Dans un rapport rendu public en fin d’année dernière, la Cour des Comptes présente son bilan sur l’évaluation de la politique de prévention en santé en France. Elle juge les résultats « médiocres », malgré un effort financier.
« Peut mieux faire » : c’est en substance ce que l’on pourrait écrire pour qualifier la politique de prévention en France. La critique vient de la Cour des Comptes qui a rendu fin 2021 son bilan* sur la politique de prévention dans trois grandes pathologies chroniques : les cancers, les maladies neuro-cardio-vasculaires et le diabète. Ce choix de pathologies chroniques a été guidé par l’importance des effectifs qu’elles touchent et des enjeux de santé publique, notamment du point de vue financier. Et pour rendre cette qualification de « médiocre », la Cour des comptes a comparé, à effort financier équivalent, les résultats des pays voisins. La France dépense environ 15 milliards d’euros pour la prévention, selon la Cour des Comptes, soit 0,63% de son PIB, un niveau proche de pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Et pourtant, « globalement, les résultats obtenus en France sont très éloignés de leurs cibles et des performances d’autres pays comparables », juge-t-elle.
La cause ? Les programmes de prévention médicalisée – dans lesquels on trouve la vaccination et le dépistage – souffrent d’une adhésion incomplète et d’un déploiement insuffisant : ainsi les dépistages du cancer du col de l’utérus, du cancer colorectal et de celui du sein atteignent un niveau inférieur à celui des pays voisins ; la vaccination contre le papillomavirus, la seule qui prévient certains cancers, est très en retard (25% en France, contre 30 à 90% dans les autres pays). En ce qui concerne la prévention tertiaire des patients déjà suivis, elle reste aussi insuffisante.
Pour mieux comprendre, la Cour des Comptes a analysé la Stratégie nationale de santé qui a abouti au premier Plan national de santé publique – Priorité Prévention. Là aussi, la Cour des Comptes regrette que ce plan ne prévoie pas d’objectifs nationaux pluriannuels et ne renvoie en réalité qu’à des plans déjà existants, par exemple le plan Cancer, sans même l’articuler avec d’autres plans de prévention thématiques (logement, réduction du tabagisme, santé au travail, nutrition, alimentation…).
Côté organisation, le rapport pointe que celle-ci est floue : une territorialisation mal assurée avec des Agences régionales de santé (ARS) à la traîne, un mode de rémunération des soins primaires qui freine le déploiement de la prévention et un manque d’ouverture de la médecine du travail. Des arguments qui font dire à la Cour des Comptes que la politique de prévention nécessite une refondation pour « réaliser un véritable changement d’échelle permettant de réduire les effets des grandes pathologies ».
Elle propose quatre orientations à suivre pour relever ce défi.
Tout d’abord, renforcer l’efficacité de la politique de prévention et sa déclinaison opérationnelle en fixant des objectifs basés sur des indicateurs chiffrés ; côté organisationnel, la Cour des Comptes estime que le niveau départemental est le plus pertinent pour mener des actions de promotion de la santé.
Deuxième axe d’amélioration : la lutte contre les principaux facteurs de risques, tabac, alcool et obésité, avec des actions ciblées sur le sevrage tabagique, sur l’aspect fiscal (taxe et augmentation du prix du tabac et de l’alcool) et l’information nutritionnelle. La Cour des Comptes déplore toutefois que les mesures contraignantes (augmentation de la fiscalité, fixation d’un prix minimum, interdiction de consommer sur le lieu de travail et de faire de la publicité) continuent de se heurter à un refus des autorités.
Le troisième point d’amélioration concerne les approches de prévention dans les pratiques professionnelles : la Cour des Comptes estime que « Chaque contact des usagers avec le système de santé doit représenter une opportunité pour proposer des actions de prévention ». Les médecins généralistes et médecins du travail doivent être des acteurs investis de la prévention, mais aussi les biologistes, pharmaciens, infirmiers et podologues.
Dernière orientation pour améliorer la prévention : l’utilisation des données de santé pour faire évoluer la pratique des politiques de prévention et favoriser leur évaluation. Concrètement, les données épidémiologiques devraient être un levier pour cibler les populations concernées par certains risques, comme cela se fait déjà au Royaume-Uni. Mais en France, les données sont trop éparpillées et mal coordonnées pour être correctement exploitées. Par exemple, notre pays ne dispose pas de registre sur le diabète et les remontées des professionnels de ville sont quasi inexistantes.
Ce bilan et ces propositions de la Cour des Comptes montrent que l’impact de la politique de prévention est décevant, mais que des pistes d’amélioration sont possibles, non d’un point de vue financier, mais plutôt organisationnel et même culturel : « la faiblesse historique de la culture de santé publique » n’y est pas étrangère, la juridiction pointant « les réticences à imposer des démarches perçues comme attentatoires à la liberté des personnes et à opérer des différenciations ou ciblages dans les politiques publiques ». Dans ce tableau médiocre, certaines évolutions positives sont néanmoins remarquées : l’action contre le tabac a porté des fruits, la structuration et la formalisation de la politique de prévention ont progressé et de nouvelles formes d’exercice de la médecine commencent à voir le jour. De l’avis de la Cour des Comptes, la crise sanitaire liée au Covid-19 pourrait représenter une opportunité pour accélérer les évolutions dans ce domaine.
- Diabète : 3,9 millions de personnes atteintes
- Maladies cardio-vasculaires : 5,1 millions
- Cancer : 3,3 millions
- ¼ des dépenses annuelles de l’Assurance maladie
- 50 milliards d’euros
- +16% : l’évolution des dépenses liées à la prévention en 4 ans (2015-2019).
Primaire : pour la population générale, il s’agit d’éviter de contracter une maladie. Cela passe par l’éducation, l’alimentation, l’activité physique, l’habitat, etc. Les vaccins en font également partie.
Secondaire : pour une population déjà diagnostiquée, il s’agit d’éviter la progression de la maladie, via une surveillance et une prophylaxie.
Tertiaire : pour les patients déjà soignés, il s’agit d’éviter les complications ou récidives.