OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

QUALITÉ & GESTION DES RISQUES

DOSSIER

Dr Philippe Carenco    

médecin hygiéniste, CPIAS PACA et CH Hyères, expert AFNOR/CEN en textiles pour la santé, président de Santalys blanchisserie, GCS public du Var

Si, jusque dans le bloc opératoire, le linge à usage unique cède du terrain au linge réutilisable, l’entretien de ce dernier comporte son lot de menaces. Sur des ressources qui se raréfient (eau, énergies fossiles…) mais aussi en raison des conditions de travail que cet entretien génère.

La fonction linge regroupe l’achat, l’entretien, le transport, la distribution et l’entreposage du linge et des textiles multiples utilisés dans l’établissement, qu’il s’agisse de linge porté, de linge de literie, de linge de toilette, de linge de maison, mais aussi des textiles utilisés pour l’entretien de locaux, des textiles d’ameublement ou de divers autres articles proposés à l’entretien.

On conçoit que les points d’attention concernant l’impact sur l’environnement sont présents à chacune de ces étapes. L’achat est déterminant car il conditionne l’ensemble des autres fonctions. Ainsi, le choix de l’usage unique raccourcit le circuit du linge en évitant l’entretien, mais produit des déchets et consomme des ressources naturelles, étant ainsi à l’opposé de l’économie circulaire. La matière plastique est très majoritaire dans le linge à usage unique, et l’avenir n’est pas pas ouvert à ce type de matériau surtout s’il est destiné à un usage unique. Concernant les tenues de bloc opératoire, un avis récent commun des sociétés savantes d’hygiène et d’anesthésie-réanimation stipule qu’il n’y a pas de différence entre usage unique et réutilisable en matière de risque infectieux, et que les tenues réutilisables sont dès lors à privilégier pour l’environnement(1). Cependant, le cycle d’entretien du linge réutilisable utilise la fonction transport, d’autant plus émettrice de carbone que les distances sont grandes entre les sites d’usage et d’entretien.

Blanchisseries : un régime juridique variable

Nous développerons l’étape d’entretien du linge réutilisable en blanchisserie sous l’angle de l’impact sur l’environnement, de la dépense énergétique, des consommations de ressources, des produits lessiviels, et du pilier social du développement durable.

Les évolutions en blanchisserie observée depuis trois décennies comportent :

– Une augmentation du volume de linge traité par regroupements d’installations, en partie liés à la constitution des groupements hospitaliers de territoire ;

– Une progression du lavage en tunnels au détriment de l’utilisation des laveuses, du fait de l’augmentation des tonnages quotidiens de linge à traiter. Ces machines très efficaces sont caractérisées par une grande rapidité de traitement et un recyclage partiel de l’eau utilisée (l’eau de rinçage est conduite au prélavage) ;

– La réduction des consommations en eau et énergie relativement au tonnage produit ;

– L’introduction des textiles de nettoyage en microfibres, plus performants pour collecter les souillures mais aussi plus difficiles à nettoyer.

Les publications sur les consommations de ressources par l’activité de blanchisserie sont rares. On trouve des chiffres déjà anciens qui font état des consommations annuelles suivantes pour 1000 lits : 13 tonnes de lessive, 18 000 à 26 000 m3 d’eau suivant le procédé de lavage(2).

Le régime juridique des grandes installations de blanchisserie au titre de la protection de l’environnement dépend de la production journalière moyenne. Supérieure à 5 tonnes par jour, le régime contraignant de l’enregistrement s’applique. Entre 500 kg et 5 tonnes par jour, c’est le régime de la simple déclaration. En dessous de 500 kg par jour, les installations de blanchisseries (ou laveries) ne sont pas soumises à réglementation environnementale(3).

Si les blanchisseries industrielles ont tendance à se regrouper pour les raisons citées ci-dessus, les blanchisseries de petits établissements, les plus nombreuses, ne sont soumises à aucune contrainte administrative.

Petit ou grand établissement, des rejets problématiques

Cependant, les établissements sont (en théorie) tous soumis à l’obligation de passer une convention de raccordement avec la collectivité en charge de l’assainissement collectif, en vue de respecter des limites de rejets dans le réseau (art. L 1331-10 du Code de la santé publique). Ces limites, établies dans la convention de raccordement, dépendent des capacités d’épuration des installations de traitement des effluents urbains. Les valeurs limites retenues pour les paramètres physicochimiques des rejets sont souvent celles qui prévalent pour les installations importantes et portent sur la charge à dépolluer : pollution chimique et biologique, phosphore, azote, quantité de matières en suspension dans l’eau, et température maximale autorisée (30°C au point de connexion avec le réseau). De plus, des mesures de métaux lourds et autres polluants chimiques sont également exigées (voir tableau).

On comprend naturellement l’impact que peuvent avoir de grandes quantités de matières organiques ou chimiques déversées dans les égouts (synthétiquement mesurées par les valeurs DCO et DBO5), ainsi que des effluents très chargés en matières non solubles (MES). Le phosphore est maintenant interdit dans la composition des lessives, car il produisait une eutrophisation des cours d’eau, c’est-à-dire une prolifération des algues qui consommaient alors tout l’oxygène de l’eau des rivières et des lacs au détriment de la vie aquatique. Les métaux lourds sont souvent accumulables tout au long des chaînes alimentaires, tandis que les tensioactifs et agents de surface sont les principaux principes actifs des produits lessiviels. Les AOX (pour adsorbable organic halogens ou halogènes organiques adsorbables) sont des composants issus du chlore, du brome ou de l’iode. En blanchisserie, l’eau de Javel en est la principale source lorsqu’elle est encore utilisée malgré son remplacement possible par des produits beaucoup moins nocifs pour l’environnement (acide peracétique et peroxyde d’hydrogène). En effet, les AOX ne se dégradent pas naturellement et sont classés dans les polluants organiques persistants (POP).

