OBJECTIF SOINS n° 0283 du 14/10/2021

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

Luhana Huyghebaert   Nicole Tanda   Laurent Soyer  

Si les risques liés à l’utilisation des écrans numériques obligent à la vigilance, ils n’oblitèrent pas la réelle plus-value des écrans au regard de la prise en soin en pédiatrie. À condition que les membres de l’équipe soignante endossent bien leur rôle d’éducateurs de santé et se placent dans une posture de dialogue avec l’enfant et ses proches.

De leurs bénéfices et du rôle de l’équipe soignante

Dans la première partie de notre article (OSM no 282, août-septembre 2021), nous nous sommes appuyés sur une recension des écrits pour aborder le contexte sociétal de la révolution numérique, puis pour développer l’utilisation des écrans numériques en pédiatrie et leurs risques potentiels. Si ces risques sont à considérer avec vigilance, cette seconde partie d’article met en lumière les bénéfices des écrans numériques pouvant apporter une réelle plus-value au regard de la prise en soin en pédiatrie. De là, nous portons la focale sur le rôle spécifique de l’équipe soignante, celui d’éducateur de santé, dans une posture de dialogue avec l’enfant et ses proches et dans une conduite de projet pilotée par le cadre de santé.

LES BÉNÉFICES DES ÉCRANS NUMÉRIQUES

Concernant les bénéfices des écrans numériques auprès des enfants et adolescents, une recension des écrits existants(1) a permis de repérer six dimensions (Figure 1).

Gestion de la douleur

Une étude monocentrique réalisée au sein du service de pédiatrie du centre hospitalier du Val d’Ariège en 2017, incluant 37 enfants de deux mois à sept ans recevant une ponction veineuse, a comparé un groupe utilisant une tablette et un autre utilisant un livre comme source de distraction. Les résultats montrent qu’« une différence significative a été retrouvée dans le groupe utilisant la tablette chez les enfants d’un à trois ans et chez les patients de sexe féminin »(2). Une expérimentation, menée aux urgences pédiatriques de l’hôpital Trousseau de Paris, souligne les avantages suivants : « Procédures douloureuses améliorées par l’utilisation conjointe de la tablette et des thérapeutiques antalgiques usuelles ; Son potentiel de distraction s’intègre spontanément dans la prise en charge de la douleur ; Le caractère relaxant permet également une diminution de l’anxiété chez l’enfant et ses parents ; Les soins sont rendus plus faciles et parfois même raccourcis ; Parfois, la tablette peut être utilisée pour aider à examiner un enfant très anxieux ; Renforcement d’une “culture douleur” et d’accueil personnalisé et serein des patients et de leurs familles »(3).

Diminution de l’anxiété

À son arrivée dans le service pédiatrique, l’enfant, plongé dans un milieu qui lui est étranger, avec des personnes inconnues, peut perdre ses repères spatio-temporaux, ce qui s’apparente à une possible source d’anxiété. L’objectif du recours aux écrans numériques est alors la dédramatisation de l’admission en pédiatrie. De plus, l’outil numérique peut également accompagner certains moments clés du séjour. Pour exemple, une équipe paramédicale pluridisciplinaire du CHU de Hautepierre et des étudiants développeurs de Ludus Académie ont développé un serious game à destination des enfants hospitalisés, le YGIH 3.0 (YGIH 3.0 signifie Young Gamer In Hospital, le chiffre trois fait référence aux enfants, aux parents et aux soignants). Une infirmière puéricultrice, puis une cadre de santé puéricultrice témoignent : « Au sein du pôle médico-chirurgical de pédiatrie, nous travaillons sur la prise en charge de la douleur de l’enfant. Un enfant informé des examens médicaux qu’il va passer aura moins peur et donc moins mal. Il existe déjà des livrets d’information mais nous avions envie de quelque chose de plus ludique et interactif » ; « Les parents n’osent pas forcément poser des questions ou s’avèrent plus anxieux que leurs enfants. Avec YGIH 3.0, ils découvrent des choses avec leur enfant. Et si les parents sont rassurés, l’enfant l’est aussi »(4). Il existe aujourd’hui d’autres serious games, comme Dolo:kids, à disposition des enfants et des professionnels, comportant des informations ludiques et permettant l’évaluation de la douleur du jeune enfant. «Le serious game Dolo:kids remplit aujourd’hui largement ses promesses : le jeu est un exemple réussi de dédramatisation et d’information médicale à destination des jeunes patients grâce aux technologies du jeu vidéo »(5). Les écrans numériques sont devenus une ressource dans l’aide aux soins(6). En 2016, une étude concernant l’utilisation de tablettes en préopératoire a été menée au sein des Hospices Civils de Lyon, auprès de 112 enfants de 4 à 10 ans, répartis en deux groupes : le premier recevait une tablette 20" avant l’intervention, le second groupe avait reçu une dose de sédatif (midazolam). Les résultats ont été probants. Les tablettes ont des vertus apaisantes et d’anxiolyse. « L’utilisation de tablettes numériques est un outil non pharmacologique qui peut réduire le stress péri-opératoire sans effets secondaires en chirurgie ambulatoire pédiatrique »(7). Les tablettes pourraient contribuer à effacer la mémorisation de l’acte chirurgical qui provoque parfois des troubles du sommeil, des angoisses à distance de l’intervention. Au-delà du contexte opératoire, au niveau d’un usage pédiatrique, l’écran peut aussi constituer un vecteur, voire un allié du soignant pour calmer un enfant angoissé ou surexcité(8). Pendant l’utilisation d’un écran numérique à titre d’outil thérapeutique, l’attention de l’enfant est alors captée et donc détournée du soin anxiogène. L’attention captée est un acte réflexe. « Le cerveau est capté par l’environnement, des faits inattendus (bruit, image vive…) et l’information ne passe pas par la réflexion »(9).

Affirmation de soi

L’une des caractéristiques de l’enfance est le besoin d’affirmation de soi. Celle-ci passe par la construction de représentations, autrement dit la symbolisation. Or, « le travail psychique de la symbolisation n’est pas seulement verbal. Il est aussi visuel dans la mesure où il prend appui sur des représentations imagées […] ; l’image est la médiation essentielle entre le corps et les mots »(10). Ainsi, les écrans numériques comportant diverses images (photos, films, animations 3D…) participent chez l’enfant et l’adolescent à l’expérimentation d’une image de soi, pouvant se moduler et se transformer(11). Cette phase du développement survient normalement de manière naturelle. Les écrans numériques peuvent favoriser cette affirmation de soi. « Dans ces conditions, l’identité numérique contribue à enrichir le champ des expériences du petit enfant »(12). Évoquant son utilisation d’un serious game en pédiatrie, un jeune enfant hospitalisé témoigne : « C’était très positif. Par exemple, un petit garçon m’a dit : avec ton jeu c’était chouette, car je savais ce qu’il fallait que je fasse »(4).

Catalyse des apprentissages

Le numérique a investi le champ de l’éducation avec notamment les Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE). Lors d’une interview, à la question « Qu’apporte le numérique sur le plan pédagogique ? », Cerisier, directeur du laboratoire Techné (Technologies numériques pour l’éducation), indique que « la première chose que les enseignants répondent c’est qu’il permet de proposer des documents de meilleure qualité […]. Il apporte beaucoup en cas de recherche d’informations »(13). Le numérique peut également favoriser un meilleur suivi pédagogique dans une dynamique de développement professionnel continu. « Il permet de mieux suivre les parcours d’apprentissage »(13). La réalité virtuelle a déjà fait ses preuves en lycée professionnel dans le cadre de l’initiation à un métier. Les jeunes y trouvent un réalisme et un aspect plus ludique, pratico-pratique. Si les écrans numériques comportent une dimension divertissante, ils permettent également de développer les capacités intellectuelles de l’enfant, notamment entre six et neuf ans. « Les écrans interactifs sollicitent la pensée hypothético-déductive, notamment en mettant à contribution la capacité d’anticipation et le retour d’expérience […]. Les stratégies que le joueur est invité à mettre en jeu peuvent stimuler l’apprentissage de certaines compétences, notamment la capacité d’innovation. Les écrans préparent aussi les enfants à une société de l’information dans laquelle la réflexion stratégique, la créativité et la coopération sont des facultés essentielles »(14). Quesne, professeure d’anglais et créatrice du site Escape n’games, précise que « le jeu d’évasion [lui] permet de voir les notions acquises et celles à retravailler »(13). Par ailleurs, tous les enfants n’ont pas le même rapport au savoir et donc la même appétence pour l’apprentissage, notamment scolaire. « Des enfants et des adolescents rebelles aux apprentissages peuvent retrouver le plaisir de découvrir et d’apprendre, via certaines applications qui, sans qu’ils ne le mesurent, font appel à des compétences cognitives sous-utilisées dans le système traditionnel »(12). L’utilisation pédagogique des écrans numériques constitue donc un progrès éducatif important. « L’utilisation de l’Internet et d’outils numériques variés a transformé d’abord les loisirs, puis l’apprentissage, l’éducation et la formation culturelle des enfants de tous âges. Cette évolution, qui apparaît aujourd’hui irréversible, a des effets positifs considérables en améliorant l’acquisition des connaissances et des savoir-faire, mais aussi en contribuant à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants et des adolescents »(15). Avec l’apparition des tablettes, commercialisées depuis 2010, les écrans numériques sont devenus facilement transportables et plus adaptables au milieu hospitalier comme interface d’un triangle didactique soignant-enfant-savoirs. « Les écrans peuvent être stimulants et devenir de puissants outils d’apprentissage […]. Les écrans peuvent aussi aider l’enfant à enrichir son vocabulaire et son langage »(8). En effet, en se référant par exemple au vocabulaire spécifique lié aux soins, la tablette peut imager ou/et animer des situations de soins et ainsi permettre à l’enfant d’acquérir des termes nouveaux. Dans le cadre de la prise en soin de l’enfant atteint d’une maladie chronique, les écrans numériques peuvent aussi être un médiateur d’apprentissages(16). Dans tous les cas, les auteurs s’accordent pour souligner l’importance de l’accompagnement systématique de l’enfant par un adulte, tant pour regarder le contenu avec lui que pour le lui expliquer(17).

Support à l’éducation thérapeutique du patient (ETP)

Les écrans numériques, notamment via l’interface de serious games, sont de plus en plus utilisés en pédiatrie pour les enfants et adolescents porteurs d’une maladie chronique et inscrits dans un programme d’ETP. « Cette approche permet d’améliorer leurs connaissances de la maladie et d’acquérir une plus grande autonomie. Au final, l’objectif est d’améliorer le devenir des patients à long terme »(18). En Suisse, le projet KidsETransplant propose un environnement de chambre virtuel en 3D. « Pour chaque expression ou terme médical figurant dans KidsETransplant, l’utilisateur peut faire appel à des “info-bulles” donnant une définition ou une information vulgarisée pour comprendre et se former au cours de son parcours. Des “quiz” ludiques, en lien avec des questions relatives aux “info-bulles” ou des informations contenues sur le site Internet, sont également en voie d’implémentation dans l’espace jeux afin que l’enfant puisse tester ses connaissances et les améliorer. Les défis motivationnels développés autour de ces “quiz” serviront à stimuler la soif d’apprentissage des utilisateurs. La partie “jeu” incite le patient à créer, personnaliser et naviguer dans un univers virtuel représenté par la chambre, qui contient tout ce que le patient voudrait et pourrait savoir sur sa propre maladie et son évolution, en temps réel »(18). Un autre serious game, nommé Lumine, a été expérimenté par le CHU et la clinique Pasteur de Toulouse, dans l’optique de répondre aux attentes des associations de parents et de patients présentes au sein des unités de cancérologie pédiatrique. « Le serious game Lumine permet aux enfants atteints de cancer et à leurs familles de découvrir sous forme d’un jeu la maladie et sa prise en charge. De façon ludique et éducative sous forme de quiz, jeux ou vidéos, l’enfant et ses parents ont ainsi la possibilité de naviguer dans un espace virtuel et de disposer de toutes les informations utiles mettant en scène les étapes de la prise en charge »(19). La société LudoMedic propose de son côté des jeux thématiques mettant en scène un enfant, Nicolas, et sa famille. L’un d’eux porte sur la chimiothérapie : « À quoi sert une chimiothérapie ? Comment fonctionne-t-elle ? Quelles en sont les conséquences ? Beaucoup de questions trouveront leurs réponses lors de ce parcours, où Nicolas suivra son traitement et découvrira l’univers hospitalier »(20).

Vecteur de socialisation

Grâce à une curiosité du monde extérieur innée, les enfants n’ont en général aucune difficulté particulière à aller vers les autres enfants pour établir un lien avec eux. Pendant les récréations, lors de balades au parc de jeux ou encore lors des temps sportifs périscolaires, les enfants rencontrent d’autres enfants et tissent du lien social. Les jeux sur écran peuvent également contribuer à leur socialisation et leur développement personnel. « Les enfants restent souvent regroupés par sexe, partageant des activités et centres d’intérêt communs. Parmi ces intérêts, figurent bien entendu les écrans, dont l’usage manifestement attractif pour leurs parents stimule leur curiosité. Le partage, entre amis, de jeux praticables à plusieurs peut alors contribuer à faciliter une socialisation précieuse »(12). L’idée de socialisation s’inscrit d’ailleurs dans celle d’une société du numérique, d’une société connectée. « La jeunesse actuelle évolue dans un contexte socio-culturel inédit marqué par le développement rapide des nouvelles technologies du virtuel. Le regard des jeunes est capté par de grands et de petits écrans, tactiles et numériques, qui ont envahi leur champ social »(21). L’usage des écrans numériques participe de fait à une socialisation des enfants dans une société elle-même numérique. L’utilisation raisonnée des écrans numériques chez l’enfant a donc une vocation propédeutique (c’est-à-dire préparatoire) pour son inscription dans le monde. « L’enfant qui grandit en ayant précocement et solidement installé ses repères temporels se repèrera et s’orientera dans le monde des écrans bien mieux que celui qui ne l’a pas fait […]. Beaucoup d’activités créatrices peuvent être développées à cet âge, qui pourront orienter durablement la façon d’utiliser les écrans plus tard »(14). Évoquant les valeurs de la vie en société, les écrans numériques peuvent permettre la diffusion de supports éducatifs. « Des émissions éducatives bien conçues et adaptées à l’âge peuvent également avoir un puissant pouvoir prosocial, car elles aident les enfants à identifier la violence, à apprendre l’empathie, la tolérance et le respect »(8).

LE RÔLE ÉDUCATIF DE L’ÉQUIPE SOIGNANTE

Dans un service de pédiatrie, sous la responsabilité du cadre de santé, ce sont les puéricultrices qui organisent et mettent en œuvre les projets de soins infirmiers. L’une de leurs compétences (no 3) est de mettre en œuvre des soins adaptés aux enfants présentant des altérations de santé. Une des caractéristiques de cette compétence est d’« analyser les bénéfices et les risques de l’utilisation d’appareils et de dispositifs médicaux en tenant compte des rythmes de vie de l’enfant et de son confort »(22). C’est bien dans cette logique que nous proposons la présente recension des écrits. Une autre compétence (no 5) concerne la conception et la mise en œuvre des activités de promotion de la santé de l’enfant et de protection de l’enfance. Une des caractéristiques de cette compétence est d’« élaborer et conduire des projets et des actions de santé publique, de prévention et de promotion de la santé en lien avec les priorités nationales et locales et en collaboration avec les divers partenaires, les professionnels et les usagers »(22). Le rôle éducatif prend tout son sens en pédiatrie du fait même que « les habitudes relatives à la santé, y compris l’utilisation des médias par la famille, se cristallisent plus facilement pendant la petite enfance que plus tard »(23). L’usage des écrans numériques en pédiatrie, s’il peut être controversé au niveau sociétal, est réalisé ici de manière ponctuelle et ciblée. Les recommandations nationales préconisent l’accompagnement d’un adulte à l’usage des écrans numériques. Le soignant, en pédiatrie, doit donc être disponible lors de la mise en œuvre des tablettes tactiles (outil préférentiel actuellement pour une question de praticité dans le transport, la maniabilité et l’utilisation). Cette disponibilité, cette présence vont contribuer à instaurer une proximité, un climat de confiance et in fine un partenariat soignant/soigné aux bénéfices de la qualité et de l’efficience des soins. Cette alliance créée entre l’enfant et le soignant peut alors s’ouvrir aux parents dans l’optique de développer une démarche éducative vis-à-vis de l’utilisation des écrans numériques.

