ÉCRITS PROFESSIONNELS
Cadre IADE, chargée de formation en IFSI, Hôpital Nord-Ouest de Villefranche-sur-Saône
La crise sanitaire liée au Covid-19 a fortement impacté la formation des étudiants en soins infirmiers et des élèves aides-soignants. Enseignement en distanciel, stages réduits ou annulés, précarité économique accentuée… En parallèle, une certaine défiance des apprenants est constatée vis-à-vis de l’institution et des formateurs. Ces derniers quant à eux ressentent de la lassitude et un sentiment de solitude. Dans ce contexte, comment restaurer la confiance en institut de formation ?
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les élèves aides-soignants et les étudiants infirmiers ont vécu des situations difficiles : apprentissage en distanciel, sollicitations par les instances institutionnelles pour effectuer du bionettoyage dans les services, etc. Celles-ci les ont déstabilisés dans l’acquisition des connaissances nécessaires pour assurer des soins de qualité auprès des patients. En parallèle, notre société semble devenir de plus en plus individualiste et revendicatrice.
Dans ce contexte, les apprenants n’hésitent pas, parfois, à dire qu’ils subissent des pressions, qu’ils sont soumis à des risques psychosociaux. Ils portent quelquefois un regard de défiance, légitime ou non, à l’égard des formateurs de l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) et du management. Certains rédigent des courriers, la plupart du temps anonymes, pour invectiver un formateur par exemple. Malheureusement, dans ce cas, le décryptage de ces méthodes, par les collègues ou la direction, n’est pas toujours adapté, et le formateur ciblé doit se retirer de l’IFSI. Les apprenants, quant à eux, n’observent pas de changements par la suite car généralement, le courrier reflète une problématique organisationnelle ou managériale de l’IFSI.
Comment répondre à cette défiance observée et restaurer un climat serein favorable aux apprentissages, pour les étudiants comme pour les formateurs ?
Depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, les apprenants ont été très sollicités dans les services hospitaliers, ont vu parfois leurs stages annulés ou amputés de plusieurs semaines ou certains de leurs cours suspendus. Les deux corps d’apprenants ont vu l’annulation de nombreux temps pratiques (entraînement à la toilette d’un patient par exemple) remplacés selon les cas par des cours de simulation ou des enseignements modifiés pour éviter une trop grande proximité (travail sur les mannequins pour les gestes et soins d’urgence, par exemple).
L’enseignement théorique en distanciel a mis en évidence qu’ils ne disposaient pas tous de bonnes conditions pour apprendre. En effet, il demande aux apprenants de disposer d’une connexion internet de bonne qualité, d’un ordinateur (qu’il faut peut-être partager), d’un espace dédié au travail. Les formateurs envoient des cours à réviser, à préparer, à apprendre, avec des supports très variés : films à visionner, articles à consulter, schémas à annoter, texte à lire et à comprendre pour répondre à des questions, exposé d’une situation clinique à analyser pour en définir le rôle de l’aide-soignant, visioconférences à suivre pour les étudiants infirmiers...
Les apprenants viennent à l’IFSI seulement une demi-journée par semaine dans le but de limiter le risque de contamination. Ce temps permet la rencontre, le lien social, la mise en commun du travail effectué au domicile. Cependant, les instituts de formation étant souvent éloignés des grandes villes, les apprenants doivent se lever très tôt pour prendre le train, et effectuer deux trajets en une demi-journée.
La précarité des apprenants est aussi un élément à considérer (1). « Depuis quelques années, le scénario est le même : une ou deux personnes par promotion nous avouent dormir dans leur voiture ou manger seulement des oignons en guise de repas. […] La précarité financière de certains étudiants se combine parfois à des difficultés psychiques sérieuses. Ainsi, 62% des élèves de troisième année […] estiment que leur santé mentale s’est dégradée depuis le début de leur formation. […] À l’IFSI Henri-Mondor, sur une promotion de deux cents élèves, trente à quarante étudiants interrompent leur cursus avant la fin [souvent] pour des raisons financières » (2).
Face à cette situation, les formateurs se sont questionnés : faut-il faire émarger les étudiants lors des travaux en distanciel, et si oui, comment ? Les apprenants sont-ils véritablement acteurs de leur formation ? Le même niveau de connaissances peut-il être attendu dans cet environnement pédagogique ? Les formateurs sont également confrontés à un dilemme face au manque de personnel dans les services hospitaliers : dans ces conditions, faut-il valider la formation de plus d’apprenants – les professionnels de demain –, en espérant qu’ils acquièrent de l’expérience sur le terrain, mais au risque de renier ses propres valeurs ?
