OBJECTIF SOINS n° 0285 du 10/02/2022

 

MÉTHODES PÉDAGOGIQUES

Laurent Soyer*   Nicole Tanda**  


*infirmier, cadre de santé, formateur consultant, chercheur indépendant en formation paramédicale
**infirmière puéricultrice, Philosophiae Doctor en sciences infirmières, chercheuse associée au Réseau de Recherche en Interventions en Sciences Infirmières du Québec (RRISIQ), Membre invitée du Centre d’Innovation en Formation Infirmière (CIFI), cadre de santé formatrice

Le recours aux méthodes pédagogiques actives, comme un élément majeur du champ de compétences du formateur et comme un vecteur de professionnalisation des apprenants, semble évident aujourd’hui. C’est pourquoi il est important de comprendre les principes de ces méthodes, leur adéquation aux dispositifs de formation fondés sur une approche par compétences, ainsi que leur pertinence avec les néo-dispositifs de formation hybride présentiel/distanciel.

INTRODUCTION

Avec la crise sanitaire et l’avènement des dispositifs de formation hybride (présentiel/distanciel), l’engagement des apprenants comme acteurs de leur formation constitue une « question vive ». Ce concept correspond, en sciences de l’éducation, à « une question d’actualité à laquelle les savoirs scientifiques peuvent répondre. Elle se caractérise par une composante sociale (la question est vive dans la société), une controverse (la question est vive dans les savoirs de référence et suscite le débat entre chercheurs ou entre experts professionnels) et est afférente à la formation (la question est vive dans les savoirs à enseigner en formation et les étudiants y sont directement confrontés » (1).

APPROCHE DIACHRONIQUE

Le concept de méthodes actives remonte à la Renaissance. Il s’inscrit dans une vision sociétale humaniste, dans une lignée initiale passant par Descartes rejetant la « méthode d’autorité », par Rousseau avec la « pédagogie négative », influençant à son tour des pionniers comme Pestalozzi et son approche visant en premier la présentation concrète de l’objet d’apprentissage avant d’introduire les concepts abstraits, l’environnement proximal avant l’environnement distant. Fröbel, lui-même s’étant inspiré notamment de Pestalozzi,  s’inscrit dans ce courant de « l'École moderne » et devient un théoricien des jeux éducatifs, posant le principe de l’unité sphérique entre la « nature » et l’« esprit », entre la « science » et l’« éducation ». D’un point de vue didactique, les méthodes actives prennent réellement corps au XXe siècle, sous l’influence complexe (au sens d’un tissage de points de vue et d’expérimentations) de théoriciens à la croisée des sciences humaines, des sciences de l’éducation et de la psychologie cognitive. À cette époque, un courant pédagogique se développe, celui de l’éducation nouvelle qui met en avant le principe d’une participation active des apprenants à leur propre formation (2-4) (encadré 1).

Avant d’aborder les principes fondamentaux des méthodes actives, il est nécessaire de comprendre que les courants pédagogiques ne s’inscrivent ni dans une linéarité, ni dans une rupture épistémologique. Chaque théoricien est impliqué dans un environnement et un contexte qui  influencent sa conceptualisation. Ainsi, l’approche comportementale (behavioriste) a favorisé l’émergence de l’approche développementale (constructiviste ou socioconstructiviste). Nous aborderons donc les éléments fondamentaux des méthodes pédagogiques actives comme des points de repères pour les formateurs. Ces repères sont à considérer comme évolutifs, à problématiser en équipe de formateurs, dans le cadre d’une pratique réflexive que l’on peut définir comme une « pratique régulière et banale du doute, de l’analyse et du développement professionnel » (5).

PRINCIPES FONDAMENTAUX

À partir de nos connaissances et de notre expérience de la pratique des méthodes pédagogiques actives, nous avons retenu sept principes fondamentaux des méthodes pédagogiques actives (figure 1). Mucchielli inclut la motivation comme l’une des caractéristiques essentielles de l’enseignement par méthode active : « La motivation doit être intrinsèque, c’est-à-dire que les sujets se sentent concernés, impliqués et pas seulement intellectuellement intéressés » (6). Nous n’avons pas retenu cette proposition pour plusieurs raisons. D’une part, c’est le sujet qui se motive et pas le formateur ou le dispositif pédagogique. D'autre part, nous considérons que la motivation est en premier lieu le produit, le bénéfice de la mise en œuvre des méthodes pédagogiques actives. Elle en est plutôt un effet qu’un élément essentiel. Par ailleurs, nous relions la motivation à l’autoévaluation et au sentiment d’auto-efficacité.

L’action

C’est le principe essentiel des méthodes pédagogiques actives « selon lequel le sujet apprend mieux s’il est engagé personnellement tout entier dans une action » (6) : le « learning by doing ». Ce principe d’action est parfaitement en phase avec le référentiel de formation infirmier, où l’agir constitue l’un des paliers d’apprentissage : « l’étudiant mobilise les savoirs et acquiert la capacité d’agir et d’évaluer son action » (7). La mise en action de l’apprenant, dans le cadre d’une formation professionnalisante axée sur des situations emblématiques (8), permet de travailler l’agir professionnel, c’est-à-dire le passage entre la tâche (prescrite) et l’activité (la réalité). « L’activité est une épreuve subjective où l’on se mesure à soi-même et aux autres, tout en se mesurant au réel, pour avoir une chance de parvenir à réaliser ce qui est à faire » (9). Pour l’apprenant, le principe d’action implique qu’il fasse quelque chose concrètement et qu’il soit également cognitivement actif.

La participation en atelier, en groupe

Les méthodes pédagogiques actives s’ajustent à une vision sociocognitiviste (néopiagétienne) introduite via le champ de la psychologie sociale. Dans ce paradigme, on passe d’un modèle de construction des connaissances compris comme endogène, à un phénomène plus large d’appropriation influencé par les relations sociales. L’éducation prend en compte la notion de champ social et des relations interpersonnelles (pairs apprenants, formateurs, parents, amis…) qui sont autant de balises et d’ancrages du développement du sujet apprenant. Le groupe est une entité comprenant a minima trois personnes « parce qu’il permet alors d’établir six relations interindividuelles et trois interactions dans lesquelles un membre est en relation avec un couple » (10). Lewin, fondateur de la notion de « dynamique de groupe », souligne que c’est dans l’interaction des sujets en présence, en face à face, que se joue l’essentiel des influences sociales (11). Parmi les effets pédagogiques bénéfiques de l’apprentissage en groupe, sans prétendre à l’exhaustivité, pointons l’osmose sociale facilitant l’assimilation, la transmission des indices non verbaux d’expression émotionnelle liée aux neurones miroirs (12), l’accroissement du flux d’idées circulant, l’implication personnelle plus élevée, l’intégration des résultats obtenus par le groupe dans le comportement individuel, la co-construction de compétences collectives (13)

L’interactivité

Issue de la théorie d’apprentissage socioconstructiviste, l’interactivité désigne les interactions générées entre apprenants, ou entre apprenants et un tiers (formateurs, patients…). Pour Vygotski (14), le sujet serait pré-finalisé et c’est dans l’interaction sociale qu’il atteindrait sa pleine maturité. « L’apprentissage favorise et précède le développement qui donne accès à la connaissance » (15). La notion d’interactivité est interdépendante de la genèse d’un conflit sociocognitif au sein du groupe d’apprenants. « La compréhension d’un problème ou d’une situation peut être améliorée par la discussion avec quelqu’un d’un avis contraire au sien : si le formé résout le problème avec un autre formé et s’il y a désaccord sur la façon de résoudre le problème » (16). Les méthodes actives sont le support du conflit sociocognitif, elles ont pour objectif de le catalyser. La construction des connaissances, au sens d’une incorporation, donc d’une transformation, d’une appropriation des savoirs et autres ressources d’apprentissage, est ici envisagée comme le résultat d’une confrontation de points de vue entre apprenants. Le conflit sociocognitif conduit le sujet apprenant à une restructuration en profondeur de ses modes de pensée (17), de ses représentations, de ses schèmes d’action. L’intensité des interactions est liée à la taille du groupe (figure 2). Pour une optimisation de la mise en œuvre des méthodes pédagogiques actives, il est nécessaire de travailler avec des groupes de 5 à 8 apprenants.

