Sur le terrain
DOSSIER
L’ambiance au sein d’une équipe conditionne sa performance et le bien-être au travail de ses membres. Pour que l’équipe fonctionne, il est essentiel que chacun soit au clair avec sa propre mission et celle de ses collègues, dans un ensemble organisé et transparent. Tout démarre par l’accueil des nouveaux arrivants, ces “nouvelles têtes” qu’il va falloir adopter pour qu’elles vous adoptent en retour. Retours d’expériences de Maria Crétant, cadre de pôle Chirurgie/Médico-technique, Célia Petit, cadre de santé en Laboratoire de biologie médicale, Chambre mortuaire et Brancardage, et Faïza Belkhiri, cadre de santé de Court séjour gériatrique au groupe hospitalier Sud Île-de-France.
L’arrivée d’une nouvelle personne dans l’équipe n’est pas anodine. Son accueil est même une étape essentielle à son intégration, mais également au bon fonctionnement de l’équipe. Le soin accordé à l’accueil par l’institution est un premier pré-requis. Être reçu par le directeur des soins, le cadre de pôle et le cadre de service, c’est être pris en considération. Le nouvel arrivant prend conscience qu’il est attendu et que les personnels se mobilisent spécifiquement pour lui. Cette première étape, bien que déterminante, ne suffit pas. « Le nouveau doit parvenir à intégrer les valeurs du groupe pour ne pas être perçu comme un danger qui risquerait de remettre en question les normes implicites. Celles-ci peuvent toucher aux méthodes de travail comme à des éléments de la vie de l’équipe, tels que les temps de pause. Or, pour acquérir ces valeurs, il faut que l’équipe en place transmette ses codes », explique Maria Crétant. Celle-ci a constaté que si l’équipe ne donne pas un minimum d’informations, de savoirs, de connaissances de l’organisation et de ses acteurs au nouvel arrivant, celui-ci sera bien en peine de s’intégrer. De fait, il lui manquera des éléments essentiels à la compréhension du fonctionnement du service et de ses membres. Livrer des informations clarifie les règles du jeu. Cela permet de créer une relation complice que l’on peut résumer ainsi : « Je t’ai donné de mon temps, de mon expertise et mes savoirs. De fait, une certaine complicité. Cette relation est basée sur le don et le contre-don. »
Dans la période de crise sanitaire que nous vivons depuis des mois, ce temps d’accompagnement n’est pas toujours facile à respecter. La gestion de l’urgence prévaut, parfois au détriment d’une vision à long terme. À cela s’ajoute un autre biais, générationnel : des personnels en milieu ou fin de parcours professionnel sont confrontés à la problématique de l’accueil des jeunes qui sortent de l’école, avec lesquels ils ne partagent pas la même conception du travail ni les mêmes valeurs. « Les jeunes recrues ont une relation au travail très différente de celle de leurs aînés. Ils “consomment” du travail en quelque sorte, n’hésitent pas à zapper d’un poste à l’autre, sans projection à long terme dans un service ni un établissement, souligne Maria Crétant. La crise actuelle bouleverse encore plus les codes de la société et il est évident que les jeunes ont envie de s’ouvrir à de nombreuses expériences, ils ne conçoivent pas d’exercer un même métier toute leur vie. » Cette caractéristique générationnelle peut avoir un retentissement fort sur la qualité de l’accueil des jeunes recrues. En effet, à quoi bon s’investir dans leur intégration alors même qu’on en n’attend pas de retour sur investissement ?
Elle témoigne de la difficulté de gérer ce conflit générationnel, quand ni les « anciens » du service ni les nouveaux ne trouvent de point de rencontre. « Nous avons eu le cas, au brancardage, d’une personne en fin de carrière qui n’accepte pas l’attitude des nouvelles recrues, des jeunes qui ont leur propre langage et leurs propres codes, bien éloignés de ceux qu’elle connaît et des valeurs qui sont les siennes. Dans ce cas particulier, la cohésion d’équipe s’est révélée difficile voire absente, les deux « parties » étant trop éloignées pour se comprendre, au détriment de la qualité du travail et du service rendu au patient. »
D’après la cadre de pôle, l’enjeu dans de telles situations est de faire en sorte de remettre le patient au cœur du sens du travail et des valeurs professionnelles. Certains outils permettent de formaliser et arbitrer les tâches et les missions des uns et des autres. Le service peut investir dans de nouveaux outils visant à augmenter l’équité : un logiciel de brancardage permettra d’éditer un tableau de bord, un algorithme calculant quel agent peut faire la course, en fonction de la position de chacun des membres de l’équipe. Cet outil aidera à arbitrer une charge de travail, à délivrer des indicateurs d’activité de l’ensemble de l’équipe. « Cela devrait améliorer la qualité du travail et augmenter l’efficience en évitant les transports à vide. Évidemment, ce type de solution est plus facile à faire accepter à des nouveaux arrivants qu’à des personnes déjà en poste, qui peuvent avoir le sentiment d’être « fliquées ». Toutefois, cela permet d’objectiver le travail effectué et chacun peut y trouver son compte. »
Le livret d’accueil est également un outil prisé pour faciliter l’intégration et l’efficience du nouvel arrivant. « Avec le renouvellement des soignants en poste, nous avons besoin de personnels très opérationnels, très rapidement. Le livret d’accueil est extrêmement efficace car il permet de donner à la personne tous les repères dont elle a besoin, en amont même de sa prise de fonction », note Maria Crétant.
Un livret d’accueil du nouvel arrivant au brancardage est en cours de préparation. En raison de la pandémie de Covid, le service a dû procéder à des intégrations rapides, sans respecter toutes les étapes importantes faute de temps et de moyens, pour réaliser des embauches dans l’urgence. « Il nous est arrivé de recevoir des personnes le matin, et l’après-midi elles avaient un contrat !, explique Célia Petit. Certaines ne sont pas restées, on les a formées trop rapidement à des postes qui demandent une bonne forme physique, de la dextérité, une formation à l’hygiène, l’ergonomie, aux gestes et postures, à l’identitovigilance… Même en cas d’embauche en urgence, nous souhaitons veiller à un accueil digne de ce nom. Il est notamment important de former les personnes, qui découvrent souvent le monde médical, à l’identitovigilance, à l’hygiène et aux premiers secours. L’intégration se passe bien en général, une certaine forme de camaraderie se développe. Et même si nombreux sont ceux qui arrivent dans ce métier par hasard, bien souvent ils peuvent s’y plaire et s’y investir. »
Célia Petit souligne toutefois qu’il est nécessaire de canaliser cette jeune relève, dont les comportements ne sont pas toujours ceux attendus dans le milieu professionnel, notamment à l’hôpital où une certaine réserve est de mise vis-à-vis des personnes malades et de leurs proches. « Cette jeune génération a énormément d’énergie ! Nos nouvelles recrues peuvent être volubiles et exubérantes… C’est à nous de les cadrer, de les sensibiliser aux comportements professionnels. Par exemple, elles peuvent être amenées à brancarder des personnes démentes ou violentes, mais doivent apprendre à ne pas leur répondre de manière agressive, ce qui serait inapproprié. En revanche, ces jeunes ont de grandes compétences relationnelles et sont très respectueux des patients, quels que soient leur âge, leur origine ou leur handicap. »
L’enjeu pour les cadres est aussi de faire accepter aux plus anciens que ce n’est pas parce que le travail est fait différemment qu’il est mal fait. « En positionnant les anciens sur la transmission de leurs savoirs, de leurs compétences et connaissances, nous parvenons à faire se rencontrer les générations. Cela demande de la pédagogie et un certain sens de l’adaptation, sans pour autant rogner sur ses valeurs. » Et c’est bien là toute la richesse d’une équipe.