La pandémie et la modification des méthodes pédagogiques ont provoqué de l’inquiétude chez les futurs soignants. Sur les réseaux sociaux, ils expriment, de façon anonyme, ce qu’ils pensent de leur institut : « Manque d’organisation de la part de l’institut cette année […] », « La formation a été compliquée à cause du Covid. Pas de pratique lors des cours […]. Mais [ne] lâchez rien » (3).
Le niveau des apprenants a-t-il baissé, et est-ce lié ou non à la pandémie ? Les statistiques ne peuvent s’appuyer que sur des taux de réussite aux diplômes initial ou de rattrapage. Le constat de difficultés dans les secteurs de l’orthographe et la compréhension de texte est prégnant (4), avant l’entrée en formation supérieure, mais rien n’est précisé durant la formation. Au niveau national rien ne transparaît sur le nombre de rattrapages liés aux calculs de doses ou sur l’évaluation des gestes et soins d’urgences, par exemple.
Il arrive aussi que des apprenants, en colère parce qu’ils n’ont pas validé une épreuve, s’épanchent sur les réseaux sociaux internes de leur établissement. Cette colère se retrouve dans les retours des bilans de formation organisés par les formateurs. Et parfois, le bouche-à-oreille entre les apprenants, qui nous revient, montrent qu’ils sont peu optimistes quant à leur évaluation.
Certains ne se présentent pas le jour de l’évaluation ou arrivent en retard, d’autres ne respectent pas les consignes fixées dans le règlement intérieur de l’IFSI-IFAS relatives au comportement général, d’autres encore fraudent aux épreuves.
Comment faire face à toutes ces difficultés ?
Il semble que les formateurs en IFSI soient nombreux à éprouver une certaine lassitude et un sentiment de solitude. Il existe « une fatigue récurrente, un excès de travail, une rétribution insuffisante, une normativité excessive qui coupe la créativité, une souffrance face à la souffrance d’autrui, en un mot, un malaise généralisé dans la profession » (5). Le « parler vrai » fait souvent défaut tant il est difficile de s’exprimer sur ces sujets. Or, « L’être humain […] quelle que soit sa profession, souhaite donner du sens à ses actes et faire quelque chose qui ait du sens : du sens comme signification, du sens comme sagesse, du sens comme direction » (5). Comment remettre du sens dans leur mission ?
La défiance est une « crainte méfiante envers quelqu’un ou quelque chose dont on n’est pas sûr ou qui semble présenter un risque, un danger » (6).
Marie Peltier, historienne, chercheuse et enseignante à l’Institut supérieur de pédagogie Galilée à Bruxelles, a largement évoqué le thème de la défiance dans notre société, dans le cadre de ses travaux sur le complotisme (7). Emmanuel Rivière, politologue et directeur de l’institut de sondage Kantar Public, se questionne : « Comment ne pas être interpellé par le tiers de Français qui se disent prêts à soutenir des actions violentes pour changer le système ? » (7).
Selon Jean-Marc Lech, coprésident d’Ipsos : « La crise a cristallisé le changement de manière forte et durable […] Elle a […] amené les français à constater qu’ils n’ont plus de respect pour l’autorité : qu’elle soit politique, entrepreneuriale, médiatique ou publicitaire. Car une autorité qui n’obtient pas de résultats est une autorité qui perd sa légitimité. […] Nous avons donc là le reflet d’une société qui, n’attendant plus rien de l’autorité, assume son dérèglement sans culpabilité et multiplie les gestes de désobéissance civile » (8).
En IFSI, une certaine défiance peut se remarquer par : la désapprobation d’un formateur par des collègues qui valident les apprenants, une perte de confiance en lui du formateur visé, une attitude soupçonneuse de l’apprenant envers le formateur lors d’une évaluation, etc.
Comment l’équipe d’un IFSI peut-elle faire face à la défiance et la limiter ?
Toute personne a un idéal. L’idéal professionnel existe chez les apprenants, et les citoyens dans leur ensemble admirent les professionnels de santé. Or, cette profession ne s’improvise pas et la possibilité de pratiquer des soins de qualité « suppose des moyens et une marge de liberté laissant place à la relation et à la créativité » (5).
La transmission de savoirs en IFSI concerne de nombreux contenus : anatomie, physiologie, pathologie... Puis, la formation en alternance permet de maintenir l’apprenant dans une activité entre périodes de stages (gériatrie, médecine, pédiatrie, urgences) et temps d’apprentissages théoriques. Les formateurs proposent les conditions et les situations d’apprentissages, en y ajoutant un ciment essentiel : la communication, la relation à l’autre, la socialisation. C’est ce que l’on nomme l’habitus. Selon le sociologue Philippe Perrenoud : « La formation de l’habitus devrait être le projet de l’institution de formation tout entière, l’affaire de tous les formateurs » (9). L’habitus, pour Pierre Bourdieu, évoque « les apprentissages (formel ou informels, dits ou non-dits) qui forment, inculquent des modèles de conduite, des modes de perception et de jugement, au cours de la socialisation » (10). Inconsciemment et intérieurement, les apprenants et les formateurs ont ce « système de schèmes intériorisés qui permettent d’engendrer toutes les pensées, les perceptions et les actions caractéristiques d’une culture, et celles-là seulement » (5).
La créativité se situe alors dans le mouvement spontané de l’un vers l’autre, de la simple présence, de l’action sans excès. Il s’agit d’estimer l’autre, d’apprendre à connaître, de prendre la parole « sur la base d’une argumentation critique toujours à apprendre et à risquer » (5). C’est aussi « l’engagement politique d’une profession au cœur d’une institution hospitalière qui, elle aussi, se doit d’être interpellée, stimulée pour offrir les conditions justes de l’action, pour soi et pour l’autre » (5).
En termes de créativité, nous pouvons noter plusieurs initiatives : certains IFSI créent des espaces inventifs comme ces « étudiants infirmiers de l’IFSI de l’Hôpital nord-ouest [de Villefranche-sur-Saône] qui ont planté un arbre, symbole de leur engagement professionnel » (11), ou encore le projet de l’IFSI-IFAS du centre hospitalier Guillaume Régnier à Rennes en favorisant la « réussite des apprenants, infirmiers, aides-soignants, porteurs de troubles des apprentissages tout en garantissant leur qualité de vie au sein de l’institut » (12).
Selon Laurent Karsenty, psychologue, ergonome et chercheur associé au Centre de recherche sur le travail et le développement du Conservatoire national des Arts et métiers, « On croit bien souvent que la défiance dans les relations de travail est avant tout une question de personnes qui n’accrochent pas ensemble ou alors de pratiques individuelles inadaptées […] Cela arrive bien sûr mais […] j’ai constaté que, très souvent, les attitudes et comportements suscitant de la défiance avaient des causes organisationnelles » (13). Il est donc essentiel de lutter contre ces dysfonctionnements.
L’auteur note de nombreuses causes de défiance dans ce domaine :
- des erreurs dans le recrutement (mauvais profils, méconnaissance du travail réel à fournir) ;
- des formations inadaptées, reportées ou trop courtes ;
- des règles de fonctionnement vagues favorisant l’interprétation des acteurs ;
- des postes mal définis ou des collaborations inadaptées ;
- « des objectifs trop exigeants créant une pression forte et rendant les acteurs peu tolérants les uns à l’égard des autres » (13) ;
- des surcharges de travail. Par exemple, le formateur en IFSI doit tenir à jour sur un logiciel, le nombre d’heures de travail pour la préparation de ses cours, l’évaluation, les réunions, les visites de stage, etc., afin que l’IFSI puisse justifier son activité auprès de diverses instances (la région, l’agence régionale de santé, l’université, le directeur de l’hôpital si l’IFSI est accolé à un hôpital) ;
- une intolérance des acteurs entre eux ;
- un sous-effectif ;
- des conditions de travail dégradées ; le manque de matériel, du matériel trop ancien, des connexions défaillantes ;
- des « distances physiques entre les acteurs interdépendants » (13). Arrêtons de correspondre par mail alors qu’il suffit de se déplacer dans le bureau voisin ! De même, l’enseignement en distanciel éloigne l’apprenant du formateur ;
- des problèmes de communication qui peuvent mener, au fil des réunions, à des incapacités décisionnelles ;
- l’absence d’animateur dans l’équipe. À ce sujet, il est important par exemple de différencier les types de réunion (une réunion pédagogique n’est pas une réunion d’information de la vie de l’IFSI), de gérer le temps de façon efficace pour ne pas aborder les sujets importants rapidement en fin de réunion. De même, la communication pourrait être améliorée en créant des passerelles réelles de travail entre les universitaires, l‘IFSI, le terrain, pour que soit mieux connue la réalité du travail soignant par tous les acteurs ;
- « l’individualisation de la responsabilité en cas d’anomalie de production ou d’incident » (13). L’esprit d’équipe et le sentiment d’appartenance doivent être renforcés pour lutter contre la défiance. Lors de leur rentrée en formation, les apprenants ont pris connaissance du groupe de formateurs référents de leur promotion. S’il survient un incident avec un formateur, celui-ci doit être abordé devant la promotion pour montrer un esprit de corps, ce qui n’empêche pas ensuite les explications entre les collègues et la direction. Mais invoquer une responsabilité individuelle risque de mener à l’accusation d’un seul individu, voire à son « lynchage » par la direction et l’équipe ;
- Enfin, les « changements menés dans la précipitation, sans concertation et mal ou pas accompagnés, entraînant une perte de repères, voire une perte de sens » (13).
