L’écoconception du soin, une pratique éclairée - Objectif Soins & Management n° 0284 du 09/12/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

PROMOTION DE LA SANTÉ

DOSSIER

Marie-France TEXIER    

cadre de santé hygiéniste, CH de Hyères

La notion d’écoconception du soin vise à maîtriser l’impact écologique et énergétique dudit soin afin de garantir une médecine de qualité à moindre incidence sur la santé et préserver ainsi les générations futures.

Dans nos établissements de santé, tous les domaines inhérents aux soins et à leur environnement sont concernés par la notion d’écoconception. C’est pourquoi des gestes simples et quotidiens peuvent contribuer à sa mise en œuvre. Pour exemples, nous citerons la gestion des déchets, l’entretien des locaux, le choix des produits et des méthodes d’entretien… Sans oublier les éco-gestes familiers, ceux que chacun réalise dans sa vie personnelle en vue d’économiser l’eau (lire encadré), l’électricité ou de limiter les déplacements, et qui peuvent être appliqués au monde professionnel – le covoiturage n’est qu’un exemple parmi d’autres. Ces éco-gestes peuvent être répertoriés dans un « guide d’écoconception des soins à l’usage des professionnels » afin d’en faciliter le repérage sur le lieu de travail.

HYGIÈNE : UNE NOUVELLE CULTURE

Comme l’indique le manuel de certification HAS V2020 où la thématique du développement durable est mise en exergue, l’hygiène hospitalière tient une place importante dans la politique globale des établissements de santé (ES). La gestion du risque infectieux est une pratique exigible prioritaire et un indicateur de sécurité des soins où les risques environnementaux doivent être maîtrisés par les professionnels grâce à l’application des bonnes pratiques et recommandations. Cette thématique, évaluée par les indicateurs nationaux et le score agrégé, impacte directement le niveau de certification des ES. De plus, le projet d’établissement et les objectifs du CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) sont réactualisés au regard des critères et des indicateurs. Certains sont liés au DD, ils concernent : l’impact social, environnemental et économique.

Soigner sans nuire

L’hygiène hospitalière, qui détient un leadership reconnu par tous dans la gestion des risques, doit tenir compte de l’impact de ses actions et procédures et doit être un facilitateur, moteur au sein des ES. Les équipes opérationnelles d’hygiène orientent leurs actions et missions vers l’écoconception des soins afin de préserver les ressources et l’environnement tant au niveau des professionnels que des patients accueillis et pris en charge au sein de nos structures. Notre mission principale n’est-elle pas de veiller au maintien de la santé, de la sécurité des patients ? Notre première action de soignants est de ne pas leur nuire, mais aussi de préserver les personnels qui en prennent soin. Afin d’accompagner les soignants vers cette nouvelle culture d’éco-soin, des actions de formation et de sensibilisation ont été menées.

Collaborer

Avec la mise en place des GHT (groupements hospitaliers de territoire), il est fondamental que les directions des missions supports collaborent avec les missions transversales et œuvrent ensemble pour mener à bien ces actions. Cela peut être le cas lors de l’élaboration des marchés publics qui doivent prendre en compte les fournisseurs qui ont intégré le besoin de revoir la conception de leurs produits et de développer leur capacité d’innovation pour concevoir des produits écologiques ou allonger le cycle de vie du matériel. Le service d’hygiène peut y contribuer et apporter ses recommandations ou expertises dans ces domaines d’écoconception. En effet, l’activité de conception suppose une approche transversale et notre objectif est d’inscrire la démarche écoresponsable dans chacune des étapes pour un hôpital durable. L’écoconception est un processus à maturation lente et progressive. Cette prise en compte vise à améliorer l’efficacité énergétique et avoir recours aux énergies renouvelables, ainsi que mesurer et réduire les émissions de gaz à effet de serre, préserver la ressource en eau, développer la mobilité durable, sauvegarder la biodiversité sous toutes ses formes.

DÉCHETS : LE CHANGEMENT DE PARADIGME

Depuis de nombreuses années, l’hôpital de Hyères a revu notamment sa politique en matière de tri et de valorisation des déchets. La dénomination des types de déchets au sein de l’hôpital a permis de différencier clairement les déchets DAS (déchets d’activités de soins) des DAOM (déchets assimilés aux ordures ménagères), ces derniers n’étant pas produits par nature en milieu hospitalier. Ce au regard de l’activité économique réalisée : nous produisons du soin. En effet, cette terminologie n’était pas adaptée aux déchets produits par l’hôpital, et n’appartient à aucun texte réglementaire.

