A ce titre, l'ARS contribue au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Les ARS sont chargées de mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé publique et de réguler l'offre de soins et médico-sociale.

La création des ARS : plus de 10 ans d'attente

Le Haut Conseil pour la Santé Publique (HCSP) préconisait déjà en 1998, 4 scénarios pour modifier le mécanisme d'allocation des ressources du système de soins dans le sens d'une amélioration de l'équité et de l'efficacité productive.

Le premier scénario consistait à modifier les méthodes de régionalisation : déclinaison régionale des enveloppes de médecins généralistes et spécialistes, amélioration du calcul des parts de marché entre les secteurs hospitaliers public et privé, harmonisation et actualisation des données prises en compte par le modèle de péréquation, prise en compte de la morbidité dans le modèle de péréquation, simplification des processus de convergence vers les dotations cibles. Ce scénario ne modifiait donc en rien les principes de financement mais affinait simplement, sur le plan technique, les méthodes de péréquation interrégionale. Depuis avait été instaurée la tarification à l'activité en médecine, chirurgie et obstétrique, dans les hôpitaux publics et privés.

Le deuxième scénario proposait une péréquation sur l'ensemble des dépenses avec un redécoupage sectoriel dans un second temps, sans modification des structures régionales. Une petite marge de manœuvre, fondée sur la fongibilité des enveloppes, serait laissée au niveau régional pour financer des actions ciblées de santé publique. C'est ce scénario qui a été appliqué en 2004 avec la création de la mission régionale de santé en charge de répartir le fonds d'intervention pour la coordination et la qualité des soins hospitaliers et ambulatoires, ou bien encore la création du groupement régional de santé publique en charge de répartir les crédits relatifs à la promotion et à l'éducation pour la santé.

Le troisième scénario proposait deux modifications importantes : réserver dans l'ONDAM une enveloppe spécifique confiée après répartition à la gestion des régions pour la réalisation d'actions de santé ; répartir régionalement la part restante de l'ONDAM selon le seul critère d'alignement des tarifs et des coûts et pour les seules dépenses hospitalières. C'est sur cette base que la tarification à l'activité a été mise en place en 2004 dans les établissements de santé. Avec le risque déjà identifié que, dans la mesure où les ressources hospitalières ne seraient plus allouées en fonction des besoins de la population mais en fonction de la productivité des structures existantes, les structures de proximité seraient forcément pénalisées, sauf à considérer une valorisation spécifique de l'activité de proximité ou à les faire financer sur la sixième enveloppe de santé publique. Par ailleurs, ce scénario ne modifiant pas les structures régionales, cela supposait que celles-ci trouvent un accord régional pour répartir cette sixième enveloppe (on peut citer par exemple le financement des maisons de santé qui relevaient à l'époque de plusieurs financeurs). La création de la dotation régionale de développement des réseaux relevait de ce scénario également, l'ancêtre du Fonds d'intervention régional (FIR).

Enfin, le quatrième scénario proposait un changement radical du mécanisme actuel d'allocation des ressources fondé sur une allocation régionale globale gérée par une instance régionale unique. Ce quatrième scénario allait jusqu'au bout de la logique de régionalisation du système de santé en confiant à une instance unique, l'ARS, la charge de répartir une enveloppe globale pour le financement des dépenses de soins de la région, établie sur la base des états de santé de la population dans chaque région.

Il aura donc fallu attendre dix ans pour voir enfin créée en 2009 l'agence régionale de santé, conformément aux préconisations du HCSP, sans toutefois s'accompagner de la régionalisation des dépenses de santé. Les enveloppes resteront sectorisées, et les marges de manœuvre extrêmement limitées : quid de la fongibilité entre enveloppes sanitaire, médico-sociale et santé publique ? Le FIR est venu y remédier depuis, mais seulement pour partie, avec également des possibilités de fongibilité d'enveloppes.

Le niveau national :

De la gestion et la décision à la conception et l'expertise, mission impossible ?

