On le répète à l’envi : il y a eu un avant-covid, il y aura un après-covid. Et si cette transition tourmentée offrait l’occasion d’accélérer le développement de la démocratie sanitaire ? Acteur clé de ce mouvement en permettant à des patients de devenir experts de leur pathologie ou patients partenaires intégrés dans des équipes de recherche et de soins, l’Université des patients lance de nouveaux projets.
Fondée en 2010 par Catherine Tourette-Turgis, professeure des universités à Sorbonne-Université et chercheure au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), l’Université des patients-Sorbonne est vouée à « concevoir et animer des parcours diplômants à destination des personnes atteintes d’une maladie qui désirent transformer leur expérience vécue de la maladie en expertise au service de la collectivité ». Concrètement, trois formations diplômantes y sont dispensées : DU Patient.e partenaire et référent.e en rétablissement en cancérologie, DU Formation à l’éducation thérapeutique et DU Démocratie en santé : s’outiller pour construire l’expertise en santé. S’y ajoutent huit master class de 40 heures conçues sur mesure à la demande d’associations ou d’institutions, sur des thèmes variés : Plaidoyer pour une réduction de l’exposition au risque infectieux dans les parcours de soin ; Formation de patientes et de patients formateurs occasionnels dans les formations de soignants ; Formation de patients-experts et proches aidants-experts dans la drépanocytose…
L’Université des patients accueille près de 60 étudiants-patients chaque année et, à la fin de 2020, elle avait diplômé 230 malades et coformé plus de 300 acteurs de santé avec des patients en éducation thérapeutique.
Ouverture de la démocratie sanitaire
Autant d’initiatives qui concourent à mieux faire entendre la voix des patients et à répandre la notion de démocratie sanitaire. « Depuis la création de l’Université des patients en 2010, les choses ont beaucoup bougé, souligne Catherine Tourette-Turgis. Tout d’abord, d’autres universités qui proposaient des diplômes en éducation thérapeutique ont ouvert leurs diplômes aux patients sur tout le territoire national, et il existe de plus en plus d’universités qui adoptent le réflexe qui consiste à se demander “Est-ce que cela serait intéressant d’ouvrir ce diplôme à des patients ?” Par exemple, le diplôme de Clermont-Ferrand sur la relation soignant-patient a intégré des patients et l’université s’est aperçue que mettre ensemble soignants et patients pour apprendre les dimensions de la relation de soin était exceptionnel. »
Pionnière dans ce domaine, l’Université des patients n’est pas avare de nouveaux projets. Forte de ses dix années d’expérience, elle vient d’ouvrir une chaire pédagogique, coopérative, sur le thème « Compétences et Vulnérabilités ». Son objectif ? « Créer des enseignements, des référentiels de formation et implanter des dispositifs pour préparer, ou accompagner des personnes, des groupes, des institutions confrontés à des situations de haute incertitude, de crise, de grande complexité, nécessitant de mobiliser des compétences et prévenir le cumul de vulnérabilités au niveau individuel, groupal ou institutionnel. »
Expérimentation en Nouvelle-Aquitaine
En cet automne 2021, l’Université accompagne une expérimentation de l’ARS Nouvelle-Aquitaine visant à former des patients partenaires déjà intégrés et salariés dans les services de soins oncologiques de la région. « Dans le domaine du cancer, particulièrement crucial au niveau de la santé publique, et au vu de la complexité des prises en charge, des ressources, des soins, des conséquences sur la vie sociale, le vivre avec, le vivre après, etc., nous nous sommes dit qu’une expérimentation de patients partenaires aurait tout son sens. Nous avons recruté onze patients volontaires pour se former et devenir des patients partenaires intégrés dans les équipes de soins en tant que salariés à mi-temps », explique Johanne Vassellier, responsable du pôle pilotage, parcours et démocratie en santé à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Ces patients, parallèlement à leur formation action de 40 heures dispensée par l’Université des patients, ont intégré les services d’oncologie des établissements partenaires de l’expérimentation : le CH d’Arcachon, la clinique Tivoli de Bordeaux, la polyclinique Bordeaux Nord, l’institut Bergonié de Bordeaux, les CHU de Bordeaux et de Limoges, ainsi que l’institut du sein de Charente-Maritime. Leur salaire sera financé pour moitié par l’ARS et par leur établissement employeur. Le but est d’« améliorer la prise en charge patients atteints de cancer et aussi l’expertise, les compréhensions mutuelles de tous les intervenants autour du parcours cancer, précise Johanne Vassellier. L’un des enjeux est aussi de faire en sorte que ces patients partenaires trouvent leur place aux côtés des patients experts, des bénévoles, des soignants… Et, si le bilan de cette expérimentation de trois ans est positif, nous pourrons envisager la généralisation de ce type de partenariat sur d’autres pathologies, d’autres établissements, voire l’étendre au niveau national ».
