Récompensée en avril 2021 par France Qualité avec un prix spécial « Qualité santé », Monique Mazard est directrice du pôle « parcours patient » du CHU de Nice. Elle revient pour OSM sur ses expériences et explique pourquoi la qualité n’est pas l’affaire d’une direction mais bien celle d’une collectivité hospitalière.
Diplômée en 1982, Monique Mazard a commencé sa carrière d’infirmière en traumatologie faciale, stomato-ophtalmo. « Nous recevions de gros accidentés de la route, la prise en charge était très personnalisée, il fallait être attentif à l’être humain, à son environnement, à son contexte. J’ai adoré ces années pendant lesquelles j’ai appris mon métier, découvert le travail en équipe et le prendre-soin. » Huit ans plus tard, prise du désir d’évoluer vers le management des équipes et l’organisation des soins, Monique entre à l’école des cadres de santé de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Une fois formée, elle retourne à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « J’avais la conviction que, en travaillant sur l’organisation, en amenant les équipes vers l’amélioration permanente, dans une ambiance positive et propice aux prises d’initiatives, on pouvait envisager des projets originaux et structurants. J’ai toujours pensé, et cela se confirmerait au cours de ma carrière, que si l’équipe était heureuse au travail, valorisée dans son quotidien, tout était possible. Cela a toujours été ma façon de manager les équipes. »
Après cinq ans de pratique comme cadre de santé, son directeur lui propose de devenir infirmière générale, sans avoir fait l’école de la santé à Rennes ! En occupant ce poste à responsabilités, Monique comprend que « la position transversale décisionnelle sur des projets structurants est fondamentale pour faire évoluer la structure, les organisations et les hommes ». En 1998, elle passe le concours de directeur des soins à l’EHESP (École des hautes études en santé publique) et poursuit sa voie, toujours dans le même CH, comme coordonnateur général des soins. « En changeant de métier régulièrement, de fonctions et en faisant évoluer mes missions et mes responsabilités, je n’ai jamais eu l’impression de stagner ; j’ai pu évoluer, changer, intervenir sur de nombreux sujets différents, et je me suis même amusée… », témoigne-t-elle.
Changement de cap en 2000. Après avoir fait le tour de ce métier de directeur des soins et de cette fonction de coordonnatrice générale des soins, Monique décide de quitter l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges pour embrasser de nouveaux horizons. Elle se forme au management général hospitalier à l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales). « Je cherchais autre chose, peut-être d’autres modèles managériaux et d’autres façons de travailler au service de certains projets. J’ai découvert des métiers dans des milieux autres que ceux de l’hôpital, des chefs d’entreprise… J’ai également perçu à quel point il était important et nécessaire pour évoluer de se confronter à des modèles managériaux différents et de s’interroger sur ses pratiques et modes de fonctionnement. Cet épisode professionnel m’a confortée dans ce que je souhaitais être et faire : gérer des projets, participer aux changements dans le respect des hommes et des organisations. J’ai décidé de poursuivre ma carrière dans le milieu hospitalier. »
Lorsqu’un poste de coordonnatrice générale des soins se libère à Nice, Monique n’hésite pas à postuler. « Je me revois devant l’annonce me dire : “Pourquoi pas ?” J’ai embarqué mari et enfants et nous nous sommes installés à Nice en 2004. » La qualité des soins faisant partie de sa mission, elle met en place des projets d’évaluation des pratiques professionnelles, de mobilisation des équipes pour améliorer les pratiques de soins au bénéfice du patient. « J’ai également adoré ces années. Nous avons mis beaucoup de choses en place et j’avais la responsabilité de représenter le métier de soignant auprès de l’institution, de la communauté médicale et des patients… Voire auprès des instances nationales, par exemple en tant que membre de la commission de certification des établissements de santé à la Haute Autorité de santé. Je me suis vraiment éclatée ! »
En 2010, Monique franchit un pas de plus vers des fonctions transversales en devenant directrice d’hôpital par voie du tour extérieur. Après un petit passage à Marseille, elle réintègre le CHU de Nice. « Je connaissais l’institution et j’avais envie de proposer des modèles de fonctionnement différents au service de la qualité, plus transversaux et collaboratifs, explique-t-elle. Je souhaitais participer aux changements et faire un peu bouger les lignes. Mon nouveau métier de directeur me le permettait. »