Dans le cadre d'un financement de la santé entièrement régionalisé et confié à une instance régionale unique, l'ARS, le rôle du niveau national (Etat et Assurance maladie) doit se trouver considérablement amoindri. Il revient ainsi au niveau national de définir les priorités de santé publique, sous la forme par exemple d'objectifs quantifiés de santé publique et d'obligations en matière de prévention. Le niveau national doit veiller en particulier au respect dans les régions des grands principes qui sous-tendent le système de soins : accessibilité, qualité et sécurité, efficacité. Il doit veiller également au refus de la sélection des risques et au maintien d'une assurance maladie universelle. Le Parlement est toujours en charge de voter le taux d'évolution de l'ONDAM, qui est calculé en fonction des besoins transmis par chaque région. Un contrat d'objectifs et de moyens est conclu entre le niveau national et chaque ARS, contrat qui définit les modalités d'attribution et le montant de l'enveloppe régionale allouée pour financer les producteurs de soins de la région. En contrepartie l'ARS s'engage à mettre en œuvre la politique de santé définie par le gouvernement et à faire respecter les grands principes précédemment cités. Il appartient également au niveau national de fixer les normes d'équipement et de sécurité sanitaire, mission qui par ailleurs pourrait très bien être confiée à la HAS (Haute Autorité en Santé), de manière à obtenir un consensus avec les professionnels sur les normes et les référentiels, qui de ce fait, ne seraient plus contestés ensuite. Le niveau national apparaît dès lors comme un niveau d'encadrement, de conception et d'expertise, et non plus comme un niveau de gestion et de décision. Dans le cadre d'un CPOM conclu avec l'ARS, le niveau national s'assure que les objectifs qui sous-tendent l'organisation de la santé sont respectés dans chaque région. Ils fixent les grands principes d'allocation des ressources et de prise en charge des soins. Les Ars sont ensuite autonomes pour répartir l'enveloppe qui leur est allouée par le contrat passé avec le niveau national.

La loi HPST a instauré un conseil national de pilotage des ARS, qui réunit des représentants de l'Etat, de ses établissements publics nationaux, et de l'Assurance maladie, présidé par les Ministres chargés de la santé, de l'assurance maladie, des personnes âgées et handicapées, du budget et de la sécurité sociale. Ce conseil national donne aux ARS les directives pour la mise en œuvre de la politique nationale de santé sur le territoire. Il veille à la cohérence des politiques qu'elles ont à mettre en œuvre en termes de santé publique, d'organisation de l'offre de soins et de prise en charge médico-sociale et de gestion du risque, et il valide leurs objectifs. Il valide toutes les instructions qui leur sont données. Il conduit l'animation du réseau des ARS. Il évalue périodiquement les résultats des actions des agences et de leurs directeurs généraux. Le conseil national veille à ce que la répartition entre les ARS des financements qui leur sont attribués prennent en compte l'objectif de réduction des inégalités de santé. Les ministres chargés de la santé, de l'assurance maladie, des personnes âgées et handicapées signent avec le directeur général de l'ARS un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens de l'agence. Le contrat est conclu pour une durée de 4 ans, révisable chaque année.

Force est de constater que le rôle du niveau national n'a pas vraiment changé, et encore moins diminué, et que l'autonomie des ARS n'est pas si réelle dans les faits.

Avant les ARS c'était comment ?

Retour sur le millefeuille administratif

Il est important de se rappeler que les ARS ont été créées pour mettre fin à l'absence de cohérence en matière de politique de santé constatée dans les années 2000 et fortement décriée par l'ensemble des élus et des acteurs de la santé.

Avant 2010, l'Etat et l'Assurance maladie se partageaient les compétences santé au niveau régional et départemental avec plusieurs institutions :

– les ARH (agences régionales de l'hospitalisation) en charge des établissements de santé, sous la forme d'un GIP (groupement d'intérêt public) entre l'Etat et l'Assurance maladie

– les URCAM (unions régionales des caisses d'assurance maladie) en charge de la gestion du risque assurance maladie et de la médecine de ville

– les services déconcentrés de l'Etat, DRASS (direction régionale des affaires sanitaires et sociales) et DDASS (direction départementale des affaires sanitaires et sociales) sous l'autorité respective du préfet de Région et des Préfets de département, en charge du médico-social, de la formation, de la santé environnementale et de la santé publique

– sans compter le groupement régional de santé publique (GRSP) et la mission régionale de santé (MRS) à une tutelle stratégique. La souplesse de fonctionnement et la rapidité de la réponse caractérisent les ARH qui sont des administrations de mission et non des administrations de gestion et d'instruction de dossiers (à noter que ce qui était vrai en 2002 ne l'est plus en 2010 : les ARH sont aussi au cours du temps devenues des administrations de gestion !).

