OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

Sur le terrain

DOSSIER

Dr Jane Muret    

cheffe de service anesthésie-réanimation-douleur, institut Curie, Paris

Diminuer l’empreinte carbone des blocs opératoires ne se résume pas au choix du gaz anesthésiant. Équipes soignantes et établissements s’appuient sur les trois piliers de la soutenabilité – planète, personnes, profit – pour mettre en place des cercles vertueux.

Les blocs opératoires constituent le cœur de l’hôpital. En effet, ils représentent la majorité des achats, de nombreux personnels, 30% des déchets et autant de consommation énergétique. Cette position stratégique explique que, depuis quelques années, de nombreux projets relatifs au développement durable (DD) et à la qualité de vie au travail et pour les patients ont été lancés par les soignants et les personnels techniques du bloc. 

PLACE DE L’ANESTHÉSIE-RÉANIMATION DANS LA DÉMARCHE

La revue américaine Anesthesia & Analgesia(1) a publié dès 2012 un numéro spécial consacré au développement durable au bloc. Différents articles y abordaient entre autres la réduction des déchets, l’analyse du cycle de vie des masques laryngés et des drapages, ou encore le problème des gaz anesthésiques, qui sont des gaz à effet de serre. La même année, le congrès de l’American Society of Anesthesiologists dédiait pour la première fois une session entière à cette thématique.

À la fin de 2015, le physicien Vollmer(2) mettait en lumière l’accumulation des gaz anesthésiques dans l’atmosphère à partir d’échantillons de gaz atmosphériques collectés depuis les années 2000 en Antarctique, dans le Pacifique nord et en Europe, soulignant ainsi le poids de l’anesthésie-réanimation dans la pollution atmosphérique.

Charte « green » et guides pratiques

La Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar)(3) s’est engagée en cette année 2015 dans la responsabilité environnementale de ses adhérents en consacrant une session de son congrès au développement durable et en éditant une charte « green » pour les exposants et l’organisation du congrès(4). La même année a vu la création au sein de la société savante d’un comité « développement durable » qui a coédité, en 2017, avec le C2DS (Comité pour le développement durable en santé)(5), un Guide pratique développement durable au bloc opératoire téléchargeable(6). Des fiches pratiques sur des sujets tels que le recyclage des plastiques et du métal, la baisse de l’utilisation des gaz anesthésiques ou bien la réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens ont complété ce travail et sont aussi disponibles en ligne(7).

Le desflurane, un pollueur silencieux

The Lancet Planetary Health publiait en 2017 une étude(8) comparant l’empreinte carbone des blocs opératoires de trois hôpitaux, situés au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cette empreinte s’élevait en moyenne à 184 kgCO2-eq par cas opératoire, soit un aller-retour Paris-Lyon en voiture. Sa répartition se faisait essentiellement entre les émissions liées à l’utilisation des gaz anesthésiques, l’énergie et les déchets. L’hôpital britannique était le plus énergivore en raison de la taille et de la vétusté de ses bâtiments alors que le coût carbone de l’hôpital nord-américain dépendait à plus de 50% de l’utilisation des gaz anesthésiants et principalement de son recours quasi exclusif au desflurane, les Britanniques privilégiant le sévoflurane ou l’isoflurane qui sont respectivement 20 et 5 fois moins polluants.

L’analyse du cycle de vie comme référence

Enfin, en 2020, avec des collègues anesthésistes américains, australiens et britanniques, nous avons publié une revue générale pour le British Journal of Anaesthesia(9) dans laquelle nous passions en revue l’état de l’art de la recherche en matière de durabilité environnementale dans le domaine de l’anesthésie et des soins intensifs, en examinant pourquoi cela est important, ce que l’on sait et les pistes pour le futur. Nous avons insisté sur la pollution par les gaz anesthésiques et sur les progrès réalisés dans le traitement des déchets liés à ces gaz. L’analyse du cycle de vie (ACV) est présentée comme la méthode la plus intéressante pour mesurer et opposer les empreintes écologiques des produits, des processus et des systèmes. Des ACV ont mesuré l’empreinte carbone des dispositifs d’anesthésie réutilisables par rapport à ceux à usage unique (par exemple, les plateaux de médicaments et les lames de laryngoscope) ainsi que celle du traitement d’un patient en soins intensifs souffrant d’un choc septique. Les notions d’éviter, de réduire, de réutiliser, de recycler et de retraiter ont ensuite été explorées. L’influence de la source d’énergie (énergies renouvelables ou combustibles fossiles) et de l’efficacité énergétique sur l’empreinte écologique des soins de santé a aussi été soulignée. Une discussion sur les rôles de la recherche, de l’éducation et de la défense des intérêts dans l’agenda de la durabilité environnementale des soins péri-opératoires et critiques complète cette revue.