Célia Petit se nourrit du process d’intégration du laboratoire, très normalisé, pour ajuster les dispositifs et la gestion des ressources humaines dans les autres services qu’elle encadre. « Au laboratoire, nous avons une traçabilité complète de ce que fait le nouvel arrivant. Comme nous sommes accrédités Cofrac, le processus est très normé. »* Tout nouvel arrivant entre dans un processus d’habilitation de plusieurs semaines : qu’elles travaillent à la paillasse, en hématologie, en biochimie…, les personnes sont accompagnées par des référents avant d’être habilitées. « Le fait que le process soit balisé est très guidant pour les nouveaux arrivants dans le service. Finalement, il n’y a pas le choix et cela facilite l’intégration ! », témoigne Maria Crétant. Le planning de formation est préétabli en fonction du poste. Cela se fait sans précipitation car il faut qu’au terme des deux semaines de formation ils soient capables de travailler en autonomie. « Les membres de l’équipe ont l’habitude de recevoir des stagiaires, ils sont pro-actifs sur l’accueil du nouvel arrivant », ajoute-t-elle.
Au sein du service de court séjour gériatrique, Faïza Belkhiri a, quant à elle, initié la mise en place d’un livret d’accueil des étudiants dès son arrivée dans le service il y a un an, afin de formaliser la démarche. Elle souhaite désormais le décliner pour tous les nouveaux arrivants. « Chaque service a sa politique d’intégration propre, au regard des besoins du service, analyse-t-elle de son expérience aux urgences et en chirurgie cardiaque. Depuis que je suis cadre, je fais en sorte que tout nouvel arrivant soit attendu, qu’on ait connaissance de son arrivée en amont pour bien l’accueillir. »
Au sein de son service, chaque étudiant bénéficie d’un double tuteur pour couvrir l’ensemble du stage, d’un carnet de suivi sur lequel il note ce qu’il fait, avec qui, afin d’aider au bilan de stage. Le livret d’accueil présente l’unité, ses spécificités, les soins types d’une journée. Au-delà du bénéfice de l’outil pour l’étudiant, Faïza Belkhiri insiste sur la valeur managériale du livret : « L’élaboration de son contenu a été effectué de manière collaborative. Il a permis de travailler avec l‘ensemble de l’équipe sur des situations de soins fréquentes comme la prise en charge d’une entrée de patient. L’équipe a également défini, dans le livret, les modalités d’accueil et d’encadrement de l’étudiant, et elle s’est mobilisée dans la bienveillance, avec pédagogie, en respectant une charte d’accompagnement. Finalement, ce travail est valorisant pour l’ensemble de l’équipe », témoigne Faïza Belkhiri.
Avant de déployer un livret pour les nouveaux arrivants, elle s’est attelée avec ses équipes à la mise à jour des fiches de missions de jour et de nuit des infirmiers et des aides-soignantes. « Cela nous a permis de travailler ensemble sur les compétences nécessaires pour prendre en charge les personnes âgées, en termes de savoir-être, de savoir-faire, d’élaborer un chronogramme d’activité détaillé, de la prise de poste à la fin de la journée ou de la nuit de travail, de détailler ce que l’infirmière doit faire dans le service concernant les soins, la logistique, la répartition entre l’équipe de jour et celle de nuit, et de rappeler les incontournables en termes de traçabilité (transmissions, évaluation du risque d’escarre, douleur, stupéfiants, médicaments dérivés du sang…). » Grâce à ces supports, toute l’information essentielle est donnée : une infirmière en poste ne pourra pas dire qu’elle ne savait pas, et cela évite les clivages jour/nuit au bénéfice d’une meilleure continuité des soins, de service.
En cette période de tension sur les effectifs, où les équipes manifestent des signes d’usure et de fatigue en raison du contexte sanitaire, l’accueil des nouveaux arrivants est un défi de plus à relever pour les managers. Se munir d’outils écrits et partagés par tous facilite l’intégration des nouveaux, tout en allégeant la charge des équipes en place dont le temps est compté.