Management des soins
DOSSIER
Pour réduire le risque d’erreur médicale, les compétences techniques acquises durant les formations médicales ou paramédicales doivent se doubler de compétences non techniques. Pour aider les soignants à développer ces dernières, le Dr Fuzier les invite dans le cockpit d’un A320.
« Une étude américaine a évalué que l’erreur médicale se classait à la 3e place des causes de décès aux USA, après les maladies cardiovasculaires et les cancers », rapporte le Dr Fuzier. Et de poursuivre : « Si nous voulons réduire ce risque, il convient de développer des formations basées sur les facteurs organisationnels et humains (FOH), à l’image de ce qui a été fait il y a 30 ans dans l’aéronautique. » En effet, dans les domaines où l’activité est jugée sensible, une culture sécurité est souvent développée. La plus grande catastrophe aérienne accidentelle (collision de Tenerife, 1977) est liée à un défaut de communication au sein de l’équipage et avec la tour de contrôle. Les progrès technologiques et l’écriture des procédures n’ont pas suffi à réduire l’incidence des erreurs humaines à l’origine de plusieurs accidents aériens.
Cette catastrophe de Tenerife a permis de mettre en place, plusieurs années après, une culture sécurité basée sur les FOH. Ainsi, la formation Crew Resource Management (CRM) a vu le jour dans les compagnies aériennes. La formation et l’analyse des maintiens de compétences ont rapidement inclus des items comme la façon de travailler en équipe, la communication, la prise de décision… Aujourd’hui dans la plupart des compagnies aériennes, lors des séances sur simulateurs, l’évaluation des compétences non techniques comprend souvent plus d’items que les compétences techniques elles-mêmes. « Les compétences non techniques incluent la communication, la conscience de la situation, la prise de décision, le leadership, la gestion de la charge de travail », précise le Dr Fuzier. « Il faut y associer la connaissance de soi et notamment la gestion du stress et/ou de la fatigue. »
La prévention des erreurs pour les professions de santé
Des compétences techniques reconnues
La formation des professionnels de santé en France est reconnue pour son excellence. Mais qu’entendons-nous par-là ? Il s’agit avant tout du fait que chaque professionnel a acquis des compétences techniques durant sa formation professionnelle, qu’elle soit médicale ou paramédicale, lui permettant d’assurer sa tâche en lien avec sa fonction. Si l’on prend l’exemple de la formation des infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE), le professionnel est capable, au terme de sa formation, d’assurer une anesthésie ou une réanimation de qualité. Il connaît les principaux médicaments utilisés dans ce domaine, ainsi que le maniement du matériel spécifique à cette discipline. En outre, il a une connaissance des procédures en vigueur et des recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR). De la même façon, un chirurgien ORL a les capacités, en fin de son cursus d’interne, de prendre en charge un patient présentant une pathologie en lien avec sa discipline : réaliser un interrogatoire, faire un examen clinique, prescrire les examens complémentaires nécessaires, porter un diagnostic, mettre en route un traitement adapté et assurer le suivi du patient…
Malgré tout, le risque d’erreur médicale reste élevé.
Des facteurs humains et organisationnels en voie d’identification
« Parler de FOH, de compétence non technique ou d’erreur médicale n’est plus tabou aujourd’hui. On voit petit à petit les mentalités changer et même les tutelles s’y mettent », ajoute le Dr Fuzier. Ce dernier essaie depuis plusieurs années d’amener dans le domaine médical les notions acquises lors de sa formation de pilote professionnel. Pour rendre ces notions plus accessibles aux professionnels de la santé, il a créé le concept de la « Minute du Dr Captain ». Il s’agit de courtes vidéos expliquant le parallélisme possible entre l’aéronautique et le monde médical. Par exemple, sont abordés les risques de l’oubli d’une tâche, les risques des tâches routinières, la gestion d’une alarme…
Ces vidéos sont accessibles depuis l’onglet « vidéos » du site internet de l’association Facteurs Humains en Santé, association créée en 2019 pour promouvoir la culture sécuritaire et développer les FOH dans le domaine de la santé.