Accompagner le choix de l’utilisation des écrans

Cette démarche éducative, focalisée sur la prévention des risques des écrans numériques et sur la mise en valeur de leurs bénéfices, peut être envisagée à deux niveaux. Dans un premier temps, pour réponde à notre hypothèse, il paraît primordial d’accompagner et de justifier le choix d’utiliser les écrans numériques auprès de l’enfant et de son entourage, ce qui exige une réflexion d’équipe et une harmonisation des pratiques professionnelles. Un discours rassurant est sans nul doute à prodiguer de manière systématique. Par exemple : « Effectivement, la tablette tactile est utilisée de façon ponctuelle et justifiée puisqu’elle possède un grand pouvoir de distraction permettant ainsi aux enfants de se focaliser sur autre chose que sur un soin invasif potentiellement douloureux. Étant donné qu’un soin infirmier comme la réalisation d’un bilan sanguin ou une pose de cathéter intraveineux est relativement court, l’exposition de l’enfant reste succincte et les effets néfastes n’ont pas le temps de se faire ressentir, à condition que le programme utilisé soit adapté à son âge ». Dans un deuxième temps, lorsque la confiance est établie, il est alors possible de déployer le rôle éducatif, en s’appuyant en premier lieu sur les recommandations, prioritairement celles à valeur scientifique prouvée. « Les conseils fondés sur des données probantes destinés aux cliniciens et aux familles reposent sur quatre principes : une gestion saine, une utilisation constructive, un exemple positif et une surveillance équilibrée et éclairée du temps d’écran et des comportements s’y rapportant »(24). Mais il ne faut pas négliger toutes les recommandations en vigueur, comme celles de sociétés savantes : « Avant 3 ans, pas de télévision ; Avant 6 ans, pas de console de jeu individuelle ; Avant 9 ans, pas d’Internet seul ; Avant 13 ans, pas de réseaux sociaux »(25), « Comprendre le développement des écrans sans les diaboliser. Des écrans dans les espaces de vie collective, mais pas dans les chambres des enfants. Des temps sans aucun écran. Oser et accompagner la parentalité pour les écrans. Veiller à prévenir l’isolement social »(17). N’oublions pas le rôle essentiel des associations dans le tissage des liens entre la sphère des professionnels de santé et la sphère familiale, qui elles aussi proposent des recommandations : « Placer l’ordinateur dans une pièce commune […]. Installer un logiciel de contrôle parental […]. Privilégier le dialogue avec l’enfant […]. Apprendre à l’enfant à développer son sens critique […]. Prévenir les risques liés à la diffusion des données personnelles de l’enfant »(26). Il existe aussi des supports de recommandations ludiques proposés par des sociétés impliquées dans le numérique, comme Hoptoys, une entreprise de jeux pour enfants qui recommande 20 minutes d’écrans maximum pour les enfants de trois à six ans ou encore 30 minutes pour les enfants de six à neuf ans. On trouve également des guides à destination des jeunes(27).

Des guides concrets

Un outil concret et faisant référence auprès des parents est le carnet de santé. Depuis 2018, il comporte des recommandations qui peuvent appuyer le discours étatique et celui du soignant : « Avant 3 ans, évitez l’exposition aux écrans : télévision, ordinateur, tablette, smartphone […]. Quel que soit son âge, évitez de mettre un téléviseur dans la chambre où [l’enfant] dort ; ne lui donnez pas de tablette ou de smartphone pour le calmer, ni pendant ses repas, ni avant son sommeil ; n’utilisez pas de casque audio ou d’écouteurs pour le calmer ou l’endormir »(28). Toujours par rapport au rôle parental et à l’information éducative dispensable, il est fondamental, comme pour toute démarche éducative, de se baser sur les besoins/attentes exprimés. Ainsi, un sondage réalisé en 2016 par la Société canadienne de pédiatrie a mis en évidence que « les parents demandent des conseils sur le temps d’écran de leur enfant dans quatre grands domaines : la durée (quand est-ce trop ?), l’établissement de limites, les effets sur la santé et le bien-être, et le contenu optimal »(29). Il est donc intéressant, soit de se référer à ce type de sondage, soit d’effectuer une enquête exploratoire au sein de chaque service de pédiatrie qui comporte ses propres singularités de culture de service, de public accueilli, de priorités de santé… Compte tenu du fait que de nombreuses recherches sont encore en cours et que, quoi qu’on en pense, notre société est dorénavant digitale, l’attitude éducative du soignant ne doit pas s’ériger en dogme mais s’inscrire dans un dialogue enfant-parents-soignants où chacun peut s’exprimer librement et accepter les points de vue divergents. Pour le soignant, la principale attitude à adopter est celle de l’écoute active. Même si les écrans numériques constituent des alliés dans les soins pédiatriques, ils ne doivent pas remplacer la communication verbale et non verbale entre le soignant et l’enfant. Le côté humain de cette profession ne doit en aucun cas être délaissé. « Le plus grand danger serait de faire des dispositifs techniques non des supports d’accompagnement mais des auxiliaires de communication qui se substitueraient à la relation soignante »(30).