– et bien entendu les autres partenaires, à savoir les caisses primaires d'assurance maladie, les départements sur le médico-social.

Cette absence d'unicité de décision sur la santé était fort préjudiciable ; c'est pour cela que les ARS ont été créées, il faut le rappeler et savoir s'en souvenir.

Un champ d'intervention beaucoup plus large que la production des soins : la santé

La loi HPST est allée bien au-delà de la simple mission de régulation de l'offre de soins confiée à l'ARS, en lui attribuant d'autres domaines d'intervention, et notamment la mise en œuvre au niveau régional de la politique de santé publique. A ce titre, elle doit organiser la veille sanitaire, l'observation de la santé, le recueil et le traitement des signalements d'évènements sanitaires. Elle doit contribuer à l'organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire. Elle doit établir un programme annuel de contrôle du respect des règles d'hygiène ; elle doit réaliser les prélèvements, analyses et vérifications prévus dans ce programme et procéder aux inspections nécessaires. Elle doit définir et financer des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d'autonomie, et veiller à leur évaluation.

Ceci dans une vision globale de la santé de l'homme. Certains se sont interrogés sur l'opportunité d'un tel champ très vaste d'intervention. Les résultats seraient d'autant plus durs à atteindre que les objectifs seront nombreux, et surtout parfois antinomiques. Il y a 10 ans nous citions un exemple pour illustrer nos propos, celui des lits de réanimation. Du point de vue du régulateur de l'offre de soins, les services de réanimation, très techniques, doivent être concentrés sur les sites importants et ne pas être multipliés compte tenu de leur coût. Du point de vue de la santé publique, les lits de réanimation, jamais en nombre suffisant, doivent être nombreux, au cas où, même s'ils restent « vides ». Or quid des recettes dans un mode de tarification à l'activité ? Et nous gagions que les ARS sauraient relever le défi que de concilier santé publique et régulation de l'offre de soins. Nous ne savions pas que 10 ans plus tard les ARS auraient à relever ce défi dans le cadre d'une crise sanitaire, et mieux encore que la réanimation serait au cœur de la problématique. Et si la crise a bien révélé une chose, c'est que l'ensemble des champs de la santé ont été impactés, avec la nécessité d'avoir une seule institution garante entre la prévention, l'accompagnement, l'offre de soins et médico-sociale ; la crise n'a fait que renforcer cette nécessaire vision globale de la santé.

Un mode de gouvernance centré sur une seule personne : le directeur général

A la création des ARH, leurs directeurs ont reçu le surnom de préfet sanitaire, tant leurs prérogatives étaient fortes. Or c'était oublier un peu vite le rôle fondamental de la commission exécutive du GIP ARH, chargée de délibérer sur les autorisations sanitaires et les contrats d'objectifs et de moyens. Une sorte en quelque sorte de contre-pouvoir au directeur de l'ARH, chargé de composer avec les représentants de l'Etat et de l'Assurance maladie. Mais également une instance bien utile en cas de décision « impopulaire » à mettre en œuvre.

Or, dans le cas de l'ARS, le directeur général a véritablement les pleins pouvoirs. Nommé en conseil des ministres, il exerce au nom de l'Etat toutes les compétences de l'ARS. C'est lui qui prépare et exécute le budget de l'ARS ; qui délivre les autorisations sanitaires et médico-sociales ; qui arrête le projet régional de santé et les schémas associés ; conclut les conventions tripartites avec les conseils généraux ; etc. Certes, il rend compte au moins deux fois par an au conseil de surveillance de l'ARS de la mise en œuvre de la politique régionale de santé et de la gestion de l'agence, communication rendue publique.

Mais force est de constater que le conseil de surveillance de l'ARS, établissement public de l'Etat à caractère administratif, présidé par le Préfet de région, a un rôle très limité, bien moindre par rapport à celui de la commission exécutive de l'ARH par exemple. Ses seules compétences propres résident dans l'approbation du budget et du compte financier de l'ARS. Sinon, il n'émet qu'un simple avis sur le plan stratégique régional de santé, le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens de l'ARS et sur les résultats de l'action de l'agence.

Certes, auprès de l'ARS et de son directeur général, est constitué une conférence régionale de la santé et de l'autonomie, chargée de participer par ses avis à la définition des objectifs et des actions de l'agence dans ses domaines de compétences : mais ce ne sont que des avis consultatifs, que le directeur général n'est pas tenu de suivre dans ses décisions finales.

Certes, sont constituées des commissions des politiques publiques de santé, associant les services de l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements et les organismes de sécurité sociale. Ces commissions sont compétentes pour assurer la cohérence et la complémentarité des actions déterminées et conduites par leurs membres dans les domaines d'une part de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile, d'autre part dans le domaine des prises en charge et des accompagnements médico-sociaux. Mais là encore, elles n'ont pas de pouvoirs décisionnels.

Le directeur général est donc bien seul à décider. Or, ce qui peut apparaître comme une force, peut se révéler très vite comme une grande faiblesse, tant sont grandes les pressions qui pèseront sur lui pour exercer les régulations de l'offre de soins qui s'impose. Mais également un manque de démocratie sanitaire dans la prise des décisions.

Un établissement public de gestion plutôt qu'une administration de mission

Le législateur a fait le choix de ne pas étendre simplement les missions des ARH, tout en conservant la souplesse de mode de fonctionnement en GIP. Tout au contraire, il a choisi de faire de l'ARS un établissement public à caractère administratif, doté de l'autonomie financière.

Cet établissement public regroupe en fait les personnels des ex DRASS et DDASS, des ex ARH, des ex URCAM, des ex GRSP, des ex MRS, des directions régionales du service médical du régime général (DRSM), des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), de la mutualité sociale agricole et du régime social des indépendants. Soit autant de statuts et de conventions collectives différentes, que de structures dont sont originaires les personnels. 10 ans plus tard ces statuts coexistent toujours.

L'ARS dispose d'un budget dont les ressources proviennent pour majeure partie d'une subvention de l'Etat et des contributions des régimes d'assurance maladie. Elle est dotée d'un comptable public.

Il est institué dans chaque ARS un comité d'agence et des conditions de travail pour l'ensemble du personnel de l'agence. Le comité d'agence est doté de la personnalité civile et gère son patrimoine.

Les ARS sont donc de véritables établissements, d'une taille minimale de 200 personnes, pouvant aller jusqu'à plus de 1200 personnels pour les plus grandes régions, comme l'Ile de France. Nous sommes donc bien loin des administrations de mission qu'étaient les ARH.

1 er janvier 2016 : naissance des nouvelles agences régionales de santé

Au 1er janvier 2016, suite à la loi portant création des nouvelles régions, 7 nouvelles ARS ont été redéfinies correspondant au nouveau ressort territorial des nouvelles grandes régions créées par fusion de 2 ou 3 régions actuelles (voir encadré).

Ces 7 nouvelles ARS ont donc adapté leur organisation au nouveau découpage régional. Elles ont ainsi redéfini leur implantation géographique, les relations entre les sièges et les délégations territoriales, sachant qu'il n'existe pas un modèle unifié d'organisation des ARS mais 13 modèles, les ARS, établissements publics, étant libres de choisir leur mode de fonctionnement interne. Or ce nouveau découpage en 13 grandes nouvelles régions n'est pas neutre en termes de fonctionnement.

Ainsi certaines grandes régions comptent plus de 10 départements : Rhône-Alpes/Auvergne, Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon,Aquitaine/Limousin/Poitou-Charentes, Alsace/Lorraine/Champagne-Ardenne, d'autres entre 5 et 8, comme Nord Pas-de- Calais/Picardie, Basse et Haute Normandie ou Bourgogne/Franche-Comté. Ce qui nécessite des organisations innovantes afin de garantir proximité de l'action et expertises des métiers.