Une proposition de formation innovante
Mais le Dr Fuzier est allé plus loin. « Depuis quelque temps, nous réfléchissions au moyen permettant de mettre en évidence l’importance de ces compétences non techniques auprès des professionnels de la santé. La simulation médicale s’est développée ces 10 dernières années. Ces moyens ont démontré leur efficacité pour réduire la mortalité et la morbidité dans le domaine de la santé. Cependant, le principal écueil tient au fait que les compétences techniques gardent une place importante puisque le professionnel se retrouve dans un environnement familier et où il doit utiliser des procédures acquises lors de sa formation initiale. Pour travailler uniquement sur les compétences non techniques, il fallait trouver un environnement dans lequel aucun professionnel de santé n’avait de compétence. C’est là que nous avons eu l’idée d’utiliser un simulateur d’avion. Seule la mise en place d’un travail d’équipe permet de mener à bien la mission : piloter un Airbus 320. »
Déroulement de la formation sur simulateur de vol
Ainsi, cette formation originale a vu le jour à la fin de 2020. Elle se déroule sur une journée et réunit des professionnels de santé médicaux et paramédicaux. Une partie théorique, expliquant notamment le fonctionnement du cerveau et l’impact du stress, débute la formation. La notion de compétences non techniques est abordée et expliquée en utilisant des exemples issus de l’aéronautique et du milieu médical. « Mon expérience comme médecin anesthésiste depuis plus de 20 ans et comme pilote professionnel m’aide pour argumenter et rapporter des situations vécues. C’est un plus par rapport aux formations habituelles menées soit par des professionnels issus du milieu médical, soit par des pilotes professionnels », explique le Dr Fuzier. En fin de matinée, un tour de piste est organisé par le formateur, en présence de l’ensemble des participants. C’est le seul moment où ces derniers peuvent poser des questions et découvrir à la fois la façon de piloter et les principaux boutons du cockpit. Après le repas, les choses sérieuses commencent. Trois groupes de trois personnes sont constitués. Le premier groupe démarre la séance du simulateur, tandis que les deux autres participent à côté à des ateliers sur les outils de fiabilisation de la communication avec un membre du service qualité de l’IUCT-Oncopole de Toulouse (réflexion sur des axes d’amélioration des pratiques). « Il s’agit d’un véritable projet institutionnel impliquant, en plus du service anesthésie, le service qualité, le service formation, le service communication et la direction de l’établissement », insiste le Dr Fuzier. Lors de la séance de simulation entièrement filmée, trois professionnels de santé assurent le pilotage de l’avion. Comme dans la réalité, un des participants est pilote en fonction (PF), le deuxième pilote monitoring (PM) en charge de surveiller le PF et d’assurer les communications avec la tour de contrôle, et le troisième participe à la mission en étant légèrement en retrait. « Nous essayons systématiquement de mélanger les catégories de professionnels (infirmiers, aides-soignants, manipulateurs de radiologie, médecins...). Cela oblige les professionnels de différentes catégories à travailler ensemble. » Après le décollage et une prise en main de l’avion, l’équipage devra gérer seul le vol et la survenue d’une ou plusieurs pannes. Les équipages ayant mis en place des notions de travail d’équipe arriveront à gérer au mieux la mission et leur stress. Un débriefing est assuré en fin de séance avec les trois participants. Un débriefing général avec visualisation de séquences vidéos complète la journée, après le passage des trois groupes au simulateur.
« À travers cette expérience, chaque participant peut se voir et appréhender sa réaction et son comportement face au stress et à des situations inconnues. Par définition, l’être humain n’aime pas se retrouver dans des situations qu’il ne maîtrise pas. Cela engendre du stress et des comportements souvent inappropriés. Même si la gestion du stress est souvent mise en avant, comme dans les reportages diffusés lors de journaux télévisés et repris sur le net, cette formation aborde d’autres thématiques comme le travail d’équipe, la communication et la prise de décision. Il est toujours intéressant de faire le parallélisme avec des situations rencontrées dans le domaine médical. Il faut cependant rester vigilant, car certains participants vivent mal de sortir de leur zone de confort. D’où l’importance du premier débriefing à chaud », complète le Dr Fuzier. « Les retours de la formation sont excellents. La moyenne de note d’évaluation globale des 45 premiers participants se situe à 4,91 sur 5. La quasi-totalité des participants a amélioré son score d’évaluation des connaissances théoriques entre le pré-test et le post-test avec une augmentation moyenne de la note de 41% (extrêmes 0-69%). » La figure 1 présente le détail des moyennes des notes d’évaluation des différentes parties de la formation (0 = très mauvais ; 5 = excellent).
Développement de la formation au niveau national
« Nous avons pu mettre en ligne certains retours d’expérience. Mais nous voulons aller plus loin. Nous travaillons actuellement avec des instructeurs de certaines compagnies aériennes pour valoriser cette formation d’un point de vue scientifique et démontrer l’impact des comportements sur la mission ». À ce jour, l’IUCT-Oncopole a signé un partenariat d’A320 à l’échelon national avec la société AviaSim, qui met à disposition les simulateurs. « L’intérêt majeur de ce partenariat est de permettre de former des professionnels à travers la France. Plutôt que de déplacer neuf professionnels sur Toulouse, il est plus facile que les deux formateurs se déplacent. Cela réduit les coûts et protège l’environnement. Ainsi à ce jour, nous pouvons proposer des formations délocalisées sur Lille, Lyon, Paris, Nice. On espère Bordeaux demain. Par ailleurs cette formation est accessible au DPC notamment pour les professionnels libéraux », conclut le Dr Fuzier.
