Jurisprudence d'avril, mai et juin 2021 - Objectif Soins & Management n° 0282 du 02/09/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0282 du 02/09/2021

 

 

DROIT

Gilles Devers   Avocat à la cour de Lyon  

Les situations de jurisprudence évoquées dans cet article concernent : le droit disciplinaire (faute de comportement dans l’équipe, maltraitances) ; la qualité de la surveillance (chute en salle de réveil, suicide d’un patient en chambre d’isolement) ; le régime de responsabilité pour les infections nosocomiales ; la pratique des actes (examen insuffisant aux urgences constituant une faute de diagnostic, défaut de précaution lors d’une intubation, mauvaise organisation des soins pour une trachéotomie, paralysie faciale après l’usage du masque).

1/ DROIT DISCIPLINAIRE

Des travers de comportements au travail, conduisant à constater une incapacité à exercer avec l’équipe, sont des fautes disciplinaires qui peuvent justifier une révocation (CAA de Bordeaux, 8 juin 2021, n° 19BX01867).

Une agent hospitalier a été recrutée dans un EHPAD et titularisée en 2004. Des évènements survenus en 2018 ont conduit la directrice à prononcer une révocation, approuvée par les quatre membres du conseil de discipline, pour comportements déplacés, montant une incompatibilité à travailler en équipe.

Aux termes de l'article 29 de la loi du 23 juillet 1983 : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ».

Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction, et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

La sanction de révocation prononcée est fondée sur un comportement consistant de façon récurrente à menacer de mort et de violences physiques ainsi qu'à injurier ses collègues de travail, voire les résidents de l'EHPAD. Des témoignages précis et concordants des collègues de travail, renforcés par le rapport de la directrice, montrent que l’agent avait un comportement inapproprié en tenant des propos injurieux, intimidants et menaçants tant à l'égard de ses collègues qu'à l'égard des résidents.

L'ensemble des témoignages, citant des incidents précis, font apparaître un comportement général de l’agent caractérisé par une outrance verbale et une agressivité injustifiée, une volonté de ne réaliser que les tâches qu'elle accepte, entretenant un climat de rivalité et de mésentente entre les agents de services hospitaliers (ASH) et les aides-soignantes de nature à nuire gravement à l'intérêt du service. Plusieurs agents ne souhaitaient plus travailler en binôme avec elle, et elle-même exigeait de choisir les agents avec lesquels elle pouvait travailler, refusant de parler aux autres, et incitait ses collègues à refuser toute aide pour une tâche qui ne serait pas mentionnée sur la fiche de poste des ASH.

Ces faits, dont la matérialité est ainsi établie, constituent des manquements au devoir de respect des collègues de travail et des résidents, de nature à justifier une sanction. Au regard des troubles causés dans l'organisation du service, des tensions et du climat d'anxiété provoqué, ceux-ci faisaient obstacle au maintien de l’agent dans l'établissement. Par suite, la sanction de révocation n'est pas disproportionnée.

Des défauts d’attention, des brusqueries dans les soins, et un geste inapproprié sont analysés comme des faits de violence commis sur des personnes vulnérables, et justifient un licenciement pour faute grave (Cour de cassation, Chambre sociale, 31 mars 2021, n° 19-23518).

Une aide-soignante, engagée en 1987 par une association, a été licenciée pour faute grave le 1er décembre 2012, au motif de faits de maltraitance, et la salariée a saisi la juridiction prud'hommale.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Toute violence commis sur les patients est une cause de licenciement, dont l’ampleur et les conséquences sont appréciées en fonction des preuves apportées.

Le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel, ont retenu trois faits, que la Cour de cassation va valider.

Premier grief. Devant effectuer une douche à un patient, l’aide-soignante n'avait pas pris le soin de régler la température de l'eau, trop chaude. Elle a déclaré : « C'est vrai que le premier jet était chaud, j'ai alors demandé au résident s'il voulait qu'on change de douche ou si on continuait. Il m'a dit de continuer, j'ai fait vite ». Cette déclaration corrobore les déclarations du résident, même si celui-ci a voulu minimiser les faits en qualifiant l'aide-soignante de « brusque » et non de maltraitante.

Deuxième grief. Une résidente était atteinte de troubles psychiatriques rendant son élocution difficile et avait été opérée quelques semaines plus tôt d'une ablation de l'œil gauche. L’aide-soignante avait, pendant la douche, dirigé le jet d'eau en direction de son visage, l'empêchant de crier. Ce fait a été constaté par une autre aide-soignante, qui a indiqué avoir été choquée de voir que sa collègue lavait « l'œil en lui mettant directement le jet d'eau dans son visage », alors que selon la procédure seule une infirmière était habilitée à nettoyer son œil de façon adaptée. Elle lui avait demandé « d'arrêter puisque l'eau coulait dans la bouche de la résidente qui criait, et semblait avoir des difficultés à respirer ». L’aide-soignante incriminée avait répondu « Mais si, elle respire ». Lors de l’enquête, elle a déclaré : « La résidente ayant un œil gauche crevé, aux fins de nettoyer les saletés se trouvant dans l'auriculaire, le jet d'eau tiède a été placé et insistant au-dessus de l'œil. Cet acte n'a occasionné aucune blessure supplémentaire à la résidente. Son œil a été nettoyé. Cela a choqué une jeune aide-soignante débutant dans la profession. Pour ma part, je n'ai commis aucun acte de maltraitance ». Cet acte non professionnel doit être considéré comme une maltraitance.

Troisième grief. L’aide-soignante avait tordu le bras d’une résidente pour la redresser, ainsi qu'en ont attesté trois membres de l’équipe, indiquant l’avoir vue « tordre fortement le bras de la patiente afin qu'elle se redresse d'elle-même », l’un d’eux lui ayant « dit d'arrêter » de « peur qu'elle lui casse le bras ». Le fait que l'entourage de cette résidence ait pu affirmer n'avoir constaté aucun geste de maltraitance ne suffit pas à contredire ce témoignage, la famille témoignant de manière générale et non au regard de cette scène dont la preuve doit être considérée comme établie.

Ces trois faits décrits sont constitutifs de maltraitance à l'égard des résidents, et justifient le licenciement pour faute grave de l’aide-soignante, pour avoir violenté ces personnes et porté atteinte à leur dignité de personnes fragiles, dépendantes et pas à même de se défendre.

2/ QUALITÉ DE LA SURVEILLANCE

Le fait qu’un patient chute en salle de réveil, alors même que les conditions exactes de son installation ne sont pas établies par le dossier, est un fait qui permet de présumer la faute dans une phase où la surveillance doit être intense, ce qui engage la responsabilité de l’établissement (CAA de Versailles, 28 juin 2021, n° 19VE01781).

Le 21 septembre 2012, un homme a subi une intervention chirurgicale dans le cadre d'une prise en charge en ambulatoire au sein d’un centre hospitalier. Après cette opération, alors qu'il se trouvait en phase de réveil, il a fait une chute provoquant une fracture du col du fémur qui a nécessité une seconde opération et son hospitalisation au sein de l'établissement jusqu'au 3 octobre 2012.

L'article L. 1142-1 I du CSP prévoit que les professionnels de santé et les établissements de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les déclarations des parties et l’analyse des pièces du dossier ne permettent pas de déterminer avec certitude le type d'anesthésie pratiquée et le type de contention, fauteuil, ou brancard avec barrières levées ou non, dont faisait l'objet le patient. Cela dit, il est établi que le patient est tombé en salle de réveil, endroit où il aurait dû faire l'objet d'une surveillance renforcée.

En l'absence de tout autre élément ayant pu concourir à la réalisation du dommage, ce défaut de surveillance, qui traduit une faute dans l'organisation du service public hospitalier, engage la pleine responsabilité de celui-ci.

Le suicide d’un patient en hospitalisation sous contrainte et placé en chambre d’isolement n’engage pas la responsabilité du centre hospitalier dès lors qu’il y avait une cohérence dans la prise en charge médicale, et que la surveillance infirmière était fréquente et effective (CAA de Lyon, 13 avril 2021, n° 19LY02495).

Un homme, âgé de 26 ans, a été admis en hospitalisation complète sous contrainte dans un centre hospitalier spécialisé où il était suivi régulièrement depuis 2008 en raison d'une schizophrénie de type paranoïde associée à des conduites addictives.

Le 27 juillet 2014, entre 11 heures 30 et 13 heures, il s'est suicidé par pendaison aux charnières de la porte de sa chambre d'isolement et au moyen de ses draps.

Ce patient était suivi depuis une dizaine d'années par cette équipe hospitalière pour une schizophrénie de type paranoïde avec comorbidité addictive. Cette prise en charge du patient était rendue complexe du fait du déni complet des troubles, de fugues répétées, d’une agitation voire d’une son agressivité à l'égard des soignants et des autres patients.