Et Monique d’ajouter : « Comme je connaissais bien l’organisation du CHU, j’en mesurais les forces et les faiblesses. La direction des soins, la qualité, les risques, les relations avec les usagers fonctionnaient en silo, et non pas en complémentarité. J’ai donc proposé au directeur de créer un pôle “parcours patients” en structurant une direction transversale au service de ce parcours. Dans ce contexte, j’ai accepté un poste de “directeur qualité risques” en charge de la mise en assurance qualité du CHU et de la normalisation des pratiques. S’y ajoutait l’évaluation des étapes de la prise en charge du patient tout au long de son parcours et de toutes les fonctions supports comme des protocoles nécessaires à sa prise en charge. L’évaluation des pratiques et le développement des indicateurs de résultats cliniques et de satisfaction patients complétaient mes fonctions… Cette mission, originale à l’époque, prenait toute sa cohérence car c’était une réflexion partagée en équipe au service des patients et qui correspondait à ma conviction : la qualité, c’est l’affaire de tous… Elle n’appartient pas à une direction mais à une collectivité. »
Dès cette année-là, Monique met en place au sein de l’établissement des contrats par pôles d’activité sur des objectifs de qualité, permettant aux équipes de bénéficier d’un intéressement financier si les engagements en matière de qualité et de sécurité patient sont atteints. Cette pratique innovante s’est depuis lors répandue dans d’autres établissements. « Deux ou trois fois par an, on évalue le travail accompli grâce à des audits, des temps d’observation, des échanges avec les équipes. Si les objectifs sont atteints, l’intéressement financier permet aux pôles d’activités d’avoir des ressources pour mettre en place des projets innovants pour le patient, toujours dans le but d’améliorer la qualité. »
Une fois les outils déployés, comment maintenir un bon niveau de qualité ? Il faut, soutient Monique, « des fondements solides, de la méthode et être très expert sur le sujet pour accompagner les équipes et les aider à avancer ». Cela passe notamment par une maîtrise absolue des outils pour être capable par exemple de créer une grille d’évaluation de la satisfaction adaptée à chaque situation. « Il est nécessaire de travailler avec les équipes sur les priorités, de trouver le dispositif adéquat et le moment où les équipes sont disposées, réceptives. Il est essentiel de toujours se projeter vers le lendemain en gardant en vue nos objectifs à terme, sans être dans la quotidienneté, car la réalité du quotidien peut constituer aussi un frein. » Elle souligne également qu’il faut être force de proposition tout en acceptant l’originalité. « Si une équipe a envie de faire différemment, il est important de l’interroger sur ce qu’elle propose. Il faut accepter le besoin, le contexte, une certaine liberté pour que les acteurs s’approprient le projet. Notre rôle est de mettre tout cela en musique pour répondre à la réglementation et aller vers des choses innovantes, originales dans lesquelles les équipes vont se retrouver. »
Récemment, le CHU a lancé une expérimentation avec des patients partenaires. « Nous faisions pour les patients, mais pas forcément avec. L’idée du projet est que les patients ne soient pas exclusivement rattachés à leur pathologie mais aussi impliqués sur le soin dans sa globalité (accueil, organisation d’un nouveau service, perception de nouveautés comme la réalité virtuelle pour certaines prises en charge…). » En 2021, un dispositif de partenariat patient avec appel à candidature a été monté. « J’ai recruté un cadre au sein du CHU qui est en charge à plein temps de la valorisation de l’expérience patient. Les représentants des usagers et les patients partenaires aident activement à la réalisation de cette valorisation de l’expérience du patient », souligne Monique. Les patients partenaires sont indemnisés sous forme de vacation et une campagne a été lancée pour en recruter davantage.
Comme toute innovation, cette approche suscite des questionnements chez les soignants. Lors du lancement du projet, Monique a constaté une espèce d’emballement. Qui a ensuite fait place au doute… « Tout d’un coup, les soignants se sont interrogés sur la place du patient. “Est-ce que cela veut dire qu’il n’avait pas sa place avant ?” “Est-ce qu’il va prendre notre place ?” Il est très important que les équipes expriment ces questionnements pour réussir l’intégration du patient partenaire. Cela oblige chacun à s’interroger sur ses pratiques. »
Un leitmotiv pour ce « chef d’orchestre » : « La qualité ne m’appartient pas, c’est une affaire d’équipe, un savoir-faire technique très relationnel fondé sur des valeurs. On est là pour valoriser le travail de l’autre et cela n’est pas encore acquis dans nos organisations ni dans nos méthodes de management. Booster, impulser, donner envie car j’y crois fondamentalement, c’est mon rôle, mais il faut aussi donner la liberté aux gens d’agir et la capacité de se remettre en question. »
Pour Monique Mazard, une des clés de la réussite du management est de ne pas être bardé de certitudes. « Même si le contexte est difficile, l’interrogation sur sa pratique est essentielle non pas pour nous remettre en cause dans notre intégrité, mais pour aller au-delà : la cible est le patient, et les enjeux de territoire et de pouvoir doivent disparaître pour l’atteindre. »