Qualité et gestion des risques
DOSSIER
V. Lemiale Z. Cohen-Solal R. David L. de Saint Blanquat M. Elbaz B. Gaillard C. Goulenok S. Lavoué E. Mercier C. Mehzer B.Misset G. Penven A.L Poujol B. Quentin R. Quéré JP Rigaud O. Lesieur.
Pour certains patients, le séjour à l’hôpital est synonyme de fin de vie. Cet évènement peut être source de conflits entre proches et soignants, souvent liés à une incompréhension mutuelle. Ce travail est une réflexion pragmatique sur la genèse de ces situations et sur les moyens qui permettraient de les prévenir ou, le cas échéant, de les apaiser.
Le décès à l’hôpital est un événement fréquent et difficile à la fois pour les proches et les soignants. Vécue sereinement dans la majorité des cas, l’imminence de la fin de vie du patient peut néanmoins être à l’origine de conflits entre l’équipe soignante et les proches. Éprouvantes pour tous les acteurs, ces confrontations sont délétères et doivent être évitées. Alors que la relation avec les proches est cruciale, particulièrement au cours de cette période de réorientation du projet de soins, les soignants sont peu formés aux techniques de communication. Le conflit peut parfois s’installer dès les premières rencontres. Fréquemment interpellée pour donner son point de vue en de telles circonstances, la commission d’éthique de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) a élaboré un guide pour aider les équipes soignantes à prévenir et à gérer les conflits. L’objectif de cette fiche pratique (encadré 1) est de proposer aux professionnels de santé des pistes d’amélioration en matière de communication, applicables dans la gestion de la fin de vie d’un patient, mais également dans d’autres circonstances rencontrées au cours de leur carrière.
La situation de la fin de la vie d’un patient est douloureuse pour les proches et pour les soignants, avec des perceptions cependant différentes. Pour les professionnels de santé, elle peut apparaître comme un échec des thérapeutiques mises en place. Lorsque cette situation est répétée ou vécue comme difficile, elle peut être source d’épuisement professionnel. Au sein des équipes soignantes, les décisions de réorientation du projet de soins vers un accompagnement de la fin de la vie sont prises lors de réunions de concertation multidisciplinaire. Quand les traitements axés principalement sur le confort sont initiés, la situation se transforme, le plus souvent pour le patient et les proches, en une période de sérénité, tournée exclusivement vers l’écoute et le bien-être du malade. L’ensemble de l’équipe accompagne alors le patient et ses proches pour que ces moments soient les plus paisibles possible. Or dans certaines situations, les proches, opposés à un projet de soins n’ayant plus pour objectif la guérison (ou la prolongation d’une situation à l’évidence sans issue) peuvent être en opposition manifeste avec l’équipe soignante (1). Dans ces conditions, les relations soignants-proches mais aussi soignants-patient peuvent être mises à mal et entraîner un vécu difficile pour le soignant. En 2019, la commission d’éthique de la SRLF a examiné plusieurs situations de conflits entre des équipes soignantes et des proches, faisant suite à la mise en place de soins de confort chez des patients non communicants en réanimation. La même année, un article a été soumis à la commission pour relecture, rapportant plusieurs cas de conflits – dont certains ont été abondamment médiatisés – et analysant les recours possibles pour les familles ainsi que les conséquences de ces confrontations pour les soignants (2).
Dans la majorité des cas étudiés, le conflit semble débuter par une communication inadéquate n’aboutissant pas à une compréhension partagée et commune de la situation du patient. Or, si la communication lors des situations de fin vie semble primordiale, la relation soignants-proches débute dès les premières rencontres, souvent bien avant cette période de réorientation du projet thérapeutique (i.e. de limitation ou de proportionnalité des soins). Il nous a donc paru important d’élaborer un document visant à prévenir le risque de conflit en amont des décisions de proportionnalité des soins. Ce document s’inspire de la littérature existante dans le domaine de la communication avec les proches, mais également de l’expertise clinique des soignants membres de la commission d’éthique de la SRLF (médecins, infirmier, psychologue) et de l’expertise des scientifiques qui y siègent (ethnologue, philosophes, ingénieur en neuroscience). Les rédacteurs de cette fiche, chercheurs ou praticiens expérimentés en réanimation, ont tous été directement confrontés aux situations de fin de vie en réanimation. Le fruit de leur travail est disponible sur le site de la SRLF (https://www.srlf.org/article/aide-prevention-gestion-entre-lequipe-soignante-reanimation-proches-dune-patiente).