Ses troubles délirants ont donné lieu à son placement en chambre d'isolement à plusieurs reprises, à une surveillance rapprochée de son comportement, et ont justifié son transfert dans une unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) à compter du 2 juillet 2014.

Le patient a toutefois été réintégré à compter du 10 juillet 2014 au centre hospitalier, date à laquelle il a exprimé pour la première fois des pensées suicidaires.

Le 19 juillet 2014, il a fait une tentative de fugue, renouvelée le 24 juillet 2014, et notamment justifiées par son opposition à son nouveau transfert à l'USIP prévu le 29 juillet suivant.

Le 25 juillet 2014, l'état d'angoisse s'est dégradé avec un chantage au suicide suivi d'une tentative d'autolyse par phlébotomie devant un infirmier. Face à l'expression de ses idées suicidaires, une adaptation du traitement médicamenteux a été mise en place, qui a semblé donner de bons résultats. En outre, même si aucun suivi médical n'a été effectué entre le 19 et le 24 juillet 2014, le patient a bénéficié, dans les jours précédant son suicide, de visites régulières de l'équipe médicale dans sa chambre d'isolement.

Le 27 juillet 2014, une surveillance a été effectuée toutes les deux à trois heures, à 0 heures 34, à 5 heures 34, à 9 heures et à 11 heures 30, avant que le patient soit découvert pendu dans sa chambre lors d'une nouvelle ronde à 13 heures. Selon l'expert, même si aucun programme spécifique à la crise suicidaire n'a été formalisé, un tel rythme de surveillance, ainsi que la pose d'entraves lors des périodes d'agitation, correspondent aux bonnes pratiques professionnelles à l'égard des patients hospitalisés en milieu fermé qui recommandent une visite toutes les deux heures dans le cas général. Or, et alors que le patient présentait une attitude calme et coopérante la veille et le matin de son passage à l'acte qui pouvait être attribuée à l'efficacité de son nouveau traitement, aucune urgence suicidaire ne justifiait que des mesures de surveillance plus strictes soient mises en œuvre par le centre hospitalier Alpes-Isère.

Il suit de là qu'aucune faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier n'a été commise.

3/ RÉGIME DE RESPONSABILITÉ POUR LES INFECTIONS NOSOCOMIALES

Une infection survenant au cours de la prise en charge d'un patient pour une détresse respiratoire, et qui n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, a un caractère nosocomial, sauf s'il est prouvé qu'elle a une origine autre que la prise en charge. Les facteurs aggravant du risque – forte obésité, corticothérapie et durée de la ventilation mécanique – n’ont aucun effet exonératoire (CAA de Douai, 6 avril 2021, n° 19DA02651).

Le 7 mai 2012, un homme né en 1966 et atteint d'une obésité morbide, a subi dans une clinique une gastrectomie longitudinale sous cœlioscopie, dite sleeve. Dans les suites immédiates, il a présenté un syndrome de détresse respiratoire aigu justifiant, dès le lendemain, son transfert en réanimation dans un centre hospitalier où il est resté hospitalisé jusqu'au 9 juillet 2012.

Dans les premiers jours de cette hospitalisation, le patient a présenté un état fébrile, qui s'est aggravé jusqu'au 26 mai 2012. Entre-temps, le 27 mai 2012, une infection respiratoire à staphylocoque doré a été mise en évidence et a justifié un traitement antibiotique du 28 mai au 11 juin 2012.

À sa sortie le 9 juillet, le patient a été réadmis à la clinique Mathilde où a été mise en évidence une importante collection des muscles paravertébraux gauches, le 12 juillet.  Des examens radiologiques ont mis en évidence un abcès paravertébral, justifiant une nouvelle intervention chirurgicale. Son état de santé a été regardé comme stabilisé le 28 octobre 2014.

En application de l'article L. 1142-1 I CSP, doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

Selon les experts, le patient a contracté une infection respiratoire à staphylocoque doré méti-S au cours de son séjour en réanimation au centre hospitalier.

La présence de ce germe a été mise en évidence le 27 mai 2012, soit dix-neuf jours après l'admission dans cet établissement. Il n'existait pas d'infection avérée à l'admission alors qu'à cette date, le tableau clinique était celui d'un syndrome de détresse respiratoire aigu avec atélectasie. L'infection en cause, une pneumonie vraisemblablement acquise sous ventilation mécanique, n'était donc ni présente, ni en incubation à l'admission au centre hospitalier.

Il est exact que le risque infectieux était majoré par l'état antérieur du patient, la corticothérapie et la durée de la ventilation mécanique, mais l'infection contractée est associée aux soins et aucune de ces circonstances ne peut être regardée comme caractérisant une origine autre que la prise en charge du patient dans le service de réanimation de nature à exonérer la responsabilité du centre hospitalier dans la survenue de l'infection à staphylocoque.

L'abcès paravertébral est dû au même germe que celui mis en évidence le 27 mai 2012, qui n'est pas d'origine digestive, et le délai d'incubation de ce germe est tout à fait compatible avec une greffe hématogène, d'autant que le patient a reçu un traitement antibiotique prolongé.

Aussi, la responsabilité du centre hospitalier doit être engagée à raison de la survenue de l'abcès dorsal, imputable à l'infection nosocomiale contractée dans cet établissement.

Le centre hospitalier doit être condamné à indemniser l'ensemble des séquelles subies du fait de l'infection nosocomiale contractée au cours de son hospitalisation dans cet établissement du 8 mai 2012 au 9 juillet 2012, y compris la survenue de l'abcès paravertébral mis en évidence après coup.

Le débat ne porte pas sur la faute, mais sur le constat de l’apparition du fait infectieux, alors que les critères d’aggravation du risque – forte obésité, corticothérapie et durée de la ventilation mécanique – ne jouent pas comme cause exonératoire, ni comme perte de chance. La seule défense est la preuve de l’antériorité.

4/ PRATIQUE DES SOINS

Une insuffisance de l’examen clinique par le médecin des urgences ne distinguant pas les éléments d’un accident vasculaire cérébral, ce qui a conduit à différer la réalisation d'un scanner cérébral, est une faute de diagnostic qui a fait perdre 70 % de chances de guérison au patient, ce qui engage la responsabilité dans cette proportion (CAA de Lyon, 13 avril 2021, n° 19LY01502).

Le 22 février 2015, aux alentours de 18 heures 30, un patient alors âgé de 52 ans, a ressenti un déficit brutal du bras droit et des troubles de la parole. Il a alors été fait appel aux sapeurs-pompiers qui l’ont dirigé vers le centre hospitalier où il a été pris en charge au service des urgences à 20 heures, dans un état d'agitation et d'agressivité lié à une intoxication éthylique aiguë.

Un scanner cérébral, pratiqué vers 2 heures le 23 février 2015, n'ayant pas montré d'anomalie au niveau cérébral, le patient a été autorisé à regagner son domicile sans traitement ni recommandation particulière.

Après avoir constaté un engourdissement de son bras droit au réveil, le patient s'est présenté, le même jour à 11 heures, aux urgences d’un CHU où un IRM a permis de diagnostiquer un accident vasculaire cérébral ischémique récent dans le territoire sylvien gauche.

Estimant que les séquelles dont il demeure atteint, notamment un déficit sensitif ainsi que des troubles du comportement et des troubles cognitifs, trouvent leur origine dans sa prise en charge inadéquate au centre hospitalier, le patient a recherché la responsabilité de cet établissement de santé.

Selon l’expertise, la prise en charge au centre hospitalier n'était pas conforme aux règles de l'art en ce que, d'une part, le médecin des urgences n'a pas identifié à temps la survenue d'un accident vasculaire cérébral, ce qui a conduit à différer la réalisation d'un scanner cérébral et, d'autre part, le diagnostic adéquat n'a pas été posé après que ce scanner a été pratiqué.

Si le scanner cérébral permettait d'exclure un accident vasculaire hémorragique, en revanche, les symptômes présentés impliquaient que soit posé d'emblée le diagnostic d'un accident vasculaire cérébral ischémique qui devait être associé à la mise en place immédiate d'un traitement antiagrégant ainsi qu'à la réalisation d'un bilan biologique et cardiologique et d'un écho-doppler des troncs supra-aortiques.

Ce retard de diagnostic et cette prise en charge non conforme aux règles de l'art sont des fautes qui engagent la responsabilité du centre hospitalier, par application de l'article L. 1142-1 I du CSP.

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage.

Si le patient avait été pris en charge conformément aux règles de l'art et s'était vu ainsi administrer un traitement à base d'antiagrégants dès la soirée du 22 février 2015, l'aggravation de son état de santé le lendemain matin aurait pu ne pas avoir lieu ou avoir été moins importante et, selon une étude médicale publiée en 2016, l'absence de prescription d'un tel traitement à la suite d'un accident vasculaire cérébral mineur, réduit de 70 % la probabilité d'échapper, au cours des deux semaines suivant l'accident, à une récidive ou à un handicap en cas de récidive.

