Hélène Salette est directrice générale du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief). En pleine préparation du prochain congrès mondial qui se tiendra en octobre, elle revient pour Objectif Soins et Management sur son parcours, les missions et actions de ce réseau mondial.
Hélène Salette est à la tête du Sidiief depuis 20 ans. Sa motivation à occuper de telles fonctions remonte à ses tout premiers pas dans la profession infirmière : « Comme toute infirmière, c’est le goût et l’importance de contribuer au mieux-être des personnes et de la société qui ont motivé mon choix de carrière. La profession infirmière correspond à cet idéal. C’est une profession exigeante, tant au niveau des connaissances qu’au niveau de l’engagement. La profession infirmière appelle à un certain militantisme, à un engagement social. Ce n’est pas une profession pour rester neutre. J’ai rapidement réalisé que, quelle que soit la place que nous occupons comme infirmière – dédiée aux soins des patients ou à des niveaux décisionnels –, nous avons une capacité d’influence à toutes les échelles et à tous les niveaux. Les infirmières ne réalisent pas toujours, au quotidien, l’impact qu’elles ont sur la vie des individus, des familles et des communautés. Quand on accompagne un patient, une famille dans une situation de vulnérabilité, dans un choix thérapeutique difficile, nous avons un rôle-conseil important. »
La pandémie de Covid-19 a mis en lumière l’impact que peut avoir la profession infirmière sur le fonctionnement du système de santé. « Omniprésents autant qu’indispensables, les infirmières et les infirmiers influencent la performance du système de soins et l’efficacité des politiques de santé publique. Il est donc essentiel que la profession prenne conscience de sa capacité d’influence », ajoute-t-elle.
Hélène Salette est détentrice d’une maîtrise en sciences infirmières de l’Université de Montréal et d’une certification universitaire en gouvernance de sociétés (ASC). C’est la convergence entre ses valeurs et ses intérêts professionnels qui marquent sa carrière. Sa formation supérieure en sciences infirmières lui a permis de jouer divers rôles, tant comme clinicienne spécialisée, gestionnaire, enseignante, que responsable de comités d’ordre scientifique ou professionnel. Son engagement au titre de directrice générale du Sidiief lui a permis de jumeler ses compétences cliniques et administratives à un intérêt marqué pour la gouvernance de sociétés ; une occasion de développer des habiletés de communication, de coaching et de diplomatie, « ce qui pave la voie à une réflexion constante sur une vision du monde davantage réfléchie ».
Durant les vingt premières années de sa carrière, Hélène Salette a occupé différents postes. Ce parcours l'a préparée à assumer des fonctions sur le plan national et, par la suite, au niveau international. Infirmière-conseil à l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), elle fut précurseur en siégeant à un comité provincial en télésanté. Elle a notamment eu la responsabilité du site internet L'infirmière virtuelle en téléconsultation, dédié à l’éducation et à la promotion de la santé auprès du grand public, et participé à l’élaboration de dossiers stratégiques, de production d’avis, de mémoires, de guides et de documents de référence destinés à soutenir le développement de la pratique infirmière. « Cette expérience professionnelle m’a permis de développer des habiletés stratégiques de valorisation de la profession et des compétences infirmières », souligne-t-elle.
Hélène Salette occupe depuis 2002 le poste de directrice générale du Sidiief : « une organisation internationale en plein essor », précise-t-elle. Parmi ses principales contributions, elle cite des prises de position en santé publique et la coordination de plusieurs mémoires, notamment « La formation des infirmières et infirmiers : une réponse aux défis des systèmes de santé » (2011), un mémoire appuyé par des centaines d'organismes internationaux et qui a servi de base à l'adoption de la Déclaration de Genève (2012), ainsi que le mémoire sur « La qualité des soins et la sécurité des patients : une priorité mondiale » (2015). Récemment, elle a contribué à la rédaction de « La pratique infirmière avancée - vers un consensus au sein de la francophonie » (2018). Elle est instigatrice de projets de recherche significatifs pour les soins, dont « La discipline infirmière - une contribution décisive aux enjeux de santé » (2015) et « Indicateurs prioritaires pour évaluer la contribution infirmière à la qualité des soins ». Des publications, précise Hélène Salette, « qui sont largement utilisées par les chercheurs, enseignants et étudiants ».
« Nous sommes dans un contexte de sortie de crise sanitaire, où nous sommes tous, dans tous les domaines de la société, conviés à repenser le monde de la post-pandémie, analyse-t-elle. Pour la profession infirmière, il s’agit d’une occasion unique d’influencer notre avenir, de faire les bons choix. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette pandémie ? Comment nous préparer pour la suite ? » Selon elle, il est essentiel, pour la profession infirmière, de viser plus loin que son quotidien, d’élever le regard pour bien comprendre les enjeux et les tendances internationales, et de s’en inspirer. C’est la mission que s’est donnée le Sidiief.