La réflexivité

De nombreuses formations professionnelles, dont la formation initiale infirmière, s’adossent à la visée d’un professionnel réflexif. L’idée fondatrice est explicite dans le titre original de l’ouvrage de Schön : « How professionnals think in action » (18) (Comment les professionnels pensent dans l’action). La réflexivité est intimement liée à l’agir professionnel, intrinsèqueà celui-ci. C’est la réflexivité sur l’action qui contribue aux apprentissages. « Il ne suffit pas d’avoir une expérience pour apprendre. Sans réfléchir sur cette expérience, elle peut rapidement être oubliée, ou son potentiel d’apprentissage perdu. C’est à partir des sentiments et des pensées qui émergent de cette réflexion que des généralisations ou des concepts peuvent être générés. Et ce sont les généralisations qui permettent d’aborder efficacement de nouvelles situations » (19). Dans la démarche réflexive, l’enjeu est de permettre à l’apprenant de conscientiser le processus qui l’a amené à proposer une réponse en regard d’une problématique professionnelle singulière (situation emblématique). Avec les méthodes actives, il s’agit d’identifier, avec le groupe d’apprenants, la manière dont sont construites les représentations, la pertinence et la richesse de celles-ci par rapport à la spécificité de la situation d’apprentissage (ou situation problème), pour leur permettre ensuite de l’enrichir, de développer leurs compétences et le travail d’équipe. « Cela signifie qu’une démarche réflexive contribue davantage à la formation si des interactions sont suscitées » (20). En effet, la réflexivité est associée à des réflexions individuelles et collectives. Ces dernières favorisent la distanciation en corroborant des bonnes pratiques, en posant un regard critique (dans le sens constructif), en donnant du sens à l’action par des rétroactions.

La métacognition

Pour des professions de santé, situées dans les rapports humains, il est essentiel que les apprenants développent l’analyse et la compréhension de leurs processus mentaux, donc la métacognition. La métacognition se définit comme « la représentation que l’élève a des connaissances qu’il possède et de la façon dont il peut les construire et les utiliser » (21) ; ou encore comme le « regard qu’une personne porte sur sa démarche mentale dans un but d’action afin de planifier, évaluer, ajuster et vérifier son processus d’apprentissage » (22).

La métacognition comporte trois dimensions :

- les connaissances métacognitives (connaissance de son potentiel, évaluation d’une situation, stratégies envisageables) générées par les expériences métacognitives antérieures ;

- la gestion de l’activité mentale (gestion de la pensée, anticipation du processus, du résultat, ajustements/régulation dans l’action) ;

- la prise de conscience des processus mentaux. L’apprenant « porte un regard sur ses façons d’apprendre, c’est-à-dire sur les processus mentaux qu’il met en action en situation d’apprentissage dans le but d’agir, de se contrôler, de s’ajuster, de se vérifier et de s’analyser comme une personne apprenante » (23).

La métacognition est à comprendre comme une adaptation cognitive au réel, au concret, favorisant l’autonomisation, la construction de connaissances et le transfert des apprentissages (24, 25). Si la démarche réflexive consiste métaphoriquement à descendre de son vélo pour se regarder pédaler, la métacognition consiste à descendre de son vélo pour se penser pédaler.

L’autoévaluation

S’autoévaluer, c’est porter son regard sur ce qui est important (valor en latin), dans le sens de mettre en lumière, en valeur ses apprentissages, C’est « un travail sur soi pour une conscientisation critique » (26). Cette affirmation veut dire que l’on ne nait pas auto-évaluateur, cela s’apprend. « Apprendre à s’auto-évaluer, c’est accepter de voir en arrière pour porter un œil critique sur soi, appuyé sur des critères […], conduisant à une prise de décision pertinente et efficiente sur la base d’un référentiel intériorisé. Cette aptitude réflexive permet une prise de conscience de son action ; lucidité indispensable à tout apprentissage signifiant que seul l’élève, en tant que sujet, peut réaliser » (27). L’autoévaluation est un concept dynamique qui évolue avec la professionnalité émergente de l’apprenant. En début de formation, lorsque l’apprenant est encore novice (lui et son groupe, sa promotion en institut de formation en soins infirmiers), l’autoévaluation s’inscrit dans un balisage des apprentissages. Le sujet apprenant avance en se référant à des normes, il est dans l’autocontrôle. Au fil du temps, avec son avancée en formation et son expérience professionnelle (stages), puis une fois professionnel en activité, le sujet prend ses aises vis-à-vis de la norme. « Nous n’avons pas à prendre nos distances à l’égard du formalisme, mais seulement nos aises (l’aise, ordre du désir, est plus subversive que la distance, ordre de la censure) » (28). L’autoévaluation prend alors la forme de l’auto-questionnement (29), elle s’inscrit dans une intention d’autonomie. Les méthodes pédagogiques actives favorisent l’autoévaluation et de surcroît l’auto-efficacité, ce sentiment d’efficacité personnelle (30) qui, de notre point de vue, est aussi une expérience vécue à plusieurs apprenants, par exemple lors de la synthèse d’un travail de groupe.