Cette fiche pratique cible les points les plus importants de la communication avec les patients et leurs proches. Elle peut servir de guide pour une évaluation des pratiques professionnelles dans un service, ou bien permettre d’analyser les difficultés rencontrées avec un patient (ou ses proches) en particulier. Dans l’ensemble des situations analysées par la commission d’éthique et par J. Messika (2), les équipes sont fortement et négativement impactées par ces conflits. C’est souvent l’occasion d’une remise en question de la communication au sein du service. Loin d’être une checklist de « bonnes pratiques de la prévention des conflits », ce document permet à l’équipe soignante de vérifier ce qui a été réalisé ou non en situation. Elle peut aussi servir de base d’évaluation des pratiques professionnelles concernant la communication, ou de support de débriefing pour des situations compliquées. Il ne s’agit pas de recommandations formelles : chaque équipe doit pouvoir adapter les outils détaillés de cette fiche à sa pratique de soin.
Dans la suite de cet article, nous reprenons quelques aspects pratiques qui nous semblent importants pour le soignant. Ne sont développés que les points concernant la communication au cours d’entretiens formalisés. La communication quotidienne au lit du patient, qui vient en complément de la communication formelle, ne sera pas détaillée.
LA COMMUNICATION AVEC L’ENTOURAGE : UNE CULTURE DE SERVICE
Les stratégies de communication avec le patient et son entourage s’acquièrent tout au long de la carrière du soignant. La communication avec les proches est très peu enseignée dans les cursus initiaux de formation médicale et paramédicale, alors qu’elle est essentielle notamment lorsque le patient est en incapacité de communiquer. Sensibiliser l’ensemble du personnel du service à l’importance de la communication et débattre collectivement de projets de soins individuels permettent d’améliorer la qualité des messages transmis au patient et à ses proches. Plusieurs études réalisées dans le contexte de la fin de vie ou en réanimation démontrent l’importance de ce message et de la manière dont il est délivré (3-5).
PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA COMMUNICATION LORS DE CHAQUE ENTRETIEN
Dans ce chapitre, nous développerons quelques principes issus des études (3,4) portant sur la communication avec les proches (situation la plus fréquente en réanimation). La désignation d’un proche référent semble un élément primordial. Il sera l’interlocuteur principal de l’équipe soignante, recevra l’ensemble des informations et sera capable de les transmettre au reste de l’entourage. Ces informations, lorsque le patient ne peut pas communiquer, doivent être données dans un espace dédié et confortable, où chacun des membres de l’équipe et les proches doivent se présenter. Ces entretiens sont souvent l’occasion de mettre en lumière la perception des proches de la situation vécue par le patient. Ils permettent de détecter précocement d’éventuelles difficultés de communication entre soignants et proches. Les appréhender peut parfois éviter qu’elles ne prennent des proportions incontrôlables.
ORGANISER LA DÉLIBÉRATION COLLÉGIALE ET PRENDRE LA DÉCISION (CF. ARTICLE 37.2 DU CODE DE DÉONTOLOGIE POUR LA PARTIE LÉGALE)(6,7)
Préalable réglementaire à toute décision de réorientation du projet de soins (7,8), la réunion de délibération collégiale permet à l’ensemble de l’équipe soignante d’exprimer son point de vue sur l’état actuel du patient et son devenir. La délibération collégiale doit être organisée et animée par un modérateur – par exemple par le médecin en charge du patient – dont le rôle est de permettre l’expression de toutes les personnes présentes. Chaque participant doit être encouragé à s’exprimer et comprendre les décisions prises lors de cette concertation, même s’il ne les approuve pas. En lien avec les spécificités de leurs métiers (notamment le caractère intime des soins prodigués), l’évaluation par les paramédicaux de l’état de santé et du vécu du patient peut diverger radicalement de celle des médecins. De même, le contenu et la qualité de la communication avec les proches peuvent être diversement appréciés suivant la fonction exercée dans l’équipe. C’est aussi à cette occasion que peuvent être perçues d’éventuelles difficultés relationnelles avec les proches. L’objet de cette réunion est donc de convenir d’une attitude et d’un projet partagés pour le patient, source de cohérence dans la communication avec les proches.
ANNONCER LA DÉCISION DE RÉORIENTATION DU PROJET DE SOINS (7,9)
Cet entretien nécessite du temps. Bien souvent en réanimation pour des patients inconscients ou sédatés, cet entretien a lieu en dehors de la chambre dans une pièce dédiée. La personne référente mais aussi ceux qui le souhaitent doivent pouvoir être présents. Il faut donc formaliser cet entretien en programmant un rendez-vous.
Là encore chacun doit se présenter. Dans un premier temps, la situation actuelle du patient au regard de la maladie et des traitements déjà entrepris est exprimée de manière intelligible pour toutes les personnes présentes. La description de la situation, l’inutilité des soins curatifs lourds et la justification de ne poursuivre que les soins de confort sont énoncées avec des mots simples et, si besoin, en présence d’un traducteur. Les proches doivent pouvoir poser des questions, avoir le temps d’assimiler les explications fournies et réfléchir à ce que souhaiterait le patient dans une telle situation. La place de l’équipe paramédicale est essentielle pour reformuler avec les proches les explications médicales. La présence de l’infirmière lors de cet entretien formel est le gage d’une communication cohérente lors des échanges qui auront lieu ultérieurement dans la chambre du patient.
Au cours de l’entretien, la possibilité de différer la mise en œuvre des décisions prises doit être proposée afin que les proches disposent d’un temps suffisant pour accepter la situation. Ces délais sont extrêmement variables et propres à chaque situation. Si le patient est conscient et communicant, cet entretien est bien entendu réalisé en sa présence.
EN CAS DE CONFLIT
Dans le dernier chapitre de la fiche pratique sont évoqués les recours possibles en cas de conflit avéré provoqué par l’annonce d’une décision de réorientation du projet de soins vers des soins de confort exclusifs. Il est d’abord préférable de ne pas chercher obstinément à rallier la famille à l’opinion médicale, mais plutôt de tenter de comprendre les divergences de points de vue en offrant aux interlocuteurs la possibilité de requérir d’autres avis médicaux, et en formulant expressément l’hypothèse qu’ils puissent être différents. Enfin bien souvent, l’équipe soignante doit faire preuve de patience et laisser aux proches le temps nécessaire à la réflexion (10).
Ces conditions d’attente sont difficiles pour une équipe soignante qui doit laisser en place des thérapeutiques lourdes jugés inutiles, lesquelles relèveraient en d’autres circonstances d’une obstination déraisonnable. Des réunions de débriefing "en situation" (encadré 2) doivent permettre à chaque soignant d’exprimer son ressenti et trouver une justification à la poursuite, fût-elle temporaire, de traitements curatifs alors qu’il n’y a plus d’espoir d’amélioration.
Au décours d’un conflit, un débriefing peut aussi permettre à chacun de mesurer ce qui a été bien fait, mal fait ou pas fait dans la communication avec les proches. Ces réunions sont fondamentales en réanimation où les situations de fin de vie sont récurrentes, notamment pour éviter qu’elles n’aboutissent à un épuisement professionnel des soignants. Un psychologue doit participer à ce débriefing pour évaluer avec les soignants le retentissement de cet épisode sur l’équipe (11).
CONCLUSION
Inspiré de situations réelles, ce travail de la commission d’éthique de la SRLF vise à mettre en exergue quelques points importants de la communication avec les proches d’un patient dont le décès est imminent en réanimation. Dans un domaine où les recommandations d’experts établissent déjà les règles générales, la fiche pratique accessible sur le site de la SRLF est un document simple, pragmatique, adaptable qui pourrait s’avérer utile au débriefing d’une situation conflictuelle, à l’évaluation des pratiques professionnelles, et plus largement à l’élaboration de stratégies visant à la prévention des conflits entre les proches et les soignants.