QUALITÉ ET GESTION DES RISQUES
DOSSIER
médecin hygiéniste, CH Hyères, CPIAS (Centre d’appui et de prévention des infections associées aux soins) PACA
« Le meilleur déchet est celui qui n’est pas produit. » Cet idéal régulateur concerne aussi les établissements de santé. De la prévention à la filière spécifique, en passant par la collecte séparée, lois et règlements bouleversent les schémas mentaux des soignants.
Depuis 2015, deux importantes lois ont profondément changé le paysage des déchets en France. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 (1) se donne des objectifs ambitieux dont la réduction de 50% des déchets mis en décharge à l’horizon 2025. Elle modifie également les premiers articles du Code de l’environnement (L541-1 et suivants) afin de moderniser la terminologie du secteur, en commençant par la définition même du mot déchet.
Le déchet n’est plus une chose destinée à l’abandon, mais une substance ou un objet « dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire », ce qui change assez profondément la conception. Le déchet n’est plus abandonné, oublié, déposé sauvagement en pleine nature, mais devient un objet échangeable, recyclable, exploitable comme une ressource, sans toutefois obtenir un statut de marchandise comme dans le cas d’une consigne de bouteille en verre.
Les dénominations changent aussi : exit les « déchets industriels » ou les « déchets industriels spéciaux ». Il n’y a aujourd’hui que deux classements des déchets et deux catégories par classement. D’un côté les déchets produits par les ménages : « déchets ménagers », de l’autre les déchets produits par tout autre producteur qu’un ménage, appelés « déchets d’activité économique ». Le second classement s’effectue selon l’existence ou non d’une propriété de danger. Ainsi existe-t-il des « déchets dangereux » ou des « déchets non dangereux » et, parmi ces derniers, des « déchets inertes » (gravats, par exemple) ou des « déchets non inertes » (exemple : déchets alimentaires, putrescibles).
On voit que l’appellation « déchet assimilable aux ordures ménagères » (DAOM) n’a plus de place et n’en a d’ailleurs jamais eue dans la terminologie réglementaire. Ces termes, qui recouvrent la réalité réglementaire de « déchets d’activité économique, non dangereux », sont nés d’une confusion. En effet, il persiste un terme issu du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui définit les « déchets assimilés » de la façon suivante : « Déchets collectés par le service public de gestion des déchets » et « dont le producteur n’est pas un ménage » (art. R2224-23 du CGCT, modifié par décret no 2016-288 du 10 mars 2016 - art. 1).
Les déchets assimilés n’étant pas explicitement cités dans les obligations du Code de l’environnement, certains ont pu les croire exonérés du tri, ce qui n’est pas le cas.
Malgré tout, on observe dans les établissements de santé une très large utilisation du sigle DAOM, y compris dans les documents constitutifs des marchés publics, ce qui pose une véritable question sur leur validité juridique, sauf à définir précisément dans les documents constitutifs du marché ce que signifie ce terme qui ne peut être employé au-delà de l’enceinte de l’établissement.
Mais, depuis décembre 2020, un arrêté modifiant la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) précise que les déchets assimilés rejoignent les déchets issus des ménages en ce qui concerne les collectes séparées spécifiques (par « déchets diffus spécifiques », on entend « déchets dangereux issus des ménages ») (2).
Cette loi AGEC (3) représente la deuxième révolution après la loi de 2015 héritée des directives européennes édictées depuis le début des années 2000. Les objectifs de cette loi pourraient être qualifiés d’utopiques pour des personnes découvrant aujourd’hui le sujet du développement durable. Il s’agit en effet de :
Réduire à néant l’utilisation des plastiques à usage unique. Ainsi est entré en vigueur le décret interdisant sous peine d’amende la distribution à titre gratuit de bouteilles plastiques à usage unique et l’obligation de mettre à disposition du public un point d’eau potable (4) ;
Augmenter le nombre de filières prises en charge par les fabricants – appelées REP pour responsabilité élargie des producteurs –, de piles, d’ampoules, d’électroménager… En tout, 18 filières en 2021 ;
Imposer des achats vertueux. Ainsi un décret de mars 2021 impose dès le 1er janvier 2022 aux acheteurs publics un pourcentage de biens issus du réemploi ou intégrant des matières recyclées (5) ;
Diminuer le gaspillage alimentaire (aujourd’hui environ 30% de la nourriture produite est détruite) ;
Mieux informer le consommateur.
