OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

QUALITÉ

Jean-Charles Erny    

directeur des soins, centre Richelieu, Croix-Rouge française, La Rochelle

Dans le cadre des Crex, le centre Richelieu recourt à la pratique de la simulation dans l’analyse de ses EIAS. Cette méthode permet de reprendre point par point le déroulement de situations de soins, grâce à un scénario prédéfini. Le débriefing qui s’ensuit aide à comprendre les dysfonctionnements et à mettre en place des actions correctives. La simulation constitue ainsi un outil d’amélioration de la qualité des soins et un support managérial pour le directeur des soins.

Tirer parti de ses erreurs grâce à la pratique simulée

Depuis 2014, chaque cadre de santé du centre Richelieu est formé en interne à l’animation des comités de retour d’expérience (Crex). La stratégie du Centre est en effet de confier à l’encadrement la responsabilité de cette animation 3 ou 4 fois par an et par unité. En parallèle, une trentaine d’analystes ont été formés à la méthodologie d’analyse et d’amélioration continue des pratiques professionnelles.

En juillet 2020, avec ses équipes, le directeur des soins du Centre a mis en place des Crex en pratique simulée. Il s’agit, à partir d’erreurs qui se sont réellement produites et suite à la rédaction de fiches d’amélioration, de créer des scénarios de simulation, de les analyser, de s’interroger et d’améliorer nos pratiques.

DÉFINITIONS

Pour rappel, un Crex est une méthode de gestion et d’amélioration de la sécurité des soins. Issue des systèmes de sécurité de l’aviation civile, la méthode a été adaptée au milieu médical. Elle est fondée sur l’analyse rétrospective des événements indésirables associés aux soins (EIAS) détectés et signalés. Le retour d’expérience (tableau 1) est un outil très intéressant pour le manager : il contribue à renforcer l’efficacité et la performance de son équipe et constitue une véritable opportunité d’échange et de partage.

ORGANISATION

Le centre Richelieu a choisi d’utiliser la simulation dans l’analyse de ses événements indésirables et ainsi de recourir à une démarche employée en gestion des risques : l’approche a posteriori. Le Centre est doté d’un laboratoire de simulation depuis juillet 2018.

Tous les deux mois, les Crex se déroulent par unité, en équipe pluriprofessionnelle : soignants, médecins, rééducateurs, etc. Le centre comporte quatre unités : affections de l’appareil locomoteur, affections du système nerveux, affections respiratoires, hospitalisation de jour.

Une analyse peut être déclenchée à la demande de l’encadrement, du médecin ou du coordonnateur de la gestion des risques si besoin. En cas d’événement indésirable grave (EIG), l’analyse est systématique.

LA SIMULATION EN SANTÉ

La Haute Autorité de santé (HAS) définit la simulation en santé en 2012 dans un guide de bonnes pratiques : il s’agit de « l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé, pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels ».*

La simulation en santé et la gestion des risques partagent un certain nombre de valeurs : pluriprofessionnalité, rôle pédagogique, implication des acteurs, culture positive de l’erreur, impact sur la sécurité des patients…

Nous avons choisi, dans notre centre, l’approche fondée sur l’utilisation du retour d’expérience, dite méthode de gestion des risques a posteriori (apprendre de ses erreurs).

La littérature montre que le travail d’équipe efficace :

  • constitue une barrière de sécurité contre les événements indésirables ;
  • favorise la qualité de prise en charge du patient ;
  • est un facteur de santé et de bien-être au travail pour les professionnels ;
  • est un moyen de répondre de manière collaborative et interdisciplinaire aux besoins du patient.

APPLICATION LORS DES CREX

La séance de simulation se déroule ainsi :

  • pré-briefing : présentation de ce qu’est la simulation, création d’un environnement sécurisant, préparation à la participation active, présentation des détails de la séance ;
  • briefing : présentation de l’environnement, du rôle des acteurs, du matériel… ;
  • déroulement du scénario ;
  • débriefing : partie pédagogique la plus importante de la séance de simulation. L’équipe analyse l’événement et choisit des actions d’amélioration.

EXEMPLE DE PRATIQUE SIMULÉE

Scénario détaillé

Une infirmière du service travaille d’après-midi le 17 février 2020. Une entrée est planifiée ce jour-là. L’après-midi n’est pas calme et ponctué de nombreux appels téléphoniques qui interrompent l’infirmière dans les tâches qu’elle effectue. Du fait de ces nombreuses interruptions, l’infirmière commence avec du retard son tour d’administration des traitements dans le service. Les traitements par insuline et notamment sous forme de stylos sont tous disposés dans une boîte en plastique que l’infirmière dépose sur son chariot de médicaments. Pendant son tour, elle a pris le téléphone dans sa poche et elle est à nouveau interrompue par des appels téléphoniques. L’infirmière arrive au niveau de la chambre de la patiente. Après la réalisation du dextro, l’infirmière vérifie le traitement sur le plan de soins. Pendant ce temps, la patiente l’interrompt en parlant et en plaisantant. Cette patiente a deux types d’insuline qui sont variables en cours de journée. Les deux stylos sont disposés l’un à côté de l’autre dans le bac. Leur seul signe distinctif est la couleur qui se trouve sur le bout du stylo. L’infirmière saisit un des stylos d’insuline et vérifie l’étiquette au nom de la patiente apposée sur le stylo. La patiente continue à parler tout au long de l’injection d’insuline. Au moment où elle termine son injection, l’infirmière se rend compte qu’elle n’a pas utilisé le bon stylo. Elle a pris le stylo d’injection d’insuline rapide à la place de l’insuline lente. Elle interrompt son tour pour prévenir le médecin de garde de son erreur et va informer la patiente et assurer la surveillance de celle-ci.

Chronologie

Rôle 1 = La patiente

Rôle 2 = L’infirmière

Rôle 3 = Le médecin

  • La patiente est dans sa chambre et parle à l’infirmière. Le dextro est réalisé, l’infirmière va lui faire ensuite son injection d’insuline.
  • Pendant que la patiente lui parle, l’infirmière regarde le plan de soins et vérifie la prescription.
  • L’infirmière saisit le stylo à insuline et vérifie l’identité de la patiente sur l’étiquette du stylo qu’elle a saisi.
  • La patiente continue à parler et l’infirmière réalise l’injection.
  • L’infirmière se rend compte de son erreur à la fin de l’injection.
  • L’infirmière appelle le médecin de garde pour connaître la conduite à tenir, qu’elle va suivre : tenir la patiente informée et réaliser des contrôles glycémiques rapprochés. Une transmission ciblée est ouverte sur le logiciel.
  • L’infirmière réalise une fiche d’événement indésirable.

Après débriefing avec l’équipe, les actions d’amélioration proposées sont les suivantes :

  • Constat d’interruption de tâches => suspendre la prise d’appels téléphoniques pendant l’administration des thérapeutiques, de 17h30 à 19h00. L’infirmière ne prendra plus le téléphone : ce dernier est confié à l’aide-soignante pour permettre de réceptionner les appels en cas d’urgence. Un test est mis en place pour une durée d’un mois afin d’évaluer le processus.
  • Changement de matériel et d’organisation dans l’administration des insulines.
  • – Recherche d’un nouveau boîtier de transport des insulines étiquetées appartenant au patient = pharmacien
  • – Rappel des règles d’étiquetage (réunion d’équipe) = cadre
  • – Réorganisation des insulines : insulines rapides dans un casier dédié dans le chariot des thérapeutiques = infirmière

L’ensemble des actions se déroulera sur un mois.

Conclusion

Nous ne pouvons pas toujours analyser les événements indésirables en simulation. Cependant, lorsque cela est possible, cette méthode est très robuste et constitue un véritable outil pour le manager :

  • elle facilite les échanges entre les professionnels et les implique dans la vie de l’unité ;
  • elle utilise l’analyse réflexive de l’action individuelle ou collective en phase de débriefing ;
  • elle aide à comprendre, analyser, synthétiser un raisonnement, dans le but d’améliorer les performances futures, et facilite le travail sur le schéma de pensée des apprenants.

En tant que directeur des soins, ma principale préoccupation est d’impliquer l’encadrement et les équipes soignantes dans ce processus. La démarche d’amélioration continue fait partie intégrante du mode de management de l’établissement. En effet, mettre en place et piloter la démarche qualité en construisant une approche d’analyse de l’existant, puis établir un plan d’action global avec les différents partenaires, permet de mener des projets sereinement. Identifier les sources d’information pertinentes, à communiquer aux autres acteurs pour les diffuser ensuite, aide à organiser et à accompagner les équipes soignantes dans leur réflexion et leurs actions de développement de la qualité.

LE CENTRE RICHELIEU, TOURNÉ VERS LES SSR

Depuis plus d’un siècle, le centre Richelieu, à La Rochelle, est un établissement de la Croix-Rouge française. Il participe aux missions du service public hospitalier. Son activité principale concerne les soins de suite et de réadaptation spécialisés.

Le Centre propose une hospitalisation pour la rééducation et la réadaptation des adultes présentant des troubles liés à :

  • des affections de l’appareil locomoteur : rééducation post-opératoire (genou, coude, hanche complexe, épaule, colonne vertébrale), prise en charge des polytraumatisés (accident de la voie publique, du travail ou domestique…), des lombalgies chroniques, des pathologies rhumatologiques, des personnes amputées ;
  • des affections du système nerveux : prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC) récents ou anciens, des suites de traumatismes crâniens, rééducation, éducation et suivi des patients atteints de maladies neurodégénératives (sclérose en plaques, maladie de Parkinson), prise en charge d’autres maladies du système nerveux et de handicaps d’origine neurologique, prise en charge de la spasticité (se traduisant par une activation involontaire des muscles) ;
  • des affections respiratoires : insuffisance respiratoire, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), emphysème, asthme, suites d’opération du poumon ou du thorax.

BIBLIOGRAPHIE

  • Landry N, Erny JC. Expérience et analyse de la mise en place de la méthode du patient traceur dans un centre de rééducation. Risques et Qualité, 2015, vol. 12, 4 : 158-62.
  • Erny JC. Mobilisation collective : le sens du rôle soignant. OSM, 2015 ; 240 : 22-6.
  • Erny JC. Entre sécurité du circuit du médicament et autonomie du patient : expérimentation d’administration sur 24h dans une unité de soins SSR. Alter Ego, 2013 ; 35.
  • Erny JC. À propos du processus de construction du sentiment d'efficacité personnelle des infirmiers d'un pôle. Soins Cadres, 2011 ; 80 : 20-3.
  • Erny JC. Le sentiment d’efficacité personnelle et ses attributs dans la polyvalence des infirmiers au sein d’un pôle. Revue Recherche Soins Infirmiers, 2010/2 ; 101 : 91-7.
Fiche reprenant un scénario rédigé à partir d’une erreur d’administration médicamenteuse et les actions choisies par l’équipe suite au débriefing.