Ressources humaines
DOSSIER
Cadre supérieur de pôle, GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences
Les difficultés de recrutement des paramédicaux ont un impact direct sur la gestion quotidienne des services, l’organisation, la qualité et la permanence des soins. Le manque d’infirmiers, notamment en Ile-de-France, laisse de nombreux postes vacants dans les hôpitaux et nécessite une vraie adaptation des équipes médicales et paramédicales. Focus sur un phénomène de mobilité de plus en plus important.
Le recrutement des soignants paramédicaux fait partie intégrante du travail des cadres et des cadres supérieurs de santé. Parfois, il s’agit même de recruter de façon importante afin de satisfaire à l’organisation d’une ou plusieurs unités de soins. Les opportunités sont nombreuses en Ile-de-France, de multiples environnements de travail sont possibles pour exercer son métier de soignant. Ainsi, certains services voient leurs soignants partir vers de nouveaux horizons, du fait de la concurrence, ou simplement d’un projet de vie différent qui engendre une mobilité géographique.
Lors d’une prise de poste de cadre de pôle, la question s’est présentée puisque certains postes infirmiers vacants nécessitaient de faire appel à du personnel intérimaire (1). Dès lors, la réflexion autour de l’attractivité et de la fidélisation des soignants s’est imposée. Surtout, il était important de savoir pourquoi les infirmiers avaient décidé de partir, et comment interpréter ces départs, les analyser, afin de pouvoir reconstruire l’équipe de façon sereine. De façon plus profonde, nous pouvons nous demander si le départ des uns a des répercussions sur le départ des autres : si nous voyons des collègues « quitter le navire », ne sommes-nous pas prêts à partir aussi, afin de ne pas être « les derniers » ? Quelles répercussions ces départs ont-ils sur la qualité des soins et de la prise en charge des patients ?
Les recherches empiriques (1) effectuées auprès des infirmiers et aides-soignants de cette unité ont mis en lumière la notion de mémoire collective, une mémoire du service qui se transmet des anciens aux nouveaux arrivants, même après un changement des organisations.
En sociologie, la notion de mémoire collective est avant tout une métaphore qui désigne un ensemble très hétérogène de pratiques et de représentations collectives. Elle renvoie à un double processus d’intériorisation et d’extériorisation :
- d’une part, des représentations collectives qui organisent la mise en sens de souvenirs individuels et qui rendent sensible l’individu à certaines significations,
- d’autre part, des pratiques collectives qui visent à extérioriser des souvenirs individuels (2). Ainsi, les difficultés de l’environnement de travail seraient auto-entretenues par les professionnels qui transmettent leur histoire aux nouveaux arrivants, favorisant l’entretien des souffrances du passé. Le groupe a, en effet, un impact non négligeable dans la dynamique d’une unité. Les relations interpersonnelles permettent de développer une « culture d’entreprise », un fonctionnement d’équipe dans un environnement donné. Lorsque cet environnement est incertain ou peu sécuritaire, le phénomène de groupe permet aux individus (ici, les soignants) de se rassurer en adoptant des comportements et actions liés aux habitudes, faisant appel à la mémoire collective. Les nouvelles arrivées permettent de donner un nouveau souffle à l’équipe, un partage des connaissances et des compétences communes. Elles sont synonymes de nouveauté. Il est donc important de se demander quels sont les éléments qui favorisent l’attractivité et la fidélisation des soignants.
Un hôpital magnétique est un établissement dans lequel il fait bon travailler et être soigné. Cette approche permet une attractivité non seulement des patients mais aussi des professionnels. La qualité des soins est mise en avant, ainsi qu’un environnement professionnel sécuritaire et serein permettant aux infirmiers de s’épanouir dans leur travail. Selon le concept d’hôpital magnétique, les incitatifs non-économiques sont d’aussi puissants – sinon de plus efficients – « prédicateurs de comportements » que les variables influençant le revenu. En effet, si le facteur financier ne s’efface pas dans une stratégie d’attractivité, il n’est plus le levier exclusif d’action (3). Les soignants qui développent leur autonomie professionnelle montent en compétences et réalisent des soins de plus grande qualité, avec dextérité et réflexivité. La notion de bien-être des personnels est un élément indispensable en termes d’attractivité et de fidélisation. Aujourd’hui, es soignants veulent se sentir bien dans leur environnement de travail, accueillis, reconnus et valorisés. Les décisions sont prises en équipe, afin de trouver des réponses qui soient le plus cohérentes possibles. La collaboration médico-soignante est indispensable dans le quotidien à l’hôpital. Elle permet à chacun de trouver sa place et un intérêt à ses actions. Plus encore, elle aide à se forger une identité professionnelle. Celle-ci se construit dès l’entrée en formation infirmière, et se poursuit ensuite tout au long de la carrière. L’environnement de travail devient alors un élément indispensable dans cette construction identitaire. La pluralité des identités au sein d’une unité de soins a un impact sur le fonctionnement de celle-ci. Le perpétuel mouvement de l’environnement permet à chacun de s’intégrer à cette unité, d’adhérer ou non à un fonctionnement spécifique, et de s’y adapter. Les échanges professionnels sont essentiels au quotidien, permettant de former une équipe, ensemble au service des usagers.