Un travail d’équipe piloté par le cadre de santé

Dans cette optique, le cadre de santé est celui qui organise les conditions pour que son équipe puisse construire une démarche éducative autour d’un groupe projet. Il ne s’agit pas seulement d’autoriser l’équipe à ouvrir un projet, mais aussi de faire preuve de leadership en accompagnant les membres du groupe projet, par exemple dans la répartition des compétences, dans la méthodologie de recherches d’informations… Il est aussi celui qui offre un espace de liberté car le projet est un moyen de favoriser la pensée créative, ici notamment la création de supports pédagogiques préventifs pour les enfants et les parents. Et pourquoi ne pas profiter des écrans numériques pour créer des outils de prévention interactifs, comme il en existe déjà de disponibles en ligne, par exemple le jeu « Quel accro es-tu ? » proposé par Lig’Up(25) ? Il existe parfois au sein des équipes des compétences à mettre en avant et, au sein des établissements de santé, des services informatiques capables d’apporter leur expertise. Le leadership du cadre de santé, dans son rôle de proximité, passe également par un soutien et des paroles valorisantes, qui l’amènent à s’engager dans la rencontre des membres de son équipe, des parents et bien entendu des enfants, sujets centraux de la démarche éducative. Le cadre de santé engage également sa responsabilité en tant que manager d’une équipe et représentant du tiers(31) (l’établissement de santé), notamment concernant la gestion des problèmes logistiques comme l’installation des tablettes, la sécurisation, la gestion du contenu… Enfin, et c’est là un axe essentiel, le cadre de santé doit inscrire au plan de formation celle des membres de l’équipe à l’utilisation des outils numériques.

UNE VIGILANCE POSITIVE

Les écrans numériques font partie d’une réalité quotidienne, que ce soit hors ou dans le cadre hospitalier. Ils se positionnent, au fil des innovations, comme des outils au service de la réponse soignante. L’usage de ces technologies peut être discuté en vue d’une prise de conscience et d’une modification des attitudes et des convictions. Certains individus pensent que l’écran numérique est à bannir alors que ce qui reflète un danger potentiel pour la santé n’est autre que son utilisation excessive et non contrôlée. Comme le disait Coudray (32) en parlant de la fonction cadre, restons des soignants en éveil. « La convergence numérique a d’ores et déjà rapproché le cinéma, la radio, la télévision et la téléphonie en leur imposant un support technologique commun. Très bientôt, de nouvelles formes d’interactions s’y associeront, utilisant l’intelligence artificielle sous des formes multiples et encore imprévisibles. Une attitude de vigilance positive devra rester de mise face à ces évolutions »(33).

Transmission des recommandations essentielles aux parents

À l’appui et en connaissance des recommandations de bonnes pratiques du numérique, le soignant peut sensibiliser l’enfant et sa famille. Par exemple la télévision est installée dans les chambres des services pédiatriques. La bonne pratique à adopter est donc celle de choisir un programme avec le spectateur sur la base de la bonne durée et d’un programme adapté à son âge. « Pour permettre à l’enfant d’intérioriser les repères temporels, il est également préférable de ne jamais le mettre devant un écran, mais devant un programme dont on connaît la durée de telle façon qu’on peut la lui annoncer »(14). En outre, il est important de discuter du visionnage avec l’enfant une fois terminé, que celui-ci soit adapté ou non, car cela permet à l’enfant de s’exprimer sur ce qu’il a vu, de ne pas laisser les interrogations se multiplier et de renforcer le lien de confiance avec l’enfant qui le rassurera en cas de programme choquant ou effrayant. La communication paraît donc primordiale après un visionnage pour éviter un quelconque traumatisme psychique. « L’éducation ne consiste pas à protéger et à guider un enfant, mais à lui apprendre, progressivement, à s’autoprotéger et à s’autodiriger »(14). La télévision est un excellent exemple d’un usage d’écran numérique à ne pas transférer dans le cadre du domicile de l’enfant. « Continuez évidemment à proscrire la télévision dans la chambre de votre enfant, et contrôlez le temps d’écran »(14). En complément des recommandations d’usage des écrans numériques, il est conseillé de repérer les autres ressources disponibles (affiches, quiz, jeux…) ou d’en créer au sein de l’équipe.

