OBJECTIF SOINS n° 0286 du 31/03/2022

 

interview

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Propos recueillis par Adrien Renaud

  

Le député (et ORL) Cyrille Isaac-Sibille a rendu début mars 2022, avec deux autres collègues, le rapport d’une « mission-flash » parlementaire sur les ressources humaines dans les Ehpad, déclenchée à la suite du scandale Orpea. Il en dessine les contours pour Objectif Soins et Management.

Votre mission prend ses racines dans le scandale Orpea. Quelle a été votre réaction en découvrant le livre de Victor Castanet ?

Ce livre met en avant deux choses, selon moi. Il y a tout d’abord des problèmes généraux concernant les métiers, les effectifs, les conditions de travail, les difficultés à gérer les remplacements, les glissements de tâche… Ce sont des choses que nous connaissons, et sur lesquelles nous travaillons depuis le début de cette législature. Nous avons notamment financé 20 000 postes de plus dans les Ehpad, amené 2 milliards d’euros pour financer les rénovations dans les établissements, revalorisé les salaires avec le Ségur… Nous avons fait une partie du chemin, mais il reste une certaine distance à parcourir. Je tiens par ailleurs à dire qu’il y a bien évidemment des Ehpad qui ont des problèmes, mais que dans la grande majorité d’entre eux, le personnel fait son travail avec professionnalisme, dévouement et humanité.

Et le deuxième aspect que vous retenez du livre ?

Ce livre a révélé les pratiques d’optimisation financière, que ce soit avec de l’argent public ou avec l’argent des résidents, qu’ont adoptées certains groupes. Ce sont des choses que nous ignorions.

Dans ce contexte, quel était l’objectif de votre « mission flash » ?

En tant qu’élu local, je suis en contact permanent avec les Ehpad, et je ne connais pas un directeur ou un membre du personnel qui, malgré le travail merveilleux accompli au quotidien, me dise que chez lui, tout est parfait. C’est pour cela que notre mission s’est penchée sur tous les statuts, et pas seulement sur les Ehpad privés mis en cause dans Les Fossoyeurs. Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour faire des propositions concrètes.

La première de vos propositions, sans surprise, consiste à recruter davantage de personnel…

Oui, ce sont des choses dont on parle depuis longtemps : les métiers ne sont pas suffisamment attractifs, on a trop recours aux CDD et à l’intérim… Il faut donc continuer à valoriser ces carrières, en améliorant les rémunérations, en augmentant le nombre de postes… C’est un effort qui doit être poursuivi.

Mais justement, le problème est au moins autant le manque de moyens pour recruter que le manque de candidats. Comment faire face au déficit d’attractivité des métiers du grand âge ?

Il faut rappeler qu’il s’agit de métiers de qualité, à la condition qu’on puisse faire des soins de manière correcte, qu’on ait le temps de discuter avec des gens, etc. Je pense qu’à partir du moment où l’on dit qu’on aura davantage de personnel, que celui-ci sera mieux payé, les gens se tourneront de nouveau vers ces professions.

En plus de préconiser des recrutements et des revalorisations salariales, vous estimez qu’il faut rapprocher le management du terrain.

Oui. Nous avons remarqué qu’à partir du moment où il y a des regroupements, les directeurs se trouvent dessaisis de beaucoup de choses, et ne s’occupent presque plus que de leur taux d’occupation et de leurs tableaux de bord. C’est pourquoi nous préconisons que le fait d’avoir une compétence médicosociale devienne une condition pour devenir directeur d’Ehpad. Nous avons par ailleurs constaté que les CPOM [Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, qui lient les Ehpad et les tutelles, ndlr] sont souvent discutés au niveau de regroupements d’établissements. Or nous estimons que le directeur d’établissement lui-même doit être associé à ces discussions.

Vous avez également des propositions concernant les glissements de tâche, qui doivent selon vous être mieux encadrés…

Effectivement, on constate que certains ASH peuvent faire fonction d’aide-soignant, certains aides-soignants peuvent faire fonction d’infirmier… Ce sont des glissements qui, à la rigueur, peuvent être acceptés s’ils sont momentanés, mais qui ne doivent pas devenir un système. Nous pensons donc qu’il faut valoriser les acquis de l’expérience pour permettre aux personnes de passer les diplômes nécessaires.

Ces propositions auraient pu tenir une place de choix dans une loi grand âge, longtemps promise par votre majorité, mais qui n’a jamais été votée. N’y a-t-il pas là une occasion manquée ?

La loi grand âge était écrite, j’ai participé à son élaboration. Il ne restait que certains arbitrages à rendre, mais nous n’avons malheureusement pas pu la finaliser pour la bonne et simple raison que depuis deux ans, nous sommes accaparés par le Covid. Mais ces missions flash doivent justement nous permettre d’améliorer le texte, et j’espère que la loi grand âge sera mise au programme dès le début de la prochaine législature, si les électeurs nous prêtent vie.

Qu’elle soit adoptée durant cette législature ou durant la suivante, une loi grand âge digne de ce nom nécessite des moyens supplémentaires. Où peut-on les trouver ?

En 2019, le rapport Libault chiffrait le besoin de financement supplémentaire à 10 milliards d’euros par an. Nous avons commencé cette année, avec l’affectation d’une partie de la CSG, à diriger 1 à 2 milliards vers le secteur, et cette recette devrait atteindre les 3 milliards en 2024. Pour le reste, je pense que l’une des pistes proposées par Emmanuel Macron en tant que candidat réside dans la réforme des retraites : en demandant aux Français de travailler davantage, on contribue à financer l’effort de solidarité nécessaire.

Un livre et des flashes

Un pavé dans la mare. Tel est l’effet qu’a produit Les Fossoyeurs, le livre de Victor Castanet paru aux éditions Fayard en janvier 2022 et dénonçant les pratiques d’économies drastiques effectuées sur le dos des résidents dans les établissements du groupe Orpéa. Quelques jours après la publication, le DG du groupe, Yves Le Masne, a été limogé. Le cours de l’action de l’entreprise, lui, a été divisé par deux. Mais l’ouvrage a aussi eu des répercussions au-delà du leader des Ehpad privés. Le gouvernement a ainsi annoncé début mars un « vaste plan de contrôle » des 7 500 établissements, tous secteurs confondus, que compte le pays. Parallèlement, deux « enquêtes flash » ont été lancées à l’Assemblée nationale. La première portait sur le financement des établissements, et la seconde, à laquelle participait le Dr Cyrille Isaac-Sibille, sur les ressources humaines. Parmi les mesures préconisées par cette dernière, on trouve la « prolongation » de l’effort de recrutement de soignants dans le secteur, la fixation de ratios minimaux de soignants par résident, des revalorisations salariales, le renforcement du rôle des médecins coordonnateurs ainsi qu’une amélioration de la formation des directeurs, qui doivent selon la mission avoir davantage d’autonomie dans la gestion des établissements.

Adrien Renaud