L’équipe désigne l’ensemble des acteurs dans un environnement donné. Elle est un lieu de solidarité et constitue un tout avec des individus très différents. Former une équipe implique de travailler ensemble et de se coordonner vers un but commun, ce qui n’est pas toujours facile. À l’hôpital, l’équipe paramédicale prend en charge les patients avec leur histoire et leurs particularités. L’étymologie du mot équipe renvoie au « skif » – l’esquif, le bateau ; ce mot dériverait du verbe skei signifiant couper, séparer. À l’origine du mot équipe se trouve donc une embarcation fragile creusée dans un tronc d’arbre fendu, sur laquelle nos lointains ancêtres se sont aventurés (4). Des individus encourant les mêmes risques (chavirer, s’égarer, faire de mauvaises rencontres) et poursuivant en principe les mêmes buts, tous étant indispensables mais pas à la même place (5), ce qui en fait un groupe complexe. Ainsi, existe dans l’équipe une fragilité, une vulnérabilité. Lorsqu’il faut reconstruire une équipe, les nouveaux membres sont à intégrer auprès de ceux qui sont restés, avec leur histoire, leur passé, leurs traumatismes. Il est également indispensable de prendre en compte leurs besoins, leurs aspirations et leurs souhaits.
La nécessité de comprendre le fonctionnement des équipes n’apparaît généralement que lorsque « ça ne marche plus » : mauvaise ambiance, conflits, départs, absences. Les psychologues et sociologues sont alors convoqués et on leur demande de « réparer », comme s’ils en avaient le pouvoir. En tout cas, on feint d’y croire, ce qui permet aux cadres de penser qu’ils ont fait ce qu’il fallait pour régler les problèmes (5). Or, la « réparation » de l’équipe ne peut être menée à bien qu’avec elle, en invoquant les sources de conflits et en permettant au groupe de se réguler, tout en apportant une aide bienveillante.
Il paraît indispensable de promouvoir un encadrement de qualité auprès des équipes, afin d’établir la confiance et de favoriser une collaboration efficace, notamment avec l’équipe médicale. Le cadre de santé doit proposer aux infirmiers un espace de réflexion, leur donner la possibilité de s’inscrire dans des groupes de travail professionnels, afin d’élargir leur champ de compétences et de connaissances. Ainsi, il est le moteur d’une équipe. Force de propositions et de réflexion autour des prises en charge des patients, il impulse une dynamique dans l’équipe pluriprofessionnelle et doit donc être capable de prendre sa place dans celle-ci. Il est amené à se positionner auprès de ces différents groupes de personnes et doit donc savoir se situer ; prendre des décisions intégrant des logiques éthiques, économiques, logistiques, organisationnelles, médicales et soignantes qui sont parfois contradictoires, dans un contexte économique restreint.
Le cadre est donc un acteur relationnel, capable de positionnement et de prise de décision tout en gardant à l’esprit en permanence la notion de « travailler ensemble » au service de la qualité et la sécurité des soins, dont il est le garant. Il est en capacité d’observer et d’écouter son équipe, de négocier avec les différents acteurs, et d’être une personne ressource. Cela lui demande d’être attentif à l’ambiance de travail et au bien-être de l’équipe de façon quasi permanente. Il se rend compte de l’importance d’une communication de qualité avec l’équipe qu’il encadre, afin de trouver des compromis acceptables en lien avec les valeurs de chacun.
Travailler ensemble autour d’un projet partagé permet à tous de trouver une place dans le dispositif afin de créer une homogénéité dans le processus. Chaque individu peut alors participer, donner son point de vue et émettre des idées qui pourront permettre au groupe d’avancer sereinement (encadré).
La reconstruction d’un service passe par le recrutement et la fidélisation des soignants au sein d’un hôpital. Une collaboration étroite avec la direction des soins et la direction des ressources humaines permet de fluidifier la gestion des personnels. L’équipe d’encadrement met en place des stratégies d’attractivité du pôle afin de trouver des soignants qui apprécient son environnement de travail. Elle se questionne et questionne les équipes autour des organisations soignantes, de la qualité et la sécurité des soins, de l’accueil des patients et de leur famille, et de la professionnalisation de chaque personnel de son pôle. Une vision globale des ressources et des besoins de fonctionnement des différentes unités permet d’anticiper à long terme sur les effectifs paramédicaux. L’équipe d’encadrement doit alors développer des actions cohérentes dans un environnement donné afin d’accompagner les équipes au mieux, et améliorer sans cesse le parcours patient au sein de l’hôpital.
Les services hospitaliers doivent sans cesse s’adapter à la mouvance des personnels médicaux et paramédicaux. Il est indispensable de proposer des actions qui permettent la fluidité des soins dans un environnement déjà complexe. Les besoins des soignants pour exercer au mieux leur travail doivent être entendus. La crise sanitaire a mis en lumière la capacité de ces équipes à s’adapter, communiquer, se soutenir et faire des propositions afin d’améliorer le quotidien et la prise en charge des patients à l’hôpital. Les mobilités en général au sein d’une unité sont prises en compte, afin de favoriser la fluidité du fonctionnement et de limiter les impacts sur la permanence, la qualité et la sécurité des soins. Dans ce contexte, le travail collaboratif de l’ensemble des acteurs de l’institution permet une réelle réflexion en ce sens dans les services de soins au quotidien.
Les équipes ont besoin d’un repère, un élément sur lequel s’appuyer au quotidien. Le cadre de santé a un rôle primordial dans cette reconstruction : il doit être attentif au professionnalisme des soignants, les guider et les conseiller dans les moments incertains, favoriser leur autonomie. C’est cet investissement du cadre qui permettra un engagement total de l’équipe pour la qualité et la sécurité des soins. Il fait en sorte que chacun soit bien accueilli, reconnu pour la fonction qu’il occupe. Il met en place un parcours d’intégration, fournit au nouvel arrivant les outils qui lui permettront d’être performant plus rapidement (fonctionnement de l’unité, tutoriels pour les différents dispositifs et logiciels). Il est attentif à son évolution et à ses besoins, en faisant régulièrement le point avec lui, ce qui permet de réajuster l’accompagnement si besoin. Enfin, l’équipe d’encadrement est présente pour coordonner ces différentes fonctions.