  • Notes
  • 1. Huyghebaert L, Tanda N, Soyer L. Les écrans numériques en pédiatrie et leurs risques. OSM no 282 (2021).
  • 2. Bertrand C et Percheron L. La tablette numérique est-elle une technique de distraction efficace pour diminuer la douleur provoquée par les ponctions veineuses chez l’enfant ? Douleur et analgésie (2019), 32(2), 115-121.
  • 5. Wemeau C, Dosset C et Dubat B. Le serious game, un outil de soins pour les enfants hospitalisés. Soins Pédiatrie/Puériculture (2012), 33(265), 17-19.
  • 6. Harlé B et Desmurget M. Effets de l’exposition chronique aux écrans sur le développement cognitif de l’enfant. Archives pédiatriques (2012), (19), 772-776.
  • 8. Cavert MH, Desvignes V, Caron FM. Enfants et écrans. Dans V. Desvignes et E. Martin-Lebrun, Pédiatrie ambulatoire (Doin, 2e éd., 2019), p. 212-227.
  • 10. Tisseron S. L’image comme processus, le visuel comme fantasme. Cahiers de psychologie clinique (2003), 1(20), p. 125-135.
  • 11. Tisseron S. Psychanalyse de l’image. Des premiers traits au virtuel (Dunod, 2e éd., 2005).
  • 12. Huerre P, Vlachopoulou X. L’enfant et les écrans, Grandir à l’heure du numérique. Soins Pédiatrie/ Puériculture (2015), 36(282), 14-20. P. 16.
  • 13. Constans N. Numérique. Des clics et des couacs. Famille & éducation (2020), (531), 21-23. P. 21.
  • 14. Tisseron S. 3-6-9-12 : apprivoiser les écrans et grandir. Érès (2017). P.42
  • 15. Bach JF, Houdé O, Léna P, Tisseron S. L’enfant et les écrans. Un Avis de l’Académie des sciences. Le Pommier (2013). P.18
  • 16. Ogrisek M, Houdé O, Assathiany R. L’enfant et les écrans. Pédiatrie pratique (2016), (279), 9-16.
  • 18. Calinescu AM, McLin V, Spahni S, et al. KidsETransplant : un serious game pour les enfants malades ou greffés du foie. Médecine / Sciences (2016), 32(12), 1120-1126.
  • 21. Le Coz P. L’enfant et les écrans, De la société du « tout à l’écran » au souci des générations futures, Soins Pédiatrie/Puériculture (2015), (36) 282, 21-24. P. 24.
  • 23. Hamilton K, Spinks T, White KM, et al. A psychosocial analysis of parents’ decisions for limiting their young child’s screen time: An examination of attitudes, social norms and roles, and control perceptions. British Journal of Health Psychology (2016), 21(2), 285-301.
  • 24. Ponti M. Les médias numériques : la promotion d’une saine utilisation des écrans chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents. Paediatric Child Health (2019), 24(6), 409-417.
  • 26. Atlan J. Les technologies de l’information et de la communication, Préserver l’enfant et l’adolescent des risques et des dérives d’Internet. Soins Pédiatrie/Puériculture (2012), 33(265), 29-31. P. 29.
  • 27. Dayé MA. Les écrans et toi - Guide pratique sympathique pour devenir un utilisateur cyberfuté. Midi trente (2018).
  • 29. Société canadienne de pédiatrie. Le temps d’écran et les jeunes enfants : promouvoir la santé et le développement dans un monde numérique. Paediatric Child Health (2017), 22(8), 469-477.
  • 30. Dutier A. Les technologies de l’information et de la communication en pédiatrie, réflexion éthique. Soins Pédiatrie/Puériculture (2011), 33(265), 14-16. P. 16.
  • 31. Vial M. La relation formateur/formé dans un Institut de Formation en Soins Infirmiers. Rapport d’évaluation (2001).
  • 32. Coudray MA. Le cadre soignant en éveil. La fonction d’encadrement au défi de la quête de sens. Séli Arslan (2004).