OBJECTIF SOINS n° 0282 du 02/09/2021

 

PORTRAIT

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Propos recueilis par Claire Pourprix  

Annabelle Mathon est cadre supérieure de santé, Qualité Gestion des risques au centre hospitalier Simone Veil de Blois (Loir-et-Cher). Elle nous livre sa vision de la démarche qualité dans les soins et nous éclaire sur ses missions d’appui méthodologique et d’accompagnement des professionnels de santé dans l’évaluation des pratiques professionnelles.

Très rapidement après son diplôme d’État d’infirmière, obtenu en 1996, Annabelle Mathon s’est intéressée à l’hygiène hospitalière. En 2000, elle décroche un diplôme universitaire d’hygiène et d’épidémiologie infectieuse à Nantes. Cela lui permettra, après 4 ans de pratique en clinique médico-chirurgicale, d’être embauchée au centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay dans le cadre d’une création de poste, sur un mi-temps d’infirmière hygiéniste et un mi-temps d’infirmière coordinatrice en stérilisation, pour accompagner une démarche qualité naissante dans ce secteur. En 2003-2004, elle poursuit son parcours en suivant une formation de cadre de santé au CHU de Tours, avant d’être recrutée comme cadre de santé hygiéniste au CH de Blois. « Mon rôle, au sein d’une Équipe Opérationnelle d’Hygiène, était une mission transversale de management du risque infectieux sur l’établissement », précise-t-elle.

En 2012, à la suite de la parution des textes réglementaires sur la gestion des risques en établissement de santé*, Annabelle Mathon est nommée cadre gestionnaire des risques associés aux soins, au sein de la Direction des soins. Cette nouvelle fonction lui permet d’élargir son périmètre à la gestion de l’ensemble des risques en lien avec la pratique soignante (risques opératoires, médicamenteux…), en collaboration avec le service Qualité. En 2015, elle est intégrée à la Direction Qualité Gestion des risques, à laquelle elle apporte sa vision de soignante. « La qualité ne se limite pas à faire des protocoles, souligne-t-elle. Tout l’enjeu est d’intégrer la qualité au cœur du soin. »

Relations avec les usagers

Nommée cadre supérieure de santé au sein de la cellule Qualité Gestion des risques du CH de Blois en 2018, sa mission est élargie aux Relations avec les usagers en janvier dernier, sous la responsabilité de la coordinatrice générale des soins. « Il me semble très important de prendre en compte le vécu, l’avis des patients et usagers dans la démarche qualité. Jusqu’à présent, les Relations avec les usagers et la Qualité étaient opérées de manière assez cloisonnée. Je n’avais donc qu’une connaissance partielle, via les questionnaires de satisfaction, de « l’expérience qualité » vécue par les patients à leur sortie, alors qu’ils s’expriment aussi lorsqu’ils écrivent, que ce soit pour se plaindre, signaler une erreur, un incident ou une difficulté, ou au contraire pour féliciter les équipes. » Médiatrice non médicale depuis quelques années, Annabelle Mathon est rodée au lien avec les patients, puisqu’elle rencontre les réclamants et leurs proches pour certains dossiers de plaintes ou réclamations en binôme avec un médecin médiateur. « Cela me permet de rester ancrée dans la réalité du soin, même si je ne travaille plus au chevet du patient. »

À noter que, au plus fort de la crise de Covid-19, la direction n’a reçu que très peu de courriers de patients et rares ont été les dysfonctionnements signalés par les patients. Les courriers ont repris depuis, créant parfois un sentiment d’incompréhension chez les soignants : « Après avoir été applaudis et hissés au rang de héros pendant la première vague de la crise sanitaire Covid-19, les professionnels ont été heurtés lorsqu’ils ont de nouveau reçu des courriers d’insatisfaction de patients, moins compréhensifs, à distance de la crise », poursuit Annabelle Mathon. Cette période a été difficile. L’écoute des besoins, des attentes et du vécu des patients reste à développer, en lien avec la démarche qualité. 

Ne pas réduire la qualité à la certification et dépasser l’approche « gestionnaire » de la qualité

« Mon ambition est de développer, de déployer un management par la qualité. J’ai bien conscience que c’est un positionnement audacieux, car cela sous-entend que la culture qualité s’ancre au cœur du système et irrigue le management. Cela nécessite que la qualité ne soit pas vue uniquement sous l’angle de la certification, d’une contrainte externe, mais sous un autre angle, plus large, qui revient à s’interroger en quoi la qualité fait partie de notre quotidien, de nos valeurs, de nos pratiques professionnelles, en tant que soignant et en tant que cadre. » Pour le manager, intégrer la qualité au quotidien, c’est par exemple savoir repérer les risques au sein du service pour identifier les actions prioritaires à mener (de formation des professionnels, d’adaptation des organisations …). C’est aussi recenser et capitaliser sur les ressources de l’équipe (les référents en prévention de la douleur, des risques infectieux, des risques médicamenteux…), accompagner les professionnels de santé car ce sont eux qui déploient la qualité au quotidien, soutenir le travail en équipe et entres équipes dans une logique de parcours patient, sans oublier l’écoute des besoins et attentes des patients et des professionnels…