Le niveau régional doit être celui de la définition de la stratégie, du pilotage/contrôle des activités, de l'observation et de l'expertise ; les délégations territoriales doivent constituer le niveau de proximité pour la mise en œuvre de la politique régionale, de manière concertée et coordonnée et dans un dialogue permanent avec les opérateurs et autres acteurs politiques et institutionnels, notamment les conseils départementaux.

Les ARS s'appliquaient donc à elles-mêmes les recommandations, voire les injonctions qu'elles entonnent aux établissements de santé et médico-sociaux : regroupement au sein de groupements hospitaliers de territoire pour mutualiser les fonctions support et faire ainsi des économies d'échelle, sur la base d'un projet médical partagé.

Mais en 2016 nous émettions déjà quelques interrogations : la création des nouvelles ARS s'accompagne-t-elle réellement d'économies de gestion ? Que sera le projet de santé commun aux nouvelles ARS ? Les fusions qui marchent sont celles qui se font dans la durée, en laissant aux femmes et aux hommes le temps d'apprendre à se connaître ; ils doivent partager un projet commun pour donner du sens à la réunion et faire taire les craintes légitimes des personnels. Or en ce qui concerne les ARS force est de constater qu'il n'existait pas de projet de santé commun au moment de leur création en 2016.

Pour autant les agences ont relevé le défi de conduire en moins d'un an leur fusion. Les 7 nouvelles agences sont toutes en ordre de marche, ont défini leur organigramme. On peut d'ores et déjà distinguer deux groupes d'ARS : les grandes ARS avec plus de 10 départements, qui ont tendance à renforcer les moyens des délégations départementales, les autres ARS qui ont tendance à plus concentrer les moyens sur les directions régionales.

Il est certain que cette réforme devait permettre de consolider les équipes des ARS en expertise métier ; mais les économies d'échelle recherchées ne risquaient-elles pas d'être des économies d'échelle vu la taille géographique des nouvelles grandes régions ?

Les nouvelles grandes régions et l'impact sur la démocratie sanitaire et l'organisation de la santé

Finalement, tout était écrit par avance.

Le ressort régional étant la base de l'ensemble de l'organisation de la santé en France depuis 2009, le nouveau découpage en 13 régions a induit de fait de profonds changements :

– 13 nouveaux conseils de surveillance des ARS, avec une nouvelle composition qui devait prendre en compte les nouveaux ressorts géographiques ;

– 13 nouvelles conférences régionales de santé et de l'autonomie (CRSA), dont la composition doit veiller à la représentation de chacune des anciennes régions ;

– des nouvelles unions régionales de professionnels de santé libéraux ;

– 13 projets régionaux de santé au lieu de 22 ;

– des relations avec les partenaires modifiées, voire à créer, dans le cadre de ce nouveau ressort territorial.

Ainsi au-delà de l'organisation interne des ARS, c'est toute l'organisation externe qui s'en est trouvée bouleversée, alors même que les ARS n'avaient que cinq ans et venaient à peine de trouver leurs marques. Toutes les relations étaient donc à réinventer, avec un souci, et non des moindres, de conserver une proximité des relations dans un cadre géographique très vaste.

Les débats sur le nouveau découpage territorial ont été nombreux, mais l'impact sur la santé a été très peu documenté. Or celui-ci était loin d'être neutre, puisque c'est toute l'organisation de la santé qui s'en trouvait modifiée, à commencer par les agences régionales de santé et leur organisation interne, mais également la démocratie sanitaire et la politique régionale de santé. En 2016 nous posions la question : quel sera dès lors l'apport bénéfique ou négatif sur l'état de santé de la population ? Aucune étude prospective n'ayant été réalisée sur le sujet, seul l'avenir serait en capacité de nous le révéler. Là encore nous n'imaginions pas que 5 ans plus tard ces nouvelles ARS seraient mises à rude épreuve avec la crise du coronavirus.