Quelques témoignages
« J’ai appréhendé cette journée de formation avec beaucoup d’enthousiasme : j’allais avoir des apports théoriques sur les facteurs humains et une mise en pratique, grâce au simulateur, de ma propre façon de gérer une situation à risque inconnue qui ferait alors appel à des compétences non techniques.
C’est lors de la restitution filmée de notre séance que j’ai mesuré l’impact (néfaste !) de mon stress sur mes capacités de concentration, sur la qualité des informations transmises ou reçues, sur l’importance des outils de fiabilisation de la communication.
Même si j’en avais bien entendu conscience avant, j’ai été confrontée à une remise en question difficile personnellement mais fondamentale professionnellement. »
Carine, cadre de santé
« J’ai eu la chance de participer à cette formation l’année dernière. J’y ai appris différentes techniques utilisées dans l’aéronautique qui peuvent s’appliquer à la médecine, notamment le contrôle croisé. En effet celui-ci permet de sécuriser les soins au maximum en améliorant la communication. Je m’en sers au quotidien dans mon travail.
Cette formation m’a aussi aidée à être plus sereine lors d’une prise en charge en urgence d’un patient. Écoute, sang-froid et bienveillance entre membres de l’équipe, autant de belles valeurs développées lors de cette formation, afin de potentialiser la prise en charge de la personne soignée. Si vous avez l’occasion de faire cette formation, foncez ! Elle vous aide à changer votre quotidien de soignant. »
Dominique, infirmière
« J’ai trouvé cette formation très intéressante et instructive. Ce qui m’a frappé c’est qu’elle pointe l’importance du travail d’équipe et des facteurs humains. Ces derniers jouent un rôle primordial dans la gestion des risques dans notre milieu qui se veut à la pointe technologique. Il faut vraiment intégrer ces facteurs humains dans les stratégies d’amélioration de la sécurité et la qualité des soins. Cette formation m’a également permis d’acquérir des outils que je peux utiliser au quotidien et que j’essaie de transmettre à mon entourage professionnel. »
Dr D., médecin anesthésiste
« Manipulatrice en radiothérapie, je suis un peu sensibilisée à ce sujet par ma fonction de référente qualité dans le service mais je ne pensais pas en ressortir avec autant de bénéfices. De retour dans mon service, j’ai pu remarquer quelques situations “à risques” (moment de la journée, lieu de passage, comportements) dont je n’avais pas forcément conscience avant et auxquelles je suis vigilante depuis. Je me rends compte de mes limites et peux donc mieux réagir face à elles. J’ai aussi appris à mieux communiquer en fonction de certaines situations (interruption de tâches...).
Maintenant je n’attends qu’une chose c’est de pouvoir sensibiliser le plus de collègues possible dans mon service pour arriver à une démarche collective. »
Alexandra, manipulatrice en radiothérapie
« Si, depuis de nombreuses années, la sécurité des soins est devenue un objectif prioritaire, la sécurisation des actes de soins reste un challenge à appréhender d’une nouvelle manière. Injecter des outils de fiabilisation de la communication au cœur même des actes de soins et faire prendre conscience à chaque professionnel de ses limites cognitives paraît être une des meilleures barrières à tout incident. D’un point de vue de la maîtrise des risques, la nécessité d’un changement de paradigme est évidente pour sécuriser les activités “gérées” versus les activités réglées par les procédures. Ces méthodes apportent du sens à la sécurité, puisqu’au cœur de l’acte de soin, et leur appropriation par les équipes est flagrante et efficace. »
David, directeur qualité et sécurité des soins
« La formation sur les compétences non techniques pour les soignants à laquelle j’ai pu participer en tant que préparatrice mentale m’a permis de découvrir une nouvelle façon d’aborder les notions de gestion du stress et de facteurs humains. Tout d’abord par le concept, novateur, mais aussi dans la performance de cette expérience inédite. L’intrication entre savoirs, mise en situation immédiate suivie d’un débriefing, nous a permis de révéler nos réactions face à une situation stressante tout en ayant le sentiment d’avoir des clés. Au-delà de mieux se connaître, ce que j’ai pu apprécier ce sont les réactions qui ont marqué cette fin de journée par des remises en question et de nouveaux questionnements ou prises de conscience.
À mon sens, c’est l’entraînement dans le cockpit de l’A320 qui a le mérite de nous déconditionner et de nous obliger à nous adapter à de nouveaux repères en trouvant en nous la ressource. Stimulant et très intéressant d’un point de vue expérimental ! En qualité de préparatrice mentale j’y vois un intérêt tout particulier pour la concentration et l’affirmation dans la prise de décisions. La communication devient alors primordiale. La sensibilisation proposée à sa propre maîtrise dans la réalisation d’un objectif nous démontre alors parfaitement que c’est bien là que réside la force d’une équipe/d’un collectif. Et c’est en ce sens que j’ai pu fortement apprécier cette formation particulièrement enrichissante. »
S., préparatrice mentale
Régis Fuzier