Rebut ou ressource ?

La clarification de ces différentes filières contribue au respect de la réglementation et permet un tri à la source en vue d’un recyclage adapté. Le déchet n’est alors plus un objet dont nous voulons nous séparer, il devient une ressource que nous pouvons exploiter. Nos objectifs sont simples : Recycler toujours plus ; Réduire les quantités produites ; Limiter les consommations inutiles.

Nous avons commencé par auditer notre filière en observant ce qui était acheté (les intrants) afin d’analyser ce qui pouvait en sortir (les déchets sortants). L’objectif étant de ramener le taux de déchets éliminés à 5% de la masse des achats. Notre projet déchet a été orienté en vue d’adopter une économie circulaire. Ainsi, avec l’aide du prestataire déchets, les filières se sont mises en place pour que les déchets deviennent des ressources. Comme pour le flux plastique, la mise en place de collecteurs de valorisation au sein du service de soins permet le recyclage des flacons de perfusion ou des biberons.

La filière déchets doit respecter le tri des cinq flux réglementaires : papier/carton, métal, plastique, verre, bois et biodéchets (arrêté du 12 juillet 2011) dans des conteneurs dédiés en vue de faciliter leur recyclage.

Tout déchet n’est pas DASRI

Rappelons que le meilleur déchet, c’est celui que l’on ne produit pas. Le Code de l’environnement (chap. « Prévention et gestion des déchets », art. L 541-1, II, 2o) demande de « mettre en œuvre une hiérarchie des modes de traitement des déchets consistant à privilégier, dans l’ordre : a) La préparation en vue de la réutilisation ; b) Le recyclage ; c) Toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ; d) L’élimination ».

Désormais, nous respectons ce tri dans la plupart des ménages. Cependant, dans notre activité professionnelle, ce n’est pas si aisé. Il plane dans la tête des soignants le spectre du déchet à risque infectieux. D’où la nécessité de modifier auprès des professionnels l’image mentale de la représentation du déchet produit lors des soins, en expliquant simplement l’article R1335-1 du CSP, définissant ce qui différencie un DAS (déchet d’activités de soins) et un DASRI (déchet d’activités de soins à risque infectieux) – lire aussi en p. XX l’article consacré aux déchets.

Des résultats mesurables

Le suivi d’indicateurs permet l’évaluation de la démarche et met en évidence des résultats efficients.

Des pistes pour évoluer

Progresser dans la réduction des déchets en établissement de santé se fait :

En modifiant les images mentales ;

En évaluant le poids moyen de déchets par acte de soins : intervention chirurgicale de la cataracte, par exemple ;

En collectant les déchets produits au cours du soin en petits sacs fermés avant sortie de la chambre ;

En respectant les fondamentaux des principes d’emballage : quelle que soit sa dangerosité, un déchet ne doit pas sortir de son emballage jusqu’à son élimination.

Le respect de l’environnement doit se chercher également par la préservation de nos ressources en eau. C’est pourquoi, depuis 2009, dans le cadre du PRSE (Plan régional santé-environnement), l’EOH (équipe opérationnelle d’hygiène) du CH de Hyères a conduit un programme de formation auprès des établissements de santé. Le thème de ces formations vise à l’usage raisonné des biocides, dont certains produits d’entretien, en vue de la maîtrise de nos effluents. Ce programme, soutenu par l’ARS, a concerné 267 établissements entre 2009 et 2019. Pour rappel, de nombreuses substances chimiques sont présentes et rejetées quotidiennement dans les effluents des établissements hospitaliers.

ENTRETIEN ET MAINTENANCE : DES MÉTHODES ALTERNATIVES

Les méthodes d’entretien des locaux ont pu être modifiées et l’usage de produits chimiques substitué par celui de produits à valeur traditionnelle comme le vinaigre blanc ou le bicarbonate de soude. C’est pourquoi le choix des produits et matériels d’entretien est effectué désormais au regard de leur composition et de leur impact environnemental. Cet impact porte à la fois sur les personnes mais aussi sur le milieu naturel après passage des eaux usées dans les égouts.

Des guides pour des pratiques plus vertueuses

Il convient désormais de préférer l’utilisation de méthodes alternatives, par le déploiement de nettoyeurs vapeurs, l’utilisation de produits lessiviels éco-labellisés ou bio-sourcés afin de limiter l’impact des biocides dans nos process d’entretien des locaux.