Conclusion

À l'aune de la crise que nous venons de vivre et au moment où le bout du tunnel est à l'horizon grâce à la vaccination, nous pouvons être tentés de vouloir refaire le monde, et à commencer la gouvernance de la santé. Certains veulent la suppression des ARS mais sur des motifs qui finalement ne sont pas les bons, qu'ils relisent leurs fondamentaux sur les ARS. Celles-ci ont-elles failli ? Je ne crois pas ; elles ont fait du mieux possible avec les moyens à leur disposition. En revanche oui, et on le voit bien à la lecture de cet article, il convient de redonner une place plus importance aux élus, c'est-à-dire à la démocratie, au sein de l'ARS. Et plus encore depuis la création des nouvelles régions de 2016 qui finalement a éloigné du terrain le centre de décision. Mais les ARS, leur DG et leurs équipes, en sont-elles la cause et l'origine ? Et bien non, ce ne sont pas les ARS qui ont légiféré sur les nouvelles régions. Les nouvelles ARS avaient à peine 5 ans d'existence quand la crise est arrivée. Par ailleurs c'est la loi qui a réduit la place des élus au sein des ARS, pas les ARS elles-mêmes, dont la plupart s'emploient justement à avoir des relations au plus près avec les élus de terrain.

Alors oui la loi 4D va dans le bon sens : redonner un sens et une légitimité démocratique aux ARS. Donc pas les supprimer, mais au contraire les renforcer dans leurs actions de santé au service de la population.

Encadré no 1 : les missions de l'agence régionale de santé (ARS)

La loi HPST définit les compétences et les missions de l'ARS regroupées dans deux grands domaines : la santé publique d'une part, l'offre de soins et médico-sociale d'autre part.

En premier lieu, l'ARS est chargée de mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé publique. A ce titre, elle organise la vielle sanitaire, l'observation de la santé, le recueil et traitement des signalements d'évènements sanitaires. Elle contribue à l'organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire. Elle établit un programme annuel de contrôle du respect des règles d'hygiène ; elle réalise les prélèvements, analyses et vérifications prévus dans ce programme et procède aux inspections nécessaires. Elle définit et finance des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d'autonomie, et elle veille à leur évaluation.

En second lieu, l'ARS est chargée de réguler, d'orienter et d'organiser l'offre de services de santé, de manière à répondre aux besoins en matière de soins et de services médico-sociaux, et à garantir l'efficacité du système de santé. A ce titre, elle contribue à évaluer et à promouvoir la qualité des formations des professionnels de santé. Elle autorise la création et les activités des établissements et services de santé ainsi que des établissements et services médico-sociaux ; elle contrôle leur fonctionnement et leur alloue les ressources qui relèvent de sa compétence. Elle veille à ce que la répartition territoriale de l'offre de soins permette de satisfaire les besoins de la population. Elle contribue à mettre en œuvre un service unique d'aide à l'installation des professionnels de santé. Elle veille à la qualité et à la sécurité des actes médicaux, de la dispensation et de l'utilisation des produits de santé ainsi que des prises en charge et accompagnements médico-sociaux et procède à des contrôles à cette fin, elle contribue à la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance dans les établissements et services de santé et médico-sociaux. Elle veille à assurer l'accès aux soins de santé et aux services psychosociaux des personnes en situation de précarité ou d'exclusion. Elle définit et met en œuvre les actions régionales prolongeant et complétant les programmes nationaux de gestion du risque et des actions complémentaires (contrôle et amélioration des modalités de recours aux soins et des pratiques des professionnels de santé). Elle encourage et favorise l'élaboration et la mise en œuvre d'un volet culturel au sein des établissements.

Présentation des régions

– Alsace – Lorraine – Champagne Ardenne,

– Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes,

– Midi-Pyrénées – Languedoc Roussillon,

– Rhône-Alpes – Auvergne,

– Bourgogne – Franche Comté,

– Nord Pas de Calais et Picardie,

– Basse et Haute Normandie.

Les 6 autres régions restant inchangées :

– Ile de France,

– Centre,

– Bretagne,

– Provence Alpes Côte d'Azur,

– Corse,

– Pays de Loire.