À l’aube des élections présidentielles, la santé caracole en tête des préoccupations des Français. Quels thèmes pourraient se retrouver sur le devant de la scène, et comment les candidats s’emparent-ils de cette préoccupation dans leurs programmes ?
D’après une étude Mazars & OpinionWay* rendue publique début février 2022, la santé apparaît comme le deuxième sujet de préoccupation des Français, juste derrière le pouvoir d’achat et devant les thèmes de la sécurité, l’immigration et l’environnement. La crise sanitaire n’y est sans doute pas étrangère, les Français ayant pris conscience de l’importance de leur santé mais également de la fragilité du système de santé. En effet, 87% des répondants reconnaissent l’universalité et l’excellence de celui-ci, regrettant toutefois une offre de soins inégalement répartie sur le territoire. Autre point, l’accompagnement des publics vulnérables : 9 Français sur 10 estiment que les solutions à l’égard de ces personnes sont prioritaires, exprimant leur souhait que les politiques publiques érigent ce thème en priorité. La récente mise en lumière de la situation dans certains Ehpad devrait renforcer cette tendance. Environ 40% des Français estiment que les propositions des candidats en matière de santé seront « essentielles » et un sur deux « importantes », ce qui confirme l’intérêt accordé à ce thème. Ce qu’attendent les Français, ce sont des mesures fortes à l’attention des personnels médicaux et soignants (80% des répondants), des renforcements dans les structures hospitalières, avec une meilleure offre de proximité (50%) ou des structures permettant d'éviter le recours aux urgences (40%).
Une campagne présidentielle en pleine crise sanitaire, voilà une situation inédite. Si la question du Covid continuera sans doute à animer les débats, les Français veulent aussi entendre parler d’autre chose.
Et notamment de la situation de l’hôpital public et de la question du personnel : si le Ségur de la Santé a replacé le débat en tête des discussions, il ne semble pas avoir été suffisant pour apporter une réponse pleinement satisfaisante, que ce soit du côté des professionnels de santé ou des usagers du système de santé.
Du côté de la médecine libérale, les discussions s’agitent autour des déserts médicaux. Quelles sont les meilleures solutions pour améliorer une situation dégradée ?
Quid de la situation des Ehpad, que le document “Les Fossoyeurs” a remis sur le devant de la scène ? Et la santé mentale, encore mise à mal par la crise sanitaire ?
Sur les sujets dits « sociétaux », les questions éthiques sont également évoquées : fin de vie, procréation médicalement assistée (PMA), etc.
Nous avons choisi de ne retenir que les candidats déclarés représentant les principaux courants politiques du pays. S’ils étaient élus, que feraient-ils ?
La candidate socialiste souhaite « consolider le rôle de l’hôpital public comme pilier de la santé des Français » en mettant fin à l’Ondam et en modifiant la tarification à l'activité (T2A) pour « garantir les ressources de l’hôpital public par une dotation correspondant aux besoins de santé de la population ». Pour soulager les urgences, la candidate souhaite utiliser les médecins libéraux qui assurent des permanences, notamment le week-end. Pour mettre fin aux déserts médicaux, elle envisage de former jusqu’à 15 000 nouveaux médecins par an et d'accroîcre le nombre de sages-femmes (1 250 par an) d'infirmiers et d'aides-soignants (25 000 par an) tout en revalorisant les salaires. Elle propose également un volet prévention et fait de la santé mentale une grande cause nationale. Sur l’autonomie, elle préconise que toutes les politiques publiques (habitat, transport, lutte contre l’isolement, activités sportives et culturelles) intègrent une dimension « bien vieillir » et souhaite recruter pour le maintien à domicile et les Ehpad. De la même manière, elle veillera à donner plus d’égalité aux personnes handicapées dès le plus jeune âge en recrutant plus de personnels et en dotant les villes d’accès adaptés. Sur les grandes questions sociétales, enfin, la candidate souhaite une conférence de consensus sur la légalisation du cannabis ; sur la fin de vie, elle propose une loi qui pourrait donner le droit d’accéder à une aide active à mourir.
Avec un cœur de programme centré sur la santé environnementale, le candidat écologiste souhaite lutter contre les maladies chroniques liées à l’environnement. Pour l’hôpital public, il reprendra la dette de l’hôpital public et augmentera le nombre de lits et le ratio soignants/patients : il embauchera 10 000 infirmiers et revalorisera de 10% les salaires pour s’aligner sur la moyenne européenne. Il conservera la T2A pour les actes techniques seulement, afin de mettre fin à la course à la rentabilité. Favorable à une obligation d’exercer dans des zones de désertification médicale les deux premières années d’exercice, le candidat trouve ainsi la solution aux déserts médicaux. Sur le volet médicament, il exige la plus grande transparence des industriels afin de réguler le marché du médicament et rétablir une certaine souveraineté sanitaire. La santé mentale n’est pas oubliée : le candidat souhaite « reconstruire les bases d’une psychiatrie bien traitante, qui prend le temps de soigner », notamment en créant 10 000 lits et en facilitant la prise en charge des soins en ville. Dans les Ehpad, le candidat préconise au moins 8 personnels pour 10 résidents avec des contrôles des pratiques pour des établissements bien-traitants. Sur les questions sociétales, le candidat Vert est favorable à la légalisation du cannabis et à une fin de vie choisie et assistée.
Pour redonner confiance à l’hôpital, la candidate RN réformera la gouvernance de celui-ci : suppression des Agences régionales de santé (ARS) au profit d’une gestion par les préfets de région (avec les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales). Elle recrutera des soignants (au moins 10 000) et augmentera les salaires de 10%. Sur la suppression des lits, elle installera un moratoire. Pour réduire l’engorgement des urgences, elle travaillera avec la médecine de ville et créera une filière spécifique pour les personnes âgées. Côté financement, elle reviendra à un budget sous forme de dotation globale adaptée à la réalité de l’activité des hôpitaux. Pour les déserts médicaux, Marine Le Pen mise sur une incitation financière qui consiste en une rémunération modulée selon le lieu d’installation, un développement de la télémédecine et l’augmentation du nombre de maisons de santé. Elle compte aussi sur la prévention pour réduire les inégalités : elle rétablira les visites médicales scolaires et élargira les tâches confiées aux pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, assistantes sociales. Concernant l’autonomie, la candidate propose d’accroître la présence du personnel médical dans les Ehpad avec un médecin coordonnateur et une infirmière présents 24h/24. Elle valorisera aussi les aidants en portant à 12 mois le congé du proche aidant et en lui versant une indemnité de 300€ mensuels. Enfin, elle réformera l’aide médicale d’État en la transformant en un dispositif de soins urgents, qui ne donne plus un accès illimité et gratuit à tous les soins. Sur les questions sociétales, Marine Le Pen s’engage à un moratoire de trois ans pour ouvrir les débats via un referendum d’initiative populaire. Sur la gestation pour autrui (GPA), elle reste sur une application de la loi actuelle.
Le candidat Jean-Luc Mélenchon souhaite « reconstruire le système public hospitalier », notamment en renforçant le concours financier de l’État au budget des collectivités territoriales. Il luttera contre les déserts médicaux en recrutant plus de médecins et en créant des réseaux de centres de santé pluridisciplinaires publics : il compte faire en sorte que les services d’urgences, de maternité et d’Ehpad soient accessibles à moins de 30 minutes de chaque Français. Il créera un pôle public du médicament pour supprimer l’influence du secteur privé et produire massivement les vaccins et traitements dans le domaine public. Il lancera un grand plan pour la santé mentale qui doit permettre la réouverture de lits en psychiatrie, un suivi en ambulatoire et une augmentation des places en faculté de médecine pour la spécialité psychiatrie. Côté prise en charge des soins, le candidat est favorable à un "100% Sécu", ce qui revient au principe d’intégrer les mutuelles dans la Sécurité sociale, pour un accès à la santé pour tous. Sur l’autonomie, le candidat propose de développer un réseau public de maisons de retraite aux tarifs harmonisés (10 000 places en 5 ans) en y ajoutant le recrutement d’au moins 210 000 personnels aidants ; sur le handicap, il fermera les bâtiments ne respectant pas les conditions d’accessibilité et déconditionnera le versement de l’allocation adulte handicapé aux revenus du conjoint. Sur la prévention, le candidat mettra en place un Plan national santé environnement axé contre la "malbouffe" et l’exposition aux polluants, et instaurera un ministère de la Production alimentaire pour une alimentation plus vertueuse, plus saine, locale et biologique. Sur les questions sociétales, Jean-Luc Mélenchon légalisera le cannabis, inscrira dans la Constitution le droit à mourir dans la dignité (y compris avec assistance) mais il s’oppose à la GPA.
La candidate LR fera de la lutte contre la désertification médicale une des grandes causes de son quinquennat : elle est favorable à l’installation de nouveaux médecins en zones de désertification moyennant des aides incitatives. Pour donner un nouveau souffle à l’hôpital, elle recrutera 25 000 soignants en 5 ans et renforcera la coopération ville-hôpital-privé avec des systèmes d’information partagés. Côté organisationnel, elle « débureaucratisera » le fonctionnement de l’hôpital au profit des médecins chefs de service et renforcera les carrières infirmières, notamment en développant la pratique avancée. Sur la question du handicap, elle favorisera la scolarisation en milieu ordinaire et fera en sorte d’élargir les dispositifs de formation aux personnes en situation de handicap. Elle fera de la santé mentale une de ses priorités en créant un institut de la santé mentale pour doter la France d’une stratégie nationale. Deux causes spécifiques s'ajoutent à ce programme : la santé des femmes et la lutte contre les cancers pédiatriques. Sur l’autonomie, la candidate déclare vouloir favoriser le maintien à domicile et réorganiser le fonctionnement des Ehpad. Du côté éthique, elle est favorable à la PMA mais reste fermement opposée à la GPA. Aucun mot, en revanche, pour le moment, sur la fin de vie.
Le candidat Éric Zemmour focalise son programme sur 5 priorités (identité, instruction, impôts, industrie et indépendance) dans lesquelles la santé ne fait qu’une brève apparition concrète, avec notamment la fin de l’aide médicale d’État. Interrogé par certains médias sur ses ambitions pour la santé, le candidat souhaite une meilleure permanence des soins, en embauchant 1 000 médecins salariés, envoyés dans les déserts médicaux. Sur l’hôpital, il lancera un plan de réinvestissement sans en préciser les contours. Les ARS, qui ont, selon lui « technocratisé la gestion de la médecine », seront supprimées. Concernant l’autonomie et les personnes âgées, le candidat souhaite plus de contrôle et un développement du maintien à domicile ; sur le handicap, le candidat estime que « l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux enfants », arguant qu’il faut des établissements spécialisés pour les enfants handicapés. Aucun mot pour les adultes handicapés ou les proches aidants. Du côté des questions sociétales, le candidat est opposé à la PMA des femmes seules ou des couples de femmes, renonce à la prolongation de 14 semaines du droit à l’IVG et ne souhaite pas aller plus loin dans la loi sur la fin de vie actuelle (loi Claeys-Leonetti).
La Fédération hospitalière de France (FHF) a présenté ses « ambitions pour 2022 » (un site éponyme a également vu le jour), assorties de 30 propositions pour « réinventer le système de santé à l’horizon 2030 ». Quatre grands axes de recommandations se distinguent. Tout d’abord celle d’une nécessaire révolution par les territoires avec notamment la question des soins de proximité et la demande de faire de la santé mentale une « grande cause nationale ». Second axe, l’égalité, l’excellence et la pertinence au sein du système de santé de demain, amenant notamment la question de la simplification et de la coopération. Troisième axe, non des moindres, celui des professionnels de santé : pour revaloriser tous les métiers et s’engager dans une ambition managériale. Enfin, dernier axe, la question de l’autonomie et de la stratégie de prévention.
La FHF invite chaque candidat à venir débattre de son programme pour l’hôpital et le médico-social le 17 mars 2022, “date anniversaire” du premier confinement. Pour l’occasion, Frédéric Valletoux, président de la FHF, leur remettra les 30 propositions que la Fédération a formulées. De son côté, la Mutualité Française organise le 1er mars un grand oral pour les candidats sur le volet santé et protection sociale. Compte tenu de ces échéances, ils sont attendus au tournant : la santé est un sujet incontournable de leur campagne.