C’est ainsi que nos établissements évoluent vers un éco-nettoyage. Paru et diffusé sur le site de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, le Guide de l’éco nettoyage a été rédigé pour des pratiques plus vertueuses et à moindre impact environnemental dans nos établissements.

Une attention particulière doit être portée au respect de la dilution et au choix des méthodes sans produits. Grâce à l’évolution des textiles de nettoyage, faisant appel aux microfibres, une nouvelle ère du nettoyage écologique est de nos jours possible.

Si l’on se rapporte au cercle de Sinner, les nouvelles techniques privilégient l’action mécanique et la température. Cela offre ainsi des alternatives aux seuls produits chimiques et favorise de nouvelles méthodes alternatives. L’utilisation des microfibres sans chimie ou de la méthode vapeur associe nettoyage et désinfection.

Le cercle de Sinner résume une théorie qui stipule que toute action de nettoyage comprend quatre composantes : temps de contact, action mécanique, action chimique et température. (Ces quatre facteurs sont souvent mémorisés grâce à l’acronyme TACT – T pour Température, A pour Action mécanique, C pour Concentration [ou Chimie], T pour Temps d’action.) Pour un même résultat la répartition entre les quatre éléments peut être modifiée afin de privilégier l’un ou l’autre d’entre eux. Ainsi, si la préoccupation écologique domine, il faudra compenser l’action chimique délaissée par une part plus grande de l’action mécanique, de la température ou des deux. Pour exemple, le nettoyage du sol peut s’effectuer sans produit chimique à condition d’utiliser des textiles microfibres qui possèdent et développent une forte propriété d’action mécanique abrasive, la proportion de chaque facteur pouvant être substituée et compensée par chacun des facteurs entre eux.

Le cercle de Sinner a été imaginé en 1959 par le Dr Herbert Sinner. Ingénieur chimiste chez Henkel, connu notamment pour les marques Persil et Fa, il a conçu ce cercle pour démontrer l’intérêt des machines à tambour électrique comparées aux lessiveuses qui nécessitent de faire bouillir l’eau à cause d’une action mécanique très faible. Actuellement, le cercle de Sinner est utilisé de façon bien plus large, en réalité pratiquement pour tout ce qui doit être nettoyé.

Laver avec moins d’eau

Le déploiement de la pré-imprégnation des bandeaux de sols microfibres utilisés dans le cadre du nettoyage des locaux permet d’économiser l’eau en éliminant la phase « essorage » mais supprime aussi l’utilisation systématique de désinfectants sur le sol. De plus, cette méthode « mécanique » et sans produit réduit la formation de chimio-film responsable de l’encrassement des sols. Pour le personnel utilisateur, des matériaux plus légers, plus ergonomiques et des chariots de nettoyage repensés contribuent à limiter les TMS (troubles musculo-squelettiques), la fatigue, les expositions cutanées et respiratoires.  

C’est le cas également pour l’extension de l’utilisation des roto-laveuses qui permettent une remise en état des sols à neuf, sans utilisation de chimie, versus rénovation ou remise en état par spray, méthode utilisant des cires avec une teneur en COV (composés organiques volatils) pouvant générer une pollution de l’air intérieur.

Dans les services, pour une gestion des excreta sécurisée, l’implantation de lave-bassins thermiques a permis de traiter avec l’équivalence d’un lave-instrument chirurgical tout type d’ustensiles (un seul cycle pour laver et désinfecter en même temps un bassin, un urinal, un bocal, une bassine de toilette et leurs couvercles), ce qui réduit considérablement la quantité d’eau utilisée. À savoir : un cycle de lavage utilise la même quantité d’eau qu’une chasse d’eau de sanitaires, soit 11 litres.

Respecter aussi le microbiote cutané

Ce changement des pratiques concernant l’usage des biocides, produits chimiques qui font l’objet d’un règlement européen (UE no 528/2012), s’applique aussi à la préservation du microbiote cutané. Pesticides, herbicides, antibiotiques, antiseptiques, détergents-désinfectants ont la capacité de détruire les organismes vivants. En conséquence, lors de la réalisation ou de la réfection d’un pansement, la fréquence de renouvellement et l’usage d’antiseptique sur la peau doivent aussi être « repensés ». Et cela pour le respect de l’écologie bactérienne de l’Homme, afin de limiter la résistance aux antibiotiques et/ou aux antiseptiques.

