TRIBUNE
ACTUALITÉS
Julien Kouchner
Pour informer vite professionnels et population, obtenir leur adhésion, donner les moyens de répondre aux fausses informations véhiculées par les réseaux sociaux ou certains médias, la communication de crise doit être repensée face à la menace d’une crise sociale et démocratique.
Lorsque, le 16 décembre 2019, le premier cas de Covid-19 est répertorié à Wuhan en Chine, personne n’est alors capable de prévoir que le monde entier va être confronté à une pandémie et à une crise sanitaire qui, deux ans après cette découverte, bousculera toujours la planète. Le Sars-CoV-2 est, en effet, un coronavirus dont, à ce moment-là, on ne connaît pas encore les modes de contamination, la contagiosité, l’ensemble des symptômes, l’évolution vers des formes graves ni la létalité. Ce contexte d’incertitude est encore renforcé par les mesures de confinement prises dans de nombreux pays dès le début de la pandémie. Début avril 2020, plus de 50 pays ont mis en place un confinement total, ce qui représente 3,9 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale.
Toute crise nécessite une gestion et une communication adaptées. La communication fait d’ailleurs partie intégrante du processus. La crise sanitaire liée au Sars-CoV-2 n’échappe pas à la règle. Cette communication de crise doit permettre, dans et malgré l’urgence, d’échanger des informations entre différents interlocuteurs – pouvoirs publics, experts, acteurs du système de santé dans le cas d’une épidémie, population – afin d’assurer au mieux la gestion de la crise. Dans le cadre d’une urgence de santé publique, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit une « communication sur les risques » (1) : « Il s’agit de l’échange en temps réel d’informations, de conseils et d’avis entre les experts, les responsables communautaires, les décideurs politiques et les populations en situation de risque. Lors d’une épidémie, d’une pandémie, d’une crise humanitaire ou d’une catastrophe naturelle, une communication efficace sur les risques permet aux populations les plus exposées de comprendre les comportements à adopter pour se protéger. Ainsi, les autorités et les experts peuvent être à l’écoute des inquiétudes et des besoins, chercher à y répondre et faire en sorte que leurs conseils soient pertinents, fiables et recevables. »
L’échange d’informations lors la crise sanitaire du Covid-19 est par conséquent multidimensionnelle. Elle comporte en effet quatre grandes dimensions :
- professionnelle, avec l’information aux professionnels de santé pour la mise en œuvre des mesures de gestion de la crise grâce à différents canaux : les "DGS-Urgent", les communiqués des ordres et des syndicats professionnels, la presse professionnelle qui relaie les informations ;
- grand public, via les communications du gouvernement, des autorités publiques et des autorités sanitaires sur la lutte contre l’épidémie ;
- politique, à travers les mesures annoncées par le chef de l’État et le gouvernement, leur discussion par le Parlement et les critiques des partis politiques ;
- scientifique (virus, traitements, prévention et vaccins), via les communications des chercheurs et scientifiques.
La communication de crise est aussi caractérisée par l’urgence de la situation et les incertitudes. Ainsi, la diffusion des informations doit être rapide au risque d’apparaître obsolète quelques jours, voire quelques heures, après leur émission auprès des divers publics.
De fait, on a pu assister très vite à une intrication de ces quatre dimensions durant les différentes phases de la pandémie en France : premier confinement, premier déconfinement, deuxième vague, campagne de vaccination, mise en œuvre du pass sanitaire. À chaque fois, le même processus concomitant prend place :
- une information relativement claire pour les professionnels de santé même si elle peut évoluer rapidement ;
- une information au grand public visant à la fois à rassurer (« Nous prenons les choses en main ») et à faire peur (le décompte du nombre de malades en réanimation et de décès) ;
- une information politique qui bascule dans les polémiques systématiques ;
- une information scientifique sur l’état d’avancement des connaissances sur la maladie et les traitements hors des sphères scientifiques, sans analyse ni recul, souvent portée par des médecins désignés implicitement par les médias comme des experts.
Ce phénomène produit alors un « brouhaha » médiatique dans lequel les messages sanitaires et leurs fondements perdent de leur clarté, voire de leur légitimité.
Ce « brouhaha » est amplifié par les divers canaux utilisés par les autorités publiques. Lors du premier confinement, les chaînes d’information continue diffusent en direct les conférences de presse du directeur général de la santé ou du ministre des Solidarités et de la Santé et les journaux destinés au grand public deviennent le relais des décisions gouvernementales avant même qu’elles ne soient transmises aux professionnels de santé (par exemple, le 10 avril 2021, le ministre de la Santé, interviewé par un journal qui paraît le dimanche, annonce que tous les plus de 55 ans pourront être vaccinés, ainsi que l’allongement du délai entre deux doses).
En outre, les chaînes d’informations font appel à des « experts », à savoir des médecins ou autres professionnels de santé et des scientifiques, alors qu’eux-mêmes ne disposent pas forcément de toutes les informations. Ces « experts » sont conviés à faire part de leur avis qui, dans certains cas, ne repose sur aucune étude scientifique.
Cette tentation du "quart d’heure de célébrité" a deux conséquences :
- une remise en cause de la crédibilité de la parole des professionnels de santé et des scientifiques, avec en filigrane une interrogation sur l’éthique de ces intervenants qui ne s’assurent pas de leur expertise avant de s’exprimer ;
- une reprise des propos de ces « experts » qui nourrissent les réseaux sociaux en termes de polémiques, de fake news et de théories complotistes.
L’audience accordée par les réseaux sociaux est multifactorielle. Cependant, l’« engagement » (d’une communauté plus militante donc plus active) assure souvent la visibilité de l’information et non sa véracité. Les réseaux sociaux deviennent des caisses de résonance pour chaque information et chaque émetteur d’informations, au détriment de la qualité de celles-ci.
Le « dark social » (expression popularisée par le journaliste américain Alexis C. Madrigal, pour qualifier les recommandations de contenus internet qui ne sont pas effectuées publiquement sur les réseaux sociaux) est proportionnellement plus fort pour les contenus pour lesquels on ne souhaite pas que la recommandation soit publique, et contribue aussi à la propagation d’informations non fondées.
Dans ce contexte, les professionnels de santé sont confrontés à plusieurs contraintes. Ils doivent :
- disposer d’une information compréhensible validée par les autorités sanitaires ;
- répondre aux questions des patients « noyés » par toutes les informations reçues par ailleurs ;
- faire face aux sceptiques, aux antimasques, aux antivax, aux complotistes et, depuis l’été 2021, à des menaces.
Cependant, dans le même temps, la temporalité de la communication est inadéquate pour relayer les informations auprès de leur patientèle. Les autorités publiques les diffusent à la fois auprès des professionnels de santé et du grand public. Dans certains cas, elles sont transmises au dernier moment aux professionnels : "DGS-Urgent" diffusés le dimanche soir (par exemple, les médecins apprennent le dimanche 7 mars 2021 qu’ils ne pourront pas commander des doses du vaccin AstraZeneca) ou alors après l’annonce de certaines mesures via la presse grand public ou les réseaux sociaux (Twitter) ; textes réglementaires publiés au Journal officiel la veille de leur application. Les professionnels de santé souffrent aussi de recevoir des informations parfois contradictoires ou qui ne sont pas, ou insuffisamment, validées scientifiquement. Enfin, ils manquent cruellement d’une formation suffisante en communication pour échanger avec leurs patients et répondre à leurs objections sur certains sujets (tels que les traitements et la vaccination contre le Covid-19).
De fait, les pouvoirs publics ne s’appuient pas sur les acteurs de santé publics et libéraux afin qu’ils soient les piliers d’une communication efficace auprès de la population.
Plus d’un an et demi après le début de l’épidémie, la communication dans l’urgence s’est installée dans le temps, et ce malgré l’évolution de la situation. Par exemple, alors que l’arrivée des vaccins était prévue depuis l’été 2020, il n’y a eu pratiquement aucune anticipation pour mettre en œuvre une campagne nationale de vaccination accompagnée d’une communication adéquate. Les commandes de vaccins par les professionnels de santé restent toujours aléatoires d’une semaine à l’autre malgré la mise en place d’une task force interministérielle pour la vaccination. Les informations destinées aux professionnels de santé et au grand public varient au gré de mesures prises quasiment au jour le jour par le gouvernement. Cela a été particulièrement le cas pour les populations ciblées par la vaccination anti-Covid-19 entre janvier et mai 2021. Certaines décisions sont même annoncées par l’exécutif sans avoir été validées par les autorités sanitaires européennes et françaises. Ainsi, c’est le président de la République qui a acté une troisième dose pour les populations fragiles, le 5 août 2021, alors que la Haute Autorité de santé ne s’est prononcée sur le sujet que le 25 août et que l’Agence européenne des médicaments (EMA) n’avait émis ni d’avis ni d’autorisation de mise sur le marché.
La pandémie du Covid-19 est devenue une « pandémie médiatique », pour reprendre le titre du livre de Stéphane Fouks (2). « La crise du Covid est une crise médiatique, aux deux sens de l’adjectif. Elle a pris forme dans les médias, et elle reflète une crise des médias et de la communication. Avec le virus, c’est la forme communicationnelle du monde qui se manifeste à nous, et, ce faisant, la nécessité pour nos dirigeants d’en maîtriser la nouveauté, si nous ne voulons pas voir sombrer la démocratie », explique l'auteur en introduction.
Cette pandémie médiatique révèle également que les médias, les réseaux sociaux, les pouvoirs publics utilisent les mêmes ressorts pour communiquer et, surtout, attirer l’attention du public. Dans son livre Apocalypse cognitive, Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’université de Paris, détaille les différents mécanismes en jeu. En résumant le propos de façon succincte, la peur est l’une des émotions à laquelle notre cerveau réagit le plus : les informations qui évoquent ce sentiment ont toutes les chances d’attirer notre attention, même si elles ne reflètent pas la réalité, parce qu’il vaut mieux pour la survie être trop vigilant que pas assez. La peur est devenue « un vecteur d’intérêt très important de l’ensemble des écosystèmes médiatiques […]. Le problème, c’est que les médias traditionnels sont en train d’agir et de se comporter comme les médias sociaux le font », selon Jean-François Dumas, président de l’agence Influence Communication, cité par Gérald Bronner (3). Et il semblerait que la crise sanitaire doublée de la crise de la communication ait amplifié l’utilisation de ce ressort. En effet, les difficultés de la communication politique face à la défiance des citoyens encouragent l’exécutif à privilégier la stratégie de la peur. Stratégie également utilisée par les chaînes télévisées d’information continue pour faire de l’audimat, mais aussi par les réseaux sociaux et les plateformes des antivax et des complotistes (Odysee, par exemple). La peur contre la peur.
Les professionnels de santé ont l’habitude de débattre entre eux sur des hypothèses de recherche. Ces échanges entre pairs, le temps de la recherche et du doute, sont indispensables à l’obtention des certitudes scientifiques et pour établir par la suite la communication à tenir auprès des patients et du grand public. La pandémie liée au Sars-CoV-2, à l’heure de l’instantanéité de l’information multicanale et mondiale, a fait voler en éclats tous les mécanismes de communication nécessaires à la résolution de la crise.
Quelle est alors la « bonne » communication, sachant qu’une mauvaise communication de crise ne doit pas générer une nouvelle crise ? Comment anticiper une communication de crise et s’appuyer efficacement sur les professionnels de santé, des relais indispensables ? Autant de questions auxquelles il faudra répondre afin d’éviter une crise sociale et démocratique.