Sensibiliser à tous les niveaux

Dans le domaine de la gestion des risques, Annabelle Mathon gère les déclarations d’événements indésirables. « En cas de signalement d’erreur médicamenteuse par exemple par un cadre de santé, mon rôle consiste à apporter une aide méthodologique et à accompagner l’équipe dans l’analyse des causes profondes pour identifier, en mobilisant l’intelligence collective, l’action d’amélioration pertinente qui sera intégrée au plan d’actions du service et qui permettra de réduire le risque initial. »

Elle a également pour mission de communiquer sur la qualité et la gestion des risques auprès des différentes instances du centre hospitalier. Elle participe aux réunions de l’encadrement supérieur toutes les semaines, ce qui permet une diffusion régulière des informations et une interaction permanente avec les problématiques des managers au quotidien.

Annabelle Mathon collabore également avec l’IFSI rattaché au centre hospitalier. « J’interviens au cours des trois années de formation. Récemment, je suis intervenue auprès des étudiants de 3e année sur les Évaluations des Pratiques Professionnelles (EPP). Le mois suivant, les étudiants ont eu la possibilité de réaliser, durant leur stage, une EPP sur la prise en charge médicamenteuse dans les unités de soins, en binôme avec une infirmière encadrante du service. Cette EPP sera apprenante tant pour les étudiants que pour les professionnels. » En sensibilisant les étudiants en IFSI, elle fait ainsi entrer la qualité au plus tôt dans la pratique de ces futurs professionnels de santé. En retour, elle s’alimente de leur « regard neuf » sur les pratiques des professionnels.

Faire rimer quête de sens et qualité

Annabelle Mathon intervient essentiellement en appui, en conseil méthodologique. Récemment, elle a ainsi été sollicitée par un groupe de travail de la Commission des Soins Infirmiers (CSIRMT) qui souhaitait mener une évaluation sur le parcours patient en cancérologie. « L’enjeu est de mettre en place des démarches d’évaluation pertinentes et réalistes, sans créer une usine à gaz car le temps de chacun est contraint. J’apporte mon expertise pour créer les grilles audits et proposer la méthode la plus adaptée à chaque situation, en fonction des objectifs. »  Surtout, elle veille à ne pas être attentiste et n’hésite pas à sortir de son bureau pour aller à la rencontre des équipes : « C’est bien souvent au détour d’une rencontre informelle que l’on m’évoque la survenue d’un événement indésirable et qu’on me demande conseil... C’est important d’être proche des cadres car leur quotidien est très pris par la gestion humaine, de l’absentéisme, ils travaillent souvent en mode dégradé. En sortie de crise Covid, la dynamique qualité reprend de nouveau. Par exemple, l’épidémie de Covid a montré que les pratiques d’hygiène ne sont pas complètement maîtrisées dans les Ehpad. Cette prise de conscience les amène à intégrer davantage la gestion du risque infectieux dans leurs plans de formation. Dans les hôpitaux, il existe une réelle quête de sens chez les soignants qui évoluent dans un environnement très contraint ; les cadres ne veulent plus perdre de temps en bureaucratie, en protocoles inutiles, en réunions… Ils expriment un réel souhait d’efficacité et de pertinence des soins et cela se peut se traduire dans une démarche de management par la qualité. »

Pour Annabelle Mathon, la qualité est indissociable de toute activité de soins. Mais la qualité des soins ne peut résulter que d’une implication individuelle et collective. « Il est essentiel que l’approche « gestionnaire » de la qualité fasse place à une démarche coordonnée et managée à tous les niveaux (stratégique et de proximité) pour qu’elle soit réellement porteuse de sens », conclut-elle.

La qualité des soins

L’ouvrage « La qualité des soins », co-écrit par Annabelle Mathon et Pascale Thibault-Wanquet (Éditions Lamarre, 2018), fait le point sur l'évaluation des pratiques professionnelles, la démarche d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et la recherche comme moyen d'élaboration de références. « Notre objectif était de montrer la diversité des EPP offertes aux soignantes, au travers des multiples méthodes existantes. Les EPP sont souvent limitées à l’audit, ce qui est extrêmement réducteur. Ce livre a aussi pour but de faire le lien entre la recherche et l’EPP afin de montrer en quoi ces deux concepts sont étroitement liés et quelles sont les passerelles qui les unissent. »

  • Circulaire N° DGOS/PF2/2011/416 du 18 novembre 2011 en vue de l'application du décret 2010-1408 du 12 novembre 2010 relatif à la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé.