ÉCONOMIE DE LA SANTÉ
Les efforts pour améliorer l’accès aux soins de la population mexicaine sont patents. Mais, faute de solidarité comme principe régulateur, les moyens alloués à cette mission s’avèrent insuffisants pour réduire les inégalités.
L’accalmie qui succède à la rentrée nous donne l’occasion de nous pencher sur le système de santé d’un pays situé en Amérique centrale : le Mexique. Avec près de 130 millions d’habitants, le Mexique est la deuxième puissance de l’Amérique latine, et la quinzième puissance économique dans le monde. Au cours des deux dernières décennies, des progrès considérables ont été faits pour améliorer la qualité de vie des Mexicains, aussi bien au niveau de l’éducation que de la santé ou bien encore de l’emploi. Néanmoins, c’est un pays qui reste encore très inégalitaire, entre les 32 « États-Unis » du Mexique, entre les zones urbaines et les zones rurales, entre les différentes ethnies qui le composent.
L’espérance de vie à la naissance y est de 75 ans, soit la plus basse des pays de l’OCDE ; 78 ans chez les femmes contre 73 ans chez les hommes. Qu’est-ce qui explique cela ? En particulier on peut constater un système de santé très inégalitaire, qui conduit à avoir un système public pour les moins aisés et un système privé pour les plus riches. Car si, comme en France, l’assurance maladie est obligatoire au Mexique, celle-ci peut être publique ou privée, en fonction du niveau de vie de l’assuré. Et bien entendu, hélas, les moyens alloués à la santé sont insuffisants dans le système public.
Un système public saturé et de moindre qualité
Comme en France, il existe un système d’assurances sociales public, appelé l’IMSS (el Instituto Mexicano del Seguro Social). Il est organisé en seulement deux régimes de couverture sociale en fonction de la nature du travail exercé par l’assuré :
– un régime obligatoire pour tous les travailleurs salariés ;
– un régime volontaire pour les travailleurs indépendants ou les fonctionnaires, appelé ISSSTE (Instituto de Seguridad y Servicios sociales de los Trabajadores del Estado).
Il garantit les prestations maladie, les urgences, la protection sociale et l’accès aux services sociaux. La protection couvre l’assuré et sa famille (conjoint, enfants, parents) ; elle s’applique après au moins 4 semaines de cotisation ; une partie seulement du salaire est versée et au maximum pendant 52 semaines.
Les plus démunis bénéficient d’un programme spécial (Seguro popular), pour recevoir des soins gratuits dans des établissements fléchés, créé en 2003. Il convient de noter qu’à cette date, c’est-à-dire il y a moins de vingt ans, 60% de la population n’avait pas de sécurité sociale, la majorité vivant en zone rurale.
Les Mexicains qui gagnent le salaire minimum sont exonérés de cotisations ; les autres versent environ 10% de leur salaire.
À noter que l’assuré social n’a pas le choix de son médecin traitant qui lui est désigné par le système de sécurité sociale.
Le système de santé public est organisé autour d’un secrétariat de la santé (l’équivalent du ministère de la Santé en France) qui délègue à chaque État la gestion des différents offreurs de soins publics (hôpitaux publics, centres de santé, laboratoires, services des urgences). Le système de santé est donc entièrement décentralisé au Mexique dans sa gestion, contrairement à la France.
Les hôpitaux publics (30% seulement des établissements de santé au Mexique) prodiguent leurs soins en priorité (voire en exclusivité) aux assurés publics de l’IMSS et de l’ISSSTE. Certains établissements publics des grandes villes (Mexico, Monterrey ou Guadalaraja) sont modernes et de renommée internationale. Mais la plupart des autres hôpitaux publics manquent d’équipements, de personnels. Les temps d’attente sont énormes, y compris aux urgences. Les médecins sont débordés et les soins ne sont pas de qualité. Et plus les hôpitaux publics sont en zone rurale, moins ils sont performants.
À côté des hôpitaux publics, on ne dénombre pas moins de 1 500 centres de santé qui maillent le territoire, avec plusieurs niveaux de spécialisation en fonction de leur localisation et des soins qu’ils assurent. On parle de centres de santé primaire dans le milieu rural car ils sont le seul lieu qui délivre des soins. Les centres de santé dépendent de l’institut de la santé du Mexique, qui est chargé de les coordonner et de les contrôler, ainsi que les hôpitaux publics. Ces centres comprennent des infirmiers et des médecins, mais également des jeunes en formation pendant leur service national (l’équivalent du service de santé des armées). Ils offrent des consultations et mettent en œuvre les programmes de santé et de prévention décidés par leur institut fédéral, en animant la politique de santé au niveau local (réunion avec la population, exercices…).
Le système de santé public est toutefois saturé car la création du régime universel d’assurance maladie pour tous ne s’est pas accompagnée du développement des infrastructures nécessaires. Certains États manquent cruellement de centres de santé, ce qui fait que les centres existants sont saturés et les soins reportés sur les hôpitaux publics qui eux-mêmes n’arrivent pas à faire face à la demande. D’où le développement des pharmacies et des cabinets privés où les soins ne sont pas remboursés.
Un système de santé privé performant, inaccessible à tous
L’assuré peut choisir – si ses revenus l'y autorisent – de cotiser auprès d’une assurance privée qui lui permet de se rendre chez n’importe quel médecin ou établissement de santé, public ou privé. Le montant de son remboursement dépendra de son contrat d’assurance. Toutefois les assurances privées ne sont pas accessibles au Mexicain moyen, seuls les plus aisés peuvent y avoir accès. Les établissements de santé privés ont un coût plus élevé mais sont de bien meilleure qualité, avec des temps d’attente largement inférieurs au système public. Par ailleurs, de nombreuses pharmacies ont une petite clinique avec un médecin qui prodigue des soins primaires. Elles dispensent en outre des médicaments que les centres de santé ne délivrent pas.
Les cliniques privées au Mexique représentent les deux tiers des établissements de santé. Elles délivrent des soins de qualité, avec tout le matériel nécessaire et des médecins souvent formés aux États-Unis ou en Europe. Elles représentent hélas la meilleure alternative pour avoir des soins de qualité répondant aux normes standard. Mais elles sont onéreuses : leurs coûts sont très supérieurs à ceux constatés en France par exemple. Et, surtout, si vous n’êtes pas solvable, vous n’êtes pas pris en charge.
Conclusion
Si, comme la France en 1945, le Mexique a bien eu la volonté il y moins de vingt ans de mettre en place un système d’assurance maladie obligatoire, celui-ci, hélas, n’a pas donné aux offreurs de soins publics les moyens nécessaires pour répondre aux besoins de santé des assurés sociaux. D’où la coexistence d’un système de santé à deux vitesses : un système public à bout de souffle qui manque de moyens et ne peut répondre aux besoins de la population dans des conditions de sécurité et de qualité satisfaisante ; un système de santé privé performant mais réservé exclusivement aux plus aisés. Heureusement ce n’est pas le cas en France car le système de santé français est avant tout fondé sur la solidarité et non sur l’assurance.
Enfin, rappelons que si le Mexique n’a pas fermé ses frontières pendant la pandémie de coronavirus ni mis en place de confinement, ce n’est pas parce que le virus n’y était pas présent (même si on ne dispose pas de chiffres officiels) mais tout simplement parce qu’il n’existe pas de système de couverture des salariés : pas de travail, pas de revenus, pas d’assurance. La population était obligée de travailler pour vivre. Aucun système, comme en France par exemple, de chômage partiel ou d’aides aux entreprises ne lui a été proposé.
Beveridge versus Bismarck
Bismarck est le père des assurances sociales en Allemagne (1877). Il instaure ainsi l’assurance maladie, l’assurance accident du travail, l’assurance invalidité-décès, mais qui sont réservées aux salariés de l’industrie les plus défavorisés avec une part de cotisations à la charge de l’employeur et une à la charge du salarié.
Beveridge quant à lui est le père de la sécurité sociale au Royaume-Uni (1942). Il considère qu’une société moderne se doit d’éliminer l’état de besoins selon un plan, la sécurité sociale n’en formant qu’un élément, l’objectif étant d’assurer le plein emploi. Toute la population doit être couverte par la sécurité sociale et les risques doivent être pris en charge, selon un système de protection sociale public unifié et étatisé. Le système doit être financé par l’impôt et gratuit pour la population. C’est sur ces fondements qu’est créé le service national de santé (National Health Service).
Le système de protection sociale français relève à la fois du modèle bismarckien, dans la mesure où il s’appuie sur les logiques de l’assurance, et du modèle beveridgien, dans la mesure où les assurances sociales sont obligatoires et universelles (toute la population est couverte). À noter cependant qu’il est accompagné par des assurances complémentaires.
Depuis 1945, date de création de la Sécurité sociale, le financement et la gestion des dépenses de santé en France relèvent d’un monopole public exercé par l’Assurance maladie (par délégation de service public de l’État, dans le cadre de conventions pluriannuelles d’objectifs et gestion négociées entre le ministère de la Santé et les organismes de protection sociale, l’État assurant le contrôle de ses organismes). La part non couverte (encore appelée ticket modérateur) restant à la charge du malade est remboursée ou non selon que celui-ci bénéficie d’une mutuelle ou d’une assurance complémentaire privée. En contrepartie de cotisations financées essentiellement par des prélèvements proportionnels aux revenus (contribution sociale généralisée) et des cotisations assises sur les salaires, la population française a un libre accès aux soins dont le coût est couvert (en grande partie) par l’Assurance maladie. Par rapport à un système assurantiel classique, les primes sont ici déconnectées des risques individuels et l’accès aux soins est conforme aux principes d’une assurance maladie universelle. Si l’obligation d’assurance se justifie par l’argument d’une internalisation systématique de la sélection adverse* qui caractérise un marché d’assurance facultatif, les parts respectives du public et du privé dans le financement du système de santé relèvent quant à elles très largement d’un choix de société. La remise en cause de ce monopole public de financement conduirait à introduire une concurrence entre les organismes d’assurance maladie et les assureurs privés du système de soins.
*Sélection adverse : se tournent vers l’assurance ceux qui sont le plus exposés aux risques et ayant une forte aversion pour le risque. Les individus qui ne présentent pas de risques ne s’assurent pas. Les calculs des primes prenant en compte ces derniers, la société d’assurance risque de se retrouver en déficit. Dès lors soit elle relève ses tarifs (ce qui ne sera pas favorable aux individus avec des petits risques), soit elle sélectionne les risques ou pratique des tarifs discriminatoires. Et donc tous les individus ne sont plus assurés.
Didier Jaffre