Quelque deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, la France ne souffre plus de pénurie de masques et de matériels de protection... Comment sont élaborés ces stocks stratégiques qui ont tant fait défaut ? Et qui gère la réserve sanitaire ?
À l’échelle d’un hôpital, la gestion de crise appelle le déclenchement d’un plan blanc. À l’échelle de l’État, c’est un tout autre dispositif qui est mis en place pour apporter un relais à la fois matériel et humain. Il fonctionne selon deux axes : la « réserve sanitaire », véritable vivier de professionnels mobilisables en un temps record, et « l’unité établissement pharmaceutique », en charge des stocks de produits et matériels nécessaires en cas de crise sur le territoire ou en cas de crise humanitaire. Le tout est géré par Santé publique France, organisme né de la fusion, en 2016, de l’Institut de veille sanitaire, de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ainsi que de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), auparavant responsable de la gestion des stocks et de la réserve sanitaire.
La réserve sanitaire, ce sont des professionnels de tout horizon (médecins, infirmiers, techniciens de laboratoire, manipulateurs radio, volontaires) mobilisables par l’État pour intervenir très rapidement dans un contexte de crise. Cette réserve assure des missions de renfort de soins principalement (comme dans les hôpitaux pendant les pics de la crise sanitaire) mais aussi de rapatriement en cas de catastrophes naturelles ou encore de prévention lors de grands rassemblements (renforcement des capacités de prise en charge au cas où). C’est le ministère de la Santé qui intervient pour mobiliser ces troupes sanitaires. Cela peut être demandé par d’autres ministères (Affaires étrangères, par exemple) mais toujours sous l’autorité de celui de la Santé, dont dépend Santé publique France – la réserve sanitaire n’intervient pas en premier recours mais en appui des forces en présence lorsque celles-ci sont dépassées ou épuisées, selon ce qu’observent sur le terrain les ARS.
Les missions remplies par cette réserve sanitaire sont souvent courtes, puisque l’on part du volontariat des personnels et que ce dispositif entend préserver leur vie privée et professionnelle. Pour cette raison, des relèves sont organisées ponctuellement, sauf dans le cas où les réservistes sont envoyés loin. Devenir réserviste, c’est s’engager volontairement, avec l’accord de l’employeur car cela fonctionne sur le temps de travail : réserviste et employeur sont alors indemnisés. En septembre 2021, une centaine de réservistes se sont ainsi envolés vers la Nouvelle-Calédonie pour soutenir les équipes locales, sur demande du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie au ministre de la Santé. Au plus fort de la crise, ce sont 502 réservistes sanitaires qui ont été mobilisés simultanément, représentant plus de 100 000 journées de missions cumulées dans 11 régions de métropole et 8 départements ou régions ultramarins. En plus d’être présents dans les services de réanimation, ce sont aussi eux qui ont accueilli, en mars 2020, les premiers Français rapatriés de Chine et assuré leur prise en charge et leur confinement spécifiques.
Du côté du stock stratégique d’État, c’est « l’unité établissement pharmaceutique » au sein de Santé publique France qui pilote les opérations, en mobilisant deux types de stocks existants. Répartis sur l’ensemble du territoire, en petite quantité, les stocks « tactiques » sont destinés à répondre ponctuellement à certains besoins et renforcer les moyens habituels. Les stocks dits « stratégiques », gérés au niveau national, se composent de médicaments antiviraux, d’antidotes et d’antibiotiques destinés à lutter contre certains pathogènes, de dispositifs médicaux, notamment les masques et les équipements de protection individuels. S’y ajoutent des petits matériels (portoirs, pipettes, etc.) et des consommables (compresses, pansements), ceci afin de faire face à tous les risques potentiels (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques). En cas de situation de crise, ce stock stratégique est mobilisable par Santé publique France en un maximum de 12 heures, grâce à des stocks positionnés en des endroits tenus secrets mais répartis sur l’ensemble du territoire. Un « poste sanitaire mobile de niveau 3 » (PSM3), situé en Île-de-France à Créteil, permet en outre de délivrer le matériel partout où nécessaire grâce à la proximité des aéroports franciliens.
Lors des débuts de la crise sanitaire, Olivier Véran, tout juste arrivé au ministère de la Santé, avait annoncé que 5 millions de masques FFP2 étaient disponibles ainsi que 81 millions de masques chirurgicaux. Autant dire une paille étant donné les besoins du moment… Pourtant, la situation n’avait pas toujours été la même : au moment de la pandémie de grippe H1N1, en 2009, la ministre de la Santé d’alors, Roselyne Bachelot, avait constitué un stock d’un bon milliard de masques ; une situation qui avait été largement critiquée à l’époque. Puis les stocks ont disparu, notamment car stocker coûte cher. Sans compter que ces stocks sont périssables et qu’il faut les renouveler. Aujourd’hui, Santé publique France a renouvelé les stocks et détient près de 1,5 milliard de masques chirurgicaux et 610 millions de masques FFP2 : de quoi voir venir, puisque ces quantités représentent plus de 10 semaines de consommation de crise. Pour l’acquisition et le renouvellement de ces stocks, Santé publique France est soumise au Code de la commande publique : « par conséquent, les entreprises françaises doivent présenter l’offre la mieux-disante, qui ne se fonde pas uniquement sur un critère de prix mais aussi sur des critères de qualité des produits et de respects d’engagements environnementaux et sociaux », explique Santé publique France, qui assure avoir commandé plus d’un milliard de masques français pendant la crise sanitaire.
Du côté des médicaments, même si une pénurie récurrente guette les stocks, « des calendriers de livraison sont réalisés compte tenu des volumes importants. Cette planification permet de réserver des plages de production qui garantissent le renouvellement et le maintien des niveaux de sécurité des stocks par anticipation », assure Santé publique France. Les défauts d’approvisionnement sont donc plus limités. Un dispositif alternatif permet en outre de produire sur le territoire certaines spécialités en faisant appel directement à la matière première. À « titre d’exemple, il a été très difficile d’acheter des spécialités à base de cisatracurium durant la crise car ce produit était fortement consommé dans tous les services de réanimation. La France a pu acquérir la matière première pour le fabriquer », détaille Santé publique France. Il y a fort à parier que l’expérience douloureuse des débuts de la crise sanitaire sert de leçon pour éviter à l’avenir toute pénurie et les bricolages conséquents dans les hôpitaux. « Les enseignements de la crise sanitaire de la Covid19 ont permis de souligner l’importance de l’anticipation et de la prévention », a rappelé la Conférence nationale de santé sur la gouvernance et le pilotage des crises sanitaires. Reste à faire tourner les stocks pour éviter qu’ils ne périment. Mais pour le moment, la crise sanitaire n’a pas dit son dernier mot et aucun masque ne croupit au fond d’un hangar.
Si tout est fait pour protéger le stock stratégique de tout risque de pénurie, il n’en est pas de même pour les médicaments délivrés en officine. En 2020, les parlementaires ont voté l’obligation de créer un stock de sécurité pour prévenir les pénuries de médicaments et pour limiter les risques de mortalité, les interruptions de traitements et les effets indésirables, causés par les changements de médicaments en urgence. Ce stock doit être, selon le décret d’application, « d’au moins deux mois », là où une mission sénatoriale a chiffré les pénuries actuelles sur certaines molécules à trois mois et demi. Récemment, l’Agence du médicament a enjoint les laboratoires pharmaceutiques de constituer des stocks de sécurité de deux mois sur certains médicaments dits d’intérêt thérapeutique majeur, et même jusqu’à quatre mois pour certains produits ayant fait l’objet de ruptures régulières ces deux dernières années.
La réserve sanitaire gère en amont les pièces administratives et le déploiement des réservistes sur le terrain, leurs déplacements, leurs hébergements. Un contrat est établi entre le réserviste volontaire et Santé publique France, qui va s’assurer qu’un professionnel exerce bien dans le domaine pour lequel il propose son soutien. Pour cela, l’Agence vérifie les diplômes, les autorisations d’exercer, les inscriptions à l’ordre… Cela explique que certains infirmiers à la retraite depuis quelques années (cinq ans) et volontaires pour rejoindre la réserve sanitaire n’aient pas été autorisés à le faire : non inscrits à l’Ordre, ils ne remplissaient pas tous les critères nécessaires. Santé publique assure se couvrir d’éventuels problèmes au cas où elle recruterait un infirmier qui commettrait une erreur et qui ne serait pas inscrit à l’Ordre. Question de déontologie.
S’inscrire : https://reservesanitaire.fr