C’est d’ailleurs l’orientation des recommandations de la SF2H (Société française d’hygiène hospitalière) concernant la procédure de douche préopératoire, indispensable pour réduire la charge microbienne en vue d’une intervention chirurgicale. Il est désormais recommandé d’utiliser du savon doux, plus respectueux de l’épiderme et de son écologie, le savon antiseptique étant réservé au temps opératoire proprement dit. Tout comme les détergents-désinfectants, les antiseptiques ont une action momentanée.

De même, lors de la réfection d’un pansement, même post-chirurgical, sachant que la recolonisation bactérienne de la peau est un processus naturel, utile et indispensable au bon déroulement de la cicatrisation, nos pratiques s’orientent vers l’usage de sérum physiologique (hors situation infectieuse). Rappelons qu’un antiseptique est aussi un cytotoxique – en utilisation à fréquence répétée, il peut nuire au processus de cicatrisation, par atteinte cellulaire. 

POUR CONCLURE

Les applications dans l’écoconception des soins sont diverses et variées. La source de nos actions peut être intarissable, les ressources de notre Terre ne le sont pas. Il n’existe pas de petites actions dans ce domaine, et il n’est jamais trop tard pour bien faire, ou pour lancer le changement. Tous concernés, œuvrons pour un seul but : la protection de notre environnement est le gage de notre santé.

L’utilisation raisonnée des désinfectants contribue à préserver l’efficacité des antibiotiques, la biodiversité et la santé. Pour l’entretien de nos établissements, rappelons-nous que la propreté est une question visuelle et olfactive : le propre n’a pas d’odeur, le sale oui. 

Cependant, il nous faut adapter les procédures d’entretien des locaux et les différencier en situation épidémique.

Préserver l'eau, un impératif

Indispensable à l’éclosion de la vie et à son maintien au sein des écosystèmes aquatiques et sur les continents, nécessaire à nombre d’activités et de réalisations, l’eau est une substance essentielle à la survie et au développement de l’humanité. Elle représente notre seule vraie richesse – la préserver est plus qu’un enjeu, il y va de notre survie, nous en sommes tous convaincus. Il incombe à chaque professionnel de santé et à chaque établissement d’agir.

Contribution individuelle

Ainsi, les éco-gestes au quotidien pour préserver cette ressource peuvent être les suivants :

Fermer les robinets après utilisation.

Utiliser les solutions hydroalcooliques à chaque opportunité.

Alerter les services techniques dès l’apparition d’une fuite d’eau. Une chasse d’eau qui fuit, par exemple, représente 30 à 250 m3 d’eau perdus par an – à la maison mais aussi à l’hôpital.

Ne renouveler les bains de décontamination qu’une fois par 24 heures s’ils sont visuellement propres.

Durant la toilette, ne pas laisser couler le robinet de la salle de bains.

Effectuer la réfection complète du lit uniquement si les draps sont visiblement souillés ; même à l’hôpital, hormis situation particulière, il n’est pas nécessaire de renouveler quotidiennement les draps de lit. Un cycle de lavage du linge consomme de 4 à 6 litres d’eau par kilo en blanchisserie industrielle, 12 litres par kilo dans un lave-linge domestique.

Préparer au plus juste le nécessaire en eau du bac de lavage pour l’entretien journalier des locaux : adopter et maîtriser la pré-imprégnation des textiles de nettoyage.

Respecter les dilutions des détergents ou détergents désinfectants pour limiter l’impact environnemental lors des rejets aux égouts. Ne pas les utiliser de façon systématique si la situation ne le requiert pas (hors situation épidémique). 

Insufflation institutionnelle

Au niveau institutionnel, il est important de penser en amont ces éco-gestes, notamment lors de l’achat ou du renouvellement des équipements. Les actions pouvant être mises en place sont pour exemple : 

Choisir des chasses d’eau à double commande consommant de 6 à 9 litres d’eau au lieu de 11 pour des modèles classiques.

Munir les robinetteries des appareils sanitaires de brise-jet hygiéniques.

Préférer l’utilisation de lave-bassins thermiques permettant de laver et désinfecter sans chimie.

Équiper les stérilisations d’autoclaves réutilisant l’eau des pompes à vide, ce qui permet d’économiser 250 litres d’eau par cycle de lavage (4 m3 par jour).

Textes réglementaires

Directive européenne no 2008/98/CE du 19 novembre 2008 fixant les principes et la terminologie

Loi no 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Articles L 541-1 et suivants du Code de l’environnement

Article R 1335-1 et suivants du Code de la santé publique

Loi du 10 février 2020