Et, depuis la promulgation de la loi, les décrets tombent et forcent le train. Nos obligations déjà en vigueur :
100% des emballages plastiques à usage unique recyclés au 1er janvier 2025 ;
Élimination des déchets autorisés en décharge ou incinérateur uniquement si le tri est respecté en amont ;
Mise en décharge des déchets valorisables interdite ;
Obligation de passage en filières spécifiques pour les déchets issus des établissements et collectés par les collectivités publiques (tri dans les « DAOM ») depuis le 1er janvier 2021 ;
Un décret de mars 2021 (5) impose à compter du 1er janvier 2022 aux acheteurs publics un pourcentage de biens issus du réemploi ou intégrant des matières recyclées.
Et dans l’avenir :
Harmonisation des méthodes de tri ;
Diminution du gaspillage alimentaire de 50% pour la distribution alimentaire et la restauration collective d’ici à 2025 ;
Créer un indice de durabilité des appareils ménagers ;
Interdiction d’éliminer les invendus ;
Vente progressive de médicaments à l’unité ;
Nouvelles filières REP : matériaux de construction, textiles à usage sanitaire, vêtements, chaussures, jouets, articles de bricolage/jardin/pêche, mégots, autotests médicaux ;
Réutilisation des déchets du BTP ;
Cesser l’impression des tickets de caisse.
De ce fait, la pénalisation du non-respect du Code de l’environnement s’affine. Le tri non respecté est puni d’amendes progressives avec les récidives (6).
Notez à cette occasion que la réglementation utilise le terme « collecte séparée » et jamais celui de « tri sélectif » qui est un vilain pléonasme du même type que « logiciel informatique » ou « nouvel arrivant ».
En premier lieu, penser que « le meilleur déchet est celui qui n’est pas produit ». Cette prévention du déchet a fait l’objet d’un programme national soutenu par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) (7) promouvant l’achat de matériel réutilisable, la maintenance et la réparabilité, le réemploi.
Mais une fois le déchet produit, la loi introduit un principe directeur (8), appelé « Hiérarchie des modes de traitement des déchets » ; Il s’agit de privilégier, dans l’ordre :
a) La préparation en vue de la réutilisation ;
b) Le recyclage ;
c) Toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ;
d) L’élimination.
Mais, à l’hôpital, la première question posée est celle du risque infectieux. Et chacun s’étonnera de découvrir combien ce concept a été majoré au fil des pratiques et des guides.
Le professionnel qui doit choisir son collecteur en moins de deux secondes agit par association d’images plus que par connaissance d’un lourd protocole fondé sur l’analyse du risque infectieux. Il associe ainsi « DAOM/ménager/maison » d’une part et « DASRI/malade/hôpital » de l’autre. Par exemple, une compresse est associée à « malade/hôpital/DASRI » (figure 1).
Le Code de la santé publique (CSP) définit dans son article R 1335-1 les déchets d’activités de soins (DAS) comme « les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire ».
Donc, tous les déchets que produisent les soignants sont des déchets d’activités de soins (DAS). Ce texte précise que parmi ces DAS, certains présentent une propriété de danger :
Infectieux du fait de la présence d’un agent infectieux (ou de sa toxine) ;
Objet vulnérant piquant ou coupant (même non utilisé) ;
Produit sanguin à usage thérapeutique (exemple : poche de transfusion, risque transfusionnel) ;
Fragment de tissu humain non reconnaissable (si reconnaissable, suit une filière crématorium).
Le dernier alinéa de cet article 1335-1 définit comme assimilables aux DASRI les déchets issus non pas d’activités de soins mais d’activités d’enseignement, recherche, production industrielle en santé humaine et vétérinaire ainsi que de chirurgie esthétique, de tatouage ou d’essais en matière cosmétique. Ce sont donc les déchets assimilés à ceux de soin (DASRIA).
Toutefois, il n’est aucunement fait mention dans cet article de danger lié à une notion de contact avec un liquide biologique, de présence de sang dans le déchet, ni de risque psycho-émotionnel (inquiétude à la vue du déchet hospitalier de la part d’un non-professionnel). Ces notions sont apparues pour orienter le déchet vers la filière des DASRI dans un guide technique du ministère de la Santé de 2009 (9), bien qu’il ne réponde pas à la définition de l’article R 1335-1.
Les autres critères de la définition d’un déchet à risque étant évidents, la difficulté pour identifier les DASRI consiste donc à caractériser la présence d’agents infectieux dans le déchet. Sur ce point, comme l’écrit le ministère dans son guide de 2009 : « Le producteur de déchets d’activités de soins a la responsabilité d’identifier les déchets qui doivent suivre la filière d’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI) » (9). L’Ademe y fait écho dans son guide de 2012 : « C’est au professionnel de santé d’évaluer le potentiel infectieux du déchet d’activités de soins afin de l’orienter vers la bonne filière de traitement » (10). En effet, le professionnel est le plus apte à déterminer le risque par sa connaissance du patient, de la nature de l’acte et du contexte du soin.
En dehors des objets vulnérants (piquants, tranchants), il n’est pas possible de déterminer avant son usage si l’objet utilisé porte ou non un agent infectieux. S’il était possible de fixer la filière avant l’emploi du dispositif, on trouverait sur son emballage un symbole de propriété de danger « risque infectieux », comme cela se voit sur les emballages contenant des produits dangereux qui portent un pictogramme de danger (figure 2) et doivent donc être éliminés en filière de déchet dangereux.
La terminologie conforme à la réglementation comporte deux termes pour les déchets produits par les soignants : DAS et DASRI. Ainsi, lors de la collecte des déchets qu’il produit en l’absence de référence terminologique aux ordures ménagères, le soignant n’aura pas une opposition entre « maison » et « hôpital », mais entre « soin » et « soin à risque infectieux ou assimilé » (figure 3).
Les professionnels de santé ne produisent pas d’ordures ménagères. Mais leurs déchets d’activités de soins sans propriété de danger (en particulier danger chimique ou radioactif) peuvent être collectés, transportés et traités dans les mêmes conditions que les déchets municipaux non dangereux, dominés par les déchets ménagers.
Les matières contenues dans les DASRI ne sont pas recyclables à ce jour, sauf dérogation exceptionnelle. Après collecte, stockage et transport réglementés, les DASRI n’ont que deux modes de traitement possibles : l’incinération ou le prétraitement par désinfection par un procédé autorisé (11). Ce procédé est souvent appelé « banalisation » dans le sens où son produit est un déchet destiné à suivre la filière des déchets d’activité économique non dangereux. Laquelle conduit à l’incinération avec ou sans récupération de l’énergie (valorisation énergétique) ou au stockage en décharge (installation de stockage pour déchets non dangereux). La réglementation ne permet pas toutefois la valorisation des matières issues de ces déchets prétraités, mais elle prévoit un arrêté qui précisera, après avis du Haut Conseil de santé publique, les limites et les prescriptions relatives à leur valorisation, compte tenu de l’impératif de protection de la santé publique. À ce jour, un seul arrêté cible une entreprise de déchets des Hauts-de-France lui permettant, à titre expérimental, de procéder à la valorisation matière (12).
Cependant, l’Ademe déploie cette année un plan de soutien financier à l’installation d’appareils de désinfection des déchets couvrant 40% des dépenses et jusqu’à 50% en cas de valorisation des déchets désinfectés (13).
En 2019, le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) et la Direction générale de la santé (DGS) ont mené une enquête pour évaluer l’état des lieux concernant le tri des 11 filières citées en encadré. Sur les 57 établissements répondeurs, dont 22 de taille importante (plus de 400 lits), un seul établissement réalisait le tri conformément à la loi (un petit établissement de moins de 400 lits) et 30% d’entre eux ne pratiquaient qu’une seule filière, celle des DASRI.
La situation évolue favorablement grâce aux initiatives de terrain : certains services, parmi lesquels de nombreux blocs opératoires, ont engagé une démarche vertueuse de recyclage et des changements de pratiques. La Sfar (Société française d’anesthésie-réanimation) et la SF2H (Société française d’hygiène hospitalière) ont rédigé en 2021 un avis commun qui privilégie le choix des textiles réutilisables sur celui du jetable pour les tenues de bloc opératoire non stériles (14).
Un tableau de bord du poids de déchets produits est indispensable (lire aussi en p. XX l’article consacré à l’écoconception du soin), et cela pour toutes les filières de déchets et pas seulement les DASRI. L’amélioration passe par les achats responsables mais aussi par un suivi et l’amélioration du poids des déchets produits par acte, en commençant par les actes les plus courants et les plus stéréotypés, comme la cataracte, la césarienne, la séance de dialyse…
On dénombre au moins 11 filières obligatoires :
- Biodéchets (déchets alimentaires, déchets verts) ;
- Cartons ;
- Déchets d’éléments d’ameublement ;
- Déchets radioactifs ;
- Huiles ;
- Métal ;
- Papier ;
- Plastique ;
- Verre ;
- Bois ;
- DASRI.
Les déchets produits par les établissements sont des déchets d’activité économique (DAE). Les soignants produisent des DAS et des DASRI.
Les déchets non triés seront bientôt refusés à l’arrivée en décharge ou incinérateur.
Un tableau de bord mentionnant le suivi du poids par catégorie de déchets produits est indispensable.