Plaidoyer sur le covid long
Par ailleurs, l’Université des patients s’implique fortement sur le covid long. Catherine Tourette-Turgis travaille à l’élaboration d’un plaidoyer et à la reconnaissance de l’expertise patient dans cette pathologie au travers notamment de la formation de patients partenaires. Depuis le début de l’année, elle travaille avec la Pre Dominique Salmon-Céron à une consultation pilote de suivi à l’Hôtel-Dieu (Paris) destinée aux patients qui vivent avec des séquelles de covid long. Et l’Université des patients vient de lancer une première master class en partenariat avec l’association #ApresJ20 Covid Long France pour former gratuitement des patients partenaires dans le covid long. « Ces patients intégreront les services de soins et travailleront avec les ARS sur le parcours de soin covid long, précise-t-elle. Ils apporteront leur expérience et feront des propositions tout en travaillant dans une équipe. Nous allons faire un travail de sensibilisation des terrains du soin et des instances de décision en santé pour que les patients partenaires formés covid long soient présents et intègrent des équipes comme membres à part entière. » Ce mois d’octobre, l’Université des patients envisage de lancer une campagne de tweets avec l’association #ApresJ20 pour sensibiliser sur l’impact (social, professionnel, existentiel...) de cette maladie dans la vie quotidienne.
Coconstruction de savoirs
« Notre association est jeune. Elle a été créée en octobre 2020 quand nous nous sommes aperçus, avec d’autres personnes atteintes de covid long que, malgré nos premières alertes dès avril 2020, nous n’étions toujours pas crus. On nous disait que les symptômes étaient dans notre tête et s’expliquaient comme étant la seule conséquence de stress (ou “trouble somatique fonctionnel”) lié au contexte pandémique et que ça allait passer… », explique Faustine, cofondatrice de l’association #ApresJ20. La Pre Salmon-Céron lui a parlé du travail mené par la Pre Catherine Tourette-Turgis, et c’est ainsi qu’elles se sont rencontrées. « Comme nous n’étions pas entendus, pas pris en compte, nous avons eu envie de collaborer avec des médecins et des chercheurs, poursuit Faustine. La Pre Tourette-Turgis nous a proposé ses conseils et de nous accompagner. Cela nous a permis de rédiger un premier article, puis donné l’élan afin de créer cette master class pour devenir patients partenaires. L’objectif de cette formation est d’apporter aux patients souffrant de covid long une connaissance du système de santé, de leur apprendre comment collaborer avec les soignants, les chercheurs pour pouvoir être inclus. En bref, leur fournir les clés pour avoir une place et un rôle dans le système en tant que patients partenaires. L’idée est vraiment de coconstruire des savoirs communs : il y a des savoirs médicaux importants, mais il y a, au même titre, un savoir expérientiel, clinique du patient, surtout pour des maladies chroniques. Les deux savoirs doivent pouvoir s’enrichir mutuellement. »
La reconnaissance comme ALD pour objectif
L’enjeu pour #ApresJ20 est de parvenir à ce que le covid long, bien que multi-systémique, persistant, fluctuant et complexe, ne se réduise pas à quelques symptômes (plus de 200 ont été répertoriés !) et soit considéré comme une maladie chronique, au même titre que d’autres largement établies aujourd’hui. En s’appuyant sur l’expérience de l’Université des patients, l’association entrevoit un espoir de reconnaissance.
« La lutte contre le sida à laquelle nous avons participé nous a donné les ingrédients nécessaires pour arriver à surmonter une épidémie, une santé publique éclairée par la science, la médecine et les personnes concernées elles-mêmes de manière à prendre les bonnes décisions en matière de soin et aussi de prévention. La différence avec les personnes affectées par un covid long est l’absence de réseaux de soutien : il faut donc aider les associations engagées dans le covid long à conceptualiser leurs intérêts communs et à en faire une force organisée, solidaire pour exiger des réponses médicales, des soins pluridisciplinaires et personnalisés sur tout le territoire et donc mettre en place différents parcours de soin qui conviennent à la fois au monde médical, paramédical et qui réponde aux besoins des patients », ajoute Catherine Tourette-Turgis. Parmi les obstacles rencontrés par ces patients, citons l’errance médicale, l’abandon des soins, la psychologisation, les délais d’attente trop longs, le manque de connaissances des soignants, la stigmatisation, la non-reconnaissance du covid long comme une ALD, la précarisation économique des malades, la non-préparation du monde du travail et la méconnaissance du covid Long pédiatrique…
Une urgence humaine
« Ce qui se passe m’attriste beaucoup, poursuit Catherine Tourette-Turgis. Je lis les récits de souffrances et d’errances thérapeutiques et je me dis qu’il faut faire quelque chose sur-le-champ. Les personnes ont besoin de soin, d’écoute, de respect et d’accompagnement maintenant, surtout avant l’hiver, on ne doit laisser personne derrière. La voix d’un seul patient qui souffre et qu’on renvoie chez lui en disant qu’on ne peut rien faire pour lui, qu’on ne sait pas ce qu’il a, m’émeut beaucoup. Il ne faut pas que cette personne rentre chez elle sans avoir pu être entendue dans sa détresse et c’est la raison pour laquelle nous lançons cette master class le plus rapidement possible. »
La démocratie sanitaire progresse grâce à l’implication des patients, qui s’engagent dans le système de santé. Usagers, patients experts ou patients partenaires, ils ont tous – nous avons tous à un moment ou un autre – un rôle à jouer pour améliorer le parcours de soins et l’accompagnement global des personnes. « Tout cela fait avancer et relève bien de la prise en compte des compétences des malades au-delà de leurs droits », conclut la Pre Catherine Tourette-Turgis.