OBJECTIF SOINS n° 0286 du 31/03/2022

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

Jean-Marc Panfili  


*Avocat, docteur en droit, chercheur associé de l’Institut Maurice Hauriou - Université Toulouse 1 Capitole, ancien cadre supérieur de santé en psychiatrie adulte. 
**L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt

Le cadre dans lequel sont pratiquées les mesures d’isolement et de contention des patients en soins psychiatriques fait l’objet de débats. Ces dernières années, l’initiative de juges des libertés et de la détention, puis la saisine du Conseil constitutionnel et la révision de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, posent à nouveau des questions sur la légitimité de ces interventions en matière de privation de liberté.

La contention consiste à restreindre ou à maîtriser les mouvements d’un patient par un dispositif fixé au lit, ou par une camisole de force. Quant à l’isolement, il est réalisé lorsque le patient est enfermé dans une chambre dont la porte est verrouillée, et qu’il est ainsi séparé des soignants et des autres patients (1-3).

Des mesures longtemps discrétionnaires

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), désignait en 2016 l’isolement et la contention comme « pratiques gravement attentatoires aux droits fondamentaux dont l’efficacité thérapeutique n’est pas prouvée » (4).

En clair, il s’agit de mesures de sûreté, et en pratique ces contraintes physiques constituent une atteinte maximale à la liberté d’aller et venir, et à la liberté individuelle. De plus, leur mise en œuvre est potentiellement humiliante, indigne, et parfois dangereuse.

Devant de nombreux abus constatés, le législateur est intervenu en 2016 pour encadrer les pratiques d’isolement et de contention.

L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique (CSP), adopté en 2016, décrivait l’isolement et la contention comme « des pratiques de dernier recours », seulement utilisables pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui », et « sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée ». Confirmant que ces pratiques n’ont rien de thérapeutique, puisqu’elles permettent seulement dans des situations extrêmes, des mesures conservatoires de protection du patient et (ou) d’autrui. De plus, le texte prévoyait « Leur mise en œuvre » avec « surveillance stricte (...) des professionnels de santé désignés à cette fin ». Cette surveillance nominative devait être en outre tracée sur « Un registre (...) tenu dans chaque établissement », mentionnant « Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, (...) le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée ». Enfin, ce registre devait être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués, et aux parlementaires (5).

Les règles posées par l’article L. 3222-5-1 du CSP étaient strictes, mais assorties d’aucune sanction applicable en cas de manquements, et surtout sans mention de l’autorité de contrôle compétente.

De plus, la codification de l’article L. 3222-5-1 occupe une place singulière au CSP, compte tenu du risque important pour les droits du patient, puisque étonnement il ne figure pas au chapitre « Droits des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques ».

À noter également que le législateur n’avait pas prévu explicitement la communication de ce registre aux autorités judicaires, lors de leurs visites prévues par l’article L. 3222-4 du même code.

Plusieurs juges du fond se sont reconnus toutefois compétents pour statuer sur l’isolement et la contention, lors des contrôles des mesures de soins psychiatriques sans consentement, en s’appuyant sur l’article L. 3222-5-1 du CSP créé en 2016.

Mais le 7 novembre 2019, la Cour de cassation a mis un terme à ces appréciations, en décidant qu’« Il résulte des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention [JLD] de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu’il lui incombe de contrôler. » La Haute Juridiction judiciaire a précisé que le placement « sous contention dans une chambre d’isolement » constituait une mesure médicale, qui échappait au contrôle du JLD (6).

Une première censure

La situation a toutefois évolué suite à la saisine le 6 mars 2020 du Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité de l’article L. 3222-5-1 du CSP aux droits et libertés que la Constitution garantit, en particulier dans son article 66. Cette question a été posée à l’origine devant le JLD de Versailles par Me Raphael Mayet.

Dans sa Décision du 19 juin 2020 (7), le Conseil constitutionnel a relevé que la liberté individuelle ne peut être sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. En effet, le législateur avait prévu que le recours à isolement et à la contention ne pouvait être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, mais sans fixer cette limite, ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures était soumis au contrôle du juge judiciaire.

Les Sages ont conclu qu’aucune disposition législative ne soumettait le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire, dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution, censurant l’article L. 3222-5-1. Le Gouvernement devait faire adopter les dispositions en conséquence, comprenant un contrôle judiciaire avant le 31 décembre 2020.

Précisons également, suite à l’arbitrage du 9 décembre 2019 par le Tribunal des conflits, que les décisions d’isolement ou de contention, comme toute action relative à une mesure de soins psychiatriques sans consentement, revêtent le caractère de décisions administratives dont la régularité est contrôlée au visa de l’article L. 3216-1 du CSP, devant la juridiction judiciaire (8).