La communication et la qualité de la relation entre les formateurs et la direction sont essentielles et pourraient faire l’objet de réunions pédagogiques. Il est possible notamment de travailler avec le diagramme de causes et effets (ou diagramme d’Ishikawa) (14), et le modèle de Karsenty sur le développement de la confiance (15). Ce dernier « donne une place prépondérante au dialogue autour des actions réalisées et des performances obtenues et à la résolution collective de problèmes pour éviter que des situations d’insatisfaction relationnelle ne se reproduisent » (16).
L’écoute et l’absence de jugements entre formateurs sont aussi des éléments indispensables.
Les processus organisationnels doivent être réinvestis par les formateurs, qui ont été des soignants. La résilience sociale, c’est-à-dire notre capacité à nous adapter aux bouleversements, est l’affaire de tous. Par ailleurs, le développement des connaissances doit enrichir le quotidien des apprenants comme des formateurs.
Enfin, les décisions votées par le groupe doivent être respectées par chacun. La direction doit veiller à leur application et sanctionner « de façon proportionnée et juste ceux qui ne les respectent pas sans raison valable » (17).
Ainsi, par ces mesures, les apprenants auraient davantage confiance dans les décisions des formateurs (qui se trouvent être d’ailleurs leur hiérarchie), et aucune brèche ne serait alors apparente.
S’il est aujourd’hui difficile de d’ignorer les phénomènes liés à la défiance au cœur des formations paramédicales d’infirmier et d’aide-soignant, une analyse adaptée de la multiplicité des raisons de cette défiance permet de réaliser une étape de compréhension de la situation. L’étape suivante est possible grâce à une adaptation et un repositionnement des acteurs en charge de la formation pour faire face aux problématiques actuelles. Des solutions existent, elles impliquent des évolutions, des changements qui, lorsqu’ils sont envisagés en équipe, permettent de retrouver le plaisir de former de nouveaux professionnels du soin, dans un contexte pédagogique favorable.
D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2018, 26200 élèves se sont inscrits dans l’un des 484 établissements dispensant une formation d’aide-soignant en France, avec 22800 diplômés, un chiffre stable. Les candidats sont en moyenne plus âgés (28 ans contre 25 ans et 5 mois pour l’ensemble des formations de santé), notamment parce qu’ils sont moins nombreux à sortir de formation initiale (26% contre 65% respectivement). Parmi ces étudiants, 90% sont des femmes. La part d’inscrits ayant un père employé ou ouvrier (68%) et celle d’inscrits ayant une mère employée ou ouvrière (63%) sont supérieures aux parts d’employés ou d’ouvriers au sein de la population ayant déjà occupé un emploi (1).
Concernant la formation infirmière, 324 établissements préparent au diplôme d’État et accueillent un total de 90 000 étudiants. Ce sont des femmes à 80 %, avec une moyenne d’âge de 23 ans. Les milieux sont également modestes (46 % ont un père ouvrier ou employé). La précarisation des apprenants, visible chez les élèves aides-soignants, est de plus en plus présente aussi chez les étudiants infirmiers. Cet écart se creuse d’autant plus si l’institut de formation est éloigné des grandes villes ou des universités de rattachement (2).
Le législateur a construit des lois qui encadrent le fonctionnement de l’hôpital, dans l’intérêt du patient. Celles-ci autorisent le professionnel de santé à toucher le malade, à lui administrer des traitements, à réaliser des gestes invasifs. Il existe aussi un cadre réglementaire définissant précisément les connaissances et compétences à acquérir pour les étudiants infirmiers et aides-soignants, ainsi que les modalités de leur formation. Les formateurs d’IFSI et d’Institut de formation d’aides-soignants (IFAS) se basent sur ce cadre pour construire leur pédagogie auprès des apprenants. Ils travaillent dans un cadre institutionnel structuré (IFSI, IFAS, hôpital, clinique…) dans lequel ils intègrent les apprenants et qui vise à créer un sentiment d’appartenance avec l’appropriation des fonctionnements et des organisations institutionnelles. Les étudiants reçoivent des apports théoriques et cliniques et sont accompagnés durant leur formation, ce qui permet aussi d’exprimer leurs attentes et leurs questionnements.