L’accompagnement

La logique de l’accompagnement s’oppose à un modèle pédagogique transmissif. « L’apprentissage n’est pas l’acquisition, l’un relève de la logique d’accompagnement, l’autre de la logique de contrôle » (29)« Accompagner, c’est permettre à quelqu’un de rejoindre un groupe, qu’il se ré-affilie, qu’il reconnaisse son appartenance à une culture. C’est travailler ce qu’on a appelé la reliance » (31). Le formateur est l’accompagnant. Ce n’est pas un état mais une posture, par essence temporaire. On est compagnons le temps d’une formation. L’accompagnateur, c’est celui qui va faire en sorte que l’apprenant puisse cheminer selon son projet professionnel. C’est l’apprenant qui fixe le cap, qui décide des buts et des changements de directions en cours du processus de professionnalisation. L’accompagnateur est un facilitateur, une personne ressource, un « ami critique ». Sa posture n’est pas passive, le terme « accompagner » signifie que le formateur est avec le formé, pas simplement à côté. « Il stimule mais il ne le précède jamais, il suscite, il impulse, il favorise la réflexion de l’autre » (32).

La posture d’accompagnant est plus difficile, plus complexe à tenir pour un formateur, que celle de l’enseignant, du sachant, du maître. Elle nécessite une présence à l’autre, un leadership d’accompagnement. « Le leardership d’accompagnement vise une influence sur le niveau d’engagement des personnes en formation afin de les amener à se donner les moyens de passer à l’action […] Ce leardership suscite l’innovation et l’initiative et suppose une certaine forme de collégialité, de pouvoirs et de responsabilités partagés. Ce type de leadership  ne se décrète pas. Il se reconnaît à travers des réalisations, aux relations entretenues avec un groupe en formation […] Les personnes qui exercent un tel leadership  possèdent une certaine culture, un agir éthique et agissent en tenant compte de la dimension affective et de l’engagement dans une pratique réflexive » (33).

INTERETS ET ÉCUEILS

Intérêts

Situées, c’est-à-dire reliées à l’agir professionnel et fondées sur l’action (notamment des situations professionneles emblématiques), les méthodes pédagogiques actives placent l’apprenant dans une posture d’apprentissage dynamique : elles captent l’attention, elles engagent, elles stimulent l’autonomisation. Elles permettent notamment de travailler les habiletés gestuelles dans un cadre réflexif.

Axées sur le groupe, les méthodes actives permettent de développer tous les apprentissages socioconstructivistes. Elles constituent un lieu d’expression collectif où tout le monde peut (et doit) s’exprimer, incluant le langage verbal et non verbal. Elles stimulent les échanges de points de vue, la recherche d’une solution optimale via les décisions collectives (34), la pensée divergente, la pensée critique (pour mieux distinguer, parmi les informations reçues, celles qui sont les plus pertinentes au regard des buts poursuivis, pour contrer l’opinion ou l’action irréfléchie) et créative (35), les compétences argumentatives (36) (pour évaluer si les arguments sont suffisants, acceptables…), le développement de compétences collectives et l’identité professionnelle via le sentiment de partage et d’appartenance au groupe, la cohésion corporative grâce aux activités coopératives et à la réflexivité.

