OBJECTIF SOINS n° 0282 du 02/09/2021

 

Crise sanitaire en Outre-mer

ACTUALITÉS

Adrien Renaud  

La Martinique et la Guadeloupe ont connu au mois d’août une situation épidémique extrêmement tendue, à tel point que des soignants sont venus de métropole pour aider leurs confrères antillais à faire face au covid. Une expérience visiblement éprouvante.

L’équation, somme toute, est assez simple : variant delta du coronavirus + faible couverture vaccinale = explosion des contaminations, des hospitalisations, des admissions en réanimations et des décès. C’est cette arithmétique implacable qu’ont vécue la Martinique et la Guadeloupe au mois d’août. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est trop tôt pour savoir si la triste dynamique épidémique s’est prolongée en septembre, mais une chose est d’ores et déjà certaine : les équipes soignantes locales, quelles que soient leurs mérites, ont été débordées, et ont dû recevoir le renfort de blouses blanches venues de métropole.

Et quand on demande à ces dernières d’expliquer ce qu’elles ont vécu, il est un vocable qui se retrouve sur toutes les lèvres : « catastrophique ». « C’est vraiment catastrophique, l’afflux de patients aux urgences ne faiblit pas », se désole ainsi David Ruamotu, cadre de santé formateur à Amiens, positionné à l’hôpital de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Il faut dire que les patients sont si nombreux que les soignants ont parfois l’impression de devoir pousser les murs. « Il y avait dans les services de soin une pièce qui ne servait pas, et on y a mis trois lits pour pouvoir y mettre les corps dès qu’on a un décès, explique David. C’est comme une morgue intermédiaire, ce qui nous permet de désinfecter la chambre du défunt et d’accueillir plus vite un patient venu des urgences. »

Histoires dramatiques

Il faut dire que celles-ci sont plus que débordées. « Le moindre centimètre carré dont nous disposons est mis à profit, témoigne Marjolaine Benard, aide-soignante à l’hôpital de Fécamp (Seine-Maritime) qui s’est elle aussi portée volontaire et qui a elle aussi été affectée aux urgences du CHU de Pointe-à-Pitre. Et malgré nos efforts, il y a des gens qui restent plus de 24 heures aux urgences. Nous avons des décès sur des brancards, des gens que nous n’avons pas le temps de monter dans les services. » L’aide-soignante a malheureusement beaucoup d’histoires dramatiques à raconter. « La dernière fois, j’ai fait l’accueil d’une dame de 60 ans qui était sous 15 litres d’oxygène, et qui était extrêmement triste parce que c’était le jour de l’inhumation de sa fille de 38 ans, décédée du covid une semaine plus tôt », explique-t-elle.

Mais Marjolaine n’est pas la seule à avoir eu des expériences difficiles. Romain Afonso, infirmier au Centre médico-chirurgical « Les Cèdres » de Brive-la-Gaillarde, qui fait partie de la vingtaine de soignants du groupe Elsan venus en renfort aux Antilles en août, peut en témoigner. « Je me souviens d’une patiente de 37 ans, que nous prenions en charge sous Optiflow et avec laquelle j’avais pu échanger, explique le jeune homme, qui a été affecté en réanimation à Fort-de-France en Martinique. La veille de mon départ, elle a fait une décompensation respiratoire fulgurante, elle a passé un dernier coup de fil à sa fille et on a dû l’intuber… Je ne sais pas si elle s’en est sortie. »

Moments de solidarité

Malgré ces moments douloureux, les soignants venus en renfort disent qu’ils ont aussi et surtout vécu de grands moments de solidarité. « J’ai eu un très bon accueil de la part des équipes soignantes, médicales ou paramédicales, témoigne David. Et la cohésion de groupe est extrêmement importante dans ce qu’on a traversé : il y a toujours quelqu’un avec qui échanger sur ce qu’on a vécu de difficile dans la journée. C’est une réelle force de notre groupe de renfort. » D’ailleurs, certains ont choisi de rester plus longtemps que prévu. C’est le cas de Marjolaine, qui devait s’envoler pour la métropole au bout de deux semaines, mais qui a choisi de rester au moins une semaine de plus. « J’ai des collègues qui sont épuisés, mais moi j’ai encore la force, et si j’avais dû partir à la date initialement prévue, j’aurais eu un goût d’inachevé. »

Reste que la vraie solution pour mettre un terme à la crise, elle, reste un sujet tabou. « La vaccination est un sujet très délicat à aborder, et beaucoup de soignants la refusent de manière très affirmée, regrette David. Certains voient ce qui passe dans leur service et je note une petite prise de conscience, mais cela reste vraiment difficile. » De toute façon, les renforts sont malheureusement là pour guérir… pas pour prévenir.