Un cavalier législatif, une nouvelle censure

La réponse minimaliste à la censure précédente est intervenue par l’article L. 3222-5-1 du CSP, tel qu’issu de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la Sécurité sociale, mentionnant une information du juge avec seulement possibilité pour lui de s’autosaisir, ou la possibilité de saisine par un proche ou le patient lui-même.

Considérant que cette législation n’était toujours pas conforme à la décision des Sages N°2020-844 QPC du 19 juin 2020 (7), l’avocat Me Raphael Mayet a été à nouveau à l’initiative de QPC transmises par la Cour de cassation (Questions n°2021-912 à 914), sur la compatibilité des dispositions de l'article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, notamment avec les articles 34 alinéa 20, et 66 de la Constitution.

Malgré le risque fort d’inconstitutionnalité, ceci n’empêchait pas le Gouvernement de prendre les décrets d’application, et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) d’adresser ses instructions d’application à l’administration hospitalière.

Sans surprise, la Décision 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021 (M. Pablo A. et autres) (9) a censuré les dispositions relatives à la contention et à l’isolement en soins psychiatriques de l’article L. 3222-5-1, et obligé le Gouvernement et le législateur à ré-intervenir. Les Sages ont retenu « qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution. 20. Par conséquent (...) le troisième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, du sixième alinéa du même paragraphe » (9).

En d’autres termes, les Sages, désavoués après leur décision de 2020, prononçaient à nouveau une non-conformité totale des dispositions relatives à l’intervention du juge judiciaire, et les pouvoirs législatif et exécutif disposaient jusqu’au 31 décembre 2021 pour prévoir son contrôle systématique.

Une 3 censure attendue

Ne tirant aucune conséquence des précédentes censures, la réponse du Gouvernement est intervenue par l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Comme cela était prévisible le 16 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a sanctionné ce cavalier législatif, considérant que « L'article 41 modifie les conditions dans lesquelles sont exécutées les mesures de contention ou d'isolement (...) n'ont pas d'effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées au paragraphe V de l'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution » (10).

Ainsi, à réagir seulement suite à des QPC depuis 2011, et faute de s’emparer de l’ensemble de la question des droits fondamentaux des patients en soins psychiatriques sans consentement, et des moyens que cela nécessite, c’est une proposition de loi de circonstance adoptée dans la précipitation qui fixe le droit applicable. Mais, là encore, le Gouvernement était dans l’incapacité de faire adopter ce texte avant la date fixée par le Conseil constitutionnel. C’est finalement dans le texte sur le passe vaccinal de 2022 qu’il a modifié l’article L. 3222-5-1, prenant soin de préciser dès le titre de son projet de loi « modifiant le code de la santé publique » (11), pour éviter une nouvelle censure.

Il en a cependant résulté une période d’insécurité juridique avant l’adoption de ce texte, obligeant le ministère, devant le vide juridique avéré, à recommander aux médecins décidant du recours à l’isolement ou à la contention « de veiller à accorder une attention particulière, dans cette période spécifique et dans un objectif de protection juridique, à la motivation des décisions de recours initial et de renouvellement des mesures (...) de dernier recours, visant à prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui », précisant en outre que « Si l’illégalité de la prolongation d’une mesure d’isolement ou de contention au-delà des durées légales susmentionnées devait être constatée par un juge des libertés et de la détention, la responsabilité qui pourrait être éventuellement recherchée à ce titre par un patient serait celle de l’établissement dans lequel ce dernier est accueilli et non pas la responsabilité personnelle du praticien. »

Une ambition et des moyens insuffisants

Le législateur et le Gouvernement n’étaient tenus de statuer que sur les seules mesures censurées, mais ils avaient aussi l’opportunité d’intégrer d’autres risques d’atteintes aux libertés, notamment au droit à la protection de la vie privée, et à maintenir des relations personnelles et familiales. Tel n’est pas le cas.

Si le contrôle judiciaire constitue une réelle avancée, la désinvolture et le manque d’ambition manifestées par le Gouvernement n’augurent rien de bon quant aux moyens humains et matériels nécessaires à mettre en œuvre pour éviter le recours à l’isolement et la contention.

Par exemple, outre l’imbroglio précédemment décrit, en 2017 la Haute Autorité de santé avait préconisé la création d’un observatoire national des soins sans consentement et des mesures d’isolement et de contention, mais en 2021 aucun recueil fiable et exhaustif n’existait.

Au contraire, les récentes confusions entre isolement et confinement des malades mentaux en lien avec la crise sanitaire, et les réactions administratives disproportionnées suites à des fugues de patients, sont particulièrement inquiétantes.

  • Références : 
  • (3) Direction générale de la Santé. Circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 (circulaire Veil) portant sur le rappel des principes relatifs à l’accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux. Bulletin officiel 1993;93/35:51-52