Faisant appel à plusieurs sens, les méthodes actives favorisent la mémorisation. En effet, nous savons que l’apprenant retient environ 10% de ce qu’il lit, 20% de ce qu’il entend, 30% de ce qu’il voit, 50% de ce qu’il voit et entend en même temps et 80% de ce qu’il dit. Les méthodes pédagogiques actives permettent d’atteindre un niveau de mémorisation de 90%, du fait qu’en pratique, l’apprenant va parler en faisant quelque chose à propos de quoi il réfléchit et qui l’engage (37).

Pour le formateur, les méthodes pédagogiques aident à rompre la linéarité d’un programme de formation, de donner du mouvement avec un va-et-vient entre théorie et pratique. Elles permettent de créer des situations d’apprentissage dans lesquelles l’apprenant travaille l’esprit d’analyse et de synthèse, ainsi que la transférabilité, c’est-à-dire la capacité de dégager des généralités qui seront utilisables dans des situations professionnelles réelles. Pour le formateur, l’intégration des méthodes pédagogiques actives dans sa boiîe à outils, dans son référentiel de compétences, permet de se prémunir de la routine, d’une monotonie de la formation. La pédagogie active est par essence une innovation pédagogique permanente, car le formateur ne peut prédire ce qui va se produire durant la séquence pédagogique. Il réinvente sa classe à chaque groupe d’apprenants.

Écueils

Nous envisageons les écueils en termes d’achoppements possibles mais non systématiques. Nous en distinguons trois :

- la dynamique de groupe,

- la culture transmissive du formateur,

- la complication pédagogique (plus chronophage et consommatrice de ressources qu’un cours standard).

La dynamique de groupe

Le premier écueil possible est en effet lié à la dynamique de groupe, qui ne va pas de soi. Les recherches en sociologie ont mis en évidence les éléments péjoratifs à prendre en compte : « La présence initiale d’un climat confus d’anxiété, d’incertitude et d’espoir ; le caractère surtout défensif des efforts de production, de procédure ou de manipulation auxquels se livrent d’abord certains participants ; la répression quasi complète des sentiments éprouvés tant à l’égard des partenaires que du moniteur et de la situation elle-même – ce qui entraîne une accumulation de tensions intra et interpersonnelles ; l’émergence progressive mais sinueuse, d’un système de rôles et d’un état d’interdépendance » (38). Anzieu (39) a bien montré que la constitution d’un groupe de formation est vécue comme critique par ses membres, avec le constat d’une perte d’identité et une régression vers des craintes archaïques.

Pour le formateur, la posture d’accompagnement nécessite une approche de fond pour proposer un cadre rassurant, un climat de respect et de confiance. Les échanges de points de vue liés au conflit sociocognitif devront porter le sceau de la libre expression, d’une écoute, bienveillante, d’une communication assertive (capacité à faire valoir son point de vue sans heurts, en respectant celui des autres).

La culture transmissive du formateur

Au niveau du formateur, le principal risque d’écueil est lié à une culture transmissive où « la figure du maître détenteur du savoir et donc du pouvoir peut servir de modèle pour le cadre, y compris sans qu’il le sache » (40). Il importe donc que le formateur n’utilise pas les méthodes pédagogiques actives comme « un jouet pédagogique » ou « une récréation pédagogique ». Ces méthodes nécessitent une culture ancrée sur la théorie d’apprentissage socioconstructiviste. « Nul ne peut prétendre favoriser l’apprentissage de l’autre et mettre en place les conditions pour qu’il apprenne, s’il ne cherche pas lui-même à élaborer, à construire et à expliciter une conception personnelle de l’apprentissage » (41). Ce type de pédagogie implique également une montée en compétences en regard des techniques de mise en œuvre et d’animation spécifiques à chaque méthode active. La pédagogie adossée à des groupes d’apprenants est un domaine d’exercice du formateur à part entière. « Travailler dans un groupe ne nécessite aucune compétence particulière, mais faire travailler un groupe ne s’improvise pas. L’animateur naïf est vite dépassé par les évènements qu’il ne contrôle pas et ses réactions spontanées n’aident en rien à sortir du mauvais pas » (42).