L’eau, une double contrainte

Les consommations d’eau sont la principale contrainte des blanchisseries. En usage domestique, une machine à laver le linge consomme 60 litres pour traiter ses 5 kilos de linge, soit 12 litres par kilo. On imagine les quantités qu’il faudrait réunir quotidiennement pour traiter les 20 tonnes de linge qui constituent la production moyenne des blanchisseries industrielles modernes s’il n’existait pas le recyclage dans les tunnels de lavage (240 m3, auxquels s’ajoute la consommation pour le séchage à la vapeur d’eau). Des efforts considérables ont été réalisés par les ingénieurs et les blanchisseurs pour réduire cette valeur moyenne dans une fourchette de 3 à 5 litres d’eau par kilo de linge traité, selon les articles et les procédés. Cette eau est soit puisée dans l’environnement (forage, captage), soit issue d’un réseau d’eau industrielle (canaux, réseau) voire d’un réseau d’eau potable, avec un coût de revient important. Elle est ensuite traitée (filtrée, adoucie, assainie si besoin), portée à température, additionnée de produits lessiviels, puis rejetée après filtration et récupération des calories résiduelles afin de ne pas dépasser 30°C à l’émissaire.

Chère énergie fossile

La facture énergétique est un des premiers postes de dépense, et cela ne s’arrangera pas dans un avenir prévisible. En effet, seules les ressources fossiles (le gaz surtout) sont mobilisables actuellement pour répondre au besoin de grande quantité d’eau à chauffer très rapidement, non seulement pour le lavage mais aussi pour le séchage qui s’effectue majoritairement à la vapeur.

Les efforts de réduction de consommation et d’amélioration de l’empreinte carbone ont porté dans plusieurs directions :

– Diminution de la température de lavage en passant de 70 à 40°C, mais cela nécessite une augmentation compensatrice de la quantité de produits lessiviels ;

– Limitation des pertes caloriques tout au long du transport de l’eau chaude ou de la vapeur par calorifugeage et meilleure conception des réseaux ;

– Optimisation de la production de chaleur en remplaçant les chaudières à vapeur par des brûleurs à gaz situés aux points d’utilisation ;

– Récupération des calories de l’eau de rejet ou des installations de séchage et de mise en forme du linge (calandres, tunnels de séchage).

Il faut signaler dans ces efforts de réduction de l’empreinte carbone les modifications apportées aux modalités de transport pour la collecte et l’expédition du linge consistant à optimiser les volumes des camions et réduire les trajets inutiles. Ainsi, le transport du linge en armoires pré-remplies impose un double circuit propre/sale et conduit à transporter des armoires dont le volume occupé est bien inférieur au volume total. Le transport en chariots Roll couverts permet d’optimiser les volumes et de coupler le transport de linge propre et de linge sale, puisque la disposition des Roll, les protections et emballages permettent une séparation efficace.

Pénibilité des postes reconnue

Enfin le développement durable intègre une composante professionnelle en agissant pour réduire les risques professionnels, permettre la mobilité aux postes de travail et assurer formation continue et progression de carrière aux personnels. En effet, quiconque a visité une blanchisserie industrielle a certainement été marqué par la pénibilité des conditions de travail : chaleur humide, bruit, empoussièrement, efforts physiques de soulèvement et de transport, efforts répétitifs aux postes de tri et d’engagement dans les calandres. Il s’agit des postes dont la pénibilité est reconnue par un avancement de l’âge de la retraite (55 ans pour les buandiers).

La dépendance des petits établissements

La situation dans les établissements de taille réduite (Ehpad, établissements médico-sociaux) est marquée par une propension à la grande diversité et à l’excès d’usage des produits lessiviels. Ces établissements contrastent avec le monde industriel qui dispose des compétences et connaissances permettant de maîtriser l’ensemble du processus, étant ainsi moins dépendants des fournisseurs de produits ou de matériel.

Cette dépendance des petits établissements à leurs fournisseurs pour l’installation, les choix et les réglages conduit à un risque de surconsommation de produits aussi multiples qu’inutiles, d’autant plus qu’aucun contrôle des effluents n’est exigé par la réglementation pour ces volumes de production de linge inférieurs aux seuils.

Ainsi, le tonnage de linge traité par le grand nombre des établissements produisant en dessous des seuils contraignants pour l’impact environnemental compense largement la production produite par l’ensemble des installations classées et surveillées. L’effort doit porter sur la formation des acteurs et décideurs de ces établissements dans ce domaine de l’entretien du linge afin de qualifier les professionnels et sensibiliser les acheteurs sur les moyens de maîtrise de la fonction linge dans leur établissement. Les économies de produits viendront compenser les charges de formation et de conventionnement, car le poste de produits lessiviels est important au regard des budgets des petits établissements.

Signalons à ce propos les guides de l’Union des responsables de blanchisserie hospitalière, dont le guide de la fonction linge dans les Ehpad(4) et le guide d’application de la norme d’hygiène du linge, dite RABC(5).

Un autre moyen serait l’abaissement des seuils de classement pour l’environnement ainsi que le contrôle du respect de l’obligation de conventionnement de raccordement au réseau d’assainissement.

L’état de la biodiversité est l’enjeu principal de ces actions à mener.

  • 2. DRASS Nord-Pas-de-Calais. Les rejets liquides hospitaliers, guide méthodologique. Janvier 2001
  • 3. Régime de la déclaration : arrêté du 14/01/11 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique no 2340. Régime de l’enregistrement : arrêté du 14/01/11 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l’enregistrement au titre de la rubrique no 2340 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement