Créé en 2019 à Saint Nazaire (44), le Crapem (Centre ressource d’aide psychologique en mer) propose l’accès aux soins pour les gens de mer en souffrance psychique. Unique en France, il est ouvert à toute personne ayant un besoin ponctuel ou régulier d’échanger avec des professionnels du soutien psychologique, en présentiel ou au téléphone.
Naufrage, blessures graves, infarctus, repêchage de corps, crise suicidaire… Un tel événement traumatogène a lieu en haute mer, et c’est potentiellement tout l’équipage qui est susceptible de souffrir de conséquences psychiques. Le taux de prévalence de tels stress post-traumatiques est de 20 % environ chez les gens de mer. « C’est tout de même dix fois plus que la population générale, note Camille Jégo, psychologue et auteure d’un mémoire sur le sujet. Jusqu’à la création du Crapem (Centre ressources d’aide psychologique en mer), il n’existait aucune prise en charge spécifique à ce type de situations. L’idée, avec ce dispositif unique en France, c’est de pouvoir proposer un outil de soins en l’adaptant aux contraintes et aux spécificités du milieu maritime. » Instauré dans le but d’accompagner l’état de stress aigu et post-traumatique des marins, le dispositif a ainsi vu le jour en 2019 au sein du pôle Médecine et santé mentale de la cité sanitaire de Saint-Nazaire (44). D’abord portée uniquement par Camille Jégo, la structure s’est dotée, en septembre 2021, d’une équipe constituée de trois infirmières, dont deux à plein temps, et d’un médecin psychiatre à 50 % ; ce qui lui a permis de se consacrer au suivi global de la souffrance psychique. « Aujourd’hui, nous partageons notre temps entre les appels d’urgence et les consultations programmées pour traiter des personnes souffrant d’un burnout, par exemple, ou victimes de harcèlement, mais aussi les proches de marins », précise Agnès Bihouix, infirmière détachée à 50 % par l’ENPS (Equipe nazairienne de prévention du suicide).
En mer ou à quai, le soutien psychologique n’est toutefois pas le même. Il faut ainsi tenir compte d’un certain nombre de particularités liées à l’exercice en mer. Ambiance à bord, temps d’embarquement, personnel navigant sensibilisé… Autant d’éléments qui ont leur importance lorsqu’un membre de l’équipage est en crise. D’où la nécessité de pouvoir joindre des professionnels aguerris à cette clinique particulière. « Les marins peuvent nous appeler de n’importe où dans le monde. On évalue leur état, on donne notre avis en termes d’expertise psychiatrique, on juge si le soutien téléphonique peut suffire et, s’il faut débarquer la personne, on la met en lien avec le Samu maritime dont c’est la mission », précise Julia Benoît, l’une des deux infirmières à temps complet dans le service. À terre, les interventions sont principalement réalisées par les CUMP (cellules d’urgence médicopsychologique), présentes sur l’ensemble du territoire français, toujours en accord avec l’équipe du Crapem chargée de coordonner les opérations. Bien que récent, le dispositif s’est en effet inscrit rapidement dans le maillage maritime. C’est là une de ses forces, mais surtout un impératif pour pouvoir répondre aux demandes qui proviennent de toutes les côtes françaises. « Il peut arriver que nous soyons sollicités simultanément sur plusieurs situations. Charge à nous de coordonner les soins avec les acteurs de la région déjà en place », témoigne Agnès Bihouix. Une mission de coordination d’autant plus essentielle que les professionnels du Crapem n’ont pas vocation à se déplacer. « Bien sûr, si l’événement se produit à Saint-Nazaire, comme c’est arrivé au début de cette année, on peut aller débriefer l’équipage sur place, mais le reste du temps, tout passe par le téléphone », poursuit l’infirmière.
Alors qu’elle emporte l’adhésion des professionnels du secteur, la ligne téléphonique s’avère également un canal de communication efficace pour sortir les marins de leur isolement. Cela suppose toutefois de la part des écoutants un travail de pédagogie et de mise en confiance au préalable, pour les convaincre de l’utilité de la démarche. « La culture du marin qui est fort et qui n’a pas besoin de parler reste très ancrée. Ce n’est certes pas un frein pour nous, mais cela explique sans doute qu’il privilégie l’écoute téléphonique », analyse Julian Benoit.
En deux ans, le Crapem a atteint un rythme de croisière grâce à son système d’astreintes 24 h/24 qui lui a permis, en 2021, de prendre en charge une centaine de personnes. Une allure susceptible d’évoluer au fil de l’eau mais qui, dans ce cas, nécessiterait le recrutement d’une personne supplémentaire. « Un écoutant qui possède un bagage clinique suffisant en santé mentale », insiste Jocelyne Robert, cadre de santé de la structure, et seule personne de l’équipe à ne pas intervenir auprès des patients.
Côté consultations, la durée du suivi dépasse rarement six mois. La raison ? La résilience hors-norme des gens de mer. « Parce qu’ils évoluent déjà dans un environnement hostile et dangereux, les marins font montre de capacités d’adaptation étonnantes, note la coordinatrice de la structure. Si bien que, confrontés à un stress aigu ou traumatique, ils remontent la pente généralement plus rapidement qu’une personne lambda. »