La complication pédagogique

Il est impératif pour le formateur (si possible en équipe pédagogique), d’engager une réflexion en amont sur l’intérêt d’insérer une séquence pédagogique en méthode active au cours d’une formation. Il doit se questionner : Quelle plus-value peut apporter le recours à une méthode pédagogique active ? Quel type de méthode active serait le plus adapté ? Il y a-t-il d’autres méthodes possibles ? En effet, il faut bien être conscient que les méthodes pédagogiques actives sont plus chronophages que les méthodes transmissives. Il faut compter le temps de préparation et le temps de réalisation en groupe, nécessitant une démultiplication des séances. De plus, les méthodes pédagogiques actives font souvent appel à des moyens et ressources plus conséquents d’un simple cours magistral (par exemple en apprentissage par pratique simulée avec l’installation d’un environnement de soins conforme à la réalité).

METHODES PEDAGOGIQUES ACTIVES ET FORMATION HYBRIDE

Si la formation hybride (blended learning) est déjà très implantée, voire culturelle, en formation continue dans le champ entrepreneurial, il n’en va pas de même en formation dans le champ de la santé. La crise sanitaire a révélé les carences compétentielles des formateurs d’instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) face aux technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) ainsi qu’une faible utilisation des interfaces distancielles (43). Par ailleurs, les étudiants en soins infirmiers sont unanimes : ils préfèrent une formation en format présentiel, principalement pour les interactions qui y sont générées (44). Avec une prise de distance et un regard porté sur les formations dispensées hors champ sanitaire, force est de constater que les méthodes pédagogiques actives sont utilisées – et même de manière systématique – car les concepteurs pédagogiques savent parfaitement que le risque de décrochage est plus élevé en distanciel qu’en présentiel. Il faut donc stimuler les apprenants pour qu’ils soient participatifs et terminent leurs parcours. De nombreux outils sont utilisés de façon récurrente pour cela, comme par exemple les sondages collectifs ou le quiz, les tableaux interactifs (type Jamboard) permettant des échanges d’idées et une réflexivité (brainstorming, métaplan…), les travaux de groupes en classe virtuelle (possibilité de sous-groupes avec certaines interfaces), le vidéolearning qui permet de capter plusieurs sens et de relier le contenu pédagogique à des situations factuelles/réelles, des escape games virtuels, de la pédagogie par projet, des forums, une classe inversée distancielle…

Il existe aujourd’hui des formations courtes (7 à 21 heures en présentiel ou distanciel), parfois certifiantes, permettant aux formateurs de monter en compétences rapidement dans le domaine de la pédagogie distancielle, en apprenant par exemple la conception et l’animation de l’apprentissage par la pratique simulée, l’animation de classe virtuelle, la conception de vidéolearning…

EXEMPLES DE METHODES PEDAGOGIQUES ACTIVES

De nombreux formateurs connaissent et/ou utilisent des méthodes pédagogiques actives. Cependant, peu en maîtrisent les fondamentaux ou les techniques. En voici une liste indicative non exhaustive (toutes réalisées en groupe) : le tour de table, le brainstorming, le métaplan la simulation en santé, le jeu de rôle, l’étude de cas (clinique, concret), l’analyse de pratique, la carte conceptuelle, le photolangage, la to do-list, la ckeck-list, le réveil pédagogique, l’arbre à slam, le quiz show, le forum de discussion, le minut-paper, la méthode d’intégration guidée par le groupe (MIGG), la classe inversée, la coconstruction d’un document partagé, la controverse coopérative (45), la méthode de Delphes, le projet collaboratif, la résolution de problèmes, le groupe tutoré par un pair, l’apprentissage par la découverte, l’escape game, le serious game (ex : chambre des erreurs)…

Ces différentes techniques ne s’improvisent pas. Elles répondent à une méthodologie et un cahier des charges que le formateur doit apprendre et expérimenter.

CONCLUSION

Si elles existent depuis de nombreuses années, les méthodes pédagogiques actives sont encore peu conceptualisées et sous-exploitées en formation sanitaire. Avec l’approche par compétences qui rencontre un consensus international (46), les méthodes pédagogiques actives, qui catalysent l’engagement des apprenants, sont définitivement en phase avec une formation dynamique, interactive et réflexive, visant l’avènement de futurs professionnels autonomes, responsables et faisant preuve de leadership. Elles sont variées, ajustables à un format présentiel, distanciel ou hybride, mais nécessitent toutefois d’appliquer une méthodologie spécifique (47).