Aussi, la faute commise a fait perdre au patient une chance de 70 % d'éviter les séquelles qu'il présente en lien direct et certain avec l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime. 

Un manque d’information sur les risques liés à l’intubation est une faute, mais qui n’engage pas la responsabilité dès lors qu’il n’y a pas d’alternative réelle. En revanche, un défaut de précaution lors de l'intubation, alors que la patiente avait informé le personnel soignant de ce qu'elle était porteuse d'une prothèse dentaire, est une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier (CAA de Lyon, 13 avril 2021, n° 19LY02481).

Le 20 juin 2017, une dame a été admise dans un centre hospitalier en raison d'une péritonite. Le lendemain, elle a subi une intervention chirurgicale au cours de laquelle une intubation a été réalisée. Cette intubation a été à l'origine de la perte de cinq dents sur lesquelles étaient implantés des bridges.

Aux termes de l'article L. 11112 CSP : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver ».

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance.

La patiente fait valoir qu'elle n'a pas été informée des risques liés à cette intubation, et le centre hospitalier, sur lequel pèse la charge de la preuve, ne démontre pas avoir satisfait à son obligation d'information sur les risques que comportait une intubation.

Toutefois, cette intubation en vue de l'intervention chirurgicale était impérieusement requise de sorte que la patiente ne disposait pas de possibilité raisonnable de refus. Par suite, cette faute qu’est le défaut d’information n’a pas eu en elle-même de conséquences, et elle n’engage pas la responsabilité.

Le dossier met en évidence un défaut de précaution lors de l'intubation pour éviter la perte de dents et ce alors que la patiente avait informé le personnel soignant qu'elle était porteuse d'une prothèse dentaire, dont il n'est pas prouvé qu'elle aurait présenté des signes de fragilité. Ce défaut de précaution lors de l'intubation présente le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité entière du centre hospitalier.

Le fait de pratiquer une trachéotomie en service de réanimation et non au bloc opératoire a conduit à une mauvaise réalisation de l’acte entraînant des effets délétères, ce qui est une faute engageant la responsabilité (CAA de Versailles, 12 avril 2021, n° 19VE02839).

Le 5 octobre 2012, un homme âgé de 27 ans, a été hospitalisé pour subir une trachéotomie, afin de pallier l'insuffisance respiratoire causée par la myopathie dont il était porteur et qui avait atteint un stade avancé.

L'intervention, qui s'est déroulée sans difficulté particulière, a été suivie de plusieurs expulsions de la canule, de la survenue d'une inflammation de la trachéotomie, de douleurs, d'un pneumothorax, d'un pneumo médiastin et finalement, le 14 octobre 2012, d'une hémorragie brutale au niveau de la trachée et des poumons.

Le patient a été transféré le 15 octobre en service de réanimation où il est décédé le jour même avant qu'une intervention ne puisse être réalisée.

L'intervention chirurgicale, pourtant prévue de longue date et programmée, s'est déroulée dans le service de réanimation et non dans un bloc opératoire. Le centre hospitalier soutient que la réalisation de la trachéotomie au lit du patient est une pratique admise et validée dans la littérature médicale, mais il n'en demeure pas moins qu'une intervention en bloc opératoire, réalisée dans des conditions de sécurité maximales, aurait permis de bien définir la hauteur de l'ouverture de la trachée à la base du cou afin d'éviter les complications.

Les décanulations successives qui se sont produites, associées au caractère inflammatoire de la trachéotomie et aux douleurs dont s'est plaint le patient, traduisent une mauvaise adaptation de la canule à la trachée, notamment en raison du niveau de la trachéotomie. Le patient a rapidement présenté une atélectasie de la base pulmonaire droite (rétractation d'alvéoles pulmonaires), résultant du fait que la canule ne ventilait qu'un seul poumon.

Selon les experts, une telle situation est exceptionnelle avec une canule de trachéotomie, qui n'est pas en principe assez longue pour aller jusque dans la bronche, et ne s'explique que par le fait que la trachéotomie a été réalisée trop bas sur la trachée, à proximité anormale de la bronche.

Cette intervention chirurgicale, qui n’a pas été conforme aux règles de l'art, est une faute qui engage la responsabilité.