« Le Sidiief offre une vision du monde plurielle. Il s’agit d’un réseau mondial infirmier solidaire, responsable, qui permet à la profession de réfléchir collectivement aux besoins de la population et qui identifie, développe et offre des solutions infirmières centrées sur les besoins des patients et des communautés. Avec les années, la mission du Sidiief s’est consolidée pour devenir une organisation à l’affut, qui effectue une veille stratégique pour mieux comprendre les grands enjeux dans le monde et s’assurer que l’expertise infirmière est bien utilisée et reconnue pour y répondre. Être en réseau, c’est s’ouvrir à d’autres réalités, c’est apprendre ensemble, c’est partager, oser la critique, s’enrichir les uns les autres. Toutes les réalisations du Sidiief en sont la preuve vivante », souligne Hélène Salette.
Déjà, plusieurs initiatives nationales soutiennent le développement de la profession infirmière et peuvent servir d’inspiration pour les autres organisations. Ainsi, au Québec, lors de la tenue des États généraux de la profession en 2021, « la force vive de la profession infirmière » a œuvré à identifier des pistes de solution et de recommandations pour le développement de la profession infirmière. En Suisse, l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), très engagée sur le plan politique, a récemment remporté un vif succès avec l’adoption en novembre dernier lors d’une votation populaire de L’Initiative sur les soins infirmiers, par laquelle la Confédération et les cantons sont désormais tenus de reconnaître les soins infirmiers comme une composante importante des soins et à les encourager en veillant à ce que chacun ait accès à des soins infirmiers suffisants et de qualité. En France, l’Ordre national des infirmiers a joué un rôle important dans le Ségur de la Santé et dans les travaux visant l’ouverture du décret infirmier. « En réunissant les organisations infirmières francophones d’envergure, le Sidiief devient ainsi le lien où les savoirs et les avancées infirmières se catalysent », ajoute-t-elle.
Le Congrès mondial du Sidiief, organisé tous les 3 ans, est le point d’orgue des échanges entre professionnels. « C’est le haut lieu du savoir infirmier francophone ! », lance Hélène Salette, qui organise ces événements depuis leur création. La 8e édition, qui se tiendra du 16 au 20 octobre 2022 à Ottawa, au Canada, aura pour thème « Créer de la santé : la force du savoir infirmier ».
« L’appel à communication est au cœur du congrès*, explique Hélène Salette : nous recevons à chaque édition plus de 800 projets de communication du monde francophone, qui offrent un véritable tour d’horizon de l’évolution de la profession infirmière. Le congrès est aussi l’occasion d’assister à des conférences d’experts, de se rencontrer entre pairs, d’effectuer des visites professionnelles (cette année, le réputé Hôpital Montfort sera l’hôte du Congrès). Il permet d’établir de nombreux contacts et donne de l’impulsion pour les 3 prochaines années. »
Le Congrès sera aussi l’occasion pour les deux conseils consultatifs du Sidiief (Qualité des soins et sécurité des patients, Formation infirmière) de présenter leurs travaux, notamment sur les modes de financement d’un système de santé permettant d’influer sur les décisions et de s’assurer de la qualité des soins, ainsi qu’une étude portant sur l’identification des indicateurs de qualité des programmes de formation infirmière afin qu’ils correspondent aux besoins de la population et de la profession.
« Nous veillons à faire circuler les connaissances, les savoirs, les innovations infirmières pouvant contribuer à l’amélioration de la santé des populations partout dans le monde », souligne Hélène Salette.
Quel regard porte-t-elle sur l’évolution de la profession depuis 20 ans ? « Dans cette période de post-crise de Covid, le contexte est morose, la profession est fatiguée et se plaint du peu de reconnaissance et du manque de valorisation de ses compétences. Toutefois, de nombreuses étapes ont été franchies depuis 20 ans, il ne faut pas l’occulter, estime Hélène Salette. Les institutions infirmières francophones se sont consolidées : le Sidiief est bien ancré, il sert de levier de positionnement, c’est un réseau qui permet d’échanger, de prendre position, de donner naissance à des documents inédits en français. De plus, de nombreux ordres infirmiers ont vu le jour et servent de socle au développement de la profession, même si au quotidien sur le terrain les infirmiers ne le mesurent pas toujours. La formation infirmière a fortement évolué, avec les accords de Bologne et la mise en œuvre de la filière LMD, qui permet le développement de différents rôles cliniques tels que la pratique avancée grâce à la formation universitaire, un élément de succès pour sauver les systèmes de santé. À noter aussi, l’élargissement des rôles infirmiers : la vaccination par exemple en France, la prise en charge infirmière dans les soins de plaie et le droit de prescrire au Québec, la naissance de l’infirmière pivot (coordonnatrice de soins). Enfin, autre avancée majeure, le développement de chaires de recherche permettant aux infirmières, qui ont toujours fait de l’innovation et de la recherche dans leur pratique, d’embrasser des projets à plus grande échelle et d’avoir un impact positif plus large. »
Autant de progrès qui constituent aujourd’hui un socle solide sur lequel la profession infirmière peut s’appuyer. Certes, la pénurie de personnel, déjà criante, a été accélérée par la pandémie. Mais Hélène Salette estime que la profession a rarement bénéficié d’un tel coup de projecteur : « Le moment est venu pour les infirmiers de réaliser l’importance de leur mouvement associatif : c’est par lui qu’ils pourront faire entendre leur voix ! »