La pédagogie de la découverte

Aux États-Unis, Dewey initie sa méthode « hands-on learning » (« apprendre par l’action »). En France, Cousinet et Freinet développent la pédagogie de groupe et des techniques basées sur l’expression libre de l’apprenant. En Italie, Montessori invite les pédagogues à se centrer sur l’observation (« observer et non juger ») et favorise la liberté des apprenants. En Belgique, Decroly prône une « École pour la vie par la vie ». En Suisse, Ferrière défend une approche intuitive et Piaget, dont l’influence est encore présente aujourd’hui, pointe un élément capital : « les méthodes actives sont d’un emploi beaucoup plus difficile que les méthodes réceptives courantes » (2). Inspirée des travaux de Piaget, Bruner ou Vygotski, la pédagogie par la découverte (heuristique), est considérée par certains auteurs (3) comme l’une des premières méthodes pédagogiques actives au sens strict. « Toutes les connaissances et tous les progrès techniques ont commencé par être, historiquement, des découvertes, et c’est mettre en mouvement le processus créateur que d’enseigner par cette méthode » (4). En pratique, la pédagogie de la découverte s’inscrit dans un paradigme inductif où l’apprenant va optimiser son apprentissage via des éléments factuels ou des principes découverts, s’opposant à un enseignement traditionnel basé sur une méthode expositive.

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  • (2) Piaget, J. (1969). Psychologie et pédagogie. La réponse du grand psychologue aux problèmes de l’enseignement. Denoël. Médiations. p. 103.
  • (3) Mucchielli, R. (2016). Les méthodes actives: Dans la pédagogie des adultes. ESF.
  • (4) Mucchielli, R. (2016). Les méthodes actives: Dans la pédagogie des adultes. ESF. p. 75.
  • (5) Perrenoud, P. (2001). Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation. Cahiers pédagogiques, 390 ; 42-45.
  • (6) Mucchielli, R. (2016). Les méthodes actives: Dans la pédagogie des adultes. ESF. p. 78.
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  • (8) Soyer, L., et N. Tanda. (2019). Distanciation et situations emblématiques. Recherche et formation. Objectif Soins & Management, 267 ; 44-47.
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  • (13) Le Boterf, G. (2000). Construire les compétences individuelles et les compétences collectives. Paris : Éditions d’Organisation.
  • (14) Vygotski, L. (1998). Langage et pensée. La Dispute.
  • (15) Donnadieu, B., Genthon, M., et Vial, M. (1998). Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ? Interéditions Masson. p. 40.
  • (16) Donnadieu, B., Genthon, M., et Vial, M. (1998). Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ? Interéditions Masson. p. 56-57.
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  • (23) Lafortune, L. (2012). Une démarche réflexive pour la formation en santé. Presses de l’Université du Québec. p. 21.
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  • (38) Maisonneuve, J. (1999). La dynamique des groupes. PUF. p. 112-113.
  • (39) Anzieu, D. (1975). Le groupe et l’inconscient. L’imaginaire groupal. Dunod.
  • (40) Donnadieu, B., Genthon, M., et Vial, M. (1998). Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ? Interéditions Masson. p. 13.
  • (41) Donnadieu, B., Genthon, M., et Vial, M. (1998). Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ? Interéditions Masson. p. 5.
  • (42) Blanchet, A. et Trognon, A. (1994). La psychologie des groupes. Nathan Université. p. 6-7.
  • (43) Soyer, L., et Tanda, N. (2020). Covid-19. Vécu des formateurs d’IFSI et réingénierie du dispositif de formation. Objectif Soins & Management, 276 ; 48-58.
  • (44) Soyer, L., et Tanda, N. (2020). La crise du Covid-19 bouscule la formation des ESI. L'infirmière, 1 ; 44-47.
  • (45) Johnson , D. W. et Johnson, R. T. (1985). Classroom conflict: Controversy versus debate in learning groups. American Educational Research Journal, 22 ; 237-256.
  • (46) Soyer, L., Tanda, N. et Pepin, J. (2015). Regards croisés sur les sciences infirmières. Objectif Soins et Management 236 ; 45-51.
  • (47) Cette méthodologie sera détaillée via des fiches techniques à paraître dans les prochains numéros d’Objectif Soins & Management.