L’application du masque de ventilation, qui a été la cause d’une compression entraînant une paralysie faciale, n’a pas été, dans les circonstances de l’espèce, reconnue comme fautive, et cet accident médical a entraîné un préjudice certes anormal mais pas suffisamment grave pour ouvrir le droit à une indemnisation par l’ONIAM (CAA de Versailles, 28 juin 2021, n° 19VE01461).

Le 8 avril 2014, une dame a été hospitalisée pour subir des interventions en lien avec le cancer du sein dont elle était atteinte. Ces interventions ont été réalisées sous anesthésie générale, avec ventilation au masque.

Le 12 avril suivant, elle s’est présentée au service des urgences de l’hôpital, amenée par les pompiers, avec une paralysie faciale périphérique gauche qui a été évaluée par la suite comme de grade VI, soit la gravité maximale.

En vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du CSP, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

Celui-ci doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état, et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 CSP.

La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

La notion d’accident médical. Quatre jours après l'intervention chirurgicale, la patiente a été victime d'une paralysie faciale périphérique gauche, se manifestant par un déficit d'occlusion de l'œil, une chute de la commissure labiale et une asymétrie du sourire. Un électromyogramme réalisé le 26 mai 2014 a établi qu’elle souffrait d'une paralysie faciale gauche sévère, de grade VI.

Après avoir écarté diverses pathologies pouvant entraîner des paralysies faciales, les experts ont retenu que le tableau clinique pouvait relever de deux causes : soit une paralysie facile idiopathique dite a frigore, soit une paralysie faciale périphérique dite compressive liée au masque utilisé pour l'anesthésie. En faveur de la première cause, ils ont retenu le résultat de l'IRM mais relèvent l'absence d'antécédent d'herpès alors que cette étiologie semble aujourd'hui prévaloir. En faveur de la deuxième cause, ils ont relevé la chronologie des faits, l'absence d'antécédent d'herpès et le fait que la fixation au niveau du conduit auditif interne relevée par l'IRM n'était pas spécifique d'une paralysie faciale périphérique.

Par ailleurs, les experts ont ajouté que si de tels cas sont isolés, il existe une très importante sous-notification des effets indésirables de ces thérapeutiques, que la durée de 3 minutes d'application du masque n'exclut pas la compression, enfin que le mécanisme de la compression fait que la paralysie faciale n'est pas immédiate mais est décalée dans le temps.

Dès lors, le lien de causalité entre la paralysie faciale subie et l'acte médical peut être regardé comme établi, mais en revanche, la juridiction ne retient pas de faute à la charge de l’équipe. La compression résultant d’une application non fautive du masque de ventilation est la cause directe de la paralysie faciale périphérique gauche.

L'anormalité des dommages. La patiente ne pouvait pas se soustraire à l'intervention chirurgicale, hautement nécessaire, et aucune alternative thérapeutique ne pouvait lui être proposée.

Le risque de souffrir d'une telle paralysie du fait de l'application d'un masque de ventilation est exceptionnel. Dès lors, dans les conditions où l'anesthésie liée à l'intervention chirurgicale a été accomplie, la survenance du dommage subi par la patiente présentait une probabilité faible et, par suite, un caractère anormal, au sens du II de l'article L. 1142-1 CSP.

La gravité des dommages. La patiente à qui les experts ont reconnu un déficit fonctionnel permanent de 15 %, ne peut se prévaloir du taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 24 % prévu à l'article D. 1142-1 CSP.

Elle n'a certes pas cessé son activité professionnelle, pour des raisons financières et du fait de son caractère, mais ses activités ont été rendues plus difficiles et elle subit un syndrome dépressif post-traumatique. Elle fait valoir également que son préjudice esthétique a été évalué à 2/7. Elle produit au soutien de son argumentation de nombreux témoignages de relations professionnelles qui attestent du changement physique et des difficultés rencontrées depuis cet accident, un listing des nombreux rendez-vous chez l'orthophoniste et des attestations des professions médicales qui la prennent en charge pour sa rééducation ainsi que des photographies.

Toutefois, les conséquences négatives de l'état de santé sur sa vie quotidienne et professionnelle, ne peuvent pas, pour autant, être regardées comme des troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article D. 1142-1 CSP.

Ainsi, la juridiction a reconnu la notion d’un accident médical non fautif cause du préjudice, le caractère anormal du préjudice, mais le critère de gravité n’est pas atteint, et la demande d’indemnisation via l’ONIAM est rejetée.