OBJECTIF SOINS n° 0283 du 14/10/2021

 

DOSSIER

Constance Flamand-Roze  

Faciliter la conversion d’un bagage théorique en aptitudes pratiques, en glanant au passage un savoir-être avec le patient. C’est ce que permet le programme The Move, qui fait appel au mime et aux cinq sens des étudiants en médecine pour les réconcilier avec la neurologie.

La neurophobie désigne la peur de la neurologie éprouvée par les étudiants et les jeunes médecins, et la crainte qu’ils ont de se retrouver face à des patients atteints d’une maladie neurologique. Bien décrite dans la littérature médicale et scientifique, elle touche les étudiants de tous les continents, et de moins en moins d’entre eux choisissent la neurologie à la suite du concours de l’internat. Pourtant, dans les décennies à venir, compte tenu de l’évolution de la démographie de la population générale, les neurologues partageront de plus en plus la prise en charge des maladies neurologiques avec d’autres spécialistes, notamment les médecins généralistes et les gériatres.

Afin d’aider les étudiants à se réconcilier avec la neurologie, il fallait leur proposer une nouvelle forme d’enseignement.

Qu’est-ce que The Move ?

The Move est né en 2014. C’est un programme innovant d’enseignement par simulation qui utilise le mime pour apprendre la sémiologie neurologique aux étudiants en médecine. Le programme a été initialement développé au sein de la faculté de médecine Sorbonne Université, dans les murs de l’hôpital de la Salpêtrière. La Salpêtrière est historiquement un lieu d’innovation dans le domaine de l’enseignement de la neurologie. Au XIXe siècle, Jean-Martin Charcot mettait en scène ses patients lors de ses cours et leçons, donnant une dimension concrète à son enseignement.

The Move reprend le scénario et certains éléments de l’émission télévisée « The Voice », mais ici le chant est remplacé par le mime. Il est demandé aux étudiants de mimer les signes et les symptômes correspondant aux grands syndromes neurologiques : le syndrome parkinsonien, l’épilepsie, les troubles cognitifs, le syndrome cérébelleux…

Comment ça se passe ?

The Move s’adresse aux étudiants de 2e ou 3e année de médecine, période de transition entre l’enseignement théorique et l’apprentissage de la pratique. À ce stade de leur cursus, les étudiants apprennent les signes et symptômes des grands syndromes médicaux, dont les syndromes neurologiques, et font parallèlement leurs premiers pas au contact des patients pendant leurs stages hospitaliers.

Concrètement, des groupes de 20 à 50 étudiants encadrés par un à trois enseignants (les « coachs ») apprennent la sémiologie des grands syndromes neurologiques en jouant le rôle du patient et en mimant les signes et les symptômes.

Au début du programme, il est clairement expliqué que :

– il n’est absolument pas question de se moquer des patients ou des autres étudiants. Les idées directrices du programme sont la bienveillance et l’empathie ;

– les étudiants qui ne souhaitent pas mimer peuvent se contenter de regarder : on apprend également en observant les autres faire, et voir les étudiants prendre du plaisir à mimer donne envie de se lancer.

Les sessions d’entraînement durent de trois à quatre heures. Elles sont animées principalement par les coachs : chefs de clinique-assistants des universités, praticiens hospitaliers et professeurs des universités. Des étudiants volontaires miment devant les autres les symptômes du patient tandis que d’autres jouent le rôle du médecin. Ils reçoivent les commentaires et conseils des autres étudiants et des enseignants, et peuvent ensuite réessayer jusqu’à ce que la prestation soit considérée comme proche de la réalité clinique. Au cours de la séance, les enseignants présentent une compilation de vidéos de patients qui récapitule les éléments discriminants des différents syndromes pour guider les mimes et les apprentissages. À l’issue des sessions d’apprentissage, chaque groupe d’étudiants et d’enseignants scénarise les signes et les symptômes des maladies neurologiques sous la forme de saynètes d’environ cinq minutes. Les étudiants peuvent jouer à tour de rôle le patient, le médecin et les figurants de la saynète. Ils sont encouragés à s’entraîner par eux-mêmes en dehors des séances d’enseignement.

À la fin de chaque année universitaire, un tournoi amical est organisé, au cours duquel sont présents les coachs et les étudiants. Les groupes d’étudiants s’affrontent en « battles » successives, jouant les saynètes qu’ils ont inventées et répétées. Quand toutes les battles sont jouées, le jury, composé de l’ensemble des coachs, désigne l’équipe vainqueur selon deux critères : l’authenticité neurologique (patient et médecin) et l’originalité du scénario.

Est-ce que ça marche ?

Les étudiants et les enseignants sont régulièrement consultés pour contribuer à l’optimisation du programme et de ses modalités de mise en œuvre, et le faire ainsi évoluer. La participation très forte et très active des étudiants et des enseignants a permis de pérenniser ce programme dans le cursus de Sorbonne Université depuis cinq ans, ce qui est un indicateur d’efficacité. Les étudiants s’approprient The Move, comme en témoigne l’exemple d’une équipe d’étudiants qui a récemment choisi de donner une représentation des saynètes qu’elle avait travaillées pour le personnel soignant de l’hôpital.

Une première évaluation quantitative centrée sur la perception des étudiants et des enseignants a montré que leur ressenti émotionnel lors de la participation à The Move était positif. Une très large majorité des étudiants considère que cet enseignement leur a permis de progresser sur le plan de leur motivation (78 %), de leur compréhension de la neurologie (77 %) et de la mémorisation à long terme des connaissances (86 %). Ils estiment également que cet enseignement leur sera utile dans la perspective de leur pratique clinique future.

Le point de vue des enseignants est tout à fait concordant : 90 % des coachs ont ressenti un regain dans leur motivation à enseigner, et 81 % pensent que leur enseignement est de meilleure qualité grâce à The Move. 62 % d’entre eux pensent que les étudiants ayant bénéficié du programme The Move auront de meilleurs résultats à leur examen final. Une étude suivante leur a donné raison ! Ce travail a permis de démontrer objectivement l’efficacité de The Move dans la mémorisation à long terme des connaissances. Bien entendu, un tel programme demande un investissement en temps de la part des enseignants, mais 95 % des coachs estiment que le temps passé à la participation de The Move était tout à fait raisonnable et surtout utile.

Pourquoi ça marche ?

The Move illustre la volonté actuelle des facultés, mais également des différentes écoles formant les personnels soignants, de développer les enseignements par simulation dans les différentes disciplines médicales. En effet, la mise en pratique des connaissances théoriques peut être délicate pour les étudiants. C’est ce que nous avons constaté avec les étudiants en médecine mais il est fort probable que ces appréhensions soient ressenties par de nombreux étudiants en santé de manière plus générale. The Move propose une approche innovante qui fait sens pour des raisons sociétales, pédagogiques et neurologiques.

Certains questionnements pédagogiques ont guidé notre approche : l’enseignement délivré sur un mode vertical, de façon magistrale, n’est pas le plus efficace du point de vue didactique. Les étudiants y sont de plus en plus réfractaires. Par ailleurs, si le bagage théorique est essentiel, sa conversion en aptitudes pratiques l’est tout autant. Il est alors opportun de faire appel à des enseignements par simulation. De plus, les interactions générées par ce programme apprennent aux étudiants comment se comporter avec les patients, en leur enseignant aussi le savoir-être. Nous les plaçons dans une position où ils expérimentent la perspective du patient, ce qui est rare au cours de leurs études. Cela favorise le développement de l’empathie dans le soin.

Enfin, un autre avantage de The Move est qu’il n’implique pas directement les patients.

Par ailleurs, cette méthode s’appuie sur le fonctionnement cognitif : le cerveau mémorise efficacement à long terme quand, comme dans ce programme, sont mobilisés les cinq sens et le corps tout entier afin d’encoder l’information, d’augmenter l’attention et la motivation par une approche stimulante et interactive, et de créer un contexte d’apprentissage joyeux et positif. Le contexte ludique et l’atmosphère bienveillante associés à cet enseignement sont des facteurs puissants favorisant l’apprentissage.

