Portrait
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Infirmière de l’Éducation nationale en Bourgogne, Saphia Guereschi est secrétaire générale du SNICS-FSU, le premier syndicat de la profession. Elle nous explique son parcours – rien ne la prédestinait à cet engagement – et revient sur les principales revendications et avancées de l’organisation.
C’est au cours de ses études de biologie que Saphia Guereschi a pris la décision de bifurquer vers les études infirmières. « Je ne me destinais pas à cette profession que je connaissais peu, mais en 2e année de fac de biologie j’ai réalisé qu’en tant que biologiste je serai amenée à travailler en laboratoire plus que sur de l’humain… – cela m’a fait réfléchir. Une amie d’enfance qui avait choisi le métier d’infirmière m’a parlé de tout ce qu’elle faisait et j’ai trouvé cela passionnant. Acceptée à deux concours d’IFSI, je me suis décidée à me lancer ! »
En stage, elle apprend de multiples facettes du métier et, encline à la découverte d’univers variés, elle s’inscrit en intérim à Paris. « Neuro-chir, cancéro, suivi de patients atteints de sida…, j’ai exercé dans des services très différents pendant trois ans avant de décider de me poser. »
Installée en Bourgogne, Saphia Guereschi s’engage alors comme infirmière contractuelle de l’Éducation nationale, un métier qu’elle avait découvert en stage d’IFSI. « Ma tutrice était très dynamique, et elle avait su m’inculquer le sens de ce métier très intéressant, contrairement aux a priori que l’on peut avoir vis-à-vis de cet exercice. » En janvier 2009, elle intègre ainsi un poste réparti sur trois collèges ruraux avant de passer le concours au printemps 2010 et d’être stagiairisée en septembre. Sur ce territoire défavorisé, isolé, caractérisé par des difficultés d’accès aux soins et le manque de professionnels de santé, la jeune infirmière de l’Éducation nationale se confronte à la réalité de terrain – bien loin des textes qu’elle a potassés pour décrocher son diplôme. « Il n’y avait pas d’infirmière sur ces établissements depuis dix ans… Tout était à mettre en place, c’était passionnant et très enrichissant ! »
L’appel du syndicalisme
Ressentant le besoin d’aiguiser son regard, de prendre conseil auprès de pairs et de partager entre professionnels, elle participe pour la première fois de sa vie à des réunions syndicales. « Ensuite tout est allé très vite », confie-t-elle. Membre du bureau national du SNICS-FSU en 2015 après avoir précédemment intégré le bureau de Dijon puis occupé le poste de secrétaire académique, Saphia Guereschi est nommée secrétaire générale en 2017, une fonction renouvelée en décembre 2020. « Comme dans de nombreux domaines associatifs, toute une génération qui était engagée est en train de partir à la retraite, ce qui conduit à un fort renouvellement des militants et des responsables. J’ai été aspirée par ce mouvement ! »
Si déjà toute jeune elle se mobilisait pour défendre des causes sociales, écologistes notamment, elle connaît avec le SNICS-FSU son premier engagement syndical. Et reconnaît que ce n’était pas gagné d’avance. « J’avais des a priori sur le monde syndical ; je pensais qu’il était réfractaire au changement, un peu réac, vieux jeu, vieillot… Et en fait j’ai découvert un monde très intègre, intelligent, dynamique. L’histoire des acquis de ce mouvement, des luttes sociales me passionne et soutient mon engagement. »
Engagée pour la défense de la profession
Le SNICS-FSU est l’organisation majoritaire chez les infirmiers de l’Éducation nationale depuis sa création en 1993. Le syndicat a été plébiscité par 59 % de la profession lors des dernières élections professionnelles en décembre 2018, avec un taux de participation élevé, à 69 %. Sa vocation ? Œuvrer pour l’émancipation, la reconnaissance de la profession infirmière, l’évolution des carrières et des conditions de travail, mais aussi l’amélioration du service rendu aux élèves et étudiants en vue de favoriser leur réussite scolaire. Le tout dans un contexte social tendu : en 2020*, une enquête sur la « Souffrance au travail » menée par le SNICS-FSU révélait que les deux tiers de la profession en étaient victimes.