DD AU BLOC : EN PRATIQUE, EN 2021

Le DD dans les établissements de santé répond à des obligations réglementaires – responsabilité sociétale des entreprises (RSE), plusieurs critères DD obligatoires dans la certification 2020 et plus récemment Ségur de la santé avec la mesure 14 – et se doit d’être intégré au projet d’établissement. Les sujets DD qui peuvent être déclinés au sein du bloc sont par exemple :

- déchets (réduction, tri, recyclage et valorisation ) ;

- lutte contre la pollution (gaz anesthésiants, perturbateurs endocriniens) ;

- économies (eau, énergie, papier, dispositifs médicaux stériles [DMS]…) ;

- lutte contre le gaspillage (tenues, DMS, stérilisation…) ;

- achats responsables orientés DD (lieux de production, matériaux, emballages…) ;

- aspects sociétaux (qualité de vie au travail, lutte contre la pollution sonore, prévention de la violence et des conflits…).

Mise en place de cercles vertueux

Des projets multidisciplinaires associant les équipes anesthésique et chirurgicale, logistique et hygiène ont vu le jour en particulier à l’institut Curie avec l’appui des cadres de santé aussi bien du côté chirurgical qu’anesthésique. Un travail collaboratif sur l’évaluation de la part des déchets à risque infectieux et assimilés aux ordures ménagères pour des chirurgies courantes (sénologie et ORL) a été primé au dernier congrès de la Sfar en septembre 2021 et permet d’envisager des pistes de réduction et de recyclage de ces déchets.

Aussi, si l’on considère les trois piliers du DD (économique, écologique et sociétal), un projet DD au bloc opératoire doit-il d’abord permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, puis de minimiser les coûts pour engendrer des bénéfices et enfin d’améliorer notre qualité de vie au travail comme celle de nos patients. Ainsi, un cercle vertueux peut être mis en place à travers un projet DD comme cela a été le cas au CHU de Rennes où, depuis 2012, l’association Les P’tits Doudous(10) récupère les métaux au bloc opératoire pour les revendre. Elle réduit ainsi les déchets pour l’hôpital, tout en générant des économies et en diminuant le coût carbone des actes opératoires. Ce projet a créé une véritable cohésion et une motivation dans l’équipe, améliorant par cela même la qualité de vie au travail. Les bénéfices sont réinvestis pour financer des projets visant à améliorer la prise en charge des enfants opérés: achat de doudous et de gommettes, mais aussi de tablettes accompagnant de façon ludique (à l’aide d’un jeu spécialement conçu) les enfants de leur chambre jusqu'au bloc opératoire... Sans oublier une application permettant de faire connaître aux parents l’avancement du parcours de leur enfant opéré. Le tout contribue à réduire l'anxiété des adultes comme de l’enfant et à supprimer toute prémédication médicamenteuse.

Des écoconcepts qui font sens

Certains projets déclinés au bloc opératoire peuvent aussi entrer dans le registre du DD bien qu’ils n’aient pas été voulus comme tels au départ. On pense à l’hypnose qui, utilisée dans les blocs opératoires, constitue un écoconcept : on utilise moins de médicaments, on fait du lien avec le patient, on favorise le travail des soignants. Ou au projet « patient debout »(11), dont le principe est de faire marcher la personne jusqu’au bloc opératoire. L’écoconcept réside dans la diminution des troubles musculo-squelettiques chez les brancardiers, dans l’amélioration de la communication entre le soigné et le soignant, et dans la valorisation du rôle du soignant. Cela permet aussi des économies à l’hôpital car il y a ainsi une plus grande efficience.

On comprend mieux le vaste champ des actions possibles en termes de DD au bloc opératoire et l’amélioration des pratiques et de la qualité de vie que cela peut apporter. Les bénéfices escomptés – écologiques, économiques et sociétaux – profiteront à l’hôpital, aux soignants et aux malades.

En cette année de COP26 où, pour la première fois, le thème de la décarbonation des systèmes de santé s’invite à la table des négociations, il est grand temps de s’emparer de cette thématique et de mettre en œuvre des projets. Au bloc opératoire et dans l’hôpital dans sa globalité. 

  • 1. Anesthesia & Analgesia, 2012, 114, Number 5.
  • 2. Vollmer MK, et al. Abrupt reversal in emissions and atmospheric abundance of HCFC-133a (CF3CH2Cl). Geophys. Res. Lett. 2015; 42, 8702-10.
  • 8. MacNeill AJ, et al. The impact of surgery on global climate: a carbon footprinting study of operating theatres in three health systems. Lancet Planet Health. 2017; 1: e381-88.
  • 9. McGain F, et al. Environmental sustainability in anaesthesia and critical care. Br J Anaesth. 2020; 125(5):680-92.