Au-delà de l’intérêt pédagogique, ce programme joue un rôle fédérateur et structurant pour les enseignants et les étudiants.

Quelles sont les perspectives de The Move ?

Ce programme peut facilement être implémenté dans toutes les universités qui le souhaitent, en France et en Europe. The Move a été placé sous l’égide du Collège des enseignants de neurologie, qui favorise sa dissémination dans les universités françaises, en mettant à disposition sur son site Internet un kit de démarrage à destination des enseignants. Une rencontre annuelle est organisée sous la forme d’un tournoi international, The Move Europe. La 3e édition de cette rencontre s’est déroulée les 3 et 4 juillet 2019 à l’auditorium de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, avec la participation des équipes des universités de Londres, Dublin, Lisbonne, Rennes, Lille, Bordeaux et Paris.

Les universités de médecine françaises et internationales sont donc de plus en plus nombreuses à avoir adopté le programme The Move. Si celui-ci s’adresse initialement aux étudiants en neurologie, son principe même peut s’adapter à toute spécialité. Par ailleurs, le programme peut également convenir aux autres personnels paramédicaux.

À titre d’exemple, une étude de 2019 a montré que les jeunes infirmiers en activité depuis moins de trois ans et travaillant en service de psychiatrie pouvaient ressentir des peurs liées à la relation de soin, qui conduisent à la mise en place de systèmes défensifs et nuisent à la qualité du soin. Il semble pourtant que les infirmiers sont plus téméraires que les étudiants en médecine ! En effet, en dehors de cette étude sur la psychiatrie, il semble que les étudiants en IFSI ne désignent pas de spécialité qui les inquiète plus que d’autres. De la lecture de forums et d’articles, il ressort que les craintes des futurs soignants résident surtout dans la possibilité de commettre une erreur mais également dans les rapports avec des patients et des familles, potentiellement agressifs. Si les stages effectués permettent sûrement de prendre de bonnes habitudes de communication et de maîtriser les gestes techniques, pour beaucoup cela ne semble pas suffisant à les rassurer totalement. Or, il est connu que des soignants rassurés et confiants commettent moins d’erreurs que lorsqu’ils sont confrontés à leurs angoisses.

Un enseignement par la mise en situation et le mime tel que The Move pourrait sans doute aider les futurs praticiens à envisager différentes situations potentiellement anxiogènes de façon plus apaisée. Par ailleurs, le fait que l’enseignement par le mime ait été démontré comme influençant favorablement la mémorisation, il est probable que The Move permettrait aux étudiants paramédicaux un apprentissage encore plus solide des gestes techniques comme des connaissances théoriques, ce qui leur offrirait alors une bien meilleure confiance en leurs capacités.

En savoir plus

<0x00A0> Benaïche H. Les peurs dans le travail infirmier. Santé mentale, no 234 (janvier 2019), p. 44-49.

<0x00A0> Issenberg SB, Scalese RJ. Simulation in health care education. Perspect Biol Med 2008;51(1):31-46.

<0x00A0> Jozefowicz RF. Neurophobia : the fear of neurology among medical students. Arch Neurol 1994;51(4):328-9.

<0x00A0> Roze E, Flamand-Roze C, Méneret A, et coll. ‘The Move’, an innovative simulation-based medical education program using roleplay to teach neurological semiology : students’and teachers’perceptions. Revue Neurologique 2016;172:289-294.

<0x00A0> Roze E, Worbe Y, Louapre C, et coll. Miming neurological syndromes improves medical student’s long term retention and delayed recall of neurology. Journal of the Neurological Sciences 2018;391:143-148.

<0x00A0> Vérin M, Benquet P. The move : When neurosciences teach us to better teach neurosciences. Journal of the Neurological Sciences 2018;391:149-150.