Ces derniers mois (février et juin), les infirmiers de l’Éducation nationale ont manifesté à plusieurs reprises et organisé quatre congrès exceptionnels pour alerter sur la situation des jeunes, la dégradation de leur état de santé et le manque de moyens pour leur venir en aide. Les sujets de préoccupation ne manquent pas. « Nous luttons contre le projet de décentralisation avec la création de services de santé scolaires attachés aux départements, souligne Saphia Guereschi. Et nous nous sommes fortement mobilisés dans le cadre du Ségur de la santé dont nous avions été écartés des discussions alors que les 8 000 infirmiers de l’Éducation nationale réalisent de plus en plus de consultations : celles-ci sont passées de 15 millions en 2015 à 18 millions en 2018 ! » Le combat a payé : la profession a obtenu (le projet de décret est en cours) la transposition des mesures indiciaires du Ségur accordées aux infirmiers de la fonction publique d’État et l’homothétie de carrière, « alors que l’écart peut aller jusqu’à onze années entre les deux corps de métier ». Mais cela ne suffit pas aux yeux du SNICS-FSU. « Avec une revalorisation moyenne des salaires de 80 à 100 euros, notre salaire reste inférieur de plus de 500 euros à celui des autres professions de catégorie A de la fonction publique. Nous allons donc poursuivre nos revendications ! »
Au service de la réussite des jeunes
Pour Saphia Guereschi, « les arguments budgétaires du gouvernement ne tiennent pas : notre profession ne coûte pas cher en comparaison du bénéfice que peut en tirer l’usager. Nous avons toutes les raisons d’investir sur la prévention de la jeunesse qui est le parent pauvre de la politique de santé. “Ma Santé 2022” a confirmé le renforcement de la prévention déjà présent dans la loi de modernisation du système de santé de 2016, notamment en direction des jeunes, mais cela ne se concrétise pas sur le terrain », déplore-t-elle.
La crise sanitaire a renforcé le mal-être des jeunes, alors même que les infirmiers de l’Éducation nationale ont moins de temps à leur accorder, accaparés par la mise en place et le suivi des protocoles sanitaires, le dépistage, le tracing des cas contacts et l’information aux familles, autant de tâches que les ARS leur ont reléguées. « Depuis des mois nous sommes phagocytés par ce travail de lutte contre la Covid au détriment des consultations infirmières exprimées librement par les jeunes. Or ceux-ci sont fortement impactés par la crise sanitaire ; cela creuse les inégalités de santé et se répercute au niveau scolaire et donc social… Le système est débordé. La consultation infirmière s’inscrit dans un réseau partenarial mais nos collègues de pédopsychiatrie ne sont pas assez nombreux pour répondre aux besoins. Nous sommes centrés sur la Covid mais il y a une crise dans cette crise. Des jeunes s’installent dans des comportements délétères (avec des addictions aux écrans, aux drogues…) pour lesquels nous n’avons pas de moyens supplémentaires. Nous passons notre temps à sécuriser l’espace scolaire mais n’avons plus le temps pour l’écoute, le repérage des problématiques de santé. Nous assistons à la dégradation de situations, les familles peinent à obtenir des soins dans la durée, et tout le monde est spectateur. C’est très injuste. »
La solution selon Saphia Guereschi ? La création d’un plan d’urgence en direction de la jeunesse, de la petite enfance à l’université « avec des moyens d’accès aux soins renforcés partout ».
Le 23 septembre dernier, Saphia Guereschi a pris part à la journée de mobilisation en faveur d’un plan d’urgence pour l’éducation aux côtés de ses collègues du SNICS et de la FSU. Bien décidée à ne rien lâcher, la secrétaire générale se veut fidèle à la ligne de conduite du syndicat : « On revendique ce qui est juste et